Benoît XVI a annoncé ce matin 11 février 2013, fête de Notre-Dame de Lourdes, qu'il donnerait sa démission le 28 février prochain.
À titre documentaire et doctrinal, je publie ci-après ce que j'écrivis dans le bulletin Notre-Dame de la Sainte-Espérance (nn. 181, 182 et 183, avril 2005) à l'occasion de la mort de Jean-Paul II et de l'élection du même Benoît XVI.
Il suffit de faire quelques transpositions et mises à jour, mais pour l'essentiel, pour l'ecclésial, pour le doctrinal, pour le prudentiel, Rien n'a changé. Rien. Vraiment rien.
Il faudra y revenir, bien sûr, mais il faut que la doctrine soit exposée sans retard. Sans retard aussi, nous devons user de notre droit (et devoir) de scrutin : celui de la prière. Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera, a promis Notre-Seigneur.
Jean-Paul II s’est donc éteint le soir du samedi 2 avril à 21 h 37 (nous a-t-on annoncé), au terme d’une douloureuse maladie. Dès sa mort, l’émotion s’est largement répandue, les manifestations de tristesse et les vibrants hommages sont venus de tous les horizons. Mais que restera-t-il de tout cela dans quelques jours, quand l’aspect humain des choses se sera estompé ? Car elle passe, la gloire de ce monde…
Il faut donc apprécier en priorité ce qui demeurera, il faut porter un regard sub specie æternitatis. Le reste, ce que le monde voit et considère, importe peu. Or ce qui ne passe pas, c’est le jugement de Dieu et la charité.
Le jugement de Dieu
Durant notre court pèlerinage ici-bas, nous ignorons le jugement que Dieu porte sans cesse sur nous. « L’homme ignore s’il est digne d’amour ou de haine » enseigne le livre de l’Ecclésiastique [ix, 1] ; et saint Paul : « Ma conscience ne me reproche rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant » [I Cor. iv, 4]. Cette ignorance de nous-mêmes entre dans le plan divin, en ce qu’elle nous maintient dans la crainte de Dieu ; elle nous empêche de nous approprier notre salut et elle nous oblige à nous en remettre sans cesse à la miséricorde divine. Si nous sommes dans une telle ignorance de nous-mêmes, à plus forte raison nous ignorons le jugement définitif que Dieu a porté et porte sur autrui. C’est que cette connaissance nous est inutile, et que nous devons nous abstenir de spéculer sur elle. Là encore, c’est à la miséricorde de Dieu qu’il faut remettre toute chose.
La Charité
Reste donc la charité : celle que l’on doit au défunt, et celle que l’on doit à ceux qui demeurent ici-bas, comme l’affirme le dicton :
On doit aux morts la prière et la vérité.
On doit la vérité, parce qu’elle est amour de ceux qui restent ; on doit la prière par amour de celui qui est parti. Non pas un amour mondain qui n’est que complicité de ceux qui sont du monde adversaire de Jésus-Christ ; non pas un amour sentimental qui aveugle l’esprit et amollit la foi ; mais un amour vrai qui procède de Dieu et qui trouve sa perfection dans la prière pour les ennemis [saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIæ q. 83 a. 8].
— Mais pourquoi parler de prière pour les ennemis en cette occasion ?
— La charité impère de recommander avec instance et sincérité Jean-Paul II à la douce miséricorde de Dieu ; mais elle commande avec au moins autant de force de faire remarquer combien, tout au long des vingt-six années qu’il a passées sur le trône pontifical, Jean-Paul II s’est comporté en ennemi de la foi catholique. C’est là une affirmation bien grave, mais rendue nécessaire par la vérité qu’on doit aux morts et par la charité qu’on doit aux vivants. Cette inimitié pour la foi catholique s’est manifestée par une prolongation sans faille de Vatican II, et par des pratiques permanentes qui s’opposent à la foi catholique et qui scandalisent les fidèles.
Une continuité sans faille
Saint Thomas d’Aquin enseigne que « l’Église est constituée par la foi et les sacrements de la foi » [IIIa q. 64 a. 2 ad 3um]. La rupture de Vatican II avec l’Église catholique est à ce point grave qu’elle concerne ces deux domaines constitutifs de la sainte Église catholique. Non seulement Jean-Paul II n’a jamais rompu avec cette rupture, mais il l’a mise en œuvre et profondément enracinée dans le peuple chrétien. Il avait en effet annoncé à maintes reprises que la mise en œuvre de Vatican II était la tâche principale de son pontificat (ainsi Dives in misericordia, 30 novembre 1980, n° 1).
La réforme liturgique issue de Vatican II n’a rien épargné : tous les rites ont été modifiés, bouleversés, protestantisés, désacralisés. Sous Jean-Paul II, cette réforme n’a pas été rapportée ni remise en cause : elle fut la pratique quotidienne et exclusive des autorités, elle a été codifiée dans le Droit Canon qu’il a promulgué en 1983, elle a été justifiée dans la lettre apostolique Sacrosanctum concilium qu’il a écrite le 4 décembre 1988 pour le 25e anniversaire de la constitution conciliaire.
Prenons deux exemples. L’intercommunion (donner les sacrements à des sujets non catholiques ; recevoir les sacrements de ministres non catholiques) est une pratique sacrilège. Eh ! bien, elle est admise et organisée par le canon 844. Lors d’un mariage contracté avec une partie non catholique, l’éducation des enfants dans la foi catholique doit être assurée (sous peine d’excommunication et de suspicion d’hérésie – canon 2319 du Code de 1917) et la partie non catholique doit s’y engager par écrit (Ibid. canons 1061 et 1071). Eh ! bien, cet engagement n’est plus requis ni même mentionné (canon 1125).
Ce sont là deux points « marginaux », mais qui manifestent clairement combien la foi théologale, avec sa primauté et sa nécessité, est évacuée des rites liturgiques et de la vie chrétienne.
Un enseignement constant
Vatican II s’écarte de la foi catholique et même s’y oppose, dans son esprit et dans l’ensemble de ses actes d’une part, en des points bien précis d’autre part. Voici trois de ces points fondamentaux que Jean-Paul II a repris régulièrement sur toute la durée de son enseignement.
1. Faux principe sur l’Incarnation. « Par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (Gaudium et Spes n° 22 § 2). Repris dans Redemptor Hominis (1979) au nn. 13 & 14, dans le Catéchisme de l’Église catholique (1992) aux nn. 521, 618 & 1612, repris dans la Lettre apostolique pour ouvrir une « année de l’Eucharistie » Mane nobiscum Domine (2004).
Une telle proposition ruine plusieurs points capitaux de la foi catholique, rendant inutiles la Rédemption et la Croix, la conversion personnelle et la doctrine de l’enfer. En effet, la communauté de nature qui existe entre Jésus-Christ et nous depuis l’Incarnation n’est pas une union personnelle ; cette union n’a de réalité que par l’application miséricordieuse du Sang rédempteur et la libre adhésion de chacun à la grâce de Jésus-Christ. Le damné de l’Enfer, quant à lui, n’est plus du tout uni à Jésus-Christ, dont il est éternellement réprouvé et séparé.
2. Vatican II insinue, admet même et enseigne, qu’il n’y a pas identité parfaite entre le Corps mystique de Jésus-Christ et l’Église catholique, qui n’est qu’une manière de subsister de l’Église de Jésus-Christ, et cette manière est de subsister comme société parfaite et organisée dans le monde. Dès lors, les autres « confessions religieuses » peuvent être des moyens de salut et des instruments du Saint-Esprit. « Cette Église [l’unique Église du Christ] subsiste dans (subsistit in) l’Église catholique comme société constituée et organisée en ce monde, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui, bien qu’on trouve en dehors d’elle des éléments nombreux de sanctification et de vérité, qui, comme dons propres de l’Église du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique » [Lumen Gentium, 1].
Le Catéchisme de l’Église catholique reprend explicitement cet enseignement aux nn. 816, 819 & 870.
Tout l’œcuménisme corrupteur de la foi et négateur de l’unité de l’Église sort de ce faux principe, qui est la « lumière » de l’œuvre de Jean-Paul II, œuvre qu’il poursuivra jusqu’à la fin. Ainsi, dans sa lettre adressée le 11 février 2005 à Mgr Ricard, Jean-Paul II met encore sur le même plan, face au laïcisme, les différentes « confessions religieuses ».
3. En effet, si les diverses « confessions religieuses » sont des instruments du Saint-Esprit, elles sont profondément estimables… et cette estime blasphématoire, Jean-Paul II n’a cessé de l’enseigner (par exemple Catéchisme de l’Église catholique nn. 246-248 & 838-841) et de la manifester : qui ne se souvient de baiser au Coran, de la prédication dans une synagogue (13 avril 1986) et dans un office luthérien (11 décembre 1983), du pèlerinage sur les pas de Luther (17 novembre 1980), de la réception d’un signe « sacré » (le Tilak) par la main d’une « prêtresse » hindoue (2 février 1986), de l’assistance à des rites animistes (8 août 1985) ou de la réunion syncrétiste d’Assise (27 octobre 1986) ?
Un désastre universel
— Pourtant Jean-Paul II s’est bien attiré une vive opposition du monde en prêchant ce qu’il appelle la culture de vie qui s’oppose à la culture de mort partout répandue !
— Il est vrai que Jean-Paul II a rappelé des éléments de la morale naturelle concernant le mariage, la famille, l’interdiction de tuer. Le Bon Dieu s’en est certainement servi pour retenir des âmes dans le droit chemin, pour éviter des désastres plus grand, pour rappeler au monde que lui seul est le maître de la vie et de sa transmission.
Mais il faut remarquer ceci : cette prédication, déjà insuffisante en elle-même parce que c’est la loi surnaturelle qui sauve – il l’a rendue doublement inefficace. D’abord, parce qu’il a fait ces rappels en taisant systématiquement le châtiment que Dieu a promis aux pécheurs : l’enfer éternel où vont brûler pour toujours les violateurs de la sainte loi de Dieu. Ensuite, parce que prêchant au nom de la dignité humaine, de la liberté etc., il a sapé à la base la raison d’être et l’obligation de cette loi morale qu’il rappelait. C’est là le propre du puritanisme protestant de tenir fortement à une morale dont on nie ou détruit les fondements dogmatiques. Cela ne peut se soutenir longtemps.
— Mais Jean-Paul II aimait la sainte Vierge !
— Je le crois volontiers, et je le lui souhaite ardemment, parce que la vraie dévotion à la sainte Vierge Marie est un grand gage de salut. Mais alors pourquoi l’avoir rabaissée ? Pourquoi l’avoir compromise dans la nouvelle religion de Vatican II ? Car c’est ce qu’il a fait dans son encyclique Rosarium Virginis Mariæ en arrachant le Rosaire à Notre-Dame de peur que celle-ci ne soit aimée pour elle-même, priée pour elle-même, contemplée en elle-même. Il l’a fait en prétendant recentrer le Rosaire sur le Christ – étant bien entendu que le Christ conduit à l’homme, par le chemin de l’œcuménisme et de la paix mondaine.
— Vous êtes sans cœur pour porter des jugements si durs à un moment si grave, pour piétiner un homme qui vient de paraître devant Dieu !
— Sans cœur, je le suis peut-être, hélas ! Mais je voudrais avoir du cœur pour les victimes de la religion conciliaire, et non pour le bourreau. Oubliez-vous ces millions d’âmes qui se sont perdues ou qui sont en grand péril de se perdre à cause de la liberté religieuse prêchée urbi et orbi par Jean-Paul II, alors qu’elle est on ne peut plus fatale au salut des âmes, dit le Pape Pie IX (Quanta Cura) ? Oubliez-vous ces millions d’âmes qui ont perdu la foi, qui n’ont en eux qu’une caricature ou un succédané de foi qui leur donne l’illusion d’être catholiques alors que leur esprit est protestant et qu’il n’adhère plus à tout l’enseignement de l’Église ? Or sans la foi il est impossible de plaire à Dieu (Heb. xi, 1). Oubliez-vous tous ces infidèles, ces juifs ou ces hérétiques auxquels on ne prêche plus depuis quarante ans que hors de l’Église catholique il n’y a pas de salut, et qu’on rejette dans les ténèbres extérieures en flattant leur secte ?
Oui, je peux bien paraître iconoclaste : mais je ne peux oublier le désastre universel (et, pour les damnés, irréversible) engendré par la nouvelle religion qui colonise les structures de notre bien-aimée Église romaine, une, sainte, catholique et apostolique.
Et puis je voudrais éventuellement avoir du cœur pour son successeur.
Je n’ignore pas les difficultés et problèmes que cette succession pose du point de vue canonique et théologique. Je sais qu’il est difficile d’accorder une consistance quelconque au collège des cardinaux. Mais je sais aussi que cet aspect des choses n’est pas insurmontable, et si le Bon Dieu nous accorde un élu catholique – vraiment catholique – ces questions se résoudront d’elles-mêmes en ce sens qu’il y aura une sanatio in radice par la vertu de l’adhésion de l’Église (même si un groupement majoritaire fait sécession).
« Peu importe que dans les siècles passés quelque Pontife ait été élu de façon illégitime ou ait pris possession du pontificat par fraude ; il suffit qu’il ait été accepté ensuite comme Pape par toute l’Église, car de ce fait il est devenu le vrai Pontife. Mais si pendant un certain temps il n’avait pas été accepté vraiment et universellement par l’Église, pendant ce temps alors le Siège pontifical aurait été vacant, comme il est vacant à la mort du Pape » Saint Alphonse de Liguori, Verità della fede, troisième partie, c. 8. [1]
C’est le Bon Dieu qui décide de tout cela, mais selon sa Providence ordinaire il décide d’accorder la grâce à la prière, et les grandes grâces aux prières ferventes, persévérantes, multipliées.
Ce successeur catholique que nous appelons de tous nos vœux trouvera une situation effrayante, tant les problèmes sont nombreux et graves.
Il y a la réforme liturgique à abroger et les erreurs conciliaires à répudier…
Il y a la validité des nouveaux sacrements, et en particulier celle du sacrement de l’ordre… Tout est à étudier, à mettre à plat, pour guérir ou éliminer ce qui est douteux ou invalide…
Il y a la corruption de la foi qui est très profonde dans un monde où l’on n’attend de l’Église que d’être le masdu, selon l’expression de l’Abbé Georges de Nantes (mouvement d’animation spirituelle de la démocratie universelle)…
Il y a la perte du sens de l’Église, l’oubli des notions d’autorité et de juridiction chez ceux qui, à bon droit, ont combattu le déferlement des nouveautés conciliaires, mais bien souvent se sont installés dans des théories réductrices de l’Église pour justifier leur refus.
Le chantier immense, humainement impossible. Mais Dieu peut tout. Comme il le veut, quand il le veut. Mais Notre-Dame intercède, et tant de saintes âmes inconnues.
Prions et récitons de tout cœur la secrète de la Messe du dimanche de Quasimodo, que l’Église nous mettait sur les lèvres dès l’annonce de la mort de Jean-Paul II : « Recevez, Seigneur, les offrandes de votre Église transportée d’allégresse ; et accordez le bienfait d’un bonheur perpétuel à cette Église à laquelle vous avez donné un si grand sujet de joie. Per Dominum Jesum Christum Filium tuum qui tecum vivit et regnat in unitate Spiritus Sancti, Deus, per omnia sæcula sæculorum. Amen. »
La doctrine classique
Dans les heures graves, il est catastrophique de se contenter de flou ou d’à-peu-près : il faut s’attacher à scruter la doctrine classique, reçue, approuvée, dont l’Église est en possession vitale et pacifique.
Voilà pourquoi on trouvera ci-dessous quelques éléments de cette doctrine classique puisée aux meilleures sources : que chacun y trouve matière à réflexion et soit éclairé en vue du discernement de foi dont nous aurons, à un moment ou à l’autre, un besoin crucial.
« Si un laïc était élu Pape, il ne pourrait accepter l’élection qu’à la condition d’être apte à recevoir l’ordination et disposé à se faire ordonner ; le pouvoir d’enseigner et de gouverner, ainsi que le charisme de l’infaillibilité, lui seraient accordés dès l’instant de son acceptation, même avant son ordination. »
Pie XII, Discours aux participants du deuxième congrès mondial pour l’apostolat des laïcs, 5 octobre 1957.
Outre le rappel qu’il y a une relation nécessaire entre le souverain Pontificat et l’épiscopat (parce que le Pape est identiquement l’évêque de Rome), voici deux choses à retenir de ce passage :
– une quelque peu anecdotique. Si celui qui est élu est marié, il ne peut être ordonné sans se séparer de son épouse, ce qu’il ne peut faire sans le consentement de celle-ci. Le sort du Siège apostolique dépend donc de Madame…
– Une plus sérieuse, qui donne à penser. Pie XII laisse place à la possibilité d’un consentement apparent, un consentement qui n’est pas vrai (pas réel) à cause d’une intention contraire : si l’élu répond oui sans être disposé à se faire ordonner. C’est donc possible…
Voici un extrait de L’Église du Verbe Incarné de Charles Journet, tome 1 pp. 622-624 (2e éd. ddb 1955). C’est un ouvrage sans fantaisie, sauf quand il aborde les questions des rapports entre l’Église et la société : là, l’influence de Maritain est désastreuse.
Son intérêt est en l’occurrence d’exposer l’enseignement de deux grands commentateurs de saint Thomas d’Aquin, qui montre que même en cas de doute ou de confusion, la situation n’est pas sans issue. Des lignes latérales attirent l’attention sur les passages qui y font allusion : ils sont de votre serviteur, tout comme les notes de bas de page.
L’élection du pape
Durant la vacance du siège apostolique, l’Église ne possède, sur le chapitre de la juridiction suprême, que le pouvoir de procéder, par la voie des cardinaux ou, à défaut, par d’autres voies, à l’élection d’un pape : « Papatus, secluso papa, non est in Ecclesia nisi in potentia ministerialiter electiva, quia scilicet potest, sede vacante, papam eligere, per cardinales, vel per seipsam in casu. » Cajetan [2], De comparatione auctoritatis papæ et concilii, cap. XIV, n° 210. Cajetan s’étonne ici des graves erreurs de Gerson.
I. Le sens de l’élection. — Tout ce que peut alors l’Église, par rapport à la juridiction suprême, c’est de désigner celui sur lequel, en vertu des promesses évangéliques, Dieu la fera descendre immédiatement. « Le pouvoir de conférer le pontificat relève du Christ seul, non de l’Église, qui ne fait que désigner un sujet déterminé. » Jean de Saint- Thomas [3] , IIa-IIæ, q. 1 a. 7 ; disp. 2, a. 1, n° 9, t. VII, p. 128.
II. Le pape peut-il désigner immédiatement son successeur ? […]
III. En qui réside le pouvoir d’élire le pape ? — Si le pape n’a pas à s’occuper de désigner directement son successeur, il lui appartient en revanche d’établir ou de modifier les conditions qui rendront l’élection valide : « Le pape, dit Cajetan, peut décréter quels seront les électeurs, changer et limiter ainsi le mode de l’élection, au point d’invalider ce qui passerait outre à de telles dispositions. » De comparatione auctoritatis papæ et concilii, cap. xiii, n° 201. C’est ainsi que, reprenant un usage introduit par Jules II, Pie IX a promulgué que, s’il arrivait qu’un pape mourût pendant la célébration d’un concile œcuménique, l’élection du successeur serait faite non par le concile, lequel est aussitôt interrompu ipso jure [4] , mais par le collège seul des cardinaux (Acta et decreta sacrosancti œcumenici concilii Vaticani, Romæ, 1872, pp. 104 sqq.). Cette même disposition est rappelée dans la constitution Vacante sede apostolica, de Pie X, 25 décembre 1904, au n° 28.
Au cas où les conditions prévues seraient devenues inapplicables, le soin d’en déterminer de nouvelles échoirait à l’Église par dévolution, ce mot étant pris, comme le note Cajetan (Apologia de comparatione auctoritatis papæ et concilii, cap. xiii, n° 745), non pas au sens strict (c’est à l’autorité supérieure qu’il y a, au sens strict, dévolution en cas d’incurie de l’inférieur), mais au sens large, pour signifier toute transmission, même faite à un inférieur.
C’est au cours des disputes sur l’autorité respective du pape et du concile que s’est posée, au xve et au xvie siècles, la question du pouvoir d’élire le pape. Voici sur ce point la pensée de Cajetan.
Il explique d’abord que le pouvoir d’élire le pape réside dans ses prédécesseurs éminemment, régulièrement, principalement. Éminemment, comme les « formes » des êtres inférieurs sont dans les anges, lesquels sont incapables pourtant d’exercer par eux-mêmes les activités des corps (Apologia, cap. xiii, n° 736). Régulièrement, c’est-à-dire par un droit ordinaire, à la différence de l’Église dans sa viduité, qui ne pourrait déterminer elle-même un nouveau mode d’élection que « in casu » si la nécessité l’y contraignait. Principalement, à la différence de l’Église veuve, en qui ce pouvoir ne réside que secondairement (n° 737). Pendant la vacance du siège apostolique, ni l’Église ni le concile ne sauraient contrevenir aux dispositions prises pour déterminer le mode valide de l’élection (De comparatione auctoritatis papæ et concilii, cap. xiii, n° 202). Cependant, en cas de permission, par exemple si le pape n’a rien prévu qui s’y oppose, ou en cas d’ambiguïté, par exemple si l’on ignore quels sont les vrais cardinaux, ou qui est vrai pape, comme cela s’est vu au temps du grand schisme, le pouvoir « d’appliquer la papauté à telle personne » est dévolu à l’Église universelle, à l’Église de Dieu (Ibid., n° 204).
Cajetan affirme ensuite que le pouvoir d’élire le pape réside formellement – c’est-à-dire, au sens aristotélicien, comme apte à procéder immédiatement à l’acte d’élection – dans l’Église romaine [5] , en comprenant dans l’Église romaine les cardinaux-évêques [6] qui sont en quelque sorte les suffragants de l’évêque de Rome. C’est pourquoi, selon l’ordre canonique prévu, le droit d’élire le pape appartiendra de fait aux cardinaux seuls (Apologia, cap. xiii, n° 742). C’est pourquoi encore, quand les dispositions du droit canonique seraient irréalisables, ce serait aux membres certains de l’Église de Rome qu’il appartiendrait d’élire le pape. À défaut du clergé de Rome, ce serait à l’Église universelle, dont le pape doit être l’évêque (Ibid., nn. 741 et 746).
IV. Les modes historiques de l’élection. — Si le pouvoir d’élire le pape appartient, de par la nature des choses, et donc de par le droit divin, à l’Église prise avec son chef, le mode concret dont se fera l’élection, dit Jean de Saint-Thomas, n’a nulle part été marqué dans l’Écriture : c’est le simple droit ecclésiastique qui déterminera quelles personnes dans l’Église pourront validement procéder à l’élection.
Au cours du temps ont pris part à l’élection, à des titres divers : le clergé romain (par un titre qui semble premier et direct), le peuple (mais pour autant qu’il donnait son consentement et son approbation à l’élection faite par le clergé), les princes séculiers (soit d’une manière licite en donnant simplement leur consentement et leur appui à l’élu ; soit d’une manière abusive en inter- disant, comme fit Justinien, que l’élu fût consacré avant l’approbation de l’empereur), enfin les cardinaux, qui sont les premiers des clercs romains, en sorte que c’est au clergé romain qu’aujourd’hui l’élection du pape est de nouveau confiée. Cf. Jean de Saint-Thomas, IIa-IIæ, q. 1 art. 7 ; disp. 2, a. 1, nn. 21 sqq., t. vii, pp. 223 sqq. On trouvera dans le Dictionnaire de théologie catholique, article Élection des papes, un exposé historique des diverses conditions dans lesquelles les papes ont été élus.
La constitution Vacante sede apostolica, de Pie X [7] , du 25 décembre 1904, prévoit trois modes d’élection : a) par inspiration, quand les cardinaux, sous le souffle de l’esprit [8], proclament unanimement le souverain pontife ; b) par compromis, quand les cardinaux conviennent d’abandonner l’élection à trois, ou cinq, ou sept d’entre eux ; c) par scrutin, quand les deux tiers des voix sont obtenus, sans que l’élu puisse jamais voter pour lui (nn. 55 à 57) [9] .
V. Validité et certitude de l’élection. — L’élection, fait remarquer Jean de Saint-Thomas, peut être invalide lorsqu’elle est faite par des personnes non qualifiées, ou lorsque, faite par des personnes qualifiées, elle pécherait par vice de forme ou porterait sur un sujet inapte, par exemple un dément ou un non baptisé.
Mais l’acceptation pacifique de l’Église universelle s’unissant actuellement à tel élu comme au chef auquel elle se soumet, est un acte où l’Église engage sa destinée. C’est donc un acte de soi infaillible, et il est immédiatement connaissable comme tel. (Conséquemment et médiatement, il apparaîtra que toutes les conditions prérequises à la validité de l’élection ont été réalisées.)
L’acceptation de l’Église s’opère soit négativement, lorsque l’élection n’est pas aussitôt combattue ; soit positivement, lorsque l’élection est d’abord acceptée par ceux qui sont présents et progressivement par les autres. Cf. Jean de Saint-Thomas, IIa-IIæ, q. 1 art. 7 ; disp. 2, a. 2, nn. 1, 15, 28, 34, 40 ; t. vii, pp. 228 sqq.
L’Église possède le droit d’élire le pape, et donc le droit de connaître avec certitude l’élu. Tant que persiste le doute sur l’élection et que le consentement tacite de l’Église universelle n’est pas venu remédier aux vices possibles de l’élection, il n’y a pas de pape, papa dubius, papa nullus. En effet, fait remarquer Jean de Saint-Thomas, tant que l’élection pacifique et certaine n’est pas manifeste, l’élection est censée durer encore. Et comme l’Église a un plein droit non point sur le pape certainement élu, mais sur l’élection elle-même, elle peut prendre toutes les mesures nécessaires pour la faire aboutir. L’Église peut donc juger du pape douteux. C’est ainsi, continue Jean de Saint-Thomas, que le concile de Constance a jugé des trois papes douteux d’alors, dont deux furent déposés et dont le troisième renonça au pontificat. Loc. cit., a. 3, nn. 10 & 11 ; t. VII, p. 254.
Pour parer à toutes les incertitudes pouvant affecter l’élection, la constitution Vacante sede apostolica conseille à l’élu de ne pas refuser une charge que le Seigneur l’aidera à porter (n° 86) ; et elle stipule qu’aussitôt après l’élection accomplie canoniquement, le cardinal doyen doit demander au nom de tout le sacré collège le consentement de l’élu (n° 87). « Ce consentement donné, – s’il en était besoin, dans un délai fixé par la prudence des cardinaux et à la majorité des voix – l’élu, sur-le-champ, est vrai pape, possède en acte et peut exercer la juridiction pleine et absolue sur tout l’univers » (n° 88).
VI. Sainteté de l’élection. — On ne veut pas dire par ces mots que l’élection du pape se fait toujours par une infaillible assistance, puisqu’il est des cas où l’élection est invalide, où elle demeure douteuse, où elle reste donc en suspens. On ne veut pas dire non plus que le meilleur sujet soit nécessairement choisi.
On veut dire que, si l’élection est faite validement (ce qui, en soi, est toujours un bienfait), même quand elle résulterait d’intrigues et d’interventions regrettables (mais alors ce qui est péché restera péché devant Dieu), on est certain que l’Esprit-Saint, qui, par-delà les papes, veille d’une manière spéciale sur son Église, utilisant non seulement le bien, mais encore le mal qu’ils peuvent faire, n’a pu vouloir, ou du moins permettre cette élection que pour des fins spirituelles, dont la bonté ou bien se manifestera parfois sans tarder dans le cours de l’histoire, ou bien sera gardée secrète jusqu’à la révélation du dernier jour. Mais ce sont là des mystères dans lesquels la foi seule peut pénétrer.
Signalons ce passage de la constitution Vacante sede apostolica, au n° 79 : « Il est manifeste que le crime de simonie, odieux à la fois selon le droit divin et humain, a été absolument condamné dans l’élection du pontife romain. Nous le réprouvons et le condamnons de nouveau, et nous frappons les coupables d’une peine d’excommunication encourue ipso facto. Toutefois, nous annulons la mesure par laquelle Jules II et ses successeurs ont invalidé les élections qui seraient simoniaques (ce dont Dieu nous préserve !), afin d’écarter tout prétexte de contester la validité de l’élection du pontife romain. »
Si l’on consulte un autre auteur classique, Bouix (Tractatus de Papa, Paris 1869, 3 vol. – tome ii, pp. 653-686), on y trouve des affirmations analogues. Lui comme Cajetan étudie ces questions non pas pour diminuer l’autorité du Pape, mais bien au contraire pour montrer que même dans des cas exceptionnels, le concile n’est pas supérieur au Pape. Sa perspective n’est donc en rien anarchiste !
Reconnaissance par l’Église
La reconnaissance d’un pape par l’Église, l’acceptation pacifique de l’Église universelle, est donc décisive pour le discernement de cette vérité qui importe beaucoup à la foi : X est-il vraiment pape ? Grâce à elle, une extrême confusion ou une succession douteuse ne sont pas des situations sans issue. Cette reconnaissance n’est cependant pas la panacée, et il faut préciser quel est son effet.
1. Il faut d’abord que le fait soit avéré, que cette reconnaissance soit réelle ; une reconnaissance purement extérieure ou mondaine ne saurait avoir cet effet.
Pour illustrer cela, revenons au cas de Jean-Paul II. Sa reconnaissance planétaire n’entraînait-elle pas automatiquement (à titre de cause – nous verrons en quel sens il faut l’entendre – ou à celui de signe) la réalité de son autorité pontificale ?
Il me semble clair que rares étaient les personnes qui reconnaissaient Jean-Paul II : les modernistes ne le reconnaissaient pas parce qu’ils ne savent pas ce qu’est un Pape ni ce qu’est la vie théologale ; les « tradis » de tout poil parce qu’ils ont de l’autorité une conception profondément gauchie ; les saint-pierre parce qu’ils adhéraient comme « couverture canonique » à leur Jean-Paul II soigneusement sélectionné, tout comme les conciliaires pieux (mais ce n’est pas la même sélection). Jean-Paul II ? c’était chacun le sien ! Chacun faisait abstraction de la « partie gênante » (à son point de vue) : c’était bien pratique (sauf pour demeurer catholique). Car, en vérité, qui donc reconnaissait en Jean-Paul II la règle vivante de la foi, la source de toute juridiction, le principe de l’unité catholique ? Bien peu de monde avait à l’égard de Jean-Paul II l’attitude théologale que les catholiques doivent avoir, et avaient en leur temps à l’égard de Pie XII ou de Benoît VII.
L’argument qui partait de la prémisse : Jean-Paul II ne peut pas ne pas être le vrai Pape, parce que l’Église le reconnaît comme tel était sans portée. Il ne l’était pas d’abord à cause du principe invoqué, mais à cause de l’évanescence du fait allégué.
Guy Rouvrais, dans la très intéressante histoire de son abjuration du luthéranisme (Du protestantisme au catholicisme dans la tourmente conciliaire, ed. Sainte-Madeleine) s’interroge en annexe sur le catholicisme du frère de Taizé Max Thurian ordonné prêtre (?) sans conversion, ni abjuration ni profession de foi catholique. Son seul catholicisme a consisté à dire : « Jean-Paul II m’a révélé une image forte du pape qui veille sur l’Église avec courage, confiance, autorité. Bla bla bla... » Le voilà avec une pseudo-adhésion à Jean-Paul II de la même eau (bien que pour des raisons diverses) que celle des « tradis » (qui au passage détruisait la sainte doctrine sur la primauté, l’infaillibilité et l’autorité du Souverain Pontife).
2. Une avérée reconnaissance pacifique par l’Église universelle peut, de l’élection, guérir les défauts d’ordre juridique ; elle opère la sanatio in radice [10] d’une élection qui pourrait demeurer entachée de tel vice.
Mais une telle reconnaissance ne peut rien pour guérir les défauts qui s’opposent par la nature des choses (et non par une simple carence juridique) à la possession de l’autorité de Jésus-Christ : mort, démission, folie, appartenance à la gent féminine ; tout particulièrement les défauts qui ressortissent à l’ordre théologal : hérésie, schisme, ou encore défaut d’intention habituelle de procurer le bien de l’Église (qui se manifeste par un ensemble d’actes incompatible [au regard de la foi] avec l’assistance habituelle du Saint-Esprit, ou par des actes ponctuels incompatibles avec l’infaillibilité).
Cela se déduit de l’enseignement de Paul IV dans sa bulle Cum ex Apostolatus du 15 février 1559. Les dispositions canoniques de cette bulle qui n’ont pas été reprises par Benoît XV dans le Droit Canon n’ont plus force de loi ; il semble bien difficile, dans l’état actuel des choses (absence de proclamation de la foi catholique par le Magistère) d’en faire une application concrète ; mais le substrat dogmatique demeure : Paul IV admet positivement la possibilité qu’un Pape soit universellement reconnu comme tel, et qu’il ne le soit pas en réalité.
Ainsi saint Alphonse de Liguori, dans le texte cité dans le n° 181 de Notre-Dame de la Sainte-Espérance, envisage une adhésion universelle qui n’est pas vraie : « Si pendant un certain temps il n’avait pas été accepté vraiment et universellement par l’Église, pendant ce temps alors le Siège pontifical aurait été vacant, comme il est vacant à la mort du Pape. »
Ainsi de même Mgr Lefebvre [11] déclarait le 6 octobre 1978, entre Jean-Paul Ier et Jean-Paul II : « Un Pape digne de ce nom et vrai successeur de Pierre ne peut pas déclarer qu’il se donnera à l’application du Concile et de ses Réformes. Il se met, par le fait même, en rupture avec tous ses prédécesseurs et avec le Concile de Trente en particulier » (Itinéraires n° 233 p. 130).
Une perspective théologale
Dans la situation où nous nous trouvons, c’est donc le point de vue de la foi qui est primordial et décisif. Si celui-ci est satisfait, si notre foi exercée peut reconnaître – avec certitude et stabilité – en celui qui se trouvera de fait sur le Siège apostolique le vicaire de Jésus-Christ, alors il ne faudra pas s’arrêter aux aspects juridiques qu’on pourrait lui opposer : ceux-ci sont secondaires et guérissables par la reconnaissance de l’Église universelle.
Mais qu’est-ce qui pourra satisfaire la vertu de foi ? Quelle crédibilité théologale devra apporter un élu pour qu’on puisse adhérer surnaturellement à son autorité ? Voici quelques éléments.
En Jean-Paul II, deux séries d’actes offensaient la foi au point de rendre impossible la reconnaissance de l’autorité en lui : des actes personnels (baiser le coran etc.) et des actes (ou maintien d’actes) ayant valeur permanente (enseignements de Vatican II, réforme liturgique, etc.). Si les premiers pourraient être oubliés sans être explicitement désavoués, il ne peut pas en être de même des seconds, dont l’Église doit être débarrassée – tout de suite, pour ceux qui sont directement incompatibles avec la foi (avec l’autorité pontificale) ; en sérieux commencement d’exécution pour tout le fatras qui amollit, détourne, édulcore la vie chrétienne. C’est bien là un minimum.
— Mais il y a un préjugé favorable à l’autorité ! Ne faut-il pas la reconnaître tout de suite, quitte à revenir en arrière par la suite ?
— Qu’il doive y avoir un préjugé favorable à l’autorité, que tout doute lui profite, c’est une chose bien vraie, sans laquelle l’exercice de n’importe quelle autorité serait impossible. Mais il s’agit de l’autorité déjà constituée, déjà en possession certaine de sa légitimité.
Nous sommes dans un cas tout différent. Nous sommes dans un cas où l’on doit présumer de la continuité, d’abord parce que c’est là chose naturelle en toute succession ; ensuite puisque une rupture avec l’antérieur récent – une rupture avec la rupture – est nécessaire : et pour la possession de l’autorité, et pour la guérison de l’élection. En attendant la certitude de cette rupture, nous serons dans le cas envisagé par les théologiens et canonistes, dont voici l’expression.
« Tertio neque erit schismaticus, qui negat pontifici subjectionem, quia probabiliter dubitat de ejus electione legitima vel de ejus potestate… » Celui qui refuse d’être soumis au Pontife [romain] ne sera pas schismatique, si c’est parce qu’il doute sérieusement de la légitimité de son élection ou de son pouvoir (Lugo [12], Disputationes de virtute fidei divinæ, disp. xxv, sect. iii, nn. 35-38).
Le très réputé traité de droit canonique Wernz-Vidal, après avoir rappelé que toute juridiction est nécessairement une relation entre le supérieur (ayant droit à l’obéissance) et le sujet (ayant le devoir d’obéir), et que la loi de l’obéissance, comme toute autre loi, n’oblige que si elle est certaine, en tire la conséquence qu’il ne peut y avoir d’obligation d’obéir à un pape dont l’élection serait, pour quelque cause sérieuse, douteuse : « si le fait de l’élection du successeur de saint Pierre est douteux, la promulgation [de la loi générale disant qu’il faut lui obéir] est douteuse – At si factum legitimæ electionis successoris S. Petri dubie est probatum, dubia est promulgatio. » Il ajoute : « Bien plus, il serait téméraire d’obéir à un tel homme qui n’a pas prouvé le titre de son droit. On ne peut pas invoquer le principe de possession, car il s’agit d’un Pontife romain qui n’est pas encore en possession pacifique. En conséquence, le droit de commander n’existe pas en cet homme, c’est-à-dire qu’il n’a pas la juridiction pontificale – Imo temerarium esset tali viro obedire, qui titulum sui juris non probavit. Neque ad principium possessionis provocari potest ; agitur enim de Romano Pontifice, qui nondum est in pacifica possessione. Consequenter in illo viro non existit jus præcipiendi, i.e. caret jurisdictione papali. » (Wernz-Vidal, ed. 1928, tome II, n° 454)
Très douce Vierge Marie,
en cette heure grave du pèlerinage terrestre de la sainte Église catholique, vos enfants se tournent vers vous avec confiance. Après avoir imploré le Saint-Esprit, ils vous demandent d’intercéder pour que soit rendue à l’Église bien-aimée sa splendeur : que tous trouvent en elle la vraie foi, la sainte loi de votre divin Fils, et les sacrements qui donnent la grâce de les accomplir.
Notre-Seigneur a promis l’immortalité à son Église : ce n’est pas pour elle que notre cœur est dans l’angoisse, mais pour nous-mêmes, pauvres pécheurs. Accordez-nous la grâce d’un juste discernement, d’une parfaite fidélité, d’une volonté sans faille de vivre de la foi, de l’espérance et de la charité, afin que sur terre nous puissions travailler pour l’honneur de Dieu, et qu’au ciel nous puissions vous contempler dans sa gloire. Ainsi soit-il.
Voici la dépêche ZF05041901 de l’agence Zenit :
Cité du Vatican, Mardi 19 avril 2005 – Le cardinal allemand Joseph Ratzinger, doyen du collège cardinalice, a été élu pape par le conclave et a pris le nom de Benoît XVI. […] Le nouveau pape a ensuite salué la foule depuis la loge des bénédictions et a prononcé les paroles suivantes :
« Chers frères et chères sœurs, après le grand Pape Jean Paul II, Messieurs les Cardinaux m'ont élu moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur. Le fait que le Seigneur sache travailler et agir également avec des instruments insuffisants me console et surtout, je me remets à vos prières, dans la joie du Christ ressuscité, confiant en Son aide constante. Nous allons de l'avant, le Seigneur nous aidera et Marie, Sa Très Sainte Mère, est de notre côté. Merci. »
Après de longs et chaleureux applaudissements, le nouveau pape a donné la bénédiction apostolique « Urbi et Orbi » (à la ville et au monde) et a pris congé des fidèles.
Le point de vue de la foi
Le point de vue de la foi est, en ce qui concerne les choses essentielles à l’Église (sa doctrine, son autorité, son unité…), le point de vue réel, c’est-à-dire le seul qui atteint la réalité, qui discerne ce qui est, en soi et aux yeux de Dieu – car c’est la nature de la foi de donner « les yeux de Dieu ».
Pourquoi cette exclusivité de la foi ? Parce que l’Église catholique, étant identiquement le Corps mystique de Jésus-Christ, est une réalité surnaturelle : elle ne peut donc être réellement et adéquatement connue, vraiment appréhendée, que dans la lumière de la foi.
La foi discerne ce qui est en réalité : Dieu ne trompe pas. Or, pour notre salut éternel, pour notre vie théologale, pour l’accomplissement de la volonté de Dieu, il est nécessaire d’appartenir à l’Église catholique, de trouver en elle la doctrine vraie et les sacrements de la grâce divine, d’être soumis à son autorité. Et donc Dieu rend tout cela toujours connaissable – connaissable dans la foi qui vient de lui.
C’est donc au point de vue de la foi qu’il faut nous attacher en priorité, et d’une certaine façon exclusivement, parce qu’il est le seul nécessaire, le seul porteur de toute la vérité, le seul salutaire.
Cela ne veut pas dire qu’il faut se boucher les yeux, ni qu’il faut prétendre se passer d’une juste connaissance naturelle, ni qu’il faut négliger le correct exercice de l’intelligence. Non ! Cela veut dire qu’il faut tout trier, purifier, unifier, ordonner dans la lumière la foi.
La foi n’est ni élan du cœur ni aigreur d’estomac, ni enthousiasme passager ni dépit d’amour-propre ; elle ne consiste pas plus en affût des bruits de couloir qu’en béate naïveté devant la grandeur mondaine. Elle est la lumière de Dieu dans l’intelligence humaine : lumière qui fait adhérer l’âme à la vérité révélée, à la réalité surnaturelle ; lumière qui fait appartenir à la sainte Église catholique ; lumière qui donne stabilité à l’intelligence ; lumière qui engendre l’espérance et la charité ; lumière qui ne peut demeurer dans l’âme sans que celle-ci fasse un constant effort de renoncement, de justice et de quête de la vérité.
— Au fait, au fait ! Pourquoi tant insister sur le point de vue de la foi ?
— Tout simplement parce que la qualité du regard qu’on porte sur quelque chose a une grande influence sur ce qu’on discerne (ou ne discerne pas). Ainsi, je peux voir dans le même prochain soit une gêne, un rival, un boulet à traîner ; soit un frère en Jésus-Christ et l’instrument de Dieu à mon égard.
Quand il s’agit de l’Église, de son autorité, de ce qui est au cœur de la vie chrétienne, la nature du regard importe au plus haut point. Il faut donc prendre le plus grand soin de le situer au bon niveau.
Alors donc, au regard de la foi ?…
Au regard de la foi, rien n’a changé :
1] dans toute succession, il y a présomption de continuité. Cela est vrai de toute société, et en particulier de l’Église catholique, où chaque Pape ne promulgue pas à nouveau tout ce qu’ont fait ses prédécesseurs, où tout ce qui n’est pas changé reste acquis. Dans le cas présent, il n’y a plus simplement présomption, il y a intention et déclaration de continuité : il suffit de noter que le premier discours de Benoît XVI fait onze fois référence à Jean-Paul II et cinq fois à Vatican II. Ce n’est donc pas simple rhétorique ni pure piété ou politesse, c’est l’affirmation d’une volonté ;
2] notre précédent refus de reconnaître en Jean-Paul II l’autorité de Jésus-Christ ne se fondait pas sur des motifs qui tenaient à sa personne, mais sur des impossibilités qui ressortissent à l’ordre de la foi. Or ces impossibilités demeurent, car aucune des contradictions entre : d’une part l’enseignement de Vatican II et les réformes qui ont suivi ; et d’autre part la foi catholique et la tradition sacramentelle, n’a cessé d’être. La rupture avec l’Église demeure, et la rupture avec la rupture n’est pas [encore] intervenue.
Ces contradictions sont particulièrement sensibles en deux points du discours inaugural, points dans lesquels Benoît XVI énonce une intention franchement catholique… grevée de son contraire :
· « Nous aussi, par conséquent, alors que Nous nous préparons au service qui est propre au successeur de Pierre, Nous voulons affirmer avec force Notre ferme volonté de poursuivre l’engagement de mise en œuvre du Concile Vatican II, dans le sillage de Nos prédécesseurs et en fidèle continuité avec la tradition bimillénaire de l’Église. »
Nos quoque propterea munus ingredientes quod est proprium Successoris Petri, firmam certamque voluntatem declarare volumus Concilii Vaticani Secundi continuandi exsecutionem, Praegredientibus Decessoribus Nostris, atque in fideli perpetuitate duorum milium annorum Ecclesiae traditionis.
Benoît XVI veut in recto poursuivre Vatican II, et in obliquo être fidèle à la Tradition de l’Église : or il se trouve qu’il y a, en plusieurs points graves sur lesquels je ne reviens pas ici, opposition de contradiction entre les deux. Un tel conflit, s’il n’est pas rapidement dissous, ne peut profiter qu’à l’erreur.
· « Nous demandons à tous d’intensifier dans les mois à venir l’amour et la dévotion à Jésus Eucharistie et d’exprimer de façon courageuse et claire la foi dans la présence réelle du Seigneur, en particulier par la solennité et la rectitude des célébrations. »
Ab omnibus propterea rogamus ut proximis mensibus amorem pietatemque erga Iesum in Eucharistia multiplicent ac fortiter et luculenter fidem suam declarent in realem Domini praesentiam, imprimis per sollemnitatem et rectitudinem celebrationum.
Réclamer la rectitude et la dignité des cérémonies pour l’amour de Jésus eucharistie est une demande saintement opportune… mais est-elle compatible avec le maintien d’une réforme liturgique qui détruit la rectitude des sacrements, qui fut instaurée pour désacraliser, qui est gangrenée de protestantisme, une réforme qui a publié des rites sur la validité desquels pèsent de sérieux doutes ?
Tant que ces contradictions ne sont pas résolues, la foi ne peut pas reconnaître en Benoît XVI le Vicaire de Jésus-Christ ; bien plus, elle empêche de le faire. Le témoignage de la foi oblige à clairement dire que Benoît XVI n’est pas Pape, à tout le moins qu’il n’est pas Pape formaliter, c’est-à-dire qu’il est dépourvu de l’être avec Jésus-Christ qui constitue l’autorité pontificale.
Et encore…
Josef Ratzinger est né le 16 avril 1927 ; il a été ordonné prêtre le 29 juin 1951, puis il passe sa carrière dans l’enseignement supérieur de philosophie et de théologie. À Vatican II, il est consulteur de l’archevêque de Cologne, le cardinal Frings, un des « cardinaux du Rhin ». C’est en 1977 que l’abbé Ratzinger est nommé par Paul VI archevêque de Munich (24 mars) puis créé cardinal (27 juin).
Il a donc été sacré selon le rituel réformé de Paul VI, qui, en juin 1968 et selon les indications de Vatican II, a publié un nouveau rite de l’ordre, bouleversant tout selon l’inspiration d’un rituel anglican, modifiant les formes – tout particulièrement celle de l’épiscopat.
Il y a donc une grave incertitude qui pèse sur la réalité de l’épiscopat de Benoît XVI. Il est prêtre sans le moindre doute, mais est-il évêque ? On voit les conséquences très graves de cette légitime question. Certes, cela n’a pas un rapport nécessaire avec la juridiction pontificale, c’est pourtant une question à résoudre au plus tôt.
— Mais… vous ne lui laissez même pas le temps de se retourner !
— On peut bien comprendre qu’il soit difficile voire impossible de changer de cap en quelques jours, et je ne suis pas en train de porter un jugement moral. Mais il faut bien qu’entre-temps la foi s’exerce ; je dois savoir sans attendre s’il me faut reconnaître en Benoît XVI la règle de la foi catholique, la source de toute juridiction ecclésiastique et le pivot de l’unité dans l’Église catholique ; et je ne peux exercer cette foi qu’en la fondant sur ce qui est, sur ce qui existe hic et nunc, et non pas sur des pronostics portés dans une perspective humaine.
Regard humain
Un regard naturel sur ce nouveau pontificat n’est pas sans valeur : mais il n’a pas de portée surnaturelle et ne peut se terminer qu’en conjecture. De plus, ce regard humain est nécessairement strabique.
D’une part il y a le lourd héritage de Vatican II / Jean-Paul II auquel le nouvel élu se rattache ; il a aussi – davantage ? – le lourd passé de Josef Ratzinger qui fut théologien « à la pointe du progrès », qui a par la suite apposé ex officio son nom au bas des documents parmi les plus contestables du pontificat précédent [13] .
Le Figaro du 20 avril 2005 reproduit un entretien accordé par le cardinal Ratzinger à Sophie Ravinel, dans le Figaro Magazine du 13 août 2004. On y lit des déclarations comme celles-ci (les soulignés sont de votre serviteur, tout comme celles des notes du point précédent) :
« Naturellement, le Pape est aussi préoccupé par le laïcisme idéologique qui se manifeste fortement aujourd'hui. Nous sommes pour la laïcité, bien entendu. Mais nous sommes opposés à un laïcisme idéologique qui risque d'enfermer l'Église dans un ghetto de subjectivité. Ce courant de pensée souhaite que la vie publique ne soit pas touchée par la réalité chrétienne et religieuse. Une telle séparation, que je qualifierais de « profanité » absolue, serait certainement un danger pour la physionomie spirituelle, morale et humaine de l'Europe. Nous espérons donc que la vitalité de l'Église en France soit suffisante pour aider toute l'Europe à répondre à cette provocation, à ce défi. J'ai l'impression qu'il y a de fortes initiatives visant à réévangéliser la France, à redonner à la foi une présence forte dans la vie publique. Il faut comprendre – dans un plein respect du pluralisme culturel, de la liberté religieuse et d'une saine laïcité – que la foi chrétienne a quelque chose à dire pour la morale commune et pour la composition de la société. La foi n'est pas une chose purement privée et subjective. Elle est une grande force spirituelle qui doit toucher et illuminer la vie publique. »
On a la tristesse de constater beaucoup plus d’empressement pour chercher à plaire aux juifs en gommant leur forfaiture fondamentale – refus de reconnaître en Jésus-Christ le Messie annoncé et d’adorer le Fils de Dieu incarné – que pour proclamer la royauté sociale du même Jésus-Christ.
D’autre part, il a choisi un nom sympathique – Benoît – (et n’est pas Jean-Paul III) ; il fait son discours en latin, renoue avec le pluriel de majesté, parle très respectueusement de la sainte Vierge Marie. La haine du monde, l’inquiétude affichée par les non catholiques quant à l’œcuménisme et la rage de tout le courant moderniste à l’annonce de l’élection du cardinal Ratzinger ont de quoi réjouir ; cela nous incite donc à demeurer attentifs à la suite des événements, sans nous celer que le strabisme évoqué ci-dessus souffre de prépondérance du mauvais côté.
— Concrètement : célébrez-vous la sainte Messe una cum Benedicto ?
— Non. Puisque rien n’a changé au regard de la foi théologale, je ne peux rien changer en cela, qui se rapporte très intimement à la foi catholique.
— Cela vous arracherait donc la bouche ?
— Je ne voudrais pour rien au monde référer le mystère de la foi à une fausse règle de foi ; ni souiller la prière la plus sainte (et dont la sainteté est garantie par un Canon du Concile de Trente [14] par un élément étranger ; ni faire allégeance à une non-autorité au cœur de la sainte Messe qui est l’actuation souveraine de notre appartenance à la sainte Église catholique.
Mais il faut que vous compreniez que ne pas pouvoir nommer au canon de la sainte Messe celui qui est assis sur le siège de saint Pierre arrache aussi la bouche d’un prêtre. Tout, selon mon éducation et mes convictions, me porte à cette mention et m’y contraindrait si la foi ne me l’interdisait pas impérieusement. J’ai été élevé dans le culte du souverain Pontife ; toute la foi et la théologie hurlent qu’il est la règle vivante et infaillible de la foi, qu’il a juridiction universelle et immédiate sur toute l’Église et sur chacun des catholiques, qu’il y va du salut éternel. Et voilà que depuis des décennies il y a une situation violente, inimaginable, et qui est peut-être repartie po