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4 février 2006 6 04 /02 /février /2006 21:06
Un lecteur des plus bienveillants, réagissant à la publication sur Quicumque de l’'encyclique de Pie XII Ad Apostolorum Principis, m'’a écrit les lignes suivantes :

C'est bien de rappeler la doctrine de Pie XII comme boussole dans le désarroi actuel de l'Église.
Nous savions bien que Pie XII avait condamné les sacres épiscopaux de l'église patriotique en Chine. Il appliqua ainsi une rigueur inconnue dans l'Église jusqu'alors, mais nécessaire à cause du communisme « intrinsèquement pervers ».
Mais, de là à appliquer ce document magistériel à la situation après lui, il y a de la marge. Il est un fait que la plupart des évêques qu'il avait nommés lui comme pape légitime se sont laissé emporter dans la tourmente conciliaire par une minorité agissante. Il faut citer une conséquence très grave du concile et de ses « réformes » : les nouveaux rites des « sacrements » et en particulier la réforme du sacrement de l'Ordre par « Pontificalis Romani » de Paul VI le 18 juin 1968. Les nouveaux ordres sont invalides.
Alors il était nécessaire que Mgr Lefebvre et Mgr Ngo-Dinh-Thuc ont sacré des évêques dans des circonstances de nécessité la plus grave : l'extinction du sacerdoce catholique.
Dès lors la loi de Pie XII n'est pas d'application tant que la hiérarchie ne sera pas rétablie. Je pense sincèrement que les évêques de ces deux lignées se soumettraient tout de suite le jour où il y aura un pape.
Entre-temps la gloire de Dieu et le besoin des âmes exige que nous exercions notre pouvoir d'ordre. Il ne faudrait pas décourager les catholiques, prêtres et laïcs qui font de grands sacrifices pour maintenir la foi et les secours de la grâce, la sainte messe et les sacrements.
Normalement vous devriez être d'accord avec ce que j'écris ici.
In fide catholica.

Voici la réponse que j'’ai envoyée.


Cher XXX,

vous m'’aviez fait l'’honneur de m'’écrire au sujet des
sacres épiscopaux, et voilà que je n’'ai cessé de différer ma réponse malgré la gravité du sujet et la reconnaissance que je vous dois. Je vous prie de vouloir bien m’'excuser.

Je gage que nous serons d'’accord sur trois points qui permettent de bien situer l'’importance et le nœœud du problème :
Est-il permis, dans la situation présente, de recourir aux sacres épiscopaux conférés sans mandat apostolique ?

1. À travers les vicissitudes du cours de sa vie terrestre, la sainte Église catholique demeure identique à elle-même, sous l’'Autorité première et souveraine de Notre-Seigneur Jésus-Christ, selon la Constitution –– bâtie sur l'’unité hiérarchique –– que lui a donnée Notre-Seigneur, dans la possession inamissible des trois pouvoirs que Notre-Seigneur lui a confiés (Magistère, Ordre Juridiction) et des quatre notes dont il l’'a dotée (Unité, Sainteté, Catholicité, Apostolicité) ; et cela doit durer jusqu’à la fin du monde.

2. L'’absence – et l’'absence prolongée – de l’'autorité pontificale et de l’'autorité épiscopale dans la sainte Église est un grand malheur. À ce malheur s'’ajoute la présence depuis 1968 d'’un nouveau rituel de l'’Ordre qui est (au minimum du minimum) douteux. L'’addition de ces deux éléments constitue un état de nécessité tel que sans doute l’'Église n’'en a jamais connu.

3. L'’état de nécessité –– si grand et angoissant qu'’il soit –– ne saurait être une raison pour que tout soit permis, pour qu’'on puisse prendre pour unique guide ou critère le besoin immédiat (sinon, il suffit de considérer que l'’Église ne peut se passer de Pape, et hop ! on en fabrique un sur-mesure). Et cela pour deux raisons :
a] La pérennité de l’'Église est divinement assurée, et ne saurait en rien dépendre de l'’action des hommes, qui ne peuvent être en l’'occurrence que des instruments. Il n’'y a pas lien de cause à effet nécessaire entre ce que nous faisons et la survie de l’'Église ; si l’'on veut parler du salut des âmes, dont chaque cas n'’est pas divinement garanti, il faut se souvenir que la première qualité demandée à ceux qui veulent ou doivent y travailler est la fidélité :
Hic jam quæritur inter dispensatores [mysteriorum Dei] ut fidelis quis inveniatur [I Cor IV, 2].
b] La constitution de l’'Église est intangible, d'’institution divine, et on ne peut donc porter la main sur elle. Si l’'épikie, avec toutes les précautions qui s'’imposent, permet d’'interpréter la législation de l’'Église, elle ne saurait autoriser à agir à l'’encontre de la Constitution de l'’Église.

C'’est dans ce dernier point que gît le problème.

J’'affirme que l'’épiscopat, sa transmission et sa dépendance du souverain Pontificat, appartiennent à la constitution de l’'Église.

Avant de m'’efforcer d’'étayer cette affirmation, je fais simplement remarquer ceci : le sacre d'’un évêque sans mandat apostolique est un acte d'’extrême gravité –– tout le monde en convient – et l’'excommunication est là pour le rappeler. Ceux qui l'’accomplissent, l’'approuvent ou en bénéficient doivent donc avoir des raisons (et des raisons objectives, publiques, communicables) d'’une gravité équivalente pour agir ainsi, et en particulier pour justifier que leur acte ne passe outre qu'’à une
loi disciplinaire. Sans quoi ils manquent gravement. En d’'autres termes, la charge de la preuve de la légitimité d’'un tel sacre leur incombe, et leur incombe préalablement.
Or je ne vois pas que cela ait été sérieusement fait, ni du côté de Mgr Lefebvre, ni du côté des innombrables descendants de Mgr Thuc.

J’'affirme donc que l'’épiscopat et son lien de dépendance avec le Pontificat suprême est partie intégrante de la constitution de l’'Église. Je l’'affirme parce que :
– c'’est l’'enseignement de l’'Église ;
– c’'est la pratique de l'’Église ;
– c’'est la nature de l’'épiscopat ;
– les conséquences le montrent abondamment.

I. Enseignement de l'’Église.

L'’épiscopat et sa transmission relèvent de la constitution même de l'’Église catholique, dit Léon XIII : « L'’ordre épiscopal fait nécessairement partie de la Constitution intime de l'’Église » (
Satis Cognitum, § 71). C'’est selon cette Constitution que le Pape, et lui seul, appelle les évêques, les fait participer à la régence sur le Corps mystique de Jésus-Christ, les incorpore dans la hiérarchie de la sainte Église.
« Le Pape seul institue les évêques. Ce droit lui appartient
souverainement, exclusivement et nécessairement, par la constitution même de l'’Église et la nature de la hiérarchie » (Dom Adrien Gréa, L'’Église et sa divine constitution, Casterman 1965, p. 259).

Léon XIII rappelait auparavant dans
Satis Cognitum la nécessité pour l’'unité de l’'Église qu’'il n’'y ait pas de dissension dans l’'épiscopat :
« Par où l’'on peut comprendre que les hommes ne se séparent pas moins de l'’unité de l’'Église par le schisme que par l’'hérésie.
On met cette différence entre l’'hérésie et le schisme, que l’'hérésie professe un dogme corrompu ; le schisme, par suite d’'une dissension dans l’'épiscopat, se sépare de l’'Église. Ces paroles [de saint Jérôme] concordent avec celles de saint Jean Chrysostome sur le même sujet : Je dis et je proteste que diviser l’'Église n'’est pas un moindre mal que de tomber dans l’'hérésie. C’est pourquoi, si nulle hérésie ne peut être légitime, de la même façon, il n’'y a pas de schisme qu'’on puisse regarder comme fait à bon droit. Il n’'est rien de plus grave que le sacrilège du schisme : il n'’y a pas de nécessité légitime de rompre l'’unité ». (Léon XIII, Satis Cognitum, 29 juin 1896, § 49).

Je pourrais placer ici des extraits de
Quod aliquantum de Pie VI, et de Ad Apostolorum Principis de Pie XII. Mais vous les connaissez aussi bien que moi ; vous avez comme moi remarqué que Pie VI rattache au dogme la nécessité de la confirmation des évêques par le souverain Pontife (§ 24), s’'opposant au sophisme des laudateurs de la Constitution civile du clergé qui en faisait une affaire de discipline ; vous avez comme moi lu que Pie XII rattache à la Constitution même de l'’Église l’'élection des Évêques :
« Devant de si graves attentats contre la discipline et l'’unité de l’'Église, c’'est Notre devoir exprès de rappeler à tous que la doctrine et les principes qui régissent la
constitution de la société divinement fondée par Jésus-Christ Notre-Seigneur sont tout différents.
« Les sacrés canons en effet décrètent clairement et explicitement qu'’il revient uniquement au Siège apostolique de juger de l’'aptitude d’'un ecclésiastique à recevoir la dignité et la mission épiscopales et qu'’il revient au Pontife romain de nommer librement les évêques. »


II. Pratique de l'’Église.

La pratique de l’'Église est un lieu théologique de première importance puisque, comme l’'enseigne saint Thomas d’'Aquin, « la coutume de l'’Église a la plus grande autorité ; sa façon d’agir doit être adoptée par tous, car l'’enseignement des docteurs catholiques lui-même tient son autorité de l’'Église. D'’où il faut davantage s’'en tenir à l’'autorité de l’'Église qu’'à l’'autorité de saint Augustin, ou de saint Jérôme ou d’'un quelconque docteur »
Somme théologique, IIa IIæ q. X, a.12, c.

L’'examen de cette pratique montre que l’'Église n’'a jamais admis, ni même simplement toléré, des sacres épiscopaux irréguliers. Un ouvrage paru sans nom d'’auteur à Liège en 1814,
Tradition de l’Église sur l’'institution des évêques (trois volumes de 350 à 400 pages chacun, un volume sur l'’Orient, deux sur l’'Occident) étudie minutieusement un grand nombre de cas qu'’on pourrait présenter en faveur de la légitimité, en certaines circonstances, des sacres sans mandat apostolique, et conclut toujours et sans appel par la négative : la pratique de l’'Église est constante et sans faille. Cela d’'ailleurs ne devrait pas nous étonner, puisque cette pratique est l'’effet de la constitution même de l’'Église.
Ce livre, écrit en fait par Jean-Marie et Félicité de Lamennais, valut probablement à Félicité d’'être nommé cardinal in petto. Cf.
Les quatre derniers Papes et Rome durant leur pontificat du Cardinal Wiseman. Traduction française par Richard Viot. Tours, Mame, 1878. pp. 186-190.

On allègue parfois l’'exemple de saint Eusèbe de Samosate, mais en vain. Son cas bien exposé et analysé dans deux articles du frère A.M. Lenoir, articles parus dans les nn. 22 et 23 de
Sedes Sapientiæ. Il ressort de cette étude que saint Eusèbe a été toute sa vie un observateur fidèle des lois canoniques, et que l’'attribution qu'’on lui fait de sacres épiscopaux accomplis de son propre chef repose sur une source historique unique –– Théodoret de Cyr qui fut longtemps nestorien –– dont l'’interprétation est au demeurant difficile. Cette interprétation ne saurait être faite à l’'encontre de toute sa vie et, en tout cas, ne saurait être celle qu'’on retient pour justifier des sacres illégaux.

Jusqu'’à preuve du contraire (preuve qu’'on m'’a plus d'’une fois promise mais que j'’attends toujours), la pratique constante et unanime de l’'Église me fournit un argument très solide pour affirmer que la constitution de l'’Église –– et pas simplement sa loi disciplinaire –– est en jeu dans la transmission de l'’épiscopat.


III. La nature de l’'épiscopat.

L'’épiscopat est hiérarchique par nature. Saint Thomas d’Aquin enseigne bien que ce qui le différencie du simple sacerdoce est son ordination au Corps mystique :
«
Habet enim ordinem episcopus per comparationem ad Corpus Christi mysticum, quod est Ecclesia… sed quantum ad Corpus Christi verum, non habet ordinem supra presbyterum ; l’'évêque a un ordre relatif au Corps mystique du Christ, qui est l’'Église… ; relativement au Corps physique du Christ, l’'évêque n’'a pas d'’ordre au-dessus du prêtre (in Billuart, Cursus theologiæ, de sacramento ordinis, c. X, d. IV, a 2, ad 4um).

Par son ordination essentielle au Corps mystique, l’'épiscopat est la « brique élémentaire » dont est bâtie la hiérarchie de l'’Église. En lui s’'unifient les deux raisons diverses selon lesquelles s’'ordonne l’'unique hiérarchie de l’'Église : l’'ordre et la juridiction. L'’unité de ces deux aspects existe dans l'’épiscopat qui, seul par institution divine, prend place simultanément dans la hiérarchie d'’ordre et dans la hiérarchie de juridiction.
Je dis que l'’épiscopat réalise l'’unité de la hiérarchie ecclésiastique parce que d'’une part il est la plénitude du sacerdoce et que d’'autre part la juridiction suprême et fondamentale dans l'’Église est épiscopale –– non pas au sens de la juridiction d’'un évêque particulier, mais de celle de l’'évêque des évêques. Le concile du Vatican, lorsqu'’il veut caractériser la juridiction du Pape, dit que c'’est une juridiction
épiscopale :
« Nous enseignons donc et Nous déclarons que l'’Église romaine, par l'’institution divine, a la principauté de pouvoir ordinaire sur toutes les autres églises, et que ce pouvoir de juridiction du Pontife romain, pouvoir de juridiction qui est vraiment épiscopal, est immédiat… : 
jurisdictionis potestatem, quæ vere episcopalis est, immediatam esse » Pastor Aeternus, D. 1827, 18 juillet 1870.

En conséquence, c'’est l’'unité hiérarchique de l’'Église catholique qui est en cause : faire un évêque, c'’est faire une hiérarchie ; et si cet évêque n'’est pas fait par le Pape –– seul fondement de la hiérarchie catholique –– c'’est faire une autre hiérarchie. On ne peut sortir de là.

Les évêques sont les successeurs des Apôtres, et ils doivent cette qualité à leur union
épiscopale au souverain Pontife.

IV. Les conséquences le montrent abondamment.

Je vous ajoute pêle-mêle, cher XXX, d’'autres considérations qui sont soit des conséquences, soit des annexes, soit des réponses à d'’éventuelles objections, en tout cas des compléments de ce que je viens d’énoncer ; toutes, à mon sens, confortent cette vérité que la transmission de l’'épiscopat relève de la Constitution de l'’Église.

1.
Et l'’indéfectibilité de l’Église ?
L'’indéfectibilité de l’'Église est un fait divinement accompli pour le passé, et divinement garanti pour l’'avenir : la permanence de son apostolicité, de sa constitution et de sa doctrine de foi jusqu'’à la fin des temps. C'’est une caractéristique que Dieu seul peut assurer : ce que peuvent faire les hommes de leur propre chef est vain.
Cela l'’est d’autant plus si, par des sacres sans mandat apostolique, ils vont à l’'encontre de la constitution de l'’Église –– que l’'indéfectibilité doit conserver. Il en serait de même si, par une pseudo-élection pontificale, ils allaient à l’'encontre de l’'apostolicité – que l’'indéfectibilité doit conserver ; ou s'’ils venaient à changer la doctrine de foi – qui entre elle aussi dans l’objet de l’'indéfectibilité.
Certes, nous voyons bien (et parfois avec angoisse) que pour que cette indéfectibilité demeure, il faut que la chaîne des évêques valides ne s’'interrompe pas, il faut que le Siège apostolique ne cesse pas d’'être occupé, de telle sorte qu’'il n’'y ait pas rupture de succession : mais toute intervention humaine contraire à la constitution de l’'Église est un terrible manque de foi en cette indéfectibilité, et ne peut conduire qu'’à des catastrophes.

2.
Et les vocations sacerdotales ?
À propos de la nature de la vocation, l’'Église enseigne : «
Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur – ceux-là sont dits être appelés par Dieu, qui sont appelés par les ministres légitimes de l'’Église » Catéchisme du Concile de Trente, de Ordine § 1.
En parlant du sacerdoce, saint Paul écrit (Heb. V, 4) : « Nul ne s'’attribue à lui-même cet honneur, sinon celui qui est appelé de Dieu comme Aaron ». Avec les consécrations épiscopales sans mandat apostolique, plus personne n'’est appelé.
Les évêques sacrés sans mandat apostolique ne peuvent transmettre ce dont ils sont dépourvus :
Nemo dat quod non habet. N'’ayant pas été appelés, ils ne peuvent appeler à leur tour. Ainsi, s’'ils ordonnent des prêtres, ce sont des prêtres sans vocation. C'’est par nature, par institution divine, par constitution de l’'Église, que le Pape appelle les évêques et que ceux-ci appellent les prêtres. Mais voilà, avec les consécrations épiscopales sans mandat apostolique, la chaîne est rompue ; quand les évêques s’'attribuent l'’épiscopat (c’'est bien cela qui arrive, même s’'ils se « laissent choisir » par un évêque qui n’'a pas ce pouvoir), les prêtres ne sont pas légitimement appelés. Dans la crise de l'’Église, si profonde qu'’on la suppose, il peut bien être permis de passer outre à une législation qui délimite et organise la transmission du sacerdoce, mais il est impossible qu’'il soit permis d'’aller contre la nature des choses.
Avec les consécrations épiscopales effectuées sans mandat apostolique, on a donc [peut-être] des catholiques-évêques, on n’'obtient pas des évêques catholiques. Pourquoi ajouter ce
peut-être ? Parce qu'’il faudrait vérifier la réalité de l’'épiscopat et la qualité de catholique, ni l'’une ni l'’autre n'’étant plus garantie par l’'Église elle-même. Le discernement sera de plus en plus difficile ; la certitude –– qui repose déjà sur une bonne dose de confiance difficile à placer –– ira s'’amenuisant. Ce simple fait montre à lui seul que la « voie épiscopale » n'’est pas la voie du salut, pas même celle de la survie. Dans certaines lignées épiscopales, on en est à la troisième ou quatrième génération de sacres, et les intermédiaires, venus parfois on ne sait d'’où, disparaissent les uns après les autres….

3.
Crédibilité, catholicité
L'’Église catholique est une société d'’essence surnaturelle, mais elle est nécessairement
visible (bien qu’elle ne le soit pas toujours de la même façon, tout comme la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ durant sa vie terrestre). Notre appartenance à l'’Église doit donc être, par nature, visible. Dans les temps troublés que nous vivons, cette visibilité d'’appartenance n'’est plus assurée par l'’adhésion au Magistère vivant, puisque ce pouvoir (toujours présent) ne s’'exerce plus. Elle n’'est pas davantage assurée par la soumission à la juridiction, puisque l'’autorité est défaillante. Il ne reste donc que le troisième pouvoir de l'’Église, le pouvoir d'’ordre, auquel il revient de réaliser et d’'assurer cette visibilité d’'appartenance. Si l’'on supprime cette troisième voie, en admettant qu'’il puisse exister légitimement des évêques qui n'’aient pas été institués par le souverain Pontife, il n’'y a plus rien : plus aucun critère ne permet de discerner ce qui est catholique de ce qui ne l’'est pas, ce qui est légitime de ce qui ne l’'est pas. Chacun bâtit son propre critère : ceux qu’'on connaît et apprécie sont les seuls bons. Mais où se trouve donc la catholicité là au milieu ? C’'est un grave problème qui se pose parce que notre catholicité doit être et visible de l’'extérieur, et réellement fondée de l’'intérieur.
C'’est, de plus, un problème très concret. Si Untel est ordonné prêtre, comment vais-je discerner s'’il est
en toute certitude (d’'une certitude objective, fondée sur l’'Église, communicable) prêtre catholique ? J’'ai besoin de cette certitude pour assister à sa Messe et pour recourir à lui. Cette certitude ne peut m'’être donnée que par la filiation de ce prêtre, selon la constitution même de l'’Église catholique : c'’est la mission propre du souverain Pontife d'’instituer les évêques ; c'’est la mission propre des évêques d’'ordonner les prêtres. Il faut donc que je sache, outre sa profession de foi catholique bien sûr, s'’il a été ordonné selon le rite catholique par un évêque institué par le souverain Pontife (et sacré selon le rite catholique). Hors de cela, je ne puis avoir qu’'une opinion, qui ne peut en rien me permettre de recourir à lui.
Je ne veux pas parler ici de la validité des ordres dans les différentes branches épiscopales – bien que cette question me tarabuste de plus en plus : pour croire à cette validité, il faut multiplier les actes de foi (humaine) à mesure qu'’on s’éloigne de la source, et que le sérieux et la catholicité des intentions se perd dans le brouillard. Mais sans cela, la question épiscopale – et tout ce qui en dépend – est déjà suffisamment grave et préoccupante.

4.
Cohérence
À quoi bon avoir lutté pendant plus de trente ans contre les ferments de dissolution de l’'unité de l'’Église à mesure qu'’ils apparaissaient dans la réalité ou dans la conscience, pour se livrer ensuite soi-même à ce jeu mortel ? (L'’unité de l’'Église provient de sa constitution divine, et elle est un objet de foi : elle est donc inaltérable et hors d'’atteinte de la malice des hommes. Mais des facteurs pervers peuvent soustraire des chrétiens à cette unité ; c'’est de ces facteurs que je veux parler.)
À quoi bon avoir refusé tour à tour ce qui rompt la triple unité catholique :
–– la liberté religieuse, la fausse conception de l’'Église enseignée à Vatican II, l’'adhésion à Benoît XVI [fausse règle de la foi] et les divagations des traditionalistes à propos du Magistère, qui dissolvent l’'
unité de la foi ;
–– la réforme liturgique de Paul VI, l’'
una cum et le charismatisme qui dissolvent l’'unité de l’'ordre sacramentel ;
–– l’'adhésion à une pseudo-autorité, le conclavisme, le charismatisme encore et la prétendue justification de la désobéissance, qui dissolvent l’'
unité hiérarchique… ;
…à quoi bon donc, si c'’est pour de notre côté faire quelque chose d’'analogue ?

5.
Où s’'arrêter ?
Pour exprimer la même chose de façon « existentielle », on peut dire que dans la crise de l'’Église à laquelle nous assistons, dans cette crise que nous aggravons par nos péchés, dans cette crise que nous subissons, il faut savoir
où s’arrêter, en matière de décisions à prendre, d'’attitudes à adopter en vue de conserver la foi et l’'appartenance à l’'Église catholique. Pour ce qui est de refuser de reconnaître l'’autorité de Benoît XVI, il n'’y a pas d’'état d’'âme à avoir : la foi impère clairement ; il y a juste des vérifications à faire, de sérieuses vérifications car l’'affaire est gravissime.
Mais dans l'’attitude pratique à tenir, l'’éventail des possibilités est large, et la distance est grande entre d’'un côté la périlleuse abstention de toute vie sacramentelle, et de l'’autre la folle initiative de la réunion d'’un « conclave ». Devant cet éventail, le pire serait de se déterminer selon son jugement propre. Seules la pratique de l'’Église et la théologie de saint Thomas d'’Aquin peuvent donner un sûr critère de choix –– et il se trouve que les deux concordent pour marquer la frontière entre l’'exercice du sacerdoce d'’une part, et l’'accès à l’'épiscopat d'’autre part. Le premier, d'’ordre essentiellement sacramentel, peut être l’'objet d'’une suppléance de l’'Église ; le second, d’'ordre essentiellement hiérarchique, non.
Enfin, je fais observer qu'’une fois admis le principe qu'’on peut recourir à des sacres épiscopaux sans mandat apostolique, plus rien de solide ne peut arrêter dans une voie qui s’'est révélée pour beaucoup une voie de perdition : il n'’y a plus de limite objective, il n’'existe plus de borne ferme, on s’'est privé du meilleur discernement de la catholicité, on se trouve en position d'’extrême vulnérabilité.

Vous m'’écriviez, cher XXX, à propos des principes énoncés par Pie XII dans
Ad Apostolorum Principis « Dès lors la loi de Pie XII n'est pas d'application tant que la hiérarchie ne sera pas rétablie. »
S’'il s’agissait d'’une loi, de dispositions disciplinaires même très graves, alors ce que vous dites se justifierait pleinement. Mais cela, jamais personne ne l’'a montré, et je pense avoir montré le contraire. Tout au moins j'’en suis persuadé.

Je vous remercie, cher XXX, de m'’avoir lu jusqu'’ici. Je vous prie de trouver dans la présente (et trop longue) lettre le témoignage du profond respect que je vous porte et l’'assurance de mes prières.

Abbé Hervé Belmont

P.S. Je place ici quelques lignes de l’'Abbé Berto à propos du droit divin en matière épiscopale, qui donnent à réfléchir…. 
« De droit divin, les Évêques même dispersés, sont un
corps constitué dans l’'Église. [...…] Il est de droit divin non seulement qu'’il y ait des Évêques, mais que les Évêques soient un corps, et, si tel sujet devient Évêque, il est de droit divin qu'’il y ait, entre lui et le Pape d'’une part, entre lui et ses collègues d'’autre part, le double lien organique qui le fait membre de ce corps. [...…] [Ce qui agrège au corps épiscopal] c’'est le pouvoir de gouvernement, non actuel, mais en tant qu'’il est normalement associé au Sacre, en tant que le Sacre y donne « vocation » et que cette « vocation » n'’est pas contrariée par le schisme. [...…] Évêque est celui qui a reçu le Sacre, fût-ce au sein du schisme, fût-ce schismatiquement en se faisant sacrer sans mandat Apostolique ; mais alors il est Évêque sans être du corps épiscopal. »
Abbé V.-A. Berto,
Pour la sainte Église Romaine, Le Cèdre, Paris 1976, pp. 242 sqq.
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commentaires

G
-Citation bien pertinente : <br /> <br /> En vérité, je ne sais pas comprendre l'intérêt que certains auteurs peuvent avoir d'obscurcir des principes aussi clairs. Comment des hommes qui se disent catholiques, ont-ils le courage de soutenir que, rigoureusement parlant, l'institution des évêques pourrait ne pas venir exclusivement du Pape ? Qu'ils le veuillent ou non, ils font à coup sûr les affaires de l'hérésie.<br /> <br /> REVUE DES SCIENCES ECCLÉSIASTIQUES.Fondé sous les auspices de Monseigneur PARISIS et honoré d'un Bref de S. S. PIE IX – 133-137. – Janvier-Mai. 1871 - TROISIÈME SÉRIE –TOME 3ème – ( XXIII DE LA COLLECTION ),PARIS CHEZ M. PUTOIS –CRETTÉ- R.P H. Montrouzier, S. J.p.29
Répondre
C
Saint Cyprien a écrit:<br /> "Que personne ne trompe ses frères par le mensonge ; que personne ne corrompe la vérité de la foi par une prévarication perfide. Il n'y a qu'un Épiscopat, un seul, dont chaque évêque possède une partie solidairement ; il n'y a de même qu'une Église..." <br /> <br /> Saint Cyprien, De unit. Eccl. cité dans Le grand catéchisme de Canisius, tome premier, p. 96.
Répondre
C
Joseph Falcon, S.M., LA CRÉDIBILITÉ DU DOGME CATHOLIQUE, apologétique scientifique, p.496, Émmanuel Vitte, 1948 a écrit:<br /> <br /> § IV<br /> <br /> L'Apostolicité.<br /> <br /> D'une façon générale, elle est l'identité d'une Église avec l'Église des Apôtres, sous le triple rapport de la foi, du culte, du gouvernement ou de la juridiction. - Mais, en tant que note, l'Apostolicité <br /> <br /> est seulement : l'identité d'une Église avec l'Église des Apôtres sous le rapport de la JURIDICTION. - L'Apostolicité de foi ou de doctrine n'est pas "note"; car pour établir qu'une doctrine déterminée est d'origine.<br /> <br /> apostolique, il faut au préalable connaître que la confession qui l'enseigne est la vraie Église.<br /> <br /> <br /> <br /> PS : Que vient faire une loi ecclésiastique bonne seulement pour une Église en ordre dans un manuel d'apologie dogmatique scientifique ?
Répondre
C
Chanoine Eugène Duplessy, APOLOGÉTIQUE, livre III, p.166-167, 1923 a écrit:<br /> <br /> L'apostolicité de l'Église.<br /> <br /> 1. L'apostolicité, dans la volonté de Jésus-Christ.<br /> <br /> - Être "apostolique", pour l'Égise, c'est être l'Église des apôtres, c'est-à-dire la même Église qu'ils ont fondée et qui s'est continuée depuis eux jusqu'à nous.<br /> <br /> 1° Pour qu'une Église soit aujourd'hui celle des apôtres, deux conditions sont nécessaires, l'une matérielle et l'autre formelle :<br /> <br /> a) La condition matérielle, c'est que cette Église, en fait, enseigne la même doctrine, ait la même morale et pratique les mêmes rites que l'Église fondée par les apôtres.<br /> <br /> Que cette condition soit nécessaire, cela est évident ; mais elle ne serait pas, à elle seule, suffisante. En effet, on peut, à la rigueur, faire cette hypothèse : dans un pays païen, des hommes ayant eu connaissance du christianisme prêchent et fondent une religion semblable, de même doctrine, de même morale, de mêmes rites ; cette religion sera matériellement identique à celle des apôtres, elle ne sera pourtant pas apostolique : il lui manque, pour cela, un élément formel bien autrement important que la similitude matérielle !<br /> <br /> b) Cette condition formelle, nécessaire pour qu'une Église soit de droit apostolique, c'est que ses chefs remontent jusqu'aux apôtres par une tradition ininterrompue d'autorité, de pouvoir et de mission. En effet, l'ensemble de la doctrine chrétienne n'est pas une acquisition de la raison humaine : c'est un dépôt apporté du ciel par Jésus-Christ, confié par lui aux apôtres , et qui doit passer de mains autorisées en mains autorisées jusqu'à la fin des siècles. L'Église apostolique est celle qui possède ce dépôt, et non un autre dépôt qui lui ressemble plus ou moins ! Car, si elle possède identiquement le même dépôt que Jésus a confié aux apôtres, c'est que ce dépôt lui est parvenu par une suite ininterrompue de dépositaires autorisés, c'est-à-dire unis à Pierre ou à ses successeurs : c'est cette succession qui la relie aux apôtres et constitue, en conséquence, son apostolicité. On voit par là que l'apostolicité est inséparable de l'unité.
C
Certes Mr l'abbé ,Toutefois je souhaite exprimer que Mgr Lefebvre & Thuc ne pouvait donner ce qu'il n'avait pas (le pouvoir de juridiction). Si un caissier vous apprend que l'on vous a refilé un faux billet de banque, il ne vous accusera pas personnellement pour autant, mais il n'en restera pas moins que votre billet ne vaut rien quelque soit votre disposition intérieure.
A
Scientifique ne signifie pas : du domaine physico-mathématique ; cela indique simplement qu'on s'efforce de remonter aux causes et aux principes pour établir des certitudes. Car la science, dit Aristote, est "la connaissance certaine par les causes". Il s'agit donc d'un savoir organisé, objectif, intemporel.
C
Naz, Traité de Droit Canonique, t.I, p.443 a écrit:<br /> <br /> L'Eglise a insisté depuis longtemps sur cette obligation d'exhiber les lettres pontificales. Le motif en est déjà indiqué par Boniface VIII (1294-1298) : On ne doit pas ajouter foi à celui qui affirme qu'il vient avec mandat du prince, à moins qu'il en donne la preuve écrite.
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C
La collation de la communion et celle du titre peuvent toutefois être séparées de l'ordination et forment proprement la matière de l'institution. Mais seules elles donnent à l'ordination sa légitimité et son utilité. C'est là ce qu'il importe de recevoir par une transmission authentique du Vicaire de Jésus-Christ.<br /> <br /> Dom Gréa, De l'Église et de sa divine constitution, L'épiscopat, Paris 1907, p. 242
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