En ses Chants d’arrière-saison datés de 1930-1960, Marie Noël (1883-1967) nous livre un beau poème qu’elle place dans la bouche d’un mourant. Celui-ci s’élève contre les soins et les remèdes inutiles qu’on lui accorde, criant qu’il n’a plus qu’un seul besoin et qu’un seul désir, Jésus-Christ, divine semence, en lequel il veut renaître et ressusciter pour l’éternité. C’est un grand moment de poésie chrétienne.
.
Viatique
.
Ô vous qui me donnez à boire,
Il est trop tard. Je ne bois plus.
Pain et vin sont en la mémoire
De ma chair à jamais perdus.
.
Ô vous qui m’essuyez la face
À quoi bon ce linge ? À quoi bon
Laver ce visage qu’efface
Déjà la souillure sans nom ?
.
Que faites-vous, toutes mains vaines,
Au bord blême de ce proscrit ?
Que tentez-vous, ô toutes peines ?…
.
Allez me chercher Jésus-Christ !
.
Allez dans le Pain qu’Il habite
Me chercher Jésus-Christ. Allez !
Dans mon flanc qui s’épuise, vite,
Jetez-Le comme un grain de blé.
.
Le grain dont il faut que tout meure
Et pourrisse de pis en pis
Afin, blé mort où blé demeure,
Que de lui lève un autre épi.
.
Que faites-vous toutes mains vaines,
Mains inutiles, mains autour
De l’abîme ? Ô toutes mains pleines
– Et vides – du dernier secours ?
.
Allez à sa porte cachée,
Allez me chercher Jésus-Christ !
Livrez-Le, candide bouchée,
Au sort boueux de mes débris.
.
Chair avec chair anéantie
Dans la fosse aux ventres errants,
Jetez ce soir, jetez l’Hostie
Aux ordures en ce mourant.
.
Pour en moi faire être qui dure,
Envers et contre mort, jetez
À corps et âme cette pure
Parcelle de ressuscité,
.
Jetez, engloutie en ma perte,
Dans la béante obscurité
De ma dernière bouche ouverte,
La semence d’Éternité.
.
On ne peut s’empêcher, le cœur serré, d’appliquer ce poème à la chrétienté depuis si longtemps entrée en agonie, et à chacune des contrées qui la composent. En ce qui fut terre purifiée et élevée par le joug doux et le fardeau léger de l’Évangile, le simple respect de la loi naturelle n’est plus qu’un souffle imperceptible. La mort semble inéluctable et toute proche.
.
Au chevet de cette chrétienté moribonde, nombreux sont ceux qui se pressent. Il y a les malveillants qui surveillent et accélèrent le processus fatal ; ils sont légion. Du politicien haineux au financier esclavagiste, du clerc qui a tout désacralisé au chantre affolé du libéralisme, du matérialiste tranquille au laissé-pour-compte révolté : chacun attend l’issue qui consommera son triomphe.
.
Il y a aussi les bienveillants… Souvent, trop souvent, ils sont de ceux qu’apostrophe Marie Noël : Ô vous qui me donnez à boire, il est trop tard. Ô vous qui m’essuyez la face, à quoi bon ce linge ? Que faites-vous, toutes mains vaines, mains inutiles, mains autour de l’abîme ? Ô toutes mains pleines – et vides – du dernier secours ?
.
N’a-t-on pas vu en France une famille attirer pendant quarante ans – et gaspiller et perdre – les énergies et (qui pis est) les espérances d’une foule de braves gens entraînés depuis lors dans un fiasco lamentable ? Ne voit-on pas çà ou là pérorer, dans les congrès et autres réunions de catholiques, des gens qui foulent au pied la sainteté du mariage, l’intégrité de la foi divine ou l’unité catholique ? Ce ne sont que mains vaines et inutiles et trompeuses, quel que soit leur talent ou leur courage par ailleurs.
.
Car il n’y a qu’un seul Sauveur, qu’un seul remède, qu’une seule urgence : Allez me chercher Jésus-Christ !
.
Les vains prétextes qu’on avance pour justifier l’influence qu’on leur octroie (C’est un grand connaisseur de la franc-maçonnerie… [tu parles ! il vit selon la corruption maçonnique du mariage !]. Il parle si bien de la France… [tu parles ! il a renié la foi de ses pères !] etc.) ne peuvent donner le change. Pour la chrétienté, pour notre pays, pour les familles, pour chacun d’entre nous, il n’y a qu’un besoin, il n’y a qu’un salut, il n’y a qu’un impératif : Allez me chercher Jésus-Christ !
.
Tout le reste est littérature.
.
Taxer tout le reste de littérature n’implique en rien qu’on méprise la loi naturelle (elle est une loi divine !), ni l’intelligence des choses ni les leçons de l’expérience.
.
C’est rappeler qu’on ne peut avoir une connaissance adéquate et salutaire de la doctrine politique et sociale de l’Église catholique que dans la docilité à son égard. Cela est d’autant plus vrai que nul ne peut s’écarter de cette doctrine sans péril pour la foi (Pie XII, 29 avril 1945) ; que le premier fruit attendu de cette doctrine est de conserver la foi au cœur des fidèles et de les défendre contre toutes les hérésies ou apostasies sociales ; que la sainteté du mariage est le pilier central de la doctrine de l’Église sur la société.
.
Taxer tout le reste de littérature n’implique en rien qu’on méconnaisse l’intérêt d’étudier tel sujet, de combattre telle erreur, de donner de l’importance à tel événement. C’est simplement rappeler que rien – rien ! – ne doit supplanter ni même affaiblir la connaissance, l’étude, la méditation de Jésus-Christ et de sa doctrine.
.
Dans la vie de tout homme venant en ce monde comme dans l’histoire des cités, se vérifie sans cesse la prophétie du vieillard Siméon : Jésus-Christ est le signe de contradiction. Il est la ruine de ceux qui le refusent en le combattant ou en l’ignorant ; il est la résurrection de ceux qui l’acceptent en lui donnant leur foi et en l’aimant sans réserve.
.
Allez me chercher Jésus-Christ ! tel est le cri ou le soupir salutaires de l’âme lucide et des reliques de la chrétienté. C’est leur salut assuré… mais à la condition impérieuse qu’on aille chercher Jésus-Christ où il se trouve : dans la sainte Église catholique. Précisons : dans l’intégrité de sa doctrine, et donc dans les actes de son Magistère ; dans la vérité de ses sacrements, et donc selon la continuité de sa tradition ; dans la vigueur de son unité, et donc selon la succession apostolique ; dans le rejet de la mortelle contamination de l’hérésie qui a germé à Vatican II, souterrainement active auparavant.
.
Le chercher ailleurs est n’en trouver qu’une caricature ou une diminution. Ce ne sont pas tous ceux qui disent Seigneur, Seigneur…