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30 septembre 2015 3 30 /09 /septembre /2015 09:26

Au Congrès marial qui s’est tenu à Lourdes du 11 au 17 septembre 1958, l’intervention du cardinal Alfredo Ottaviani fut particulièrement remarquable. Sa péroraison a pris la mesure de la gravité de l’heure, à la veille de la mort de Pie XII, à la veille du référendum de France qui appelait tout les électeurs à ratifier l’apostasie nationale par le vote d’une constitution qui renie Jésus-Christ, à la veille de l’insolent triomphe du modernisme résurgent. Nous ne pouvons que faire nôtre ce filial appel à la très sainte Vierge Marie, et l’invincible espérance qu’il renferme.

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Saint Jean l’Évangéliste conclut son récit du miracle de Cana par cette puissante expression : « Et crediderunt in eum discipuli eius : ses disciples crurent en lui » (Jo. II, 11). Ce ne fut donc pas au moment de leur vocation, mais c’est à cet instant qu’ils commencèrent à croire : leur foi naquit à Cana.

Permettez-moi de mettre en lumière un point particulier. À la Vierge qui insistait et ne se lassait pas d’insister, Notre-Seigneur justifie son refus par un décret divin, une disposition de la divine providence : « Mon heure n’est pas encore venue : Nondum venit hora mea » (Jo. II, 4). Elle n’est pas encore venue, l’heure fixée par le Père pour le premier prodige de son fils, pour allumer la foi au cœur des disciples, pour inaugurer au grand jour l’ère nouvelle du nouveau royaume et de la nouvelle époque, l’âge, si l’on peut dire, de l’éternel dans le temps, du divin dans l’humain. Jusqu’ici ce n’est que dans le secret et l’intimité que s’était ouverte cette nouvelle période de l’histoire, quand « le Verbe s’était fait chair ». C’est donc par Marie que furent obtenus les premiers triomphes de la foi, cette foi grâce à laquelle l’homme devient fils de Dieu.

Il existait donc une heure fixée par l’éternel conseil. Mais cette heure, Dieu avait voulu qu’elle fût anticipée par l’intervention de Marie.

Cette influence de la prière de Marie sur la Toute-Puissance divine ne nous surprend pas, mes Frères. Son Jésus n’a-t-il pas placé dans les profondeurs de l’humilité le sommet de toute grandeur possible pour la créature humaine ?

Ces considérations le prouvent : ce n’est pas par hasard que fut présente à Cana – et de quelle présence – Marie, qui a donné Jésus aux hommes. Ce ne fut pas par hasard non plus qu’elle fut présente au jour de la Pentecôte. Cette humble femme, la plus humble de toutes les femmes, nous a donné Jésus et elle continue de nous le donner au cours de l’histoire. Car elle est, en quelque façon, l’image, le type, le symbole et le modèle de l’Église, vierge et mère elle aussi, qui engendre Jésus dans les cœurs des hommes. Dans l’histoire de l’Église, on peut retrouver ce qui s’est passé dans la vie terrestre de Jésus. Marie a été sensiblement, visiblement présente aux heures les plus angoissées et les plus sombres de la foi, comme elle a été toujours l’aube lumineuse des jours de grands triomphes.

Marie ne cesse pas d’être présente et agissante dans cette Pentecôte continuée qu’est le gouvernement spirituel des âmes et l’œuvre du Magistère. Je puis vous le garantir, mes chers Frères, nulle part ailleurs Marie n’est présente comme à Rome, dans cette Rome auguste, qui met sa gloire dans l’humble service de tout l’univers, dans cette Rome qui vit pour tous ses frères les hommes, et ne connaît pas d’autre mission, d’autre salut, que d’être établie pour les autres : « Pro hominibus constituitur » (Heb. V, 1).

Ma vie tout entière, depuis les premières heures de mon sacerdoce, s’est passée dans l’humble service de ce gouvernement central et universel de l’Église. J’ose donc témoigner ici que la présence de la Vierge nous donne l’assurance de travailler dans l’Église et pour l’Église avec le Christ Jésus.

À cause de cette présence de Marie, au cours des siècles, les victoires, les lauriers, la gloire des triomphes obtenus par l’Église, souvent Rome les a attribués à Marie, à son intercession toute-puissante : « Terribilis ut castrorum acies ordinata : Terrible comme une armée rangée en bataille ». Avec Rome, l’Église tout entière s’est complue à orner de pierres précieuses la couronne contemplée par saint Jean sur son front : « In capite eius corona stellarum : Sur sa tête, une couronne d’étoiles » (Ap. XII, 1).

Permettez-moi d’évoquer, comme à vol d’oiseau, sans insister plus du nécessaire, quelques-unes de ces victorieuses interventions de Marie dans la vie de l’Église. Je parle à des âmes chrétiennes qui n’ignorent pas les étapes parcourues par la vérité dans sa marche à travers le monde, étapes qui furent autant de stations d’un douloureux chemin-de-croix. Elles savent comment Jésus a passé sa vie terrestre ; elles ont conscience de sa vie dans le secret de leur cœur : elles ont appris comment il a vécu au cours des siècles dans son Église.

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I. — Le monde païen

Comment le monde païen, corrompu par l’idolâtrie et la cruauté, aurait-il pu jamais admettre la chasteté, la pureté, la virginité ? Pensez, mes amis, de quel poids fut la maternité virginale de Marie dans une question de telle importance.

De la part du paganisme, pour lequel la Croix du Christ était sottise, « gentibus autem stultitia » (I Cor. I, 23), cette maternité virginale était l’objet de moqueries méprisantes. Dans la lutte contre le christianisme, la haine des païens associait dans ses attaques Marie à Jésus. Par contre, les premiers apologètes, aux splendeurs de la divinité de Jésus associaient les splendeurs de la grâce de Marie. Les premières conquêtes de la vérité chrétienne ont été obtenues par le rayonnement de ces deux noms lumineux. Ainsi Jésus manifestait Marie et Marie manifestait Jésus.

Vint se mêler, à cette bataille, la littérature judaïque des premiers temps du christianisme. Marie est de sa part l’objet d’odieuses calomnies : on frappe la Mère, pour atteindre le Fils.

D’autre part, certains gnostiques, tout en conservant à Jésus le titre de « fils de Marie », enlèvent toute importance à la Rédemption, en réduisant l’Incarnation à rien, ou presque rien. Il ne reste plus de la Maternité divine qu’un vain simulacre. Sur ce point, Marcion aura un successeur en Nestorius, qui tirera de ses principes toutes leurs conséquences.

Au milieu de tant de luttes, l’intervention de Marie pour la défense de l’Église trouve son premier témoin et son premier chantre dans le disciple de l’amour, en celui qui écrivit dans son Évangile : « Le disciple la prit chez lui » (Jo. XIX, 27). Cet apôtre qui plane dans les hauteurs divines comme un aigle puissant, consigna dans ses livres les dernières paroles de la révélation écrite. C’est lui aussi qui nous raconte la première apparition de Marie, après son assomption et son couronnement au ciel.

Oui, la première apparition de Notre-Dame fut attestée et décrite par cet apôtre qui, le premier, put appeler Marie sa mère, en raison d’une gracieuse investiture de Jésus, adressée à nous tous dans sa personne.

Dans cette vision, comment l’apôtre bien-aimé de Jésus, et donc aussi de Marie, vit-il la Sainte Vierge ? Il avait vécu près d’elle des jours et des jours, des heures et des heures jusqu’à son dernier moment. Il connaissait son visage comme l’on connaît le visage de sa propre mère.

Écoutons ses paroles inspirées : « Un grand prodige parut dans le ciel : une dame vêtue de soleil, la lune sous ses pieds, la tête couronnée de douze étoiles » (Ap. XII, 1).

Cette vision s’achève par la description symbolique de la merveilleuse victoire sur le dragon infernal remportée par l’Église, figurée par Marie. Certainement, Jean expliqua cette vision à son disciple Polycarpe, évêque de Smyrne. Irénée, originaire de Smyrne, reçut, on peut le croire, cet enseignement de Polycarpe lui-même. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait été, avec Justin, son contemporain, le premier docteur à enseigner la mission victorieuse de la nouvelle Ève dans l’Église du Christ.

Car, à l’Ève antique, trompée par l’ange prévaricateur, on oppose déjà la nouvelle Ève, saluée par l’Ange de l’annonciation, victorieuse de l’enfer et pourvoyeuse du salut par le don de son divin Fils.

Cet enseignement consolant fut donc transmis par Polycarpe à Irénée, qui, après sa visite aux disciples des Apôtres en Asie, porta ce message marial, inspirateur de confiance, gage de salut, et promesse de victoire, à Lyon pour toute la France et ensuite pour le monde entier.

« Ève – écrit Irénée – séduite par la parole de l’ange, abandonna Dieu et fut infidèle à son commandement. Marie accueille la parole de l’ange et reçoit Dieu en elle-même. La première désobéit à Dieu ; la seconde obéit. Le genre humain, perdu par une vierge, fut sauvé par une Vierge. »

Ce message faisait écho à celui que Justin avait proclamé à Rome. Les fidèles de Dieu le recueillirent dans le secret des catacombes. C’est là que, pour la première fois, est proposée au culte des chrétiens une image de Marie associée à son divin Fils.

Combien de martyrs durent jeter sur cette image un regard plein de confiance avant d’aller au Colisée, conquérir leur glorieuse couronne ! Cette fresque subsiste encore de nos jours pour attester à notre temps et aux siècles futurs la foi et la confiance en Marie de ces héros des premières générations chrétiennes. Leur sang fut le germe de la victoire des chrétiens des temps à venir qui devaient l’emporter sur les persécuteurs et les hérétiques.

C’est dans cet esprit que se prépare le Concile d’Éphèse, cette solennelle réjouissance populaire qui, dans une mer de flambeaux lumineux, célèbre le triomphe de la vérité dans le nom de Marie, Mère de Dieu.

À Éphèse, dans le nom de Marie et de sa divine Maternité, fut terrassée une hérésie des plus pernicieuses.

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II. — Au temps des Barbares

Peu après, la violence, qui s’est comme incarnée dans les Barbares, fait traverser à l’Église de longs siècles de tristesse douloureuse. C’est la dure suite des siècles de fer : tout est abattu, tout est renversé à terre, tout est obscur et sombre ; et pourtant, la Rome chrétienne conquit ses conquérants païens.

On a célébré la victoire d’Athènes sur son conquérant romain : « Græcia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti Latio » : combien plus belle et profitable pour l’univers fut la victoire de la Rome chrétienne sur les Barbares, ses vainqueurs !

Quel fut donc le rôle de Marie dans ces événements ? Interrogez l’art, la poésie, la théologie et la liturgie. Ils témoignent tous de l’influence de Marie sur cette glorieuse victoire de la lumière chrétienne sur les ténèbres de ces temps. En effet, un des facteurs les plus puissants de ce triomphe de l’esprit sur la force brutale, c’est, à coup sûr, le doux attrait qu’exerçait sur ces rustres la Vierge très sainte par l’éclat de sa grâce et de ses vertus, par sa tendresse maternelle et sa ravissante beauté surhumaine.

À ces peuples barbares qui ravalaient la femme au-dessous de l’humain, la grandeur spirituelle et surnaturelle de Marie fit l’effet d’une lumière radieuse assez forte pour éclairer des ténèbres si profondes.

La vertu puissante de la grâce du Christ, obtenue par l’intercession de Marie et répandue par sa douce attirance, doit s’être déversée abondamment sur les sillons tracés par les invasions barbares ; et grande a dû être la reconnaissance des peuples.

En effet, à peine l’Europe avait-elle commencé de jeter les fondements de l’ordre chrétien, qu’on voit surgir partout ces magnifiques temples destinés à chanter, pendant des siècles et des siècles, les gloires de Marie.

Ces peuples, qui, à Rome, détruisirent le temple païen de Minerve, le recons¬truisirent de leurs propres mains, pour le consacrer à Marie, Reine des Martyrs : « Sancta Maria supra Minervam ».

La dévotion à Marie ennoblit ces néophytes et la fureur guerrière de ces peuples rudes et forts se tourne, avec les croisades, vers la poursuite d’une victoire de la chrétienté sur les armées musulmanes. À la vue de Jérusalem, les croisés victorieux entonnent le Salve Regina.

À cette époque même, Marie donne à l’Église une grande victoire par l’action d’un pasteur héroïque, son fidèle serviteur, saint Grégoire VII. À ce grand Pape est destinée la gloire de délivrer l’Église des liens par lesquels, peu à peu, on l’avait rendue captive. Il ne se contente pas de poser sur les fondements divins de l’Église, la puissante architecture du droit ; mais il arrache aussi l’Épouse du Christ à l’étreinte de César ; il rend le clergé à la pureté et à la pauvreté ; il impose aux moines la fidélité à Rome ; il rappelle aux princes que, chrétiens comme les autres hommes, ils doivent l’être plus encore. Il organise le premier réseau des représentants de Rome, pour protéger dans les divers pays l’indépendance religieuse des fidèles, des clercs et de l’Église. Ses lettres le montrent digne à la fois de César et d’Augustin. Mais, par-dessus tout, elles révèlent sa dévotion à Marie. Ses historiens nous le représentent à genoux devant les plus populaires images romaines de la Sainte Vierge, priant comme un humble fidèle. Au nom de Marie et au nom de l’Église romaine, ce génie admirable ouvrit le second millénaire de l’histoire chrétienne.

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III. — Le Moyen Âge

Les hérésies des nouveaux temps n’ont plus pour objet le dogme de la Trinité. Ce n’est pas l’époque des grands schismes. Mais les erreurs nouvelles se rapportent à la vie mystique ou à la vie ecclésiastique. Ce sont les hérésies, pleines d’acrimonie, qui préludent au protestantisme et trouvent en lui leur aboutissement.

Contre elles, se font jour les dévotions nouvelles, non dans leur substance, mais dans leur tonalité : tout d’abord, au douzième siècle, la dévotion à l’humanité du Christ, puis, au treizième, la grande dévotion à l’Eucharistie, et, enfin, au quatorzième, à la Passion du Seigneur, dévotions qui, toutes trois, donnent un nouvel éclat à la dévotion mariale. Le Stabat Mater appartient à cette dernière époque.

Au nom de Marie s’élèvent les grandes cathédrales, surgissent les grandes initiatives. Au nom de Marie et sous son patronage naissent plusieurs Ordres religieux qui constituent les nouvelles armées spirituelles de l’Église, contre les hérésies et pour la pacification chrétienne.

Au sommet de la Divine Comédie de Dante et au frontispice des chants de Pétrarque resplendit la gloire de Marie comme sur les cathédrales d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre et d’Allemagne.

En France aussi commence la période des grandes cathédrales mariales : Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres et tant d’autres ; sanctuaires qui subsistent à travers les siècles comme des symboles de paix intérieure et des foyers de repos spirituel, au milieu des luttes et des troubles de la vie. De nos jours encore, qui cherche à connaître la plus belle jeunesse de France, la rencontre en pèlerinage sur la route qui conduit de Paris à Chartres.

Par l’action de Marie, les mouvements anarchiques prônant la pauvreté et excitant à la révolte n’ébranlèrent pas la discipline de l’Église. Les nouveaux nationalismes purent bien dominer une grande partie du clergé et provoquer le grand schisme d’Occident : ils n’eurent pas raison de Rome. Ils purent bien diviser les chrétiens ; arracher à l’Église une grande partie de l’Allemagne et de l’Angleterre : mais ils furent impuissants à lui ravir la vigueur et l’honneur de l’unité. Les catholiques restèrent fidèles à l’Église en restant fidèles à Marie, leur mère. Car c’est elle qui garda ses enfants dévoués au sein de leur mère l’Église.

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IV. — Au XVIe siècle

C’est une loi constante : là où s’est conservée la dévotion à la Mère, le Fils est resté présent avec elle et son Vicaire a continué à être le garant de l’unité du Corps mystique.

Le protestantisme ne fait plus aucune place à Marie. Mais, du même coup, en supprimant l’autel de la Mère, il supprime l’autel de son divin Fils. En refusant l’obéissance au Vicaire du Christ, les protestants se sont dispersés, comme les brebis qui n’entendent plus la voix du pasteur. En vain s’efforcent-ils de retrouver l’unité en dehors de Marie, de Jésus présent dans l’Eucharistie et du Pape.

Le protestantisme après avoir renié l’Église et Marie, fut condamné par les décrets du Concile de Trente. L’Immaculée ne fut pas étrangère au succès de ce grand Concile, auquel elle doit le premier témoignage authentique rendu par l’Église à son exemption du péché d’Adam, transmis par la génération à ses descendants.

[En note : « Declarat tamen hæc ipsa sancta Synodus, non esse suæ intentionis comprehendere in hoc decreto, ubi de peccato originali agitur, beatam et immaculatam Virginem Dei Genitricem » (Sessio V, 17 juin 1546, Decretum super peccatum originale, Denz. 792).]

Les Turcs renouvelaient sans cesse les tentatives d’invasion de l’Europe. Contre eux se livra la bataille de Lépante, apothéose et victoire du Rosaire. Ce fut un succès du premier Congrès Marial : on a donné ce nom à ces masses de combattants qui, groupés sur leurs navires, louaient ensemble Marie et l’invoquaient au moyen du Rosaire avant la suprême épreuve. Ces triomphes de Marie devaient se renouveler à Budapest et à Vienne au cours du XVIIe siècle.

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V. — Aux XVIIIe et XIXe siècles

Plus récemment, nous avons vécu des époques non plus de schisme comme du ve siècle à l’an mille, ni d’hérésies comme de l’an mille au xvie siècle, mais des temps d’incrédulité publique que le monde n’avait pas connus depuis la venue du Christ Jésus. Cette incroyance a ramené dans nos pays un néo-paganisme, d’autant plus grave, que c’est un refus de la foi de la part d’apostats et de renégats. Hélas, à l’ennemi qui à Budapest tentait son effort suprême et fut terrassé grâce à Marie, a succédé un tout autre ennemi. Son empire surpasse tous les empires ayant jamais existés. Sa force égale sa férocité ; sa puissance de nuire égale sa capacité de résistance.

Faudra-t-il donc désespérer de celle que nous invoquons sous le vocable de « Secours des chrétiens » ?

L’Église désespéra-t-elle lorsque, sur l’autel de Notre-Dame, à la place consacrée à l’invincible Reine du Ciel et de la terre, fut élevée la ridicule « déesse raison » ? Non ! Les chrétiens se confièrent à la Vierge du perpétuel secours et l’invoquèrent. En elle, Pie VII mit sa confiance et il scella cette confiance par un vœu solennel à Savone. Tout entière, l’Église l’invoqua et la voix de l’Épouse du Christ monta jusqu’à ses oreilles. Marie descendit du Ciel pour la secourir. À Paris, Catherine Labouré reçoit des mains de la Vierge le gage des grâces abondantes, prêtes à descendre sur la terre. À Lourdes, Bernadette Soubirous contemple l’Immaculée. Sur son ordre, elle découvre la source, symbole des grâces et des miracles qui sont autant de manifestations triomphales de sa puissance, non seulement sur le mal physique, mais plus encore sur l’incrédulité, le scepticisme et l’orgueil des sages de la terre, qui sont infatués de leur vaine science.

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VI. — La présence de Marie à notre temps

Aujourd’hui aussi, Marie est présente dans l’Église. Elle y est présente, comme elle était présente aux noces de Cana. À grands cris le Pontife l’a appellée par la proclamation du dogme de l’Assomption. À grands cris les fidèles l’appellent par leurs innombrables dévotions. À grands cris, enfin, l’appellent les théologiens par ce renouveau de la théologie mariale qui n’a jamais été égalé, pas même au XVIIe siècle. Au cours du second millénaire chrétien les apparitions de la Sainte Vierge ont peuplé les terres catholiques d’une foule de sanctuaires mariaux, aussi miraculeux et aussi fréquentés les uns que les autres. Mais, en aucune époque, ces apparitions ont été aussi splendides que de nos jours. Cette Lourdes est une capitale de la prière et de la grâce.

Sans aucun doute, la Sainte Vierge est présente parmi nous. Nous l’avons invitée à prendre sa place parmi nous, pour nous défendre des ennemis de la civilisation chrétienne. La société moderne est travaillée par une fièvre de renouvellement à faire peur. Elle est aussi infestée d’hommes qui veulent se prévaloir de nos souffrances pour nous imposer leurs caprices, faire peser sur nous la tyrannie de leurs vices, construire parmi nous le repaire de leur débauche et de leurs rapines. Le mal assume des proportions immenses et il prend un caractère apocalyptique. Jamais l’humanité n’avait connu un tel péril. D’une heure à l’autre, nous pouvons perdre non seulement la vie, mais aussi la civilisation et toute espérance. Le présent peut nous échapper avec le futur. Nous ne risquons pas seulement la perte de nos richesses, mais la ruine des bases mêmes de la vie en société. La bombe atomique est capable de créer un désert moins atroce que celui qu’a produit la doctrine régnante dans une société sans Dieu : il existe un Sahara spirituel bien pire que le Sahara de l’Afrique. Les nouvelles armes peuvent écraser notre corps ; mais les nouvelles doctrines cherchent à écraser notre esprit, d’autant plus qu’aux aberrations de la science profane, négatrice de Dieu, s’ajoutent de notre côté d’étranges et dangereux errements.

Aujourd’hui comme au temps des grandes hérésies, sévit une science de demi-savants qui se servent de la doctrine pour flatter leur vanité, sans éprouver à l’égard de la Sagesse des choses sacrées la crainte révérencielle nécessaire. Je parle de la prétendue science des demi-savants : car rarement les vrais savants, les grands savants se sont opposés au Magistère suprême de l’Église. Cette science facile des demi-savants s’est efforcée de réduire l’éternité au temps, le surnaturel à la nature, la grâce à l’effort humain et Dieu à l’homme.

Si Marie ne revient pas parmi nous, comment ne pas craindre les conséquences de tant d’erreurs et de tant d’horreurs ?

Que deviendrons-nous ? De qui espérerons-nous le salut ? Certainement pas des puissances humaines. L’expérience de chaque jour montre trop clairement la vérité de l’avertissement divin : « Ne mettez pas votre espérance dans vos chefs incapables de vous procurer le salut : Nolite sperare in principibus, in filiis hominum, in quibus non est salus » (Ps. CXLV, 2). Leur incapacité se manifeste clairement : il y a quarante ans, une tache rouge de sang versé par la tyrannie a commencé de faire peser le poids de la plus insupportable oppression sur les hommes et sur leurs intelligences, sur les individus et sur les nations. Or, malgré les efforts des hommes d’État pour la contenir, elle n’a jamais cessé de s’élargir et menace de nos jours tout ce qui reste de liberté et de dignité humaine dans le monde entier. Le Seigneur lui-même semble vouloir demeurer sourd à notre voix. On dirait qu’il affecte de se livrer au sommeil qui provoquait la prière du Prophète : « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormez-vous ? » et qui arrachait aux disciples un cri désolé dans la barque secouée par la tempête.

Le Seigneur semble nous dire, à nous aussi : « Nondum venit hora mea : Mon heure n’est pas encore venue » (Jo. II, 4). Mais l’Immaculée, la Mère de Dieu, image et protectrice de l’Église, nous a prouvé à Cana qu’elle savait et pouvait obtenir, en quelque façon, l’anticipation de l’heure divine.

Nous, nous avons vraiment besoin que cette heure vienne vite. Il nous faut qu’elle soit anticipée. Elle doit arriver tout de suite, car nous osons dire : « Ô Mère, nous, vos enfants, nous n’en pouvons plus. »

Nous avons confiance : Lourdes nous donne l’assurance de la présence victorieuse de Marie. Sa présence ici n’est pas seulement celle d’une apparition de l’autre monde comme dans l’Apocalypse : la femme vêtue de soleil et couronnée d’étoiles. Mais ici, l’humble Marie est présente comme elle l’était dans l’humble maison de Cana, lorsqu’elle obtint l’anticipation de l’heure de Dieu. À cause de nos péchés, nous méritons les massacres les plus cruels, les exécutions les plus dépourvues de pitié. Nous avons chassé son Fils de nos écoles, de nos places et de nos maisons. Nous l’avons chassé du cœur de tant d’hommes : nos générations ont renouvelé le cri d’autrefois : « Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous : Nolumus hunc regnare super nos » (Luc. XIX, 14). Entre Barabbas et Jésus (Math. XVII, 17), nous avons choisi Barabbas (Jo. XVIII, 40). Entre le Maître de l’univers et le malfaiteur, nous avons préféré Barabbas. Mais aucune heure n’est plus proche de l’heure de la résurrection que l’heure de la crucifixion. Barabbas triomphe, il est vrai, assis sur son trône. Jésus, lui, est fixé à la croix dans la chair de tant de martyrs, de tant de torturés, de tant de déportés et dans l’esprit de tant d’âmes oppressées et tourmentées. On n’a jamais élevé autant de croix de chrétiens dans cet immense et atroce jardin de Néron que devient le monde tout entier.

Marie, mère d’amour et de douleur, mère de Bethléem et du Calvaire, mère de Nazareth et de Cana, intervenez pour nous, hâtez l’heure divine !

Le monde a besoin de ce vin jailli de cette vigne qu’est Jésus lui-même, né de la Vierge : « Ego sum vitis : Moi je suis la vigne » (Jo. XV, 5), dit-il. « Moi je suis la vraie vigne » (Jo. XV, 1). C’est le vin de cette vigne que nous voulons.

Que Marie dise comme à Cana : « Ils n’ont plus de vin : Vinum non habent » (Jo. II, 3). Qu’elle le dise avec la même puissance d’intercession. Si Jésus hésite, s’il refuse, qu’elle triomphe de ses hésitations, comme, par pitié maternelle, elle triomphe de notre indignité.

Qu’elle soit pour nous une mère, pleine de pitié ; pour lui une mère pleine d’autorité. Qu’elle daigne accélérer son heure, qui est notre heure.

Nous n’en pouvons plus, ô Marie ; la génération humaine va périr, si vous n’intervenez pas.

Parlez pour nous, ô Silencieuse ; parlez pour nous, ô Marie !

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[In Maria et Ecclesia, Acta congressus mariologici-mariani in civitate Lourdes anno 1958 celebrati, vol. XVI, Academia Mariana Internationalis, Romæ (pp. 83-94)]

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15 septembre 2015 2 15 /09 /septembre /2015 12:29

De façon récurrente, le retour de Paul VI est annoncé, qui va restaurer l’ordre dans l’Église catholique, remettre en honneur la liturgie, dénoncer l’hérésie et chasser les hérétiques, etc. Cela est possible, et même certain, parce que Paul VI n’est pas mort : un ignominieux complot l’a remplacé par un sosie tenant son rôle pendant quelques années, lequel sosie est mort et a été inhumé en août 1978 en lieu et place de Jean-Baptiste Montini. Telle est la solution et l’explication de la crise mystérieuse qui s’est abattue sur l’Église catholique depuis quelques décennies.

Depuis quarante ans nous avons les oreilles rebattues par cette annonce merveilleuse qui ne s’accomplit jamais (mais ce n’est que partie remise, pour des raisons de haute mystique), par cette clef secrète de l’histoire contemporaine fondée sur des preuves péremptoires qui prouveront plus tard : Vous verrez bien… ! La première fois, cela amuse… mais au bout de la vingtième voire trentième fois, il faut bien avouer qu’on se trouve en présence d’une étrange maladie.

Il convient de se pencher un instant sur elle, parce que le plus souvent elle s’empare de gens de bonne volonté et de réelle piété : elle n’en est pas moins néfaste, surtout si l’on se fonde sur elle pour assurer la persévérance dans la vie chrétienne voire l’intégrité de la foi catholique.

Trois qualificatifs me semblent bien situer notre affaire : invraisemblable, inutile, malsain.

Invraisemblable

Jean-Baptiste Montini est né le 26 septembre 1897. Il aurait donc 118 ans et serait le plus âgé des hommes vivant sur notre terre. Cela n’est pas strictement impossible, mais hautement invraisemblable, surtout si l’on imagine qu’il va rétablir la foi, la liturgie et l’ordre dans l’Église, chantier herculéen…

Je puis apporter aussi un témoignage direct de première valeur. Le 11 septembre 1976, Mgr Marcel Lefebvre a été reçu en audience par Paul VI à Castelgandolfo. À son retour, dans une conférence donnée aux séminaristes, il fut on ne peut plus clair : J’ai très bien connu Mgr Montini auquel j’avais directement affaire lorsque j’étais délégué pontifical pour l’Afrique francophone ; j’ai très bien connu Paul VI à Rome, lorsque j’étais supérieur général des Spiritains (la plus nombreuse des congrégations missionnaires) ; je peux vous affirmer que c’est bien lui que j’ai rencontré ces derniers jours, et non pas un sosie.

Inutile

Ceux qui tiennent pour le « sosie » le font apparaître en 1972 ou 1975, de façon permanente ou intermittente… mais quoi qu’il en soit, à ces dates tout le mal est fait : Vatican II a semé l’erreur et la révolution dans les structures de l’Église, la réforme liturgique a balayé tout l’ordre sacramentel, la vie chrétienne (religieuse, sacerdotale, matrimoniale) s’est effondrée dans des proportions inimaginables. C’est d’ailleurs dès l’année de son élection, dès 1963 que Paul VI a entamé ce processus de destruction : par des effets d’annonce tristement efficaces, par la prévision voire la mise en place de structures dissolvantes, par l’adoption du principe d’une liturgie évolutive (et donc, inéluctablement, d’une foi évolutive).

Le « Paul VI survivant » est celui qui a conduit tout cela, qui s’est soustrait à l’autorité pontificale : son supposé retour ne serait donc la solution de rien du tout, ne serait aucunement la restauration de l’autorité pontificale, ne serait pas même la présence d’un sujet publiquement assis sur le siège romain.

Mais si, mais si, parce qu’il s’est converti et que tout le monde le reconnaîtra : sauf vous évidemment, pétri de rationalisme que vous êtes.

— Ah bon ! vous l’avez donc rencontré ? Il vous a dit regretter la révolution qu’il a semée à pleines mains ? Vous êtes assuré qu’on le reconnaîtra universellement comme Pape quarante ans après ? Voyez combien tout cela est de l’ordre de l’imagination !

Malsain

L’Église catholique est le Corps mystique de Jésus-Christ ; elle est une société surnaturelle. L’Église militante – celle à laquelle nous appartenons sur la terre – est surnaturelle dans son essence, tout comme les différents éléments qui entrent dans sa constitution : ses pouvoirs (magistère, sanctification et gouvernement), son autorité, ses sacrements.

Dans la situation présente de la sainte Église, devant la difficulté de professer simultanément toutes les vérités la foi catholique et de la doctrine de l’Église en les confrontant aux faits avérés, la tentation peut être grande de « botter en touche », et de trouver un refuge inconscient dans la fuite, remplaçant l’adhésion théologale à l’Église dans son état réel (visible et provisoirement permanent) par un univers imaginaire qui ne réclame rien d’autre que de l’imagination. Mais pour la mise en œuvre et le rayonnement de la foi, il y a là une réduction qu’on ne peut s’empêcher de trouver malsaine et grosse de bien des périls.

Le juste vit de la foi : il en vit en tout temps, et non pas seulement quand tout est en ordre ; il en vit plus encore dans les temps d’épreuve, dans les combats de l’agonie, quand règne l’insolence des hommes ennemis de Jésus-Christ.

* * *

Mais… ce n’est pas contraire à la foi catholique !

— Non, certes : croire à la survie et au retour prochain de Paul VI ne s’oppose à aucune vérité de la foi et ne nie aucun fait dogmatique (il en serait tout autrement si un vrai Pape régnait à Rome) : ceux qui adhèrent à une telle croyance ne sont pas pour cela indignes des sacrements ; il y aurait une grande injustice à les leur refuser.

Mais tout ce qui n’est pas opposé à la foi n’en est pas vrai pour autant : affirmer que deux et deux font trois par exemple.

Il y a en outre un véritable danger pour la foi de se mouvoir dans un univers irrationnel et de justifier une attitude ecclésiale présente par une conjecture qui porte sur l’avenir. Il y a même double danger :

– La foi est donnée à notre intelligence, et ne peut prétendre se passer des lois de la raison : elle se priverait de l’irremplaçable instrument qui contribue à la conserver et permet de l’exercer sainement (c’est une des caractéristiques du modernisme) ;

– la foi est fondée sur la Révélation publique et sur la prédication des Apôtre, closes ensemble à la mort de saint Jean l’Évangéliste. Même si une partie de l’objet de la foi concerne l’avenir (les fins dernières, la pérennité de l’Église), elle se réfère fondamentalement au passé.

C’est la conscience pressante de ce double danger qui pousse à avertir ceux qui seraient tentés de se laisser séduire…

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4 avril 2015 6 04 /04 /avril /2015 07:08

Lu et vu sur gloriatv, la lettre que le R. P. Charles Baillif dit être son testament : un beau témoignage de la foi catholique.

À lire ici.

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21 janvier 2015 3 21 /01 /janvier /2015 22:10

Le battage médiatique qui a entouré le règlement de compte au siège de Caïphe-Hebdo est totalement disproportionné avec l’évènement lui-même : celui-ci est tragique pour les personnes qui ont trouvé la mort sans préparation ni contrition, mais il est quantitativement insignifiant. En revanche ce matraquage a été très adroitement haussé au niveau de l’effet escompté.

Le résultat visé est un grand pas supplémentaire dans la confusion des esprits et dans l’ensevelissement de l’intelligence chrétienne. En effet, on nous rebat des oreilles de « blasphème contre Mahomet » et de « droit au blasphème », au rebours de la signification des mots pour mieux enfumer les consciences.

*

Comme bien souvent, pour y voir clair il suffit d’ouvrir son catéchisme : on y trouvera deux définitions bienvenues.

Le blasphème est une parole (des lèvres ou du cœur, ou bien un acte éloquent) qui constitue une injure à Dieu, spécialement par la négation de la foi ou par la profération d’un mensonge à son égard. Par extension – une extension fondée sur la réalité de la grâce divine qui est participation à la vie même de Dieu et à sa bonté – le blasphème peut s’adresser à la sainte Vierge Marie, à la sainte Église catholique ou aux saints.

Saint Augustin, dans son Contra mendacium, définit ainsi : Blasphemia est per quam de Deo falsa dicuntur — le blasphème est ce par quoi des choses fausses sont dites à propos de Dieu.

 

Et saint Thomas d’Aquin (IIa-IIæ q. 13 a. 1) d’expliquer que le blasphème est une atteinte à la confession de la foi parce qu’il nie la bonté de Dieu.    

Par ailleurs, un prophète est celui qui a reçu mission d’enseigner, au nom du vrai Dieu, la vérité de la Loi divine et de Jésus-Christ : de Jésus-Christ annoncé et espéré dans l’Ancien Testament ; de Jésus-Christ venu et révélé dans le Nouveau Testament.

Mahomet n’est ni Dieu ni un saint ni un prophète. Il est donc impossible de proférer un blasphème à son égard ; c’est par une impropriété de terme indue qu’on parle de blasphème envers lui, et cette impropriété est une impiété qui cache le fait que Mahomet est lui-même un blasphémateur qui nie la divinité de Jésus-Christ et qui la fait nier quinze fois par jour à tous ses adeptes.

   *  

S’il est donc impossible de blasphémer Mahomet, en revanche certains se font gloire de provoquer les musulmans. Il faudrait, pour justifier une provocation, une raison grave de la proférer : un bien nettement supérieur au désordre ainsi engendré (convertir les musulmans, accéder à la gloire du martyr). Il faudrait aussi prévoir et prévenir les maux prévisible (renforcement de l’identité islamique et des lois qui favorisent l’islam, déchaînement de leur sentiment guerrier).

Les rédacteurs de Caïphe-Hebdo (avant comme après la tuerie) sont des provocateurs irresponsables : non seulement leurs caricatures sont inaptes à sortir un musulman des ténèbres de sa secte, non seulement elles ne peuvent en rien éloigner les chrétiens (mal instruits) de la fascination pour l’islam, mais en plus ces caricatures sont l’occasion d’incendies d’églises, dans les pays d’Afrique dont l’islam est en train d’activer la conquête. Ce sont des irresponsables que tout le monde applaudit (même des chrétiens d’Occident)… sauf ceux qui ont tout perdu : leurs églises, leurs biens, leur honneur aussi. Des irresponsables qui portent une lourde responsabilité.

Et quand il arrive que les provoqués réagissent violemment, va-t-on plaindre les provocateurs ? Voyez ici !

*

Cette provocation affichée de l’islam masque et « fait passer » un blasphème permanent contre Dieu et ses œuvres, contre Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Évangile, contre l’Église catholique et la civilisation chrétienne : blasphème de négation et de moquerie, blasphème de mensonge et de souillure. En cela Caïphe-Hebdo et Mahomet se rejoignent parfaitement, et leur opposition n’est donc que superficielle. Leur ennemi commun (nous !…) devrait bientôt les réconcilier.

*

L’exploitation de la tuerie du 7 janvier fait que nous n’en sommes plus aux blasphèmes écrits par un torchon au tirage fort limité : elle a étendu à la planète entière la diffusion dudit torchon (pardon au vrais et estimable torchons qui essuient la vaisselle ou enveloppent le jambon !) ; pis encore, elle conduit à la proclamation d’un nouveau « Droit de l’Homme » doublement majusculaire : le droit au blasphème. L’abjection est à son comble.

C’est une abjection quant à l’honneur de Dieu, cet honneur de celui qui est tout et auquel nous devons tout, cet honneur qui est un bien à défendre de toute notre âme et de toute notre énergie, bien davantage que notre propre honneur, ou celui de notre famille ou celui de notre pays.

C’est une abjection quant à la notion de droit. Jus est justum : le droit est ce qui est juste, ce qui est objet de la vertu de justice selon la loi. Cette loi est la loi éternelle en Dieu ; la loi naturelle dans la création ; la loi de l’Évangile dans l’ordre à la fin dernière ; la loi positive dans la société : loi de l’Église ou loi de la Cité qui appliquent et détermine dans le concret les trois lois susnommées. Faire du blasphème un « droit », c’est décréter que le reniement du fondement de la nature et de la société humaines sont une chose juste, une chose qui concourt au bien commun, une chose que la loi (ordonnance de la raison) doit garantir et protéger…

C’est une abjection parce que le blasphème attire la malédiction et les châtiments de Dieu. Le Catéchisme du concile de Trente fait remarquer que Dieu a promis de punir les violateurs du deuxième commandement de la première des Tables de la Loi (celui qui interdit le blasphème) mais sans désigner de châtiment particulier : il faut donc en inférer que tous les maux qui accablent les hommes leur sont dispensés en punition du déshonneur du saint Nom de Dieu.

*

La tuerie de Caïphe-Hebdo occupe depuis une quinzaine de jours le devant de la scène, et cela en dit long sur l’orchestration de cette triste affaire (et la preuve, c’est qu’aujourd’hui encore j’en fais encore un papier). Le résultat est la confusion totale, car c’a été l’occasion de vilipender « les religions » ou de prendre leur défense, c’a été l’occasion d’appeler à respecter « la foi » de tous, ou celle de personne : mais toujours en mettant dans le même sac la vraie religion, celle de Jésus-Christ vivant dans l’Église catholique, et les fausses religions qui sont des singeries diaboliques ; en confondant la foi catholique, lumière de la vérité divinement révélée, et les croyances tissues d’erreurs et de superstition.

Qui donc est, en définitive, la grande cible de cette kermesse mondiale ? Jésus-Christ en sa gloire et en ses membres. Astiterunt reges terræ, et principes convenerunt in unum adversus Dominum, et adversus Christum ejus. Dirumpamus vincula eorum, et projiciamus a nobis jugum ipsorum : Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont assemblés contre le Seigneur et contre son Christ. Rompons leurs liens, et jetons loin de nous leur joug (Psaume II, 2-3).

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13 janvier 2015 2 13 /01 /janvier /2015 09:52

Le fléau de Dieu

ou

Le bal des hypocrites

Il est difficile d’échapper au tam-tam médiatique, il est impossible de l’ignorer : l’hebdomadaire blasphèmirique dénommé Charlie-Hebdo a subi une attaque meurtrière au cours de laquelle douze personnes ont trouvé la mort (et au bout du compte, ce sont vingt morts que l’affaire comptabilise). Cet épisode sanglant occupe le devant de la scène pendant une semaine, et constitue un prétexte vraiment très opportun (!) pour achever la déchristianisation de la société, notamment dans les écoles. Faut-il appliquer l’adage Id fecit cui prodest ?

Un crime est un crime, un assassinat est un assassinat. Il ne saurait être question d’approuver ou de se réjouir en quoi que ce soit ce genre d’« expédition punitive » qui usurpe les droits de Dieu seul maître la vie humaine. Mais il convient aussi de replacer les choses dans leur véritable perspective.

1.   Ce jour-là, mercredi 7 janvier, plus de 200 000 personnes sont décédées dans le monde : les douze malheureux ne représentent que moins de 12/200 000, soit moins 0,006 % des morts quotidiens. Beaucoup d’hommes sont morts de faim, de crime, de maladies douloureuses, de chutes malencontreuses, d’accidents brutaux : y a-t-on pensé ? a-t-on prié pour le salut de leur âme et pour adoucir le chagrin de leurs proches ? En France, la mort de 2000 personnes a été recensée ce même jour. Mais ce ne sont pas des morts intéressantes, n’est-ce pas ? Il y a des morts qui sont plus égaux que les autres…

—  Mais vous plaisantez ! Là il s’agit de meurtres : c’est tout autre chose !

—  Eh bien, parlons-en. Je n’ai pour l’instant mentionné que les morts de personnes ayant un état civil. Car, dans le même temps de 24 heures, et pour la seule France, ce sont plusieurs milliers d’enfants innocents qui ont été froidement assassinés dans le sein de leur mère : par meurtre soit chirurgical, soit chimique soit mécanique. A-t-on envoyé la police pour traquer et embastiller les assassins et leurs complices ? Pensez donc ! les deniers publics (les nôtres…) rémunèrent le prétendu « système de santé » dont les membres sont ainsi devenus des tueurs à gage. Quand on paie ses impôts, on finance le terrorisme abortif ; quand on paie son carburant, on finance le terrorisme islamique…

Quoi qu’il en soit, la balle d’un tueur, la virulence d’un agent pathogène, l’imprudence d’un chauffard, la catastrophe naturelle, la crise cardiaque ou la vieillesse ne sont que les huissiers de la Justice divine. Car mourir, c’est être cité au Tribunal de Jésus-Christ pour y rendre compte de la gestion de la vie et du temps que la Providence nous a impartis ; pour rendre compte du Sang et de la grâce de Jésus-Christ ; plus précisément, pour être examiné sur la présence (ou l’absence…) dans l’âme de la vertu théologale de charité (laquelle ne peut y être présente que si elle a été soutenue par la foi catholique et par l’espérance surnaturelle). C’est ainsi que se décide notre éternité, sans possibilité de retour ni d’appel.

2.   Parmi les morts à déplorer dans l’attaque des locaux de Caïphe-Hebdo, il y a des personnes qui n’étaient présentes que fortuitement, accomplissant leur devoir d’état. Elles et leur famille ont droit à toute notre compassion.

Mais la majorité des victimes appartenait à la rédaction d’une immonde publication, accumulant depuis des décennies blasphème sur blasphème contre Notre-Seigneur Jésus-Christ, contre sa sainte Mère et contre son Église. En particulier leur récent numéro hors-série traitant de Noël n’était qu’une grossière profanation du mystère de l’Incarnation, outrageant en texte et en image la sainte Vierge Marie, insultant à la foi catholique et à la piété des chrétiens.

Comment ne pas évoquer le Jugement de Dieu ? Car à tous les pécheurs défiant la justice divine que s’adresse notre souverain Juge (Psaume XLIX, 17-22) : « Toi qui hais la discipline, et qui as rejeté derrière toi mes paroles. Si tu voyais un voleur, tu courais avec lui, et tu mettais ta part avec les adultères. Ta bouche a été remplie de malice, et ta langue ourdissait la fraude. Tu t’asseyais pour parler contre ton frère, et tu tendais des pièges contre le fils de ta mère. Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu. Tu as cru d’une manière impie que je te serais semblable. Je te reprendrai, et je mettrai tout sous tes yeux. Comprenez ces choses, vous qui oubliez Dieu ; de peur qu’il ne déchire, sans que personne puisse délivrer. »

Les gens de Caïphe-Hebdo donnent l’impression de ne rien respecter. Ce n’est bien sûr qu’un trompe-l’œil : ils se gardent bien de s’attaquer aux maîtres de la pénombre, au dogme qu’ils imposent, au système qu’ils ont mis en place. La Révolution s’exerce en deux temps : Solve et Coagula. Ce torchon-hebdo s’emploie à dissoudre, à détruire, à souiller. Non seulement il est incapable de bâtir quoi que ce soit, mais encore il ne saurait attenter à l’ordre occulte qui s’édifie sur les ruines de la chrétienté : il en mourrait dans l’heure.

Aussi depuis des décennies, il vit de la dérision de la vérité et de la vertu ; son prétendu humour corrosif s’exerce contre tout ce qui est vrai, bon et beau. L’insolence dans le blasphème tient lieu de talent à ses dessinateurs et rédacteurs, qui ne sont que de médiocres ratés.

Le fléau de Dieu est passé… Dans l’histoire de la chrétienté, l’Islam a souvent rempli cet office : il s’est implanté sur des terres désolées et affaiblies par l’hérésie, le schisme ou l’apostasie. Il est le châtiment des mauvais chrétiens.

3.   Quand la guerre islamique massacre les chrétiens en Syrie, en Afrique ou en Indonésie, on ne s’émeut pas beaucoup. C’est pourtant tous les jours de l’année que les morts abondent sous ses coups. Mais si l’Islam s’en prend à des provocateurs, à la lie de la société apostate, au flambeau d’une prétendue liberté dévoyée et arrogante, là on se souvient qu’il faut lutter pour la paix publique et pour la justice.

L’Islam est le fléau de Dieu, et il ne le sait pas. Il ne le sait pas d’abord parce que les méthodes qu’il emploie et les buts qu’il poursuit sont contraires à la justice naturelle et au droit des gens — et en cela il doit être combattu sans faiblesse. La lâcheté du pouvoir politique devant son organisation criminelle est effarante.

L’Islam ne sait pas qu’il est le fléau de Dieu parce qu’il ne connaît pas Dieu. Il prétend agir en son nom, mais ce n’est pas le vrai Dieu qu’il vénère. Les catholiques ont-ils le même Dieu que les juifs et les musulmans ?  

La religion laïciste (religion d’État en France) prend un hypocrite prétexte des attentats criminels perpétrés par des musulmans pour fustiger « les religions ». De religion tout d’abord, il n’y a qu’une vraie, parce que Dieu ne se contredit pas lui-même. Et puis, l’Islam n’est pas une religion : il est une guerre contre l’adorable Trinité et contre la chrétienté. Il n’est rien d’autre, même si beaucoup de musulmans au tempérament pacifique s’y trompent. Faire la guerre, tuer les chrétiens, ce n’est pas accidentel à l’Islam : c’est son essence, c’est sa raison d’être.

Ce qui est accidentel chez lui, c’est de tuer les blasphémateurs du vrai Dieu, c’est de se révolter contre ses maîtres…

4.   Pendant ce temps-là, la plupart des catholiques ont pris l’habitude de ne pas considérer la nature des choses ; ils en sont réduits à des jugements qui relèvent du sentiment, de la commodité, de l’habitude.

La fin de l’Islam est de faire la guerre aux catholiques, et on voudrait l’apprivoiser (est-ce là le fameux « sens de l’histoire »?). Il ne faut pas apprivoiser l’Islam (chose impossible) mais travailler à convertir les musulmans égarés dans les ténèbres de cet immense leurre.

La fin du système scolaire républicain (et de l’école prétendument libre qui a adopté son esprit, ses méthodes et ses programmes) n’est pas d’apprendre à lire, écrire et compter (ça se saurait !) mais de répandre l’incrédulité et le mépris des mœurs chrétiennes. Les parents catholiques y envoient leurs enfants et font mine de s’étonner que ceux-ci perdent la foi. La responsabilité des parents est immense, mais ils ne sont jamais à court de prétextes.

Le libéralisme est par nature la voie de l’esclavage. Et pourtant on caresse toujours ce libéralisme même quand on a découvert qu’il enfante des terroristes. L’épisode Caïphe-Hebdo a révélé bien des cœurs, entre autres celui de ceux qui sont venus doctement nous enseigner que la liberté est le plus grand des biens, et que les blasphémateurs meurtris étaient des martyrs de la civilisation occidentale. Rien que ça !

*

Il faut commencer par apprendre (ou réapprendre) la doctrine de l’Église, tant dogmatique que morale et sociale : sans cela la vie chrétienne, quel que soit le cœur qu’on y veut mettre, ressemble au travail de Pénélope.

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14 décembre 2014 7 14 /12 /décembre /2014 19:13

 

Pour répondre à une telle question, deux choses bien distinctes sont à considérer : sa personne et son sacerdoce.

1. La personne de ce prêtre

Un schismatique peut toujours – comme cela est nécessaire à son salut éternel – intégrer la sainte Église catholique. Il doit abjurer le schisme et se faire relever des censures qu’il a encourues. Cette absolution des censures est [relativement] facile, car il peut y avoir eu ignorance de la censure (ignorance qui fait que la censure n’est pas encourue — canon 2229  § 3) ; dans les circonstances présentes d’absence d’autorité pontificale, il y a cas urgent (canon 2254  § 1), et recours impossible à l’autorité (canon 2254  § 3).

La censure encourue par un schismatique est une excommunication spécialement réservée au Souverain Pontife.

Canon 2314

§ 1.  Tous les apostats de la foi chrétienne, tous les hérétiques ou schismatiques et chacun d’entre eux :

1°/  Encourent par le fait même une excommunication ;

2°/  Si après monition, ils ne viennent pas à résipiscence, qu’on les prive de tout bénéfice, dignité, pension, office ou autre charge, s’ils en avaient dans l’Église, et qu’on les déclare infâmes ; après deux monitions, ceux qui sont clercs doivent être déposés.

3°/  S’ils ont donné leur nom à une secte non catholique ou y ont publiquement adhéré, ils sont infâmes par le fait même ; en tenant compte de la prescription du Canon 188 n. 4, que les clercs, après une monition inefficace, soient dégradés.

§ 2.  L’absolution de cette excommunication, à accorder au for de la conscience, est spécialement réservée au Siège apostolique. Si cependant le délit d’apostasie, d’hérésie ou de schisme a été porté au for externe de l’Ordinaire du lieu, de n’importe quelle manière, même par un aveu volontaire, le même Ordinaire, mais non le vicaire général sans mandat spécial, peut, de son autorité ordinaire, absoudre au for externe le coupable venu à résipiscence après l’abjuration faite juridiquement et l’accomplissement des autres obligations du droit. Après cette absolution, le pénitent peut être absous de son péché au for de la conscience par n’importe quel confesseur. L’abjuration est tenue pour accomplie juridiquement, lorsqu’elle se fait devant l’Ordinaire du lieu ou son délégué ou au moins deux témoins. [Fin du canon 2314]

Il n’y a donc aucune difficulté à accepter de grand cœur et à chaleureusement féliciter une personne qui renie sincèrement le schisme pour intégrer la sainte Église catholique en se soumettant à sa loi ; c’est au contraire une grande miséricorde du Bon Dieu et un beau motif d’action de grâces.

2.  Le sacerdoce de ce prêtre

Il en va tout autrement de son sacerdoce, dont l’exercice lui est strictement interdit. En effet, il a contracté une irrégularité ex delicto (canon 985  § 3), qui est une inhabilité perpétuelle à tout exercice des saints ordres (canon 968  § 2). Perpétuelleveut dire que l’irrégularité ne cesse pas à la fin du schisme ou du scandale, mais uniquement par dispense (Capello, III, i, 7, 5 n. 281).

À la différence d’une censure comme l’excommunication, l’ignorance de l’existence de l’irrégularité n’empêche pas qu’elle ait été encourue (canon 988).

Dans ce cas précis, au for externe, il est toujours présumé que le schisme a été un péché formel (Capello, ibid.). S’il s’agit d’un catholique qui a quitté la sainte Église pour rejoindre le schisme et s’y faire ordonner, le péché n’est pas seulement présumé formel, il l’est (et l’Église est beaucoup plus rigoureuse pour lui interdire tout ministère).

La dispense des irrégularités ex delicto appartient au seul Souverain Pontife. L’Ordinaire (l’Évêque du diocèse ou, pour les religieux d’un ordre exempt, le Père Abbé ou le Supérieur majeur) ne peut donner la dispense à ses sujets que pour les cas occultes(canon 990  § 1) ; le confesseur, pour les cas occultes très urgents (canon 990  § 2).

L’appartenance à une « église » schismatique n’est pas du tout un cas occulte. Donc, seul le Pape peut autoriser un prêtre venant du schisme à exercer son sacerdoce. Il en décide souverainement et prudemment.

En effet, le Pape, s’il envisage de dispenser de l’irrégularité, prend auparavant en compte un autre aspect on ne peut plus important : l’examen de la validité de l’ordination sacerdotale. Certes les Orientaux ont scrupuleusement conservé les rites sacramentels en vigueur au XIe siècle, mais encore faut-il qu’il n’y ait pas interruption ni gauchissement. Une telle garantie ne peut être donnée que par un jugement de l’Église catholique.

Le Pape s’inquiétera aussi (et davantage) de la science sacerdotale du schismatique qui a abjuré, spécialement à propos des points que les schismatiques nient en théorie ou en pratique :

  des vérités dont son schisme était directement la négation : nature, unité et romanité de l’Église catholique ; primauté et infaillibilité du Pontife romain ; nature et détermination de la règle de la foi ;

  des vérités niées par les Orientaux, ou au moins certains d’entre eux puisque les obédiences sont nombreuses : Procession du Saint-Esprit Filioque ; distinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel ; Immaculée Conception et Assomption de la sainte Vierge Marie, existence et nature du Purgatoire, Indulgences.

Voici un extrait du diagnostic que fit Louis Jugnet en 1946 (texte complet dans le Cahier Louis-Jugnet n. 2 pp. 51-68). Ce texte est à lire en son entier pour ceux qui ne veulent ne pas parler « en l’air » et sans savoir de ce qui sépare les Orientaux schismatiques et la sainte Église catholique.

« Nos frères séparés d’Orient et nous, nous ne sommes pas opposés uniquement au sujet de l’autorité du Pape, comme le croient souvent les gens non avertis. Il y a d’abord une perpétuelle sous-estimation de notre connaissance de Dieu, qu’on nomme apophatisme (d’apophasis : négation) et qui méconnaît la connaissance réellement valable, quoique pauvre et analogique que nous pouvons acquérir des réalités divines. Ce point est très important et oppose grandement l’Orient à la théologie romaine. Il y a le Filioque et c’est un gros morceau ! Il y a le palamisme qui règne généralement en maître dans les “Églises d’Orient”. Il y a le rejet, plus ou moins affiché, mais réel, de l’Immaculée Conception. […] Il y a, à tout le moins, des ambiguïtés et des prétéritions au sujet de la transsubstantiation eucharistique. (Sans doute, l’Église d’Orient croit à la présence réelle, mais elle précise mal le mode de conversion du pain et du vin au corps et au sang du Christ, et les spécialistes catholiques ne sont pas d’accord sur le sens à donner aux assertions gréco-russes sur ce point). Il y a d’inquiétants silences, mêlés à des erreurs plus ou moins larvées sur le purgatoire et la vie de l’au-delà ; sur les indulgences ; sur le nombre des sacrements (la théologie sacramentaire de l’Orient est beaucoup plus flottante que la nôtre, et n’a pas un septénaire nettement déterminé). Il y a différends sur le rôle de l’épiclèse dans la consécration, sur le progrès dogmatique […].

« Enfin, reste le gros point d’opposition, c’est la haine souvent farouche de l’Église d’Orient envers Rome, son incompréhension totale du rôle du Pape dans l’Église, cette sorte d’orgueil figé qui caractérise l’épiscopat orthodoxe, et mène les popes à injurier le catholicisme d’une façon parfois incroyable (aux Lieux Saints, dans les Balkans, etc.). C’est là qu’on décèle tout le venin schismatique, et c’est là le point douloureux. De grands théologiens russes comme Serge Boulgakoff perdent visiblement leur sang-froid quand ils parlent de la Chaire de Pierre : là s’accumulent les reproches de papolâtrie, de juridisme romain, etc. »

  Mais si ce prêtre a été reçu et agréé par la fraternité Saint-Pie-X, si c’est devant un de ses évêques qu’il a abjuré, cela ne l’autorise-t-il pas à user du sacerdoce reçu dans le schisme ?

Les membres de la fraternité Saint-Pie-X n’ont aucun pouvoir particulier, les évêques qui en sont membres ne sont pas du corps épiscopal de l’Église catholique : jamais un souverain Pontife ne les y a agrégés, ni directement (par mandat pontifical) ni indirectement par le truchement des lois en vigueur dans la cooptation de l’épiscopat. Et donc le passage par la case fraterniténe modifie en rien la situation d’un prêtre venant du schisme.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il n’y pas qu’une irrégularité à lever (c’est déjà beaucoup !) : il y a une légitimité fondamentale à assurer.

Selon la constitution même de l’Église et selon son droit, l’admission au ministère sacerdotal relève d’un évêque, d’un véritable évêque catholique successeur des Apôtres par son appartenance au corps épiscopal.

« En dehors d’une commission reçue de l’Église catholique, l’administration des sacrements est illicite et sacrilège. […] L’autorité pour dispenser les sacrements vient tout entière de la mission donnée aux Apôtres. […] La mission apostolique ne se trouve que dans l’Église catholique… Bien qu’il soit possible, de fait, de dispenser les biens d’un autre sans avoir reçu de lui une mission à cet effet, rien n’est plus sûr que le fait que personne ne dispense légitimement ce qui appartient à un autre si ce n’est par son mandat. Or, les sacrements sont le bien du Christ. Donc ils ne sont légitimement dispensés que par ceux qui ont une mission de la part du Christ, c’est-à-dire par ceux auxquels découle la mission apostolique » (Cardinal Billot, de Sacramentis, tome 1, thèse xvi).

De plus, pour que soit admis un prêtre venant du schisme, les Papes se sont réservé l’examen et la résolution du cas. En raison de la gravité – tant doctrinale que sacramentelle – de l’enjeu, ils n’ont pas laissé aux évêques d’en décider (ce qui aurait été possible au vu de la mission épiscopale).

  Oui mais, vous la ramenez toujours avec le droit canon et compagnie. Vous ne vous apercevez donc pas qu’il y a nécessité, urgence, besoin des âmes ? Votre juridisme va à l’encontre du bien même de l’Église, il n’est donc pas de mise !

  Comme il vient d’être expliqué, il y a bien plus qu’une loi en jeu : il y a l’ordre des choses qui s’enracine dans la constitution même de l’Église telle que Jésus-Christ l’a institué. Le cardinal Billot ne vous a pas caché la gravité de l’affaire.

Et puis, il faut bien que je vous le dise, il y a quelque chose de mille fois pire que le juridisme, c’est l’anarchisme. Il n’est pas étonnant que cette tendance, qui existe déjà dans la nature humaine comme séquelle du péché originel, se développe avec une dynamique qui fait peur : l’absence prolongée d’autorité en est un puissant facteur. Mais cela ne rend pas l’anarchisme moins dangereux et moins corrosif de l’esprit chrétien.

Cet anarchisme se manifeste de différentes manières, dont voici quelques-unes (hélas ! cumulables).

La première consiste à dire que puisqu’il n’y a plus de pape, il n’y a plus de loi… C’est un anarchisme radical, destructeur, qui oublie un simple petit fait : le chef de l’Église est Jésus-Christ ! Le Siège à la droite du Père n’est pas vacant ! Le Pape a une autorité souveraine sur le Corps de l’Église, mais une autorité vicaire par rapport à Jésus-Christ. Ce que le pape lie ou délie sur la terre est lié ou délié dans les cieux par le pouvoir de Jésus-Christ et le demeure, même quand le Pape cesse d’être (sauf stipulation particulière). Et donc la loi de l’Église demeure avec toute sa force, et elle demeure en l’état où l’a laissé le dernier acte pontifical.

La seconde forme d’anarchisme, plus courante, consiste à décréter qu’il y a nécessité et donc que toute loi qui entrave le caprice sacerdotal, euh ! pardon ! le ministère sacerdotal, est d’application suspendue. Rapidement, cette anarchie devient habituelle et aveugle, et on décrète l’inapplication de la loi sans même se mettre en peine d’examiner la teneur de la loi, sans même rechercher ce qu’a permis ou interdit l’Église dans des cas particuliers. C’est un anarchisme de paresse et d’ignorance, mais un véritable anarchisme.

La troisième forme consiste à ne voir aucune distinction entre la Constitution de l’Église et la législation de l’Église, entre ce qui tient à la nature des choses et ce qui tient à la discipline, entre ce qui relève du droit divin et ce qui relève du droit purement ecclésiastique. On n’est plus en face d’une épikie pratique (et souvent illégitime) comme dans le cas précédent, mais dans le cas d’une épikie quasi-théologale qui fait de chacun un « Constitutionnel » qui tient l’Église à sa merci.

L’anarchisme est une épidémie parfois revendiquée, souvent sourde et sournoise, qui rend toute discussion impossible — ne serait-ce que parce que l’anarchiste (de droit divin !) dégaine plus vite que son ombre l’accusation de juridisme… sans bien savoir ce que veut dire le mot, mais peu importe, l’essentiel étant l’impact pour décrédibiliser celui qui s’efforce d’avancer en se disant :

Le vrai bien des âmes, celui qui est fructueux et durable même s’il est moins visible (ou entravé par mes défauts), c’est celui qui se fait selon la volonté de Dieu. Et cette volonté de Dieu, elle ne se décrète pas suivant l’humeur du moment ; elle est inscrite dans la nature des choses telle que Dieu l’a instituée, telle qu’elle se manifeste à qui veut bien la chercher là où elle est enseignée : dans l’Évangile de Jésus-Christ, dans le Magistère de l’Église catholique romaine, dans la préservation de l’unité de l’Église, dans le droit canonique, dans la théologie de saint Thomas d’Aquin, dans l’exemple des saints.

*

  Au moins, les Orientaux schismatiques ont échappé à l’influence du modernisme : quand ils se convertissent, ils sont donc d’une orthodoxie à laquelle on peut se fier, et leur doctrine est vraiment sûre !

  Voilà une dernière illusion qu’il faut dissiper, par laquelle on tente de rassurer les braves gens qui auraient encore quelque hésitation. Illusion sotte, mais l’expérience montre qu’elle est tenace.

Louis Jugnet nous a énuméré plus haut les erreurs doctrinales qui séparent les schismatiques de la vérité catholique. Elles sont abondantes. Mais encore plus qu’abondantes, elles sont profondes et concernent ce qui est fondamental dans l’intelligence de la foi (cette intelligence qui est précisément la cible du modernisme). Il serait d’ailleurs étonnant qu’il en soit autrement, parce qu’il serait invraisemblable que dix siècles de schisme n’aient laissé aucune trace grave dans les mentalités et dans les doctrines.

Un rapide examen fait apparaître trois erreurs de ce type. La première porte sur la nécessité même de la doctrine. Est-elle une référence externe (l’appartenance à une obédience) ou une nécessité interne, vitale, pour la vie de la foi et la conduite de la vie ? La seconde est une indistinction permanente entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, qui est pourtant un point crucial et permanent de la doctrine catholique. La troisième est le fidéisme, erreur qui prétend que Dieu (son existence et ses attributs) n’est pas connaissable par la lumière de la raison mais seulement par la Révélation divine. Et ces trois erreurs sont aux sources du modernisme…

***

Le texte qu’on vient de lire est la reproduction quasi inchangée d’un article paru dans le n. 298 du bulletin Notre-Dame de la Sainte-Espérance (décembre 2014).

Vous aurez noté la grande importance et la grande clarté du texte du Cardinal Billot qui est cité à peu près au milieu. Sinon, relisez-le. Il énonce la clef nécessaire pour discerner de ce qui est catholique et de ce qui ne l’est pas.

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9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 05:30

 

Éléments sur les états de vie

Les jeunes gens et les jeunes filles qui ont un peu de générosité au cœur se demandent comment ils doivent faire fructifier la vie que le Bon Dieu leur a donnée, la foi qu’il leur a infusée, le désir de servir qu’il leur inspire.

À cette question, il faut apporter une réponse humaine et catholique : une réponse de doctrine et une réponse de prudence. Voici quelques éléments – qu’ils ne trouveront guère ailleurs – qui peuvent nourrir leur réflexion et éclairer leur jugement.

Le choix d’un état de vie n’est d’ailleurs pas le seul choix qui demande une sérieuse réflexion imprégnée de prière et de claire vue de notre fin dernière. Si, par exemple, on reste dans le monde et qu’on y fonde une famille, le choix du conjoint est crucial pour la persévérance dans la foi et dans la loi de Jésus-Christ — et même pour le simple bien-être d’ici-bas.

On est aussi parfois (en fait, très souvent !) surpris de constater combien les jeunes gens ignorent totalement le bien commun – le bien commun de leurs frères dans la foi catholique et le bien commun de la Cité – quand il s’agit de s’orienter vers un métier ou de prendre une place dans la société.

Cela demanderait aussi à être analysé et développé, mais pour l’heure je m’en tiens à la considération des différents états de vie ad majorem Dei gloriam.

 

La fin commune

Le sacrement de Baptême nous a communiqué la grâce sanctifiante, effaçant ainsi le péché originel, infusant dans notre âme la vie surnaturelle, faisant de notre nature le temple de la très sainte Trinité ; en même temps et par le fait même, nous sommes devenus membres de Jésus-Christ et de son Corps mystique — ici-bas l’Église militante, la sainte Église catholique romaine.

Le Baptême est donc notre dignité fondamentale, notre grande règle de vie, la noblesse de notre âme, l’exigence de la perfection : le « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » du Sermon sur la Montagne [Matth. V, 48] s’adresse à tous les baptisés.

La fin commune de toute vie chrétienne est donc la perfection de la charité, de cette charité divine qui s’étend nécessairement jusqu’au prochain, charité qui inspire toutes les vertus et en impère les actes, charité dont la vocation est de croître sans cesse pour atteindre la mesure de gloire que la Sagesse divine a mystérieusement assignée à chacun, charité enfin qui requiert la contemplation  [1].

Quel que soit donc l’état de vie dans lequel nous sommes, quelle que soit notre vocation particulière, quelles que soient les circonstances en lesquelles nous nous trouvons, la fin de la vie sur terre et l’exigence de la charité demeurent identiques.

Si donc l’on se place du point de vue personnel, les divers états de vie possibles ne vont introduire qu’une différenciation dans les moyens de poursuivre et d’atteindre la perfection de la charité. Nous y reviendrons.

Mais, sous peine de sombrer dans l’« individualisme » (ou, si l’on veut, le « personnalisme ») qui émousse l’intelligence des choses divines, considérons en priorité un autre point de vue.

La vocation de l’Église

Antérieurement à la destinée de chacun, il y a la vocation de l’Église. Le dessein de Dieu est de constituer à son Fils unique une Église qui lui soit un « plérôme », une plénitude, un rayonnement de gloire, une société céleste qui sera pour lui Corps et Épouse. C’est dans cette élection de l’Église que la vocation de chacun d’entre nous prend sa source : Dieu nous destine à prendre telle place dans son Église : place quant au degré de charité et de gloire, place quant à un office particulier.

Toute vie chrétienne est donc comme « embarquée » dans l’union entre Jésus-Christ et son Église ; elle est participante de cette union mystique qui est la clef de l’histoire du monde.

Le mariage

Saint Paul exprime merveilleusement cette vérité à propos du mariage (Eph. V, 22-32).

« Que les femmes soient soumises à leurs maris, comme au Seigneur ; car le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’Église, qui est son corps, et dont il est le Sauveur. Or, de même que l’Église est soumise au Christ, de même aussi les femmes doivent être soumises à leurs maris en toutes choses. Vous, maris, aimez vos femmes, comme le Christ aussi a aimé l’Église, et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, après l’avoir purifiée dans le baptême d’eau par la parole de vie, pour se la présenter lui-même comme une Église glorieuse, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée. De même les maris aussi doivent aimer leur femme comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. Car jamais personne n’a haï sa propre chair ; mais il la nourrit et la soigne, comme le Christ le fait pour l’Église, parce que nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de ses os. C’est pourquoi l’homme abandonnera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux seront une seule chair. Ce mystère est grand : je dis cela par rapport au Christ et à l’Église. »

Le saint Mariage est donc l’image de l’union entre Jésus-Christ et son Église, et c’est là sa grandeur, sa noblesse, sa première clarté aux yeux de Dieu.

Sacerdoce et virginité

Mais il y a plus grand, il y a plus effectif, plus réalisateur ; il y a dans la sainte Église deux institutions qui ne sont pas seulement l’image de l’union de Jésus-Christ et de son Église, mais qui en sont la réalisation, qui en sont l’instrument, qui en sont la réalité. Voici comment l’Abbé Victor-Alain Berto l’expose avec un bonheur incomparable :

« Il y a entre le Christ et l’Église unité de vie (ce qu’exprime l’idée de Corps Mystique) et réciprocité d’amour (ce qu’exprime l’idée des Épousailles Mystiques). Ces deux grandes réalités surnaturelles trouvent chacune leur expression dans les deux institutions les plus essentielles de l’Église : le sacerdoce et la virginité sacrée. Par le sacerdoce, en effet, c’est Notre-Seigneur qui incessamment vivifie son Église, entretient en elle, au moyen des sacrements, la vie de la grâce, et la gouverne. Par la virginité sacrée, c’est l’Église qui incessamment aussi se présente comme Épouse au Christ son Époux et lui redit sa fidélité et son amour  [2]. »

Et avant ce passage si vrai, si pieux et instructif, l’Abbé Berto avait développé et justifié :

« Le Christ communique à l’Église la vie surnaturelle et c’est pourquoi il est appelé Tête de l’Église ; l’Église reçoit de Lui cette vie, et c’est pourquoi elle est appelée Corps du Christ.

« Or, outre cette relation vitale entre le Christ et l’Église, il y en a une autre dans laquelle le Christ et l’Église sont considérés non comme un seul être composé d’une tête et d’un corps, mais comme deux personnes distinctes, unies par un amour réciproque qui a son siège dans la volonté de chacune d’elles. Il s’agit donc ici non plus de la nécessaire dépendance vitale, mais de la libre appartenance d’amour entre le Christ et l’Église. “Le Christ, dit saint Paul, a aimé l’Église et il s’est livré pour elle afin d’avoir en elle une Épouse sans tache et sans ride.”

« Dans cette union spirituelle entre le Christ et l’Église, le Christ tient la fonction de l’Époux : c’est lui qui conduit et dirige l’Église, qui la protège contre ses ennemis, qui veille sur son honneur et sur sa dignité, qui enfin lui donne une perpétuelle fécondité.

« L’Église, elle, a fonction d’Épouse : elle aime le Christ d’un amour perpétuel et exclusif, elle lui témoigne sans cesse respect et dévouement, elle cherche à lui plaire en toute manière ; elle supporte pour lui toutes les épreuves et toutes les persécutions ; elle refuse toute autre autorité que la sienne ; elle est attentive à exécuter ses intentions et ses désirs ; elle ne se laisse jamais séparer de lui ; elle élève pour lui ses enfants ; enfin, son occupation principale est de contenter par sa louange, par son dévouement, par son attachement, le Christ auquel elle est indissolublement unie.

« Pour bien comprendre ce que sont l’un par rapport à l’autre le Christ et l’Église, il faut donc retenir à la fois les deux idées du Corps Mystique et des Épousailles Mystiques : le Christ est à la fois pour l’Église tout ce qu’une tête est pour son corps et tout ce qu’un époux est pour son épouse ; et réciproquement, l’Église est à la fois pour le Christ tout ce qu’un corps est pour sa tête et tout ce qu’une épouse est pour son époux  [3]. »

Le sacerdoce et la virginité sacrée sont donc infiniment plus que des vocations individuelles : ils sont des fonctions mystiques d’Église. Par le sacerdoce, Jésus-Christ communique la vie à son Église ; il répand sa grâce en son sein, il la vivifie de son sacrifice, il l’illumine de sa vérité. Par la virginité sacrée, l’Église aime Jésus-Christ, elle s’immole à lui, elle lui offre un perpétuel hommage d’amour et de louange.

Retour sur terre

Quittons les hauteurs de ce point de vue, qui est le plus fondamental et qu’il ne faut jamais oublier, pour revenir à la considération de la vie de chacun.

Ne nous arrêtons pas ici à la considération de l’état de Mariage, dont nous avons d’une part évoqué la finalité qui est celle de la vie chrétienne elle-même (la perfection de la charité) et dont nous avons d’autre part rappelé la haute signification mystique (l’image de l’union entre Jésus-Christ et son Église). L’état de Mariage fait partie de la « voie commune » (ce qui n’a rien de péjoratif) et de ce fait ne comporte pas l’élection de moyens particuliers pour atteindre cette perfection de la charité. C’est l’observation des commandements de Dieu et de l’Église qui en est la grande obligation, c’est l’exercice persévérant des vertus chrétiennes qui en est la trame quotidienne.

Puisque nous parlons de voie commune – celle qui consiste à demeurer dans le monde pour y vivre de foi, d’espérance et de charité sous la forme générale de l’observation des préceptes divins – il faut dénoncer le lieu commun qui prétend que le célibat conservé au milieu du monde n’est pas un état normal : il faudrait ou se consacrer à Dieu, ou se marier. Mais pourquoi donc ne serait-ce pas un état normal ? Pourquoi ne pourrait-on pas y demeurer délibérément ? Une telle affirmation n’est fondée ni sur la sainte Écriture, ni sur l’enseignement du Magistère de l’Église ni sur sa tradition spirituelle ; et on pourrait énumérer de nombreux cas où cette situation est parfaitement justifiée.

Si l’on désire se donner à Dieu, on parlera de vocation. Là aussi, il importe de bien clarifier les choses, de bien distinguer d’une part entre vocation sacerdotale et vocation religieuse, d’autre part entre vie consacrée et vie religieuse.

Deux vocations

La vocation sacerdotale et la vocation religieuse, au rebours de ce qu’on imagine souvent, présentent plus de différences que de ressemblances.

À la vocation sacerdotale s’applique la parole de Notre-Seigneur : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis » (Jo. XV, 16). Cette vocation est donc un véritable appel, mais attention ! l’appel intérieur – le désir du sacerdoce, l’attrait vers lui – n’est que préparatoire au seul appel qui constitue la vocation sacerdotale : l’appel de l’Église par la voix de l’évêque légitime. C’est ce qu’enseigne très clairement le Catéchisme du Concile de Trente : « Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur – ceux-là sont dits être appelés par Dieu, qui sont appelés par les ministres légitimes de l’Église » (de Ordine§ 1). Bien sûr, l’évêque n’appelle que ceux qui se présentent librement, qui ont les qualités et la science requise, qui ont une intention droite ; mais la vocation proprement dite est donnée par l’Évêque, elle est l’appel qu’il donne au nom de l’Église  [4].

À la vocation religieuse s’applique cette autre parole de Notre-Seigneur : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ; viens ensuite et suis-moi » (Matth. XIX, 21). Là, la vocation est dans la volonté de perfection. Cette volonté, comme toute volonté normale, doit procéder de la compréhension de l’intelligence : Qui potest capere capiat, dit Notre-Seigneur en parlant de la chasteté parfaite pour le Royaume de Dieu, « que celui qui peut comprendre comprenne » (Matth. XIX, 12). Il faut aussi que ceqe volonté soit raisonnable, stable et droite ; il n’en reste pas moins que la vocation religieuse consiste dans la volonté.

On voit donc ainsi la différence fondamentale entre la vocation sacerdotale où l’Église appelle elle-même au nom de Jésus-Christ, et la vocation religieuse, où Dieu donne la volonté de se consacrer à lui et où l’Église ne fait qu’organiser (en approuvant et en surveillant les ordres religieux) la vie de ceux qui répondent à l’appel général fait par Notre-Seigneur.

Vie consacrée et vie religieuse

Il importe de bien distinguer aussi la vie consacrée et la vie religieuse ; il vaudrait d’ailleurs mieux parler, pour que la distinction soit adéquate, de vie simplement consacrée d’une part, et de vie religieuse d’autre part.

Dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit pas d’assigner à la vie humaine une autre fin que celle de la vie chrétienne issue du Baptême : c’est toujours la perfection de la charité qu’on veut comme fin, qu’on poursuit par l’observation des préceptes divins, qu’on espère de la miséricorde de Dieu. La vie consacrée à Dieu s’engage à des abstentions et à des moyens qui, en s’opposant aux sollicitudes du monde et aux concupiscences, sont aptes à libérer la charité des pesanteurs de la nature et de la dissipation du cœur ; ils lui permettent ainsi de s’exercer plus directement et plus intensément. Et comme cela est consacré par vœu, ces abstentions et ces moyens deviennent en outre des actes de la vertu de religion qui, par eux-mêmes et spécialement, concourent à la charité.

Vie de pur amour

La vie consacrée est constituée par le vœu de virginité ou le vœu de chasteté parfaite : on donne tout son amour à Jésus-Christ, on lui consacre son corps et toutes les affections de son cœur. C’est cette vie simplement consacrée qu’ont menée les vierges de l’Église primitive, armée d’âmes pures et aimantes : sainte Luce, sainte Agnès, sainte Cécile, sainte Martine et bien d’autres. Bien qu’elles ne fussent pas religieuses et qu’elles vécussent dans la maison familiale, elles avaient donné tout leur amour à Notre-Seigneur pour vaquer généreusement à son service. Tout au long de l’histoire de l’Église, aujourd’hui encore, fleurissent ainsi les épouses secrètes de Jésus-Christ, les âmes consacrées à lui comme l’était la sainte Vierge Marie, toutes de prières, toutes de dévouement, toutes d’humilité.

On a souvent perdu de vue combien cette vie consacrée fait partie de la tradition spirituelle et de l’honneur de l’Église, et combien elle est un état fécond en sainteté, en contemplation, en œuvres de miséricorde. Il n’y a guère de doute que Jésus-Christ désire de nombreuses âmes généreuses et virginales qui réjouissent ainsi son cœur et travaillent à son règne  [5].

Vie d’obéissance

La vie religieuse est une vie consacrée avec toutes ses exigences et son « office mystique » ; ce qui la différencie, c’est qu’elle est constituée par le vœu d’obéissance. La vie religieuse est distinctement une vie d’obéissance. Je n’oublie pas le vœu de pauvreté ; c’est un vœu très saint, très crucifiant, très salutaire lui aussi ; mais il est en dépendance du vœu d’obéissance.

En effet, la pauvreté religieuse consiste en l’usage dépendant : on renonce à toute propriété personnelle, on s’engage à n’user des biens matériels que dans la dépendance de la volonté d’un supérieur. On ne peut donc pratiquer la pauvreté sans supérieur, sans que la volonté soit soumise par l’obéissance ; inversement d’ailleurs l’obéissance suppose la pauvreté car si chacun conserve la propriété de ses biens et en use à son gré, l’obéissance n’est plus qu’un vain mot.

L’obéissance religieuse est très spécifique et se différencie de l’obéissance commune ; elle s’apparente à l’obéissance des enfants. Tous les hommes étant tenus à l’obéissance, il n’y aurait pas matière à vœu si l’obéissance religieuse n’était pas d’un type particulier, meilleur que l’obéissance commune.

Il faut ici rappeler, pour comprendre l’obéissance religieuse, que le pouvoir d’une personne investie d’autorité peut être de type « juridictionnel » ou de type « dominatif ».

Toute autorité s’exerce en vue du bien commun de la société dont elle a la charge, que ce soit l’Église, l’État, la famille, l’entreprise ou le club de pétanque du coin. Celui qui est investi de l’autorité a le droit et le devoir de commander aux inférieurs tout ce qui est nécessaire ou utile au bien commun, et ceux-ci rendent obéissance en raison du bien commun auquel les ordonne l’autorité. C’est le pouvoir « juridictionnel ».

Dans certaines sociétés, le bien propre des membres fait partie du bien commun parce qu’il est constitutivementet directement inclus dans leur finalité. Le pouvoir de l’autorité est alors dit « dominatif » en ce qu’il s’exerce sur le bien propre des membres. Il en est ainsi dans une société naturelle (la famille) et dans une société « artificielle » (la communauté religieuse). Cela se rencontre aussi dans les sociétés finalisées par la formation de leurs membres (école, séminaire etc.), mais de façon partielle : de façon proportionnée au bien commun de ladite société.

Les enfants ne sont capables ni de connaître ni de procurer leur bien propre ; c’est aux parents qu’incombe, de droit divin, selon la nature des choses, cette charge et cette responsabilité. Le bien commun de la famille exige d’ailleurs que les parents remettent peu à peu à l’enfant la charge de son bien propre.

Par le vœu d’obéissance, selon les modalités d’une règle, les religieux remettent à leur supérieur leur bien propre en vue de leur perfection spirituelle ; ils en deviennent comme les enfants, et par là ils accomplissent le renoncement le plus intime et le plus total : le renoncement à la libre disposition de leur volonté.

Ce renoncement si grand et si méritoire, n’est cependant possible – vertueusement possible – que si l’on est assuré que l’autorité à laquelle on se remet totalement recherchera la gloire de Dieu, la fidélité à la vérité, le vrai bien. En un mot, ce renoncement n’est possible qu’au sein de l’Église catholique, et de l’Église hiérarchisée dans laquelle tout supérieur a lui-même un supérieur, et qu’en définitive tout se résout dans l’autorité du Pape assisté par le Saint-Esprit.

C’est là que gît la grande difficulté des temps actuels : cette Autorité divinement assistée au sommet manque, non pas d’une brève éclipse, mais selon un état mystérieux qui dure et disperse les brebis du Seigneur, leurs esprits comme leurs cœurs.

Il faudrait alors au supérieur une prudence et une sagesse bien rares ; il lui faudrait une juste vue de la vérité de la foi, de la liberté des âmes et des limites de son jugement, qui relève du miracle. Et même cette délicatesse supposée extrême ne remplacera jamais la hiérarchie institutionnelle à l’intérieur de laquelle doit s’inscrire l’obéissance. Cela est d’autant plus vrai qu’on ne voue pas l’obéissance à tel supérieur, mais aux supérieurs présent et futurs : ce qui rend nécessaire l’investiture de l’Église, qui assure la catholicité et la stabilité de l’institution.

Vouer – en tout cas vouer définitivement – l’obéissance religieuse présente donc d’inextricables difficultés. Ainsi, par exemple, tout conflit (il en est de légitimes) devient insoluble et met à mal la notion même d’obéissance religieuse, ainsi que la paix des cœurs et des communautés, et la vertu de tous.

Un texte de Pie XII

Les considérations développées ci-dessus exposent le problème de la vie religieuse (problème dû à la provisoire et longue situation actuelle) sous l’aspect de la prudence surnaturelle, prudence d’autant plus nécessaire que c’est toute la vie qui est engagée, et que les biens les plus précieux sont en cause. Cette prudence est elle-même fondée sur une vérité doctrinale : le pouvoir « dominatif » (pouvoir des supérieurs religieux sur ceux qui leur ont voué l’obéissance) dérive de l’autorité du Pape. En effet, Pie XII déclare qu’en vertu des dispositions du droit canonique, qui établissent et régissent ce pouvoir « dominatif », il associe lui-même tous les supérieurs religieux à une partie de sa propre charge.

Cet enseignement se trouve dans l’Exhortation aux supérieurs généraux établis à Rome du 11 février 1958 :

« Nous vous avons associés, très chers fils, à cette partie de Notre charge, soit directement, vous déléguant par le Code de droit canon une part de Notre suprême juridiction, soit en établissant, dans vos règles et constitutions par Nous approuvées, les bases de votre pouvoir “dominatif”. Aussi Nous importe-t-il souverainement que vous exerciez l’autorité qui vous appartient selon Nos intentions et celles de l’Église. »

Cette doctrine de Pie XII avait été déjà mise en œuvre dans une réponse de la Commission d’Interprétation du Code droit canonique (26 mars 1952) qui assimilait, pour certaines choses seulement, le pouvoir « dominatif » du supérieur religieux au pouvoir de juridiction (pouvoir de gouvernement de l’Église).

Cette vérité est hélas bien méconnue. Nous sommes entourés par toute une nébuleuse de « fondations religieuses », fondations établies au nom de « suppléances » sorties d’un chapeau de magicien (sans qu’on puisse leur assigner un fondement réel ni une consistance quelconque), ou bien fondations s’édifiant sur un hypothétique « droit à la vie religieuse » (qu’on aurait peine à établir…). Ces communautés sont nanties de supérieurs autoproclamés (même s’ils sont élus par la base suivant les « constitutions »), on y prononce des « vœux de religions » en oubliant que le pouvoir « dominatif » d’un supérieur (et donc la réalité du vœu d’obéissance religieuse) ressortit à l’ordre public de l’Église, et qu’il nécessite une relation vivante de subordination à l’autorité pontificale sans laquelle il ne saurait exister.

Certes il est loisible à chacun de se placer sous l’autorité d’une autre personne dans le dessein de renoncer à la maîtrise de sa volonté pour tendre à la perfection. Mais il faut encore que cette décision soit un acte vertueux (et donc préalablement prudent) — ce qu’elle peut être tant qu’on ne prétend pas la sceller d’un vœu, qui en l’état présent ne sera pas un véritable vœu de religion, et qui risque fort d’en placer le sujet dans une situation inextricable.

C’est pourquoi il était bon de rappeler ci-dessus la sainteté de la vie simplement consacrée : elle peut constituer, pour une âme généreuse qui désire appartenir à Jésus-Christ et qui cherche la perfection évangélique, un choix d’une grande sagesse ; elle s’inscrit en tout cas dans la grande tradition mystique des âmes consacrées qui glorifient le Bon Dieu, non seulement par leurs actions, mais par leur vie même.

Ce fut l’état de vie, par exemple, d’une Catherine Lassagne, la directrice de la Providence d’Ars, âme d’une sainteté exquise formée par saint Jean-Marie Vianney à la pratique héroïque de toutes les vertus.

Conclusion

La seule chose qui importe, c’est la volonté du Bon Dieu. Si nous voulons connaître cette volonté, nous devons instruire notre intelligence et nous référer à la doctrine catholique (ce que nous venons d’essayer de faire) ; nous devons purifier notre cœur pour ne pas résister à la grâce ni nous laisser aveugler par les passions ; nous devons nous offrir de grand cœur, avec magnanimité, à cette volonté de notre Père — volonté qui n’est autre que l’amour qu’il nous porte, que notre véritable bien et que la douceur de notre vie. Nous devons surtout prier et beaucoup prier.

Enfin, nous devons rester l’esprit en paix : Dieu ne joue pas à cache-cache (encore que parfois… pour nous détacher et nous purifier), mais il nous manifestera sa volonté par mille moyens secrets ou visibles qui ne nous laisseront pas dans l’incertitude.

*

*     *

Très douce Vierge Marie, qui fûtes vierge et mère, qui fûtes consacrée à Dieu et vivant dans le monde, qui vous mîtes sous l’autorité de saint Joseph, qui êtes la mère du sacerdoce et la reine des cœurs, donnez-nous de chercher, de trouver et de suivre la sainte volonté de Dieu, afin que nous imitions Jésus-Christ en toutes choses et que nous vivions de sa charité.

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[1]  « C’est le propre de l’amitié de converser avec son ami. Or la conversation de l’homme avec Dieu se fait par la contemplation — Hoc videtur amicitiæ proprium simul conversari ad amicum. Conversatio autem hominis ad Deum est per contemplationem » saint Thomas d’Aquin, Contra Gentes, IV, 22.

[2]  Abbé V.-A. Berto, Pour la sainte Église Romaine, p. 166. Cet extrait est tiré du texte d’un cours donné aux enfants de Notre-Dame de Joie, qui est une pure merveille.

[3]  Abbé V.-A. Berto, Pour la sainte Église Romaine, pp. 165-166. Cet ouvrage contient plusieurs études sur la virginité sacrée, qui sont autant de leçons de profonde théologie et de grand amour de l’Église et des âmes.

[4]  Il va sans dire qu’un évêque, pour appeler au nom de l’Église, doit être lui-même légitimement appelé par le Souverain Pontife. Nemo dat quod non habet. Cela va encore mieux en le disant.

[5]  La sainteté de cette vocation ne dispense en rien des règles de la vertu de prudence — bien au contraire ! Pour demeurer fidèle, pour éviter de fléchir comme de s’aigrir, il ne faut pas se lancer sans direction, ni soutien doctrinal, ni l’entraide d’amis animés du même désir de se consumer au service de Jésus-Christ par amour pour lui.

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8 octobre 2014 3 08 /10 /octobre /2014 09:33

—  Mais pourquoi, pourquoi donc ne parlez-vous pas de l’« union sacerdotale Marcel-Lefebvre », de ces prêtres courageux qui ont choisi la voie de la fidélité en se séparant de la fraternité Saint-Pie-X qui va vers le ralliement ? Auriez-vous quelque défiance à leur égard ?

—  Mais pourquoi donc en parlerais-je ? Serait-ce pour dire la tristesse d’une nouvelle division qui a comme effet de scandaliser les âmes et d’introduire une guerre sans aucun profit pour la doctrine catholique, ni pour la sanctification des chrétiens, ni pour la splendeur de l’Église ?

L’opposition entre la Résistance et le Loyalisme(les deux partis se nommant eux-mêmes plus ou moins de cette manière – majuscules de rigueur !) est une opposition à l’intérieur du même monde, avec les mêmes carences doctrinales et les mêmes aberrations canoniques.

La déclaration initiale de l’union sacerdotale n’amorce aucun retour vers la doctrine catholique ; elle ne contient aucun désaveu de l’édification d’une hiérarchie acéphale ; aucun reniement des prétendues annulations de vœux et de mariages, ou des dispenses d’empêchements de mariage ; aucun regret des confirmations (à coup sûr invalides) conférées par de simples prêtres. Si bien qu’entre Résistanceet Loyalisme, c’est blanc bonnet & bonnet blanc. Il y a une effrayante disproportion entre les maux (réels) produits par une lutte fratricide et le bien (imaginaire) censé justifier tout ce tintamarre. On critique blanc bonnet, on appelle à quitter blanc bonnet, on voue blanc bonnet aux gémonies, et on fait bonnet blanc.

Pour passer de l’un à l’autre, on a semé division, confusion, détraction et rivalités ; on a développé un comportement (encore plus) anarchique. C’est grande tristesse de voir les familles déchirées, les chapelles divisées, les guerres surgies de partout – et les âmes froissées – pour rien.

Et puis… quelle obligation y aurait-il, pour qui que ce soit, d’avoir une opinion sur telle personne, tel mouvement, telle position ? Chacun d’entre nous est tenu de professer la foi catholique dans son intégrité (et donc de la connaître, de l’étudier, de la méditer, de l’appliquer), mais non point d’émettre un jugement ni d’avoir un avis à propos de faits contingents, mal connus, fluctuants, tristement humains (trop humains…). C’est d’autant plus vrai que l’union sacerdotale en question renvoie au domaine de l’opinion des vérités qui intéressent de façon vitale l’exercice de la foi catholique, comme la papauté d’un Pape ou l’œcuménicité d’un concile [1].

D’ailleurs… j’ai déjà deux fois abordé le sujet, anticipant sur les événements. Je n’ai rien à ajouter, car rien n’a changé et que tout était aisément prévisible. Je reproduis ci-dessous ces deux textes.

La seule chose positive de l’affaire est que le (pseudo-)dogme (jamais énoncé mais toujours agissant) « Hors de la fraternité Saint-Pie-X pas de salut » qui depuis des décennies détourne tant d’âmes et de cœurs de l’étude sereine et objective de la doctrine catholique, a volé en éclats.

-----------------

[1]  Le fait que untel est Pape est un fait dogmatique, un fait qui, bien que contingent, constitue la règle prochaine de la foi catholique. Même si, dans un temps de confusion, il est difficile de discerner du premier coup, rien ne change dans la nature des choses.


Extrait de Notre-Dame de la Sainte-Espérance n. 268 du mois de mai 2012

… Si donc une partie des prêtres de la Fraternité refuse ou le préambule doctrinal ou la situation canonique qui s’ensuivra, et fait sécession, il reste plusieurs possibilités :

1.  Se constitue une Fraternité-bis, par exemple une fraternité Saint-Marcel, sous l’obédience d’un, de deux voire de trois évêques, qui se proclame l’unique et l’authentique fondation de Mgr Lefebvre (car enfin, c’est la référence intangible).

Deux choses sont alors à craindre : la reconduction des mêmes erreurs doctrinales ; la grosse guerre pour la possession des prieurés, des avoirs bancaires et autres biens matériels : les avocats vont s’enrichir et les ennemis de l’Église se réjouir.

2.  Les « dissidents » demeurent dispersés, continuant çà et là un apostolat personnel. Que sera-t-il possible de faire alors pour les aider ? Quiconque en effet s’est trouvé dans une situation analogue sait combien le soutien de la charité sacerdotale est précieux.

Voici donc ce qu’il me semble.

–  Je ne vois rien que je puisse faire (hormis la prière) pour ceux que je nomme les néo-prêtres (ordonnés par un évêque sacré sans mandat apostolique) ; seule l’autorité suprême de l’Église (quand elle sera rétablie et si elle le veut) pourra réparer ce qui manque à leur ordination sacerdotale : l’intégration dans le clergé catholique ;

–  les autres prêtres ont été imprégnés, pendant une trentaine d’années au moins, de fausses doctrines, et de l’habitude d’un libre examen qui choisit entre les actes qu’il affirme provenir de l’autorité légitime ceux qui lui conviennent.

C’est là qu’il convient de venir à leur aide, pour qu’ils puissent se rendre compte des erreurs qu’on leur a enseignées, martelées au point qu’ils n’en discernent plus la malice ni l’opposition à la tradition catholique.

Quand, par la grâce de Dieu, ils auront pénétré la gravité de l’una cum du Canon de la sainte Messe, compris l’exigence de l’unité de l’Église en sa hiérarchie, professé l’intégrité de la foi catholique, nous nous réjouirons de pouvoir profiter de leur zèle et de leurs vertus.


Extrait de Notre-Dame de la Sainte-Espérance n. 289 du mois de mars 2014

Un désert doctrinal

Le 7 janvier 2014, une petite cinquantaine de prêtres de la fraternité Saint-Pie-X (ou assimilés) a signé une Adresse aux fidèles, proclamant : « Selon l’exemple de ce grand prélat [Mgr Marcel Lefebvre], intrépide défenseur de l’Église et du Siège apostolique, nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le Concile Vatican II, et, après le Concile, dans toutes les réformes et orientations qui en sont issues. »

Cette adresse est spécialement motivée, disent-ils, par le fait que : « Depuis l’an 2000 et surtout à partir de 2012 les autorités de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X font le chemin inverse en se rapprochant de la Rome moderniste. »

L’affirmation claire et ferme d’un refus des erreurs qui sont contenues dans Vatican II ou qui en sont issues ne peut qu’attirer la sympathie. Mais ce premier mouvement d’estime ne suffit pas pour qu’on s’aveugle sur le grand vide doctrinal que manifeste cette Adresse, tant en elle-même qu’en ses attendus et les explications qui l’accompagnent.

La fraternité Saint-Pie-X souffre d’un gros problème doctrinal : depuis des décennies elle tait (dans le meilleur des cas) ou nie (en théorie et en pratique) tout un pan de la doctrine catholique : celui qui concerne l’autorité de l’Église et celle du souverain Pontife en particulier, celui qui concerne l’infaillibilité, l’unité de la hiérarchie catholique (qui est épiscopale), la nature et la dévolution de la juridiction, et l’obligation de l’obéissance.

L’Adresse aux fidèles, non seulement ne souffle mot de ce problème, mais se place exactement dans la même perspective hétérodoxe. Cela revient à dire que le fond de leur opposition n’est pas un désir de revenir à la vérité de l’enseignement de l’Église, mais uniquement une question de « politique ecclésiastique », de tactique face à Rome, d’évaluation de ce qu’il faut dire ou ne pas dire aux fidèles pour qu’ils continuent à suivre et à se croire en sécurité.

Cela va augmenter la confusion et engendrer des inimitiés, sans aucun profit pour la doctrine catholique, pour l’amour de l’Église, pour le témoignage de la foi.

—  Mais vous n’y êtes pas du tout ! Et vous le faites exprès ! Il s’agit d’arrêter la Fraternité sur la voie du ralliement, il s’agit de mettre en garde les fidèles contre cette pente dangereuse, mortelle même.

—  J’avoue : je le fais exprès. Mais c’est pour vous donner l’occasion de réfléchir trente secondes. Pour s’opposer au ralliement…au ralliement à qui ? Se rallier au Pape est le b-a-ba du catholicisme : le Pape est la règle vivante de la foi, la source de la juridiction, la référence de l’unité de l’Église. Être rallié au Pape, c’est tout simplement être catholique.

—  Vous ne voyez pas donc que se rallier à François Ier, c’est accepter le modernisme, la religion conciliaire, le libéralisme ; c’est nier la royauté sociale de Jésus-Christ, c’est entrer dans l’univers de sacrements douteux, de vide doctrinal ?

—  Pour le vide doctrinal, vous y êtes déjà. Se rallier au Pape, c’est tout simplement se rallier à Jésus-Christ : ouvrez l’Évangile, interrogez la Tradition (celle qui mérite vraiment une majuscule), écoutez le Magistère permanent de l’Église : ce sont presque deux mille ans de Parole divine que vous entendrez et qui vous le répéteront sans variation, sans atténuation, sans hésitation.

Si vraiment se rallier à François Ier c’est être conduit à se séparer de Jésus-Christ – et là je ne peux nier que vous ayez raison – alors soit Jésus-Christ nous a menti, soit François Iern’est pas le Pape. Comme Jésus-Christ est la Vérité éternelle et la Sainteté subsistante, il ne reste qu’une solution. Et si donc vous voulez continuer à affirmer la réalité du pontificat de François Ier, vous vous condamnez à errer (dans les deux sens du terme) : pour affirmer une vérité de foi vous en nierez une autre, et réciproquement, et sans fin : cela ne se peut que mal finir.

—  Là encore vous n’y êtes pas, là encore vous le faites exprès ! Si l’adresse aux fidèles ne se réfère pas au magistère de l’Église, elle fait mieux : elle se réfère à Mgr Marcel Lefebvre. N’est-ce pas lui le grand modèle du combat, la seule référence qui puisse unir les catholiques fidèles. Et précisément c’est cette fidélité-là que l’Adresse revendique. D’ailleurs les questions doctrinales ne sont pas du ressort des laïcs.

—  Si vous exprimez la pensée des auteurs de l’Adresse, il y a du souci à se faire. Essayons de démêler l’imbroglio que recèle votre objection.

Les questions doctrinales ne sont pas pour les laïcs…Mais pour qui les prenez-vous ? Ils sont baptisés, ayant reçu la lumière de la foi en Jésus-Christ, appartenant à son Église militante, devant pétrir leur vie quotidienne de cette foi. Comment être et faire cela sans connaître quelle est la règle de la foi, sans rectitude doctrinale, sans que la foi domine et vivifie toute leur intelligence ? […]

Mgr Marcel Lefebvre… Oui, ce fut un homme de grand mérite. Mais enfin, il n’est pas et n’a jamais été au-dessus du Magistère de l’Église, au-dessus de l’autorité du souverain Pontife : il n’a jamais ni envisagé ni revendiqué une telle chose. Le Bon Dieu a rappelé Mgr Lefebvre à lui voici plus de vingt ans, et on prétend qu’il exerce encore une sorte de magistère qu’il n’a jamais possédé de son vivant, et qu’aucun pape n’a jamais possédé après la mort : c’est insensé. […]

La carence de l’Adressea une certainement une autre raison […] : ayant pris l’habitude de vivre sans vraie référence doctrinale, les signataires sont loin d’être d’accord entre eux sur les grandes questions de l’Église. Et comme leur propos est tactique, ils font l’impasse sur la doctrine. C’est peut-être habile, mais c’est catastrophique. Les mêmes causes produiront les mêmes effets.

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7 septembre 2014 7 07 /09 /septembre /2014 14:36

 

Un triste phénomène humain – dû à l’ignorance du paresseux, à la prétention de l’imbécile ou à l’aveuglement de l’orgueilleux – accompagne la vie de l’Église catholique pendant son pèlerinage sur la terre. Lorsque paraît une erreur, quelques-uns de ceux qui la veulent combattre tombent dans une erreur contraire et s’y retranchent avec d’autant plus d’entêtement qu’ils veulent (ou prétendent) combattre l’erreur. C’est même un funeste enchaînement qui peut se produire.

Ainsi, lorsqu’Arius a nié la divinité de Jésus-Christ, un certain Apollinaire s’est dressé contre son erreur en affirmant que Jésus-Christ est Dieu (ce qui est vrai) parce qu’il n’a pas d’âme humaine et que la divinité en tient lieu (ce qui est faux). Cette nouvelle erreur, qui est une négation du mystère de l’Incarnation et donc de la Rédemption, fut à son tour combattue par Nestorius qui affirmait qu’en Jésus-Christ il y a deux natures intègres qui n’ont pas fusionné (ce qui est vrai) et que l’union entre ces deux natures est simplement morale (ce qui est faux), ce qui le faisait blasphémer en niant la maternité divine de la sainte Vierge Marie.

On comprend donc qu’il ne suffit pas de s’opposer à l’erreur : il faut encore le faire sans tomber dans une autre erreur, laquelle peut être tout aussi destructrice de la vérité de la foi.

  Où voulez-vous donc en venir ?

  Ce diagramme peut s’observer dans de nombreuses oppositions doctrinales qui émaillent la confusion actuelle, où le Pasteur étant frappé, les brebis sont terriblement dispersées. C’est cependant une erreur bien précise que je vise par ce propos général.

Il est un dogme de foi bien établi, mille fois enseigné et attesté depuis les origines de l’Évangile, que hors de l’Église catholique il n’y a pas de Salut éternel. Le monde a beau hurler à l’intolérance, les libéraux ont beau aseptiser ce dogme au nom de l’œcuménisme ou d’une prétendue charité, rien ne peut y faire : c’est une vérité de la foi catholique bien nette, bien franche, bien universelle.

Pour appartenir à la sainte Église catholique, Corps mystique de Jésus-Christ, il faut être baptisé (et aussi professer la foi catholique ainsi qu’être soumis à l’autorité légitime, mais ce n’est pas mon propos aujourd’hui).

Le Baptême est un des sept sacrements institués par Jésus-Christ pour appliquer les mérites de sa Passion, et il est le sacrement qui incorpore à son Église (et aussi, entre autres effets, imprime un caractère qui rend capable de recevoir les autres sacrements et de prendre une part réelle au saint sacrifice de la Messe).

Et donc le Baptême est nécessaire au Salut éternel.

Le sacrement de Baptême peut être suppléé, quant à l’effet de grâce, par le Baptême de sang et par le Baptême de désir. Le Baptême de sang est le martyre ; le Baptême de désir (ou de feu ou d’esprit) est la contrition parfaite, accompagnée du vœu ou désir du Baptême : c’est ainsi que les définit saint Alphonse de Liguori dans sa Théologie morale (livre VI de Sacramentis, traité ii de Baptismo et Confirmatione, chapitre i de Baptismo, n. 95).

Il enseigne au numéro suivant : « Le baptême de feu est la parfaite conversion à Dieu, par la contrition ou l’amour de Dieu par-dessus tout, accompagnée du vœu explicite ou implicite du vrai baptême d’eau, à l’effet duquel il supplée, dit le concile de Trente (session vi, c. 4). Cette suppléance concerne la rémission de la coulpe du péché, non le caractère à imprimer ni la totalité de la peine due au péché à supprimer. […] Il est de foi que les hommes sont aussi sauvés par le baptême de feu. »

Voilà qui est bien clair. Le Baptême de désir est un acte surnaturel de charité (ou de contrition parfaite, c’est équivalent) qui, parce qu’il inclut un acte de la foi théologale, fait réellement appartenir à l’Église catholique et, pour autant, procure le Salut.

On comprend dès lors que l’Office divin fasse l’éloge de martyrs qui n’ont pas reçu le baptême d’eau (par exemple, sainte Émérentienne, 23 janvier [1]) ; de même saint Ambroise a procédé aux obsèques chrétiennes de l’empereur Valentinien  II encore catéchumène, en déclarant : « Si martyres suo abluuntur sanguine et hunc sua pietas abluit et voluntas — de même que les martyrs sont purifiés par leur sang, de même sa piété et sa volonté ont purifié celui-ci. »

Ceux que le dogme Hors de l’Église pas de Salut hérisse ont trouvé dans la doctrine du Baptême de désir le prétexte rêvé pour réduire à un vain mot la nécessité de l’appartenance à l’Église catholique : n’importe quel désir du Baptême, ou n’importe quelle « bonne foi » sans désir, ou la simple vertu naturelle, ou n’importe quelle générosité dans l’incrédulité ont été étiquetés Baptême de désir, et donc ont été promus comme ouvrant la porte du Salut. C’est là un abus dévastateur pour l’intégrité de la foi catholique, pour l’honneur de l’Église et pour le Salut des âmes.

Contre cette dernière erreur, d’aucuns ont réagi en niant la réalité et l’efficacité pour le Salut du Baptême de désir. Ils sont tombés ainsi dans le déni de ce que toute la Tradition de l’Église proclame, et qui relève de la foi catholique, comme nous le rappelle opportuné­ment saint Alphonse. Voulant combattre une erreur pernicieuse, ils sont tombés dans une erreur contraire tout aussi pernicieuse. Notre diagramme s’observe une fois de plus.

  Pourquoi nous parlez-vous de cela ici et maintenant ?

  Cette erreur – la négation du Baptême de désir comme produisant le Salut – qui s’accompagne d’un vrai mépris pour ceux qui, humblement, s’en tiennent à la doctrine certaine, commune et antique de l’Église catholique, a eu comme porte-drapeau un jésuite américain de Boston, le Père Léonard Feeney (1897-1978). Son influence s’est exercée principalement en Amérique du Nord. Ce sont de jeunes prétentieux, bénédictins autoproclamés, qui ont repris au Canada le flambeau vénéneux de l’erreur ; et si leur influence s’est bien étendue, elle est restée marginale en Europe.

Mais voici qu’il y a du nouveau : ces contempteurs de la doctrine catholique viennent d’établir une tête-de-pont sur le vieux continent, dans le Jura français, profitant de la naïveté d’un prêtre, honorable par ailleurs. Ils semblent s’être aussi assuré les services d’un pseudo-prêtre qui a laissé en Aquitaine un souvenir très amer. Voilà la double raison pour laquelle j’en parle hic et nunc. Il est à craindre que leur propagande n’impressionne les esprits peu au fait de la doctrine catholique, parce qu’ils se présentent comme des « durs », des anti-Vatican  II, des sans-compromission : ce qui séduit souvent les esprits superficiels qui ne vont pas chercher plus avant.

S’il faut donner des précisions, j’en donnerai. Mais il ne s’agit pas d’une question de personnes. C’est la doctrine et même l’intégrité de la foi catholique qui sont en cause : voilà qui est plus grave et plus urgent que tout le reste.

Pour que la doctrine catholique soit bien comprise et bien claire, je place à la suite de cet avertissement deux textes d’inégale valeur.

Le premier, transcris ci-dessous, émane du Saint-Office. Le décret d’excommunication du Père Feeney (1953) fait suite à une lettre adressée en 1949 par le même Saint-Office à l’archevêque de Boston, pour établir dans les faits et réfuter dans la doctrine les menées du Père Feeney. Bien que ce texte ne parût pas aux Acta Apostolicæ Sedis, son autorité est grande et son exposé lumineux.

Le second est de votre serviteur, et date de la première moitié des années 1980 : il expose l’autorité, le sens et la portée du dogme Hors de l’Église pas de Salut.

http://ddata.over-blog.com/0/18/98/43/quicumque/HEPDS.pdf

---------------------------

[1] Éloge de la sainte au bréviaire : « Émérentienne, vierge romaine, sœur de lait de la bienheureuse Agnès, et encore catéchumène, était animée d’une foi et d’une charité ardentes. Comme elle reprochait avec véhémence aux adorateurs des idoles les violences qu’ils exerçaient contre les chrétiens, elle fut lapidée par une multitude ameutée. Priant au milieu de ses souffrances, elle fut baptisée dans son propre sang, qu’elle répandit courageusement pour Jésus-Christ et rendit son âme à Dieu près du tombeau de sainte Agnès. »


Pourquoi et comment

le Saint-Office a fulminé, le 13 février 1953,
l’excommunication du R. P. Léonard Feeney, s. j.

Quelques années auparavant un groupe d’étudiants de l’Université de Harvard se réunissait régulièrement au Centre d’accueil Saint-Benoît, à Boston, dont l’aumônier était le R. P. Léonard Feeney s. j.

Trois professeurs laïques furent exclus du collège des Pères Jésuites par décision du recteur, parce que professant à propos de l’affirmation Hors de l’Église pas de salut des doctrines erronées.

Mais bientôt le Père Feeney prit fait et cause pour ces professeurs et il les intégra dans le corps professoral de son Centre, se rebellant ainsi contre son supérieur. L’archevêque de Boston, Mgr Cushing, se vit obligé de condamner le Père Feeney et de lui enlever à partir du 1er janvier 1949 les pouvoirs d’entendre les confessions.

Une lettre du Saint-Office à l’archevêque de Boston dénonça l’hérésie du Père Feeney, mais celle-ci ne fut pas rendue publique au moment de sa publication en août 1949.

Voici le texte de cette Lettre du Saint-Office du 8 août 1949.

Cette Suprême Sacrée Congrégation a suivi très attentivement le commencement et le cours de la sérieuse controverse, soulevée par certains associés du St. Benedict Center et du Boston College, concernant l’interprétation de la maxime : Hors de l’Église point de salut.

Après avoir examiné tous les documents nécessaires ou utiles sur ce sujet – entre autres le dossier envoyé par votre chancellerie, les recours et rapports où les associés du St. Benedict Center exposent leurs opinions et leurs réclamations, et en outre beaucoup d’autres documents se rapportant à cette controverse recueillis par voie officielle, – la Sacrée Congrégation a acquis la certitude que cette malheureuse question a été soulevée parce que le principe « hors de l’Église point de salut » n’a pas été bien compris ni examiné et que la controverse s’est envenimée par suite d’un sérieux manquement à la discipline, provenant du fait que certains membres des associations mentionnées ont refusé respect et obéissance aux autorités légitimes.

En conséquence, les Éminentissimes et Révérendissimes Cardinaux de notre Suprême Congrégation ont décrété en session plénière, le mercredi 27 juillet 1949, et le Souverain Pontife, en l’audience du jeudi suivant 28 juillet 1949, a daigné approuver l’envoi des explications doctrinales, de l’invitation et des exhortations suivantes.

Nous sommes obligés par la foi divine et catholique à croire toutes les choses que contient la Parole de Dieu, Écriture ou Tradition, et que l’Église propose à la foi comme divinement révélé non seulement par un jugement solennel, mais encore par son magistère ordinaire et universel (Denzinger 1792).

Or, parmi les choses que l’Église a toujours prêchées et ne cessera pas d’enseigner, il y a aussi cette déclaration infaillible où il est dit qu’il n’y a pas de salut hors de l’Église.

Cependant, ce dogme doit s’entendre dans le sens que lui attribue l’Église elle-même. Le Sauveur, en effet, a confié l’explication des choses contenues dans le dépôt de la foi, non pas au jugement privé, mais à l’enseignement de l’autorité ecclésiastique.

Or, en premier lieu, l’Église enseigne qu’en cette matière il existe un mandat très strict de Jésus-Christ, car il a chargé explicitement ses apôtres d’enseigner à toutes les nations d’observer toutes les choses qu’il avait lui-même ordonnées (Matth. XXVIII, 19-20).

Le moindre de ces commandements n’est pas celui qui nous ordonne de nous incorporer par le Baptême au Corps mystique du Christ qui est l’Église, et de rester unis avec lui et avec son Vicaire par qui lui-même gouverne ici-bas son Église de façon visible.

C’est pourquoi nul ne se sauvera si, sachant que l’Église est d’institution divine par le Christ, il refuse malgré cela de se soumettre à elle ou se sépare de l’obédience du Pontife romain, Vicaire du Christ sur la terre.

Non seulement notre Sauveur a-t-il ordonné que tous les peuples entrent dans l’Église, il a aussi décrété que c’est là un moyen de salut sans lequel nul ne peut entrer dans le royaume éternel de la gloire.

Dans son infinie miséricorde, Dieu a voulu que, puisqu’il s’agissait des moyens de salut ordonnés à la fin ultime de l’homme non par nécessité intrinsèque, mais seulement par institution divine, leurs effets salutaires puissent également être obtenus dans certaines circonstances, lorsque ces moyens sont seulement objets de « désir » ou de « souhait ». Ce point est clairement établi au Concile de Trente aussi bien à propos du sacrement de Baptême qu’à propos de la Pénitence (Denzinger 796 & 807).

Il faut en dire autant, à son plan, de l’Église en tant que moyen général de salut. C’est pourquoi, pour qu’une personne obtienne son salut éternel, il n’est pas toujours requis qu’elle soit de fait incorporée à l’Église à titre de membre, mais il faut lui être uni tout au moins par désir ou souhait.

Cependant, il n’est pas toujours nécessaire que ce souhait soit explicite comme dans le cas des catéchumènes. Lorsque quelqu’un est dans une ignorance invincible, Dieu accepte un désir implicite, ainsi appelé parce qu’il est inclus dans la bonne disposition de l’âme, par laquelle l’homme désire conformer sa volonté à celle de Dieu.

Ces choses sont clairement exprimées dans la Lettre dogmatique publiée par le Souverain Pontife Pie  XII, le 29 juin 1943, « sur le Corps mystique de Jésus-Christ » (AAS. XXXV, pp. 193 sqq.). Dans cette Lettre, en effet, le Souverain Pontife distingue clairement ceux qui sont actuellement incorporés à l’Église comme membres et ceux qui lui sont unis par le désir seulement.

Parlant des membres qui forment ici-bas le Corps mystique, le même auguste Pontife dit : « Seuls font partie des membres de l’Église ceux qui ont reçu le Baptême de régénération et professent la vraie foi, qui, d’autre part, ne se sont pas pour leur malheur séparés de l’ensemble du Corps ou n’en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l’autorité légitime » (Mystici Corporis).

Vers la fin de la même Encyclique, invitant à l’unité, avec la plus grande affection, ceux qui n’appartiennent pas au corps de l’Église catholique, il mentionne ceux qui « par un certain désir et souhait inconscient, se trouvent ordonnés au Corps mystique du Rédempteur » (Mystici Corporis). Il ne les exclut aucunement du salut éternel, mais il affirme par ailleurs qu’ils se trouvent dans un état « où nul ne peut être sûr de son salut éternel » (ibid.), et même qu’« ils sont privés de tant et de si grands secours et faveurs célestes, dont on ne peut jouir que dans l’Église catholique » (ibid.).

Par ces paroles, le Pape condamne aussi bien ceux qui excluent du salut éternel les hommes qui ne sont unis à l’Église que par le désir implicite, que ceux qui affirment erronément que tous les hommes peuvent se sauver à titre égal dans toutes les religions (Cf. Pie  IX, Singulari quadam, Denzinger 1642 sqq. ; Pie  IX, Quanto conficiamur mœrore, Denzinger 1677).

Cependant, il ne faudrait pas croire que n’importe quelle sorte de désir d’entrer dans l’Église suffise pour le salut. Le désir par lequel quelqu’un adhère à l’Église doit être animé de charité parfaite. Un désir implicite ne peut pas non plus produire son effet si l’on ne possède pas la foi surnaturelle « car celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il rémunère ceux qui le cherchent » (Heb. XI, 6). Le Concile de Trente déclare : « La foi est le principe du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute justification. Sans elle, il est impossible de plaire à Dieu et de compter parmi ses enfants » (Session VI, c. 8 ; Denzinger 801).

Il est évident, d’après ce qui précède, que les idées proposées par le périodique From the Housetops (n. 3) comme l’enseignement authentique de l’Église catholique, sont loin de l’être et sont très dangereuses aussi bien pour ceux qui sont dans l’Église que pour ceux qui vivent en dehors d’elle.

De cet exposé doctrinal découlent certaines conclusions touchant à la discipline et à la conduite, que ne peuvent méconnaître ceux qui défendent avec vigueur la nécessité d’appartenir à la véritable Église et de se soumettre à l’autorité du Pontife romain et des évêques « que l’Esprit-Saint a désignés pour gouverner l’Église » (Act. XX, 28).

C’est pourquoi il est inexplicable que le St. Benedict Center puisse prétendre être un groupe catholique et désirer être considéré comme tel et qu’en même temps il ne se conforme pas aux prescriptions des canons 1381 et 1382 du Code de droit canonique, et continue d’être une cause de discorde et de révolte contre l’autorité ecclésiastique, et de trouble pour beaucoup de consciences.

En outre, il est difficile de comprendre qu’un membre d’un Institut religieux, le P. Feeney, se présente comme « défenseur de la foi » et qu’en même temps il n’hésite pas à attaquer l’enseignement donné par les autorités légitimes et ne craigne même pas d’encourir les graves sanctions dont le menacent les sacrés canons pour les violations graves de ses devoirs de religieux, de prêtre et de simple membre de l’Église.

Enfin, il n’est pas prudent de tolérer que certains catholiques revendiquent pour eux-mêmes le droit de publier un périodique, dans l’intention d’y exposer des doctrines théologiques, sans la permission de l’autorité ecclésiastique compétente, que l’on appelle imprimatur et qui est prescrite par les sacrés canons.

Ceux, donc, qui s’exposent au grave danger de s’opposer à l’Église, doivent méditer sérieusement qu’une fois que « Rome a parlé », ils ne peuvent passer outre même pour des raisons de bonne foi. Leur lien à l’Église et leur devoir d’obéissance sont certainement plus stricts que pour ceux qui adhèrent à elle « seulement par un désir inconscient ». Qu’ils comprennent qu’ils sont les enfants de l’Église, affectueusement soutenus par elle avec le lait de la doctrine et les sacrements, et que, après avoir entendu la voix de leur Mère, ils ne peuvent donc pas être excusés d’ignorance coupable. Qu’ils comprennent que le principe suivant s’applique à eux sans restriction : La soumission à l’Église catholique et au Souverain Pontife est nécessaire au salut.

Ce document fut rendu public le 4 septembre 1952. Le Père Feeney, au lieu de se soumettre, se révolta davantage et commença une campagne de violence contre l’autorité de l’Église. Le 25 octobre 1952, il fut mandé à Rome mais refusa de s’y rendre ; après un dernier avertissement, il fut excommunié.

Il continua à occuper le Centre Saint-Benoît et eut une centaine d’adeptes qui, au milieu de leurs prières, lançaient des invectives. Ils prirent le nom d’Esclaves du Cœur Immaculé de Marie. Le Père Feeney fut absous par Paul  VI en 1972, sans qu’aucune rétractation lui soit demandée ! Belle collusion…

Décret du Saint-Office

Comme le prêtre Léonard Feeney, résidant à Boston (Saint Benedict Center), lequel à cause du grave refus d’obéissance à l’Autorité ecclésiastique avait été déjà suspendu a divinis, nonobstant les avertissements réitérés et l’instante menace d’excommunication à encourir ipso facto, n’est pas venu à résipiscence, les Éminentissimes et Révérendissimes Pères préposés à excommunié avec la sauvegarde de la foi et des mœurs, dans la séance plénière du mercredi 4 février 1953, l’ont déclaré tous les effets de droit.

Et le jeudi 12 février 1953, Sa Sainteté Pie  XII, Pape par la Providence de Dieu, a approuvé, confirmé le décret des Éminentissimes Pères et ordonné qu’il fût rendu public [AAS XLV, 1953, p. 100].

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19 juin 2014 4 19 /06 /juin /2014 17:35

 

La semaine dernière, je vous ai annoncé la parution prochaine du maître-ouvrage du Père Louis Lachance : L’humanisme politique de saint Thomas d’Aquin.

La réalisation de l’ouvrage est en bonne voie, et les délais seront tenus.

Pour vous donner une idée de la qualité de l’ouvrage, tant de sa rédaction que de son édition, j’en ai extrait la page 31 et la page 120  que vous pourrez voir en image et lire en format pdf.

 

En outre, j’ai reçu un commentaire auquel je veux ici répondre.

Ce commentaire, tout en se réjouissant de la réédition de l’ouvrage, déplore le terme d’humanisme employé par le Père Lachance, parce que ce mot a acquis une connotation sulfureuse.

Il est bien vrai que ceux qui, au XVIe siècle et par la suite, se sont attribué le nom d’humanistes l’ont fait pour se dresser (fort insidieusement) contre la foi catholique et pour décisivement contribuer à la destruction de la chrétienté.

 

Il faut cependant observer deux choses.

Tout d’abord, le nom de saint Thomas d’Aquin est une garantie suffisante d’orthodoxie, de sagesse, de climat de foi.

Ensuite, et surtout, le Père Lachance a voulu ainsi signifier que la doctrine politique de saint Thomas d’Aquin n’est pas une construction a priori, n’est pas une déduction métaphysique, n’est pas une théorie issue de son imagination.

Cette doctrine est fondée sur une profonde observation de la réalité, des composantes et des tendances de la nature humaine, des conditions concrètes dans lesquelles l’homme doit vivre et bien vivre, doit se perfectionner et doit atteindre sa fin dernière. Alors apparaît que la vie en société est une requête, non seulement matérielle mais plus encore morale et spirituelle, de ladite nature humaine en laquelle nous devons vivre, atteindre notre perfection et obtenir notre fin.

La sagesse métaphysique, la lumière de la Révélation chrétienne, la droiture de la volonté requise par la vertu de prudence viennent illuminer, purifier et orienter cette quête.

 

On a donc affaire au véritable humanisme, celui que le prince des théologiens met en œuvre pour exposer une doctrine solide et souple, qui sait s’effacer devant les mille contingences de la réalité des temps, des lieux, des coutumes, des passions (etc.) sans rien perdre de sa puissance directrice ni de sa plénitude de vérité.

Il aurait été dommage de se priver du terme d’humanisme, qui décrit si bien cela. Il est temps de le reconquérir pour lui redonner son vrai sens — celui d’une adaptation à la véritable nature humaine : créée par Dieu avec sa nécessité rationnelle, sociale et politique (et sa loi naturelle) ; gratuitement élevée à l’ordre surnaturel ; profondément désorganisée et blessée par le péché ; miséricordieusement enseignée et rachetée par Jésus-Christ ; vivant ici-bas dans l’attente de la révélation de la gloire des fils de Dieu.

 

 

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