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23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 21:35

 

 

Un livre de guerre qui met l’âme en joie profonde



Couverture Quenette

 

Les éditions Dominique Martin Morin ont réédité le livre de Mademoiselle Luce Quenette L’éducation de la pureté. Il était épuisé depuis fort longtemps, et aucun ouvrage n’avait pu combler le vide ainsi laissé.

Sous une couverture qui n’est pas de mon goût (mais tout le monde se moque bien de mon goût !) et que l’image ci-dessus obscurcit encore, c’est un beau volume de 270 pages, à la typographie serrée mais aux proportions agréables. Le format est 150 x 225 mm, et le texte est imprimé sur un papier de belle venue. L’éditeur a ajouté quelques notes doctrinales ou documentaires bien identifiées, qui sont utiles au lecteur exigeant. Le prix public est de 22 €.

Luce Quenette

Je ne peux mieux faire que de recopier ici le principal de la préface de cette nouvelle édition.

« La réédition de ce livre est une bénédiction. Depuis que le maître-ouvrage de Mademoiselle Luce Quenette (1904-1977) n’était plus disponible en librairie, rien ne l’avait remplacé, aucun écrit n’avait traité de L’éducation de la pureté avec autant de sûreté, d’élévation et d’expérience : avec autant d’autorité.

« La rédaction des pages qu’on va lire – rédaction soufferte avec un souffle ténu de vie, arrachée feuille à feuille à un labeur quotidien écrasant – remonte à quarante ans (1971-1974), et pourtant il ne fait aucun doute qu’elles sont écrites pour aujourd’hui. Et pour demain. Le Bon Dieu ne change pas, le mal n’a pas reflué, l’épreuve de la foi et des familles perdure : demain davantage qu’hier ces pages laissent dans l’esprit une trace profonde tout à la fois rafraîchissante et brûlante – ce qui est un alliage rare, on en conviendra.

« L’âme du lecteur est rafraîchie et dilatée parce qu’elle est introduite dans un monde de grâce, de pureté et de sainteté qu’on n’imagine plus exister.

« Son cœur est brûlé, parce qu’il entre en commerce intime avec l’âme de feu d’un chef de guerre, au verbe affilé et enthousiasmant.

« Les illusions et les lâchetés que la fausse sagesse du monde instille sans cesse sont réduites en cendres, et il ne reste que la belle voie du feu sacré à laquelle l’auteur appelle les âmes magnanimes.

« “Nous formons des vainqueurs, non des immunisés” (chapitre 14) : voilà le programme qui donne à l’ouvrage son ordre et son essor.

« Cette victoire n’est pas l’effet des reculades qui flattent la chair, mais le fruit savoureux de la Croix de Jésus-Christ quand elle règne en souveraine sur les intelligences et les cœurs : In hoc signo vinces !

« “C’est un temps extrême. S’en tirer par l’arrangement, le médiocre et le tiède, c’est se perdre” (chapitre 7), nous avertit Luce Quenette, qui bâtit patiemment sa démonstration.

« De l’humble école de la Comtesse de Ségur où l’on apprend les vertus quotidiennes qu’il serait mortel de négliger, on est conduit à la sainteté des enfants en passant par la lumière des âmes d’élite… et puis vous suivrez vous-même cette éblouissante montée, éprouvant un dégoût croissant pour l’arrangement, le médiocre et le tiède, aspirant au royaume de clarté où règnent la sainteté de la Messe et la gloire de la virginité.

« Il faut ensuite redescendre « sur le terrain » où la droite doctrine illumine, convertit et affermit ; où l’autorité tient une place fondamentale, tant par la force qu’elle exerce que par la confiance qu’elle mérite.

« L’ardeur de la foi, l’étendue de l’expérience, la fermeté de la pensée, la méditation de la doctrine catholique et la délicatesse du cœur font que la lecture de ce livre est une véritable retraite spirituelle pour tous, spécialement pour les familles afin qu’elles demeurent un sanctuaire et forment de vrais chrétiens.

« Le Royaume des Cieux appartient à ceux qui combattent et qui persévèrent. On ne sauvera pas les âmes, on ne refera pas une chrétienté avec des semi-mondains, ni avec des mollassons, ni avec des caméléons. Il faut des chevaliers, des vierges et des martyrs. Et des saintes familles. Et l’intégrité de la foi. Et la pureté de la sainte Messe. Et la plénitude de la grâce. Et un amour filial pour la sainte Vierge Marie.

« Luce Quenette excelle à réunir tout cela en un bouquet resplendissant qui réconforte, qui aiguillonne l’âme puis l’élance vers la gloire réservée à ceux qui ressemblent aux petits enfants. »

Peut-être préférerez-vous la quatrième de couverture.

« La vie chrétienne consiste à connaître Dieu qui se révèle à nous, à ordonner toute notre activité vers cette fin surnaturelle, à aimer Dieu par-dessus tout. Elle réside donc principalement dans les vertus de foi, d’espérance et de charité.

« Mais ces vertus théologales ne peuvent pas s’enraciner dans l’âme ni même y demeurer si celle-ci ne fait pas régner la raison, ne domine pas la sensibilité et ne soumet pas la chair à l’esprit.

« C’est dire l’importance concrète de la vertu de pureté, qui se trouve ainsi être le terrain de toutes les autres vertus.

« En raison d’une profonde blessure qui est une séquelle du péché originel, cette pureté a besoin d’être éduquée, fortifiée, protégée : c’est de cet aspect crucial de l’éducation chrétienne que nous entretient Luce Quenette avec une fermeté et une délicatesse qui sont le fruit de sa méditation des grandes vérités de foi catholique et de son expérience. »

Vous connaissez maintenant l’intérêt et l’urgence de ce livre, qui doit trouver sa place dans votre bibliothèque, dans celle de votre belle-sœur et dans celle de vos grands enfants. Vous ne saviez qu’offrir à Noël… vous voilà déchargé d’un souci !

 

 

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3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 09:49

L’Avertissement du Cardinal Siri à propos du vêtement masculin porté par les femmes vient d’être (enfin) réédité, et c’est l’occasion de méditer sur la gravité de l’enjeu : si elle n’apparaît pas toujours au premier abord, elle nous est montrée par les conséquences et les développements qui ne cessent de s’aggraver sous nos yeux.

*

La folie des hommes est un mal qui empire chaque jour. L’apostasie des nations chrétiennes et la prévarication des autorités religieuses se sont attaquées à la foi catholique, puis ont insulté à la loi naturelle, lui déniant d’être une loi morale universelle et intangible. La perversité des hommes n’en est pas restée là, mais elle s’en vient à nier même les fondements corporels de la loi naturelle. C’est le comble de la révolte contre Dieu.

Cette folie est doublement criminelle : elle renverse l’ordre naturel en faisant de cette terre une jungle cruelle où règne la loi du plus fort (le plus menteur, le plus voleur, le plus vicieux) en attendant d’envoyer le bétail humain dans l’enfer des damnés.

La preuve en a mille fois été faite : qui ne veut pas de Dieu pour maître devient l’esclave des démons et des hommes ; qui ne veut pas de Jésus-Christ pour Vérité s’ensevelit sous le mensonge qui l’asphyxie ; qui ne veut pas de la doctrine catholique pour lumière se condamne à vivre dans les ténèbres savamment entretenues par les « docteurs en humanité » qui se rient de lui et lui volent son âme ; qui ne veut pas de la sainte Vierge Marie pour douce mère traîne une tristesse incoercible, fruit des passions désordonnées, et la traînera éternellement s’il ne se convertit pas d’urgence.

*

La fin de tout semble être atteinte dans la « théorie du gender ». Pour faire perdre le souvenir de la volonté de Dieu inscrite dans la nature des choses, pour détruire la famille et enchaîner les hommes dans les pires turpitudes, ce système en vient à nier l’évidence la plus palpable et la plus universelle : Dieu a séparé l’humanité en deux sexes corporellement différenciés dès leur origine sans l’intervention d’aucune volonté humaine, nécessairement complémentaires dans la propagation du genre humain, possédant des virtualités (mentales et sociales) différentes et hiérarchisantes qui sont une grande richesse naturelle de la nature humaine.

Cette théorie ridicule, absurde et dévastatrice prétend que la liberté humaine ne peut tolérer qu’on soit homme ou femme sans libre choix personnel, et qu’il faut donc se libérer de ce donné de la nature ; elle prétend que la distinction naturelle des sexes n’est qu’une convention sociale et une contrainte héritée de l’obscurantisme du passé ; elle proclame que chacun est libre de choisir son orientation (c’est-à-dire de s’adonner à tous les caprices, certains étant plus monstrueux encore que ceux que Dieu a châtiés dans la destruction totale de Sodome et de Gomorrhe), et que ce droit est intangible, social, chirurgical même, et que la loi doit le reconnaître en instituant non seulement l’égalité mais l’indifférence totale entre les deux sexes, incluant la possibilité de revendiquer celui de son choix, et d'en changer à volonté.

*

Il faut bien sûr vomir, rejeter, réprouver, condamner de telles absurdités destructrices : il y va de la gloire de Dieu, du salut éternel des âmes, du simple ordre naturel.

Mais il faut perdre l’illusion qu’on peut combattre les conséquences en conservant les causes ; il est déraisonnable de prétendre qu’on peut supprimer l’aboutissement en maintenant le principe.

Cette confusion des sexes, si néfaste, si funeste, aux conséquences exterminatrices de l’ordre instauré par Dieu, cette confusion a délibérément commencé par la confusion vestimentaire. Les ennemis de Dieu ont engagé leur affaire de loin, avec un sens tactique très affûté : les mentalités ont été conquises par le port féminin du pantalon, la société s’est aplatie, les marchands de révolte et de mensonges ont prospéré sans peine parce que petit à petit les consciences n’offraient plus de résistance. La confusion vestimentaire a inéluctablement entraîné, malgré qu’on en ait, le processus que nous désapprouvons aujourd’hui et qui emportera tout, ne laissant rien de l’ordre naturel (et a fortiori rien de l’ordre surnaturel).

*

Le Cardinal Siri ne pouvait connaître ni deviner toutes les conséquences qui se développent sous nos yeux et envahissent tout (la « théorie du gender » est devenue d’enseignement obligatoire en classe de première !). Mais le prélat a mis le doigt sur la cause, sur le point de départ, sur la porte d’entrée dans la mentalité des chrétiens et des chrétiennes : c’est pour cela que son opuscule est si précieux et mérite d’être mis entre les mains de toutes celles qui déplorent l’aboutissement et ne voient pas (pas encore…) qu’elles en sont responsables par leur manière de s’habiller. Il ne faut pas avoir peur de le leur dire, et le Cardinal le fait fort bien.

La réédition de son Avertissement arrive donc à point, afin que chacun soit informé de sa culpabilité, afin qu’il soit possible de sortir de l’aveuglement social et spirituel qu’est le pantalon féminin.


Couverture Siri 

Cardinal Joseph Siri

Avertissement à propos du vêtement masculin porté par les femmes

Deuxième édition revue et augmentée, 2012

41 pages, cahiers cousus brochés, dos carré.

ISBN 978-2-9517845-6-7

 

Association Saint-Jérôme

3, allée de la Sérénité

F – 33490   Saint-Maixant

www.saint-jerome.fr

 

Prix unitaire 5 €

1 exemplaire : 6,4 € franco

5 exemplaires : 25 € franco

10 exemplaires : 40 € franco

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2 octobre 2012 2 02 /10 /octobre /2012 21:35

vous trouverez sous ce lien l'enregistrement de la causerie que j'ai donnée à Bruxelles le jeudi 27 septembre 2012.

Dans un cadre très beau et agréable, nous n'étions pas nombreux : cela n'a pas empêché la soirée d'être animée.

Les salles du centre d'art de Rouge-Cloître

 

En prenant comme point de départ et comme axe d'analyse la carence généralisée de doctrine catholique parmi les catholiques qui font profession de conserver l'intégrité de la foi, j'ai essayé de rendre compte de  la nécessité de ladite doctrine pour la vie chrétienne. Cela a ensuite permis de caractériser et de comprendre (autant que faire se peut) la situation invraisemblable dans laquelle nous nous débattons.

Les questions, qui occupent la moitié du temps, ont permis d'aborder bien des points qui chaque jour nous crucifient, et qui pour cela contribuent à notre amour de l'Église et appellent une résurrection.

Que comme à Cana la sainte Vierge Marie intervienne pour hâter cette heure bénie : c'est notre supplication quotidienne.

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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 15:41

 

« J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé » (Ps. CXV,  1). Tout comme pour le Prophète David, bien qu’à un niveau vertigineusement inférieur, notre parole doit sans cesse être inspirée et poussée par la foi, pour que nous produisions un témoignage de la foi catholique professée dans son intégrité.

« Non enim possumus quæ vidimus et audivimus non loqui — car nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu » (Act. IV,  20). Il est des occurrences dans lesquelles il est impossible de se taire, dans lesquelles il serait lâcheté et déni de charité de ne point dénoncer l’erreur, surtout l’erreur qui peu à peu investit les âmes, sourdement.

Cet été 2012 a été un peu mouvementé, en ce sens que par suite d’un texte publié ici-même dans Quicumque à propos des élections, et par suite d’un autre texte publié dans Notre-Dame de la Sainte-Espérance à propos du sacrement de Confirmation, il y a eu un peu de remue-ménage.

Entre autres, d’aucuns ont publié des « réponses » abusivement intitulées ainsi, pour la bonne raison que je ne m’adressais pas à eux.

— Mais si ! puisque vos textes étaient publics !

— Je veux dire que j’ai coutume de m’adresser à ceux qui savent lire. Et pour savoir lire, il faut commencer par lire (ce qui n’a que peu à voir avec l’opération qui consiste à consulter un écran), il faut s’efforcer de comprendre ce qu’on lit (et non ce qu’on imagine), il faut avoir un minimum de bienveillance sans laquelle l’intelligence ne peut s’exercer.

Mais nous sommes à une époque et dans un monde où les mœurs intellectuelles sont incroyables d’avilissement, et où la vie de l’intelligence est inhibée par l’hypertrophie de l’imagination.

À la relecture de mon texte sur les élections, je ne trouve rien à y changer. J’ai même le sentiment (la prétention ?) d’y avoir dit des choses importantes qui ont échappé aux idéologues.

Pour ceux donc qui savent lire et qui prennent la peine de le faire avec attention et bienveillance, voici ce que j’ai publié à propos du sacrement de Confirmation.


Les Confirmations

Pour exposer les raisons qui légitiment de recevoir le sacrement de Confirmation d’un vieil évêque, j’ai rédigé une note. Alors qu’elle n’était que dans une forme provisoire, elle a été diffusée un peu contre mon gré ; vous en trouverez donc ci-dessous une version revue et corrigée.

L’essentiel de cette note tient en ceci : pour recevoir le sacrement de Confirmation, il est légitime de recourir à un évêque dont l’épiscopat est catholique (tant du point de vue du mandat apostolique et du point de vue de sa consécration épiscopale), dont l’usage de l’épiscopat est catholique (tant du point de vue des saintes Huiles que du rite de la Confirmation), et qui, en dépit des erreurs de Vatican  II auxquelles il a adhéré et auxquelles il adhère probablement encore, a la foi catholique et ne demande en rien qu’on partage ses erreurs.

Confirmations : brève mise au point

Est-il compatible avec la doctrine catholique, est-il nécessaire, est-il prudent d’entreprendre un long voyage pour recevoir le sacrement de Confirmation des mains d’un vieil évêque, en l’occurrence de Monseigneur YYY ?

Voilà une question qu’on peut légitimement se poser, et que légitimement on me pose. Je réponds en essayant de faire le point sur la question, en y portant un regard le plus vrai possible.

A.  Le sacrement de Confirmation

En tout temps, le sacrement de Confirmation est très utile – à la limite de l’indispensable – pour la sanctification et le salut éternel de chaque baptisé ; dans les temps d’épreuve, de combat, de guerre de la foi et d’hostilité du monde, cette utilité est plus grande encore.

De cela, tout le monde convient.

Mais que cela ne fasse pas oublier un aspect plus important : c’est que la confirmation est nécessaire à l’Église. Par nature, l’Église militante ne peut se passer de soldats ; elle a un besoin absolu d’une « armée de métier » pour les combats d’ici-bas, pour la conservation et la propagation de la foi, pour la persévérance de l’ordre sacramentel, pour la persévérance de l’esprit catholique — cette « alchimie » si délicate entre l’amour de la vérité, l’amour du prochain, la haine de l’erreur et du péché, etc.

C’est d’abord pour l’Église qu’on reçoit le sacrement : c’est pourquoi il faut veiller avec un soin jaloux à la catholicité du sacrement, de sa réception, du témoignage que cette réception comporte. C’est pourquoi aussi il faut être prêt à toutes sortes de sacrifices pour cela, et en particulier à passer par-dessus ses préférences personnelles, puisqu’il s’agit d’un acte (et ensuite d’un état) éminemment ecclésial.

En recevant le sacrement pour l’Église, on en est le bénéficiaire surabondant ; et cela pas seulement en grandissant dans la charité et en recevant la plénitude de la vie chrétienne, mais aussi en devenant plus complètement membre de l’Église, et en recevant une grâce supplémentaire d’agir en membre de l’Église, en membre du Corps mystique. La Confirmation est un sacrement qui détourne d’un chemin périlleux ; il fortifie contre une tentation qui se présente sous apparence de bien, la tentation de se désintéresser de l’Église, de ses combats, de ses membres et du lien de la charité qui les doit tous réunir. Pour qu’un certain isolement, qui peut être nécessaire comme rempart moral (et qui de fait l’est bien souvent) ne devienne pas un « isolationnisme » qui serait une désertion théologale, le sacrement de Confirmation ouvre l’esprit à la force du témoignage, et ouvre le cœur au souci du bien de l’Église prise dans toute sa réalité, dans toute son extension.

B. Mgr YYY

Un vieil évêque (il est né en 1920) résident en un pays lointain accepte de conférer le sacrement de Confirmation selon le rite traditionnel, avec des saintes Huiles consacrées par lui selon le rite traditionnel.

La seule chose que je vois, la seule chose qui m’importe, est que son épiscopat (car c’est à cela qu’on a recours) est catholique tant dans l’être que dans l’usage. Cela vaut qu’on s’y arrête un peu, en détaillant ce qui permet d’affirmer cela tranquillement et avec entière certitude.

–  Il n’a pas été nommé après la grande rupture de Vatican II. Mgr YYY est évêque en raison d’un mandat apostolique antérieur et authentique – ce qui fait qu’il est un membre de la hiérarchie catholique, un prince du Corps mystique, jouissant d’un véritable pouvoir spirituel sur celui-ci. En particulier, il a mission divine et ecclésiale de donner le sacrement de Confirmation et de former ainsi la milice de Jésus-Christ.

–  Il a été ordonné prêtre et sacré évêque selon le rite de l’Église catholique et conformément à la constitution de l’Église catholique : il y a donc une garantie divine, en vertu de l’indéfectibilité de l’Église, de la réalité de son pouvoir épiscopal.

–  Il a sans aucun doute la foi catholique, ne voulant rien professer qui soit contraire à ce qu’enseigne l’Église catholique (bien qu’il se trompe sur l’identité de la règle prochaine de la foi).

–  Il n’a accompli aucun acte personnel de rupture avec l’Église catholique : ni intentionnel, ni canonique, ni réel.

–  Il a été nommé évêque de ZZZ par l’autorité légitime, et aucune autorité légitime n’en a décidé ni accepté la démission : catholiquement, il l’est toujours. En cela, il est mieux loti que ne l’était Mgr Lefebvre, dont la démission du diocèse de Tulle était une effective, et qui n’a jamais plus possédé de diocèse.

–  Pour confirmer, il a accepté de consacrer les saintes Huiles selon le rite traditionnel, et ce avec une grande rigueur et une grande méticulosité ; il utilise le rite traditionnel de l’Église avec le même soin.

Certes, Mgr YYY a participé à Vatican  II ; il en a reçu les actes ; il a accepté les réformes, notamment liturgiques, qui s’en sont suivies ; il l’a appliqué dans les deux diocèses où il a résidé, et même, dit-on, avec une certaine force ; il n’a pas désavoué ce qui précède. C’est bien regrettable, c’est un mal déplorable et très grave. Cela affecte profondément sa personne, mais non son épiscopat.

Or c’est la catholicité de son épiscopat qui nous importe en premier, et même dans la nécessité, en exclusivité. D’autant plus qu’il célèbre à l’occasion la Messe selon le rite catholique, qu’il accepte de donner les sacrements sans rien ignorer des raisons de ceux qui recourent à lui et des convictions qui les animent. Il n’y a ni dissimulation ni tromperie : il y a la charité d’un vieil évêque, et peut-être est-ce pour lui la voie du salut éternel.

C. Voix et voie de la prudence

Il est pour moi indubitable qu’il est légitime de recevoir le sacrement de Confirmation des mains de Mgr YYY Et pour l’instant, c’est la seule voie ouverte. Et donc, si on le peut, il est hautement souhaitable d’y recourir.

Il ne s’agit en rien de prétendre qu’il y a une obligation : l’expédition est très onéreuse et fatigante, et un tantinet aléatoire. Mais il ne faut pas oublier la considération de l’Église, plus « demandante » encore que chacun d’entre nous.

Voilà les raisons qui militent pour cette œuvre d’Église, de sanctification et de pénitence.

D. Réponse à des objections ou suggestions

Les difficultés qui se présentent à l’esprit ne manquent pas. Voici quelques réflexions sur certaines d’entre elles, qui achèveront d’éclairer l’esprit.

*  Pourquoi en faire un mystère ?

Je n’en fais pas mystère, bien que je mette une certaine discrétion dans l’organisation (enfin, dans la modeste place que je prends dans l’organisation) d’un voyage au long cours. Cette organisation est déjà suffisamment difficile pour qu’on évite les interférences et les avis forcément divergents qui ne font que compliquer l’affaire. Je tiens aussi à « protéger » ceux qui font le grand sacrifice (car c’en est un) de se lancer dans l’aventure, des pressions irrationnelles qui perturbent et font hésiter pour des riens. Et aussi, je ne voudrais pas, en donnant un caractère totalement public à ces voyages, donner l’impression que je les tiens pour obligatoires, ni donner l’occasion d’une quelconque discrimination entre ceux qui y vont et ceux qui n’y vont pas.

**  Ne serait-il pas souhaitable de s’assurer de la catholicité de Mgr YYY en lui faisant prêter le serment antimoderniste ?

C’est là une suggestion un peu incongrue. Mgr YYY a dû le prêter (au moins) une dizaine de fois dans sa vie, devant le représentant officiel de l’Église (et pour l’épiscopat, devant le représentant direct du Pape).

Et devant qui devrait-il le prêter maintenant, lui qui est de plein droit membre de l’Église enseignante ? Devant quelqu’un qui est de l’Église enseignée, qui ne l’a jamais prêté lui-même, qui n’est peut-être pas capable d’en comprendre le sens profond ? Nous sommes tellement habitués aux évêques de pacotille (soit quand à la validité, soit quant à la catholicité de leur épiscopat) que nous oublions ce qu’est un évêque.

D’ailleurs, je ne vois pas quel point dudit serment mettrait Mgr YYY en difficulté. Si les doctrines conciliaires sont bien le triste fruit du modernisme, elles ne sont ni énoncées ni visées dans le serment antimoderniste. Ceux qui ont le malheur d’adhérer à Vatican  II et de demeurer dans le giron de l’Église conciliaire ne sont pas ipso facto modernistes au sens précis (et seul légitime) que lui a donné saint Pie  X dans Pascendi.

Et puis, il le faut répéter, ce n’est pas à la foi personnelle, ce n’est aux convictions erronées de Mgr YYY qu’on s’adresse pour recevoir le sacrement, mais à la foi de l’Église catholique « coulée » et exprimée dans le rite sacramentel, et à la mission reçue par Mgr YYY en vertu d’un mandat apostolique, lequel mandat n’ayant été ni supprimé ni affecté ni gauchi par Vatican II.

D’ailleurs votre serviteur a reçu le sacrement de Confirmation de Mgr Villot (alors évêque auxiliaire de Lyon) futur Cardinal et Secrétaire d’État, et fort avancé dans les perspectives conciliaires. Je ne crois pas en avoir été « modernistisé » pour autant : un sacrement transmet une grâce divine et un caractère d’Église, et non pas des erreurs ou des perversités personnelles.

Bien sûr qu’il y a des choses déplaisantes dans le fait d’avoir recours à un évêque qui a baigné cinquante ans dans les erreurs de Vatican  II et qui les a mises en œuvre : mais la foi fait porter le regard bien au-delà, et considérer les choses du point de vue de l’Église. Après la Révolution française et le Concordat, il a dû répugner à plus d’un défenseur de la foi de recevoir les sacrements d’un ancien jureur ou d’un ancien évêque intrus, ou d’un ancien évêque scandaleux dont on pouvait se demander s’ils étaient bien repentis. Mais ceux qui ont su passer outre, en s’élevant au point de vue de l’Église, ce sont eux qui ont eu raison et qui sont restés fidèles. La leçon de l’histoire n’est pas purement théorique…

***  Vous avez beau dire, Mgr YYY est de l’église conciliaire ; il n’est donc pas catholique.

La locution « église conciliaire » est commode, parce qu’elle désigne d’un coup l’origine, l’étendue et le contenu de tout un ensemble de doctrines, de pratiques et de déviations qui s’oppose de plein fouet à la religion catholique. Mais il ne faut pas que cette commodité donne le change : il n’existe pas une société religieuse qui un beau jour s’est constituée en entité indépendante et qui a pris le nom d’église conciliaire ; il n’y a pas une sorte de pseudo ou quasi corps mystique antagoniste de l’Église catholique : le corps mystique du diable peut-être ? Faire de l’église conciliaire une société religieuse pleinement constituée, ayant un être propre, un statut juridique, c’est faire œuvre d’imagination.

Qui donc est de l’église conciliaire n’a pas par le fait même rompu avec l’Église catholique ; il ne prétend même pas à une double appartenance : il se croit et se voit toujours dans les structures de l’Église catholique. Pour déclarer qu’il n’est plus catholique, il faudrait savoir dans quelle mesure il sait et veut professer une religion qui s’écarte de la religion catholique sur des doctrines ou des pratiques qui relèvent de la foi.

Rien ne permet d’affirmer catégoriquement que Mgr YYY a quitté l’Église catholique. Ni par apostasie, car il n’a jamais voulu abandonner le nom chrétien ; ni par schisme parce qu’il n’est jamais entré dans une secte identifiée ; ni par hérésie, parce qu’il n’a pas proclamé qu’il refuse de croire ce que Jésus-Christ nous enseigne par l’Église. Celui qui voudrait l’affirmer qu’il a abandonné l’Église d’une de ces trois manières devrait le démontrer.

Recourir à lui n’est donc pas adhérer à une supposée secte conciliaire.

Certes, cet évêque s’est englué dans les nouveautés de Vatican  II, cela est bien grave et désastreux, mais cela ne détruit pas la catholicité de son épiscopat ; cela n’en fait pas un évêque illégitime. Nous nous adressons à l’évêque, nous lui demandons les sacrements catholiques ; nous n’attendons pas de lui qu’il nous infuse les doctrines conciliaires (ce que d’ailleurs il ne fait ni ne cherche à faire).

Pour redire la même chose autrement, L’enseignement de Vatican II contient des erreurs qui mettent en cause la foi catholique, qui ne sont pas compatibles avec elle. C’est un fait objectif. Ce fait est incompatible avec la nature de Magistère suprême de l’Église que devrait posséder Vatican  II, avec donc le fait d’être présidé et sanctionné par un vrai Pape.

Mais ce fait permet-il d’affirmer que toute personne qui professe les erreurs de Vatican  II est personnellement privé de la foi catholique et hors de l’Église ? Certainement pas, ne serait-ce que parce qu’il n’y a précisément plus de magistère pour condamner maintenant ces erreurs et pour impérer maintenant un acte de foi qui les fasse rejeter.

En raison des erreurs de Vatican  II, je ne peux reconnaître Benoît XVI parce qu’il est impossible qu’un Pape les impose à l’Église en les garantissant de son autorité ; je ne peux accepter qu’on me demande de les professer, que ce soit en paroles ou en actes, parce que j’y perdrais la foi ; je ne peux laisser croire que je les tiens pour bénignes parce qu’elles s’attaquent aux fondements mêmes de la religion et du règne de Jésus-Christ.

Mais je n’ai aucune autorité ni aucun droit pour rompre la communion avec ceux qui ont le malheur de professer ces erreurs, en fussent-ils gravement coupables.

Si donc un véritable évêque me fait la charité d’user catholiquement de son épiscopat catholique, si donc je lui fais la charité de lui demander d’user catholiquement de son épiscopat catholique (car c’est une charité à lui faire pour le salut de son âme), je n’hésite pas parce que c’est là œuvre d’Église.

Je ne lui demande pas de m’enseigner, je ne lui demande pas de me patronner : là, il faudrait qu’il soit repenti des erreurs qu’il a acceptées, parce que l’intégrité de la foi et le témoignage de la foi l’exigent. Je lui demande de mettre en œuvre son épiscopat, lequel n’est pas atteint par ces erreurs ni altéré par Vatican II.

C’est du moins comme cela que je vois les choses, et il me semble que cette façon de voir est nécessaire en raison de la nature même de l’Église, et de l’obligation en laquelle nous sommes de nous comporter en membres de l’Église.

****  Il n’est pas normal d’avoir fait consacrer les saintes Huiles en dehors de la Messe du Jeudi-Saint, et de présenter des petits enfants au Sacrement alors que l’âge de raison est requis.

Ce que vous déclarez anormal est l’objet d’un indult général dont bénéficient les diocèses d’Amérique latine.

Voyez la lettre Trans Oceanum de Léon XIII du 18 avril 1897, privilège n. 3 : « Les évêques pourront procéder à la confection du Saint-Chrême et des Saintes-Huiles en présence des prêtres auxquels il est possible d’y assister, et même en dehors du Jeudi-Saint, en cas de nécessité urgente. »

Voyez encore le Catéchisme de Saint-Pie-X (celui de 1912, le vrai) dans l’édition espagnole. Question 310a. « Se administra muchas veces la Confirmación por legitima costumbre antes de que lleguen los niños al uso de la razón en España, América Latina y Filipinas — Souvent, en Espagne, en Amérique latine et aux Philippines, par une coutume légitime, on confère le sacrement de Confirmation aux enfants qui avant qu’ils n’atteignent l’âge de raison. »


Quelques réponses disparates

1.  — La distinction que vous faites entre les doctrines modernistes et celles de Vatican  II est cauteleuse.

Je vous remercie de la délicatesse de cauteleuse qui signifie, si je comprends bien le français, rusée, hypocrite, destinée à tromper. Mais vous n’y êtes pas du tout. Je m’insurge contre l’usage qu’on fait du mot moderniste. Saint Pie X lui a donné un sens très précis ; déformer ce sens et l’étendre indûment, l’employer à tout bout de champ, c’est rendre incompréhensible les textes du magistère, c’est travailler contre l’intelligence de la foi.

Les doctrines de Vatican  II sont le fruit du modernisme qui a noyé des erreurs graves, des erreurs qui détruisent la foi, au milieu d’un verbiage insensé : comme du poison dans une boulette de viande. Beaucoup de ceux qui ont adhéré à Vatican  II ont tout avalé, sentant bien que cela était rempli de nouveautés, d’équivoques, mais sans vouloir pour autant se séparer de l’Église, sans vouloir contredire la foi catholique. Le poison fait sans doute son effet, mais en attendant, je ne peux déclarer personnellement modernistes, c’est-à-dire hérétiques (ayant perdu la foi théologale) tous ceux qui ont adhéré à Vatican II.

Pour prendre un exemple, la contradiction formelle entre la liberté religieuse et l’enseignement antérieur de Pie IX n’a été bien mis en lumière (pour les francophones) qu’en 1977 par les études de Michel Martin dans le Courrier de Rome. Ceux qui ne voyaient pas clairement ou n’affirmaient pas fermement cette opposition étaient-ils pour autant modernistes ?

Il n’y a rien de cauteleux à dire que celui qui affirme une hérésie, même pendant longtemps, n’est pas ipso facto un hérétique : c’est une requête de la justice ! Car l’hérésie réside dans la pertinacité. Si vous voulez qualifier quelqu’un d’hérétique, il vous faut clairement manifester cette pertinacité.

Il vous faudrait encore montrer que les erreurs de Vatican II sont directement des hérésies… Ce sont choses dont on ne peut pas se dispenser si l’on veut argumenter de façon précise, si l’on veut infliger à un conciliaire une note d’hérétique, et à son prochain une note de cauteleux.


2.  — « J’ai été à […] dimanche dernier, tout le monde parlait de votre dernière lettre de liaison, qui a fait scandale. L’aviez-vous prévu ? »

Non, cher ami, je n’ai pas prévu de scandaliser quiconque – ni au sens propre (induire au péché) ni au sens impropre (choquer) pour la simple raison que je n’ai écrit que des choses parfaitement conformes à la foi catholique, à la doctrine commune de l’Église et à son esprit.

Je dirais même que je suis non pas étonné mais triste, qu’on soit ainsi plus prompt à se scandaliser qu’à s’instruire.

Si par exemple je dis un jour dans la chaire de vérité que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait pas la foi, je suis certain de « scandaliser » une partie de l’assemblée qui se demandera si je ne suis pas devenu hérétique. Bien sûr, mon devoir serait alors de compléter sans tarder mon propos en expliquant que Jésus-Christ, dès l’instant de l’Incarnation, avait dans son âme humaine la vision béatifique ; et que donc en son intelligence créée il ne croyait pas parce qu’il voyait face à face la sainte Trinité glorieuse (ce qui est infiniment plus grand que croire, et incompatible avec la foi qui concerne ce qu’on ne voit pas : fides est de non visis, dit saint Thomas d’Aquin). Du coup, on pourra voir que le « scandale » avait pour cause principale l’ignorance des auditeurs.

Dans mon dernier bulletin, j’ai expliqué pourquoi recourir à un évêque catholique antéconciliaire (et donc consacré avec un mandat apostolique qui seul peut lui donner cette qualité d’évêque catholique) pour en recevoir le sacrement de confirmation était non seulement licite mais un beau témoignage de foi dans l’Église.

Je crois que le « scandale » qu’on manifeste en l’occasion n’est dû qu’à l’ignorance, et je ne suis pas sûr qu’il soit bien honnête :

–  ceux qui se scandalisent ont probablement dans leur entourage (famille, amis) des gens qui ont suivi le mouvement conciliaire, et dont ils admettent pourtant qu’ils ont tout de même conservé la foi. Pourquoi, dès lors, refuser que ce soit possible pour d’autres ?

–  les mêmes, s’ils avaient un besoin urgent de se confesser – cela peut arriver à tout le monde – et que leur confesseur habituel soit absent (physiquement ou… psychologiquement) ils iraient trouver un vieux prêtre (même s’il a plus ou moins suivi le mouvement) pour en recevoir l’absolution. — Oui, mais je n’irais que s’il a été ordonné validement dans l’Église catholique, que s’il me donne l’absolution en latin selon la forme traditionnelle, que s’il n’exige pas de moi une quelconque adhésion à Vatican  II, que s’il est suffisamment de bonne doctrine pour ne pas excuser mon péché et me tromper ! — Eh bien ! C’est la même chose pour la Confirmation… — Ah non ! Je n’admets d’y aller que parce qu’il y a nécessité pour mon salut éternel ! — Comment pouvez-vous penser que votre nécessité personnelle (et qui n’est peut-être qu’une nécessité d’amour-propre) puisse être plus urgente que la nécessité pour l’Église d’avoir des confirmés ?

Ce qui est attristant, c’est que le sentiment, l’imagination voire l’indignation prennent souvent la place de la réflexion éclairée par la doctrine de l’Église. Ne nous faisons pas d’illusion, c’est un des fruits du modernisme qui a pénétré même chez ceux qui le combattent de tout leur cœur. Il serait d’ailleurs étonnant qu’avec une crise qui dure si longtemps il en fût autrement. Il faut crier vers le Ciel pour que cette crise cesse, et que la splendeur de l’Église illumine et réchauffe les aveuglés et les frigorifiés que nous sommes.

3.  — Mais enfin, rendez-vous compte, c’est un évêque de la secte moderniste ! Il ne fait plus partie de l’Église catholique !

Plutôt que de me répéter, je vais vous prendre au mot. Supposons donc que la « secte moderniste » ou « secte conciliaire » comme vous dites soit une « secte acatholique » au sens où l’entend le Code de droit canonique (canon  2314). Il faudrait déterminer avec précision quel est l’acte qui fait adhérer à cette secte (et pour autant quitter l’Église catholique), et aussi qui en fait partie ; il faudrait s’interroger sur l’existence des monitions qui ont été données pour que l’appartenance à cette secte prenne son plein effet canonique. Mais enfin, passons, ce genre de problème n’a pas l’air de vous turlupiner…

Dans votre perspective, l’acte le plus efficace et le plus solennel pour adhérer à cette « secte » est certainement la mention de son chef au canon de la sainte Messe. Dès lors, tous ceux qui ont, ne fût-ce qu’une seule fois, mentionné Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II ou Benoît XVI au canon ont rejoint ladite secte. Qui les a réintégrés dans l’Église catholique ? Quel Ordinaire a reçu leur abjuration ? Et qu’en est-il des fidèles qui ont assisté sciemment à de telles messes ? Pis, qu’en est-il de ceux qui ont assisté au nouvel ordo de Paul VI ?

Qu’en est-il aussi des prêtres qui ont été ordonnés au cours d’une messe una cum, même s’ils se sont abstenus de prononcer la formule (c’est mon cas) ? En entrant dans cette logique, on est conduit à affirmer qu’il n’y a plus de catholiques, ou qu’ils ne le sont qu’à titre purement intérieur. Il faut admettre aussi que ceux qui hurlent à la « secte conciliaire » en font irrémédiablement partie !

Cette conclusion absurde manifeste qu’il n’existe pas de « secte conciliaire » à parité avec une secte protestante ; qu’on ne peut traiter ceux qui ont « suivi le mouvement » comme ceux qui ont rejoint les Orientaux schismatiques (dits « orthodoxes » par mensonge éhonté).

Relisez ce que j’écrivais le mois dernier avec des yeux de doctrine et non d’imagination. Cela pourra éviter qu’on me notifie gentiment : « Sans que vous le vouliez, votre démarche s’inscrit dans l’esprit d’œcuménisme de Benoît XVI, qui veut aussi bien accepter les anglicans, les orthodoxes, les protestants, les musulmans, les juifs, et, bien sûr, les catholiques traditionnels qui acceptent de recourir et de reconnaître sa pseudo-autorité : c’est l’esprit d’Assise ! »

Ben voyons…

Je vous ai dit en commençant qu’on ne pouvait réagir de façon correcte qu’en se référant au Magistère de l’Église et à sa pratique constante. Il est donc temps d’y aller jeter un coup d’œil. Je me contente de citer une note rédigée par M. John Daly et qui tombe fort à propos (et dit les choses avec plus d’érudition que je ne l’aurais fait). Si par après vous voulez toujours contredire… Chiche ?

Communicatio in sacris ? Quelques notes…

La constitution Ad evitanda scandala (1418) du pape Martin V autorise explicitement la communicatio in sacris avec ceux qui n’ont pas été personnellement condamnés ou déclarés comme étant excommuniés. Cette autorisation s’applique en soi non seulement aux autres excommuniés mais aussi aux hérétiques et schismatiques non condamnés (Benoît XIV ; Tractatus de synodo diœcesana, lib. V, cap. 5 et Saint-Office, rescrit du 10 mai 1753, cité par Gasparri, Fontes, Vol. IV, p. 83.).

La constitution Ad evitanda scandala reste en vigueur, étant repris par le Canon 2261 du Code de 1917 dont il figure comme source. Ce canon autorise la communicatio in sacris avec tout excommunié non condamné, surtout dans l’absence d’autres ministres.

Tous les canonistes et moralistes sont unanimes pour affirmer que la prière privée entre un catholique et un non catholique est permise si la prière elle-même est catholique (Wernz-Vidal, etc.).

Le Saint-Office a déclaré en 1949 que la récitation en commun par un groupe mixte de catholiques et de non catholiques du Notre Père ou d’une prière approuvée par l’Église ne constitue pas un acte de communicatio in sacris interdit (Saint-Office, 20 décembre 1949, Instructio ad locorum Ordinarios, « De Motione Œcumenica », ad  v).

Il n’y a donc aucune loi divine qui interdit de façon absolue et en tout cas la communicatio in sacris avec tout hérétique ou schismatique même avant sa condamnation.

Toutefois la loi divine ou naturelle interdit bien la communicatio in sacris si le ministre n’est pas validement ordonné, si le rite employé n’est pas intégralement catholique, si les circonstances sont telles que la communion sacramentelle vaut affirmation d’hérésie, ou pour cause de scandale.

[Note : Un acte est dit « scandaleux » en théologie, non pas parce qu’il choque ou étonne ou s’attire le désaccord et la désapprobation, mais dans le cas où il provoque les autres à commettre un péché.]

Et dans le cas des prêtres appartenant au schisme oriental, l’Église a toujours jugé « presque impossible » que ces empêchements soient tous absents. Elle a donc toujours jugé illicite la communicatio in sacris entre catholiques et les membres des sectes schismatiques orientales (Saint-Office, rescrit du 10 mai 1753).

Le Code de 1917 déclare illicite la participation active « dans les rites des non-catholiques ». Aucun commentateur ne se trouve pour qui cette interdiction s’applique à un rite catholique employé par un ministre dûment ordonné dans l’Église catholique et qui serait tombé dans un acte d’hérésie ou de schisme personnel, sans s’attacher à une secte condamnée, et sans avoir été l’objet d’une sentence directe.

Le Canon 2316 désigne comme « suspect d’hérésie » celui qui communie in divinis avec des hérétiques « contre la stipulation du Canon 2158 ». Cette peine n’atteint pas un acte qui n’est pas opposé au Canon 2158 ; notamment le cas de prière privée, le cas des schismatiques non hérétiques, le cas des personnes n’étant ni condamnées elles-mêmes ni membres d’une secte directement condamnée.

Un évêque ayant accepté Vatican II est-il nécessairement hérétique ou schismatique ?

Les notes ci-dessus montrent qu’au pire un évêque qui a accepté Vatican II serait hérétique ou schismatique non condamné et donc que la communicatio in sacris avec lui (dans un acte de culte conforme à la foi catholique) tombe sous l’autorisation de la constitution Ad evitanda scandala, et du Canon 2261, et non sous l’interdiction du Canon 2158.

Mais ce « pire » est-il une certitude ?

Rappelons que :

1.  Au Concile de Rimini (année 359) des évêques orthodoxes mais faibles ont cédé à la pression des hérétiques et ont signé des hérésies. Pourtant les papes ayant à s’occuper de cette situation (saint Libère et saint Damase) ne les ont pas jugés ipso facto déchus de leur office mais seulement s’ils refusaient l’ordre formel de se rétracter après la condamnation de leurs erreurs.

2.  Le pape Pie VI a agi de même avec les évêques catholiques ayant signé la « Constitution civile du clergé de France » au temps de la Révolution. Il les a sommés à se rétracter, sous peine d’être excommuniés et déchus de leurs offices.

3.  La crise arienne du ive siècle a engendré tant de différents degrés de complicité avec l’hérésie que même les saints n’avaient pas parfaitement le même jugement entre eux pour savoir avec qui l’on pouvait être en communion ou non. Saint Hilaire s’est vu accusé d’un excès de tolérance à l’égard des égarés.

L’exemple du bienheureux Noël Pinot est éloquent. Il refuse de consentir à la Constitution Civile du Clergé, voyant son caractère hérétique et schismatique, mais tant qu’elle n’a pas été condamnée par Rome, il continue de partager son église et les offices avec son vicaire, qui l’a signée. « En tout cas, le pape ne s’étant pas prononcé encore au sujet de la Constitution Civile de Clergé, M. Garanger n’avait encouru, du fait de son “jurement”, aucune censure. Confiant que les instructions attendues de Rome lui dessilleraient les yeux, M. Pinot le laissera poursuivre comme auparavant ses activités dans la paroisse… » (Mgr Francis Trochu : Vie du Bienheureux Noël Pinot, p. 65) Nous attendons pour savoir pourquoi il est impossible d’appliquer de nos jours le même raisonnement au clergé trompé par Vatican  II mais qui semble sincèrement croire que ce concile et ses réformes sont compatibles avec la foi.

Car le fait est que Vatican II n’a pas encore été condamné par le Saint-Siège, et cela pour une raison qui semble échapper aux plus durs des sédévacantistes, savoir que le Saint-Siège est vacant !

4.  — Voici le texte presque complet d’une lettre reçue, et qui mérite une réponse un peu développée parce qu’elle soulève des points importants.

« En raison des erreurs de Vatican II, je ne peux reconnaître Benoît XVI parce qu’il est impossible qu’un Pape les impose à l’Église en les garantissant de son autorité ; je ne peux accepter qu’on me demande de les professer, que ce soit en paroles ou en actes, parce que j’y perdrais la foi ; je ne peux laisser croire que je les tiens pour bénignes parce qu’elles s’attaquent aux fondements mêmes de la religion et du règne de Jésus-Christ.

« Mais je n’ai aucune autorité ni aucun droit pour rompre la communion avec ceux qui ont le malheur de professer ces erreurs, en fussent-ils gravement coupables. » (M. l’Abbé Belmont)

Il me semble déceler dans votre texte sur la confirmation une contradiction, cher Monsieur l’Abbé ; en effet, comment, nous, fidèles lambda, perdrions-nous la foi en professant les erreurs de Vatican  II, tandis qu’un évêque, lui, ne perdrait pas la foi alors qu’il les professe depuis 50 ans ? Même si plus personne n’est là pour le condamner, pas davantage que pour condamner les fidèles lambda que nous sommes, selon votre énoncé, il a lui aussi perdu la foi. Or il faut qu’il fasse ce que veut l’Église… Le peut-il ? S’il a lui-même perdu la vraie foi, comment son sacrement de confirmation pourrait-il être valide et plus encore légitime ? Peut-être que oui, mais peut-être que non…

Du reste, lorsque Mgr YYY aura disparu, l’Église disparaîtra-t-elle aussi ? Car même si la véritable Église survit sous le voile de l’Église conciliaire, ce que je crois, encore lui faut-il un corps enseignant qui enseigne la vraie foi… Peut-être que le Bon Dieu remettra bon ordre à ce désordre dans lequel l’Église conciliaire tend à se fondre dans une seule religion mondialiste, mais comment pourrions-nous parier sur l’avenir ?

Je lis beaucoup vos positions et celles de vos confrères sédévacantistes, de même que celles de la fsspx et pour le moment aucune ne me convainc pleinement.

Si j’ose un bien humble avis, ne faudrait-il pas voir, tout simplement, dans nos épreuves au sein de celles de l’Église, le “Mystère d’iniquité”, celui qui par définition nous dépasse. Et dans ce cas, l’Église (la Vraie naturellement) ne supplée-t-elle pas aux exigences de la Loi, lorsque la Foi est intacte ?

Réponse

Vous avez porté quelque intérêt aux lignes que j’ai écrites à propos des Confirmations, et je vous en remercie ; dans ces lignes, vous décelez une contradiction, et c’est de cela que je vous veux entretenir, parce que nous touchons là à un problème-clef de la compréhension de la crise de l’Église.

1.  Impact du modernisme et situation de la foi

Le modernisme est l’« égout collecteur de toutes les hérésies » comme l’a dit saint Pie X ; cette parole est bien vraie, mais il ne suffit pas de la répéter souvent pour en comprendre la portée.

Ce qu’il importe de voir, c’est le point d’impact précis du modernisme. S’il a un caractère d’universalité, ce n’est pas parce qu’il passe en revue toutes les vérités de fois pour les nier l’une après l’autre. Ce serait trop simple ! Il est universel parce qu’il s’attaque à la vertu de foi dans sa racine : non pas sa racine divine – cela est totalement hors de sa portée – mais sa racine dans l’intelligence humaine. Il vide les formules de la foi de leur contenu intelligible (pour le transférer vers l’opinion, l’imagination, le sentiment, l’évolution) et s’attaque ainsi directement à l’intelligence de la foi. Il tente de rendre la foi vaine et vide en lui soustrayant son sujet : l’intelligence humaine. Celle-ci, ne pouvant plus s’exercer selon sa rectitude naturelle, devient incapable de produire un acte de foi chez celui qui en possède la lumière par l’effet de son Baptême.

Saint Pie X a très vigoureusement condamné le modernisme, s’attachant à en réunir tous les fils apparemment disparates, bâtissant patiemment le puzzle qui permet de le voir dans sa totalité et son unité factice. C’est une œuvre admirable. Mais cette condamnation n’a pas vaincu le modernisme. C’est saint Pie  X lui-même qui dit que les modernistes se sont constitués en société secrète (motu proprio Sacrorum Antistitum du 1er septembre 1910, promulguant un ensemble de mesures pour enrayer la progression des modernistes qui se sont constitués en société secrète, et instituant le serment anti-moderniste).

Cette société secrète a été très active. Semblant délaisser le domaine dogmatique, elle a investi les domaines « périphériques » comme l’étude de l’Écriture sainte, l’histoire, la doctrine sociale et l’Action catholique. Puis elle est revenue triomphante après la guerre. L’encyclique Humani generis (1950) a un instant ralenti sa marche et la suite… nous la connaissons.

C’est pour deux raisons que je rappelle cette histoire à grands traits.

La première est que Vatican II, éclatement du modernisme au grand jour, s’est abstenu de nier trop directement les dogmes de la foi : c’est le plus souvent de façon larvée, par petites touches, par dérobades, que les vérités sont gauchies, travesties, rendues inopérantes — sauf pour faire un paravent trompeur.

La seconde raison correspond à cette première, non plus dans les textes écrits, mais dans l’intelligence de ceux qui ont fait ou reçu Vatican II : l’intelligence peut être chez eux si affaiblie qu’ils ne voient plus les contradictions, les contrariétés et les incompatibilités avec une acuité qui sollicite la foi et fait réagir.

Pour en revenir donc à la contradiction que vous décelez dans mon texte, elle se résout ainsi.

Les textes de Vatican II sont, pour un certain nombre d’entre eux, objectivement et profondément incompatibles avec la foi catholique ; et il en est de même pour la religion-mentalité-doctrine générale qui se dégage de l’ensemble. Voilà le fait objectif, gravissime, corrosif, et de toute évidence incompatible avec la nature de Concile œcuménique de l’Église catholique, incompatible avec la présence d’un Pape qui étendrait son autorité au Concile.

De cela, avec la grâce de Dieu, j’ai la certitude complète, j’ai l’évidence et une évidence raisonnée. Si donc moi (oui moi, l’Abbé Belmont) j’adhère à Vatican II, par le fait même je nie les points de foi catholique que je sais incompatibles avec Vatican II. Si j’adhère à Vatican II, je perds la foi théologale (Dieu m’en garde, priez pour moi).

Si mon voisin (ou un vieil évêque…) adhère à Vatican  II, c’est peut-être parce qu’il nie les vérités de foi avec lesquels Vatican II est incompatible – alors, il est hérétique. Mais c’est peut-être aussi parce qu’il ne voit pas l’incompatibilité, parce qu’il n’en a pas l’évidence et parce qu’aucun acte du Magistère de l’Église n’est actuellement « agissant » pour le contraindre à reconnaître l’incompatibilité. Dans ce cas-là, il n’est pas hérétique.

Il se peut même que l’aveuglement de mon voisin (ou d’un vieil évêque…) soit la conséquence d’une faute grave (paresse intellectuelle, indifférence pratique, négligence) : cela n’en fait pas encore un hérétique. C’est la négation pertinace d’une vérité de foi qui fait l’hérétique, non un péché d’une autre nature, si grave qu’on le suppose.

Le fait de savoir que je serais hérétique si j’adhérais à Vatican II ne m’autorise pas à estimer que toute personne qui adhère à Vatican II est hérétique. Car si le Magistère s’impose à tous, mon évidence ne s’impose qu’à moi.

Je peux donc affirmer simultanément sans contradiction et qu’il m’est impossible sous peine de perdre la foi d’adhérer à Vatican  II, et qu’il est possible que Mgr YYY qui adhère à Vatican II ait conservé la foi. En l’occurrence, je suis persuadé qu’il l’a effectivement conservée.

2.  L’ordre sacramentel

Sur votre lancée, vous écrivez : « Il faut qu’il [l’évêque] fasse ce que veut l’Église… Le peut-il ? S’il a lui-même perdu la vraie foi, comment son sacrement de confirmation pourrait-il être valide et plus encore légitime ? Peut-être que oui, mais peut-être que non… »

Permettez-moi de corriger avec vigueur à ce que vous dites.

Il y a certes un rapport très intime entre la foi et les sacrements, entre la profession de la foi catholique et l’efficacité des sacrements. Les sacrements sont « les sacrements de la foi », et on ne dira jamais assez combien séparer la foi et les sacrements, c’est faire ce qui serait apte à détruire l’Église si elle n’était pas indestructible.

Mais ici saint Thomas d’Aquin et Luther se séparent diamétralement. Non pas simplement parce que Luther corrompt la nature et le contenu de la foi, mais parce que là où Luther prétend que c’est la foi du ministre qui rend le sacrement efficace, saint Thomas d’Aquin dit que c’est la foi de l’Église. Et c’est tout autre chose !

Ce n’est pas la foi du ministre (foi possédée ou foi manifestée) qui influe sur la validité d’un rite sacramentel ; c’est la foi de l’Église, qui, immanente au rite, rend celui-ci instrument de Jésus-Christ et en procure donc l’efficacité (la validité). Un sacrement est la foi de l’Église en acte ; à travers le rite catholique, elle spécifie l’intention du ministre qui doit « vouloir faire ce que fait l’Église ». Lisez saint Thomas d’Aquin : « L’efficacité – ou vertu – des sacrements, provient de trois choses : de l’institution divine qui est son principal agent ; de la passion du Christ qui est sa première cause méritoire ; de la foi de l’Église qui met l’instrument en continuité avec l’agent principal » (IV  Sent. d. I q. I a. 4 sol. 3).

Même si le ministre n’a pas la foi (parce qu’il est formellement hérétique), mais qu’il utilise le rite catholique qui contient et exprime la foi de l’Église, le sacrement qu’il donne est parfaitement valide. L’intention du ministre est spécifiée par « faire ce que veut faire l’Église » parce qu’effectivement il le fait, et il le fait sérieusement. Ce que fait l’Église, c’est le rite sacramentel catholique, c’est la mise en œuvre sa foi qui est « coulée » dans le rite catholique.

Recourir au rite de l’Église est un acte de foi, spécifié par la foi de l’Église catholique. Vous demandez que l’évêque professe la foi ?… mais il le fait en acte, en efficacité de grâce. Cette Confirmation est une grande grâce pour soi, un bien irremplaçable pour l’Église, et une grande charité pour l’évêque. Faire 15 000 km pour aller recevoir catholiquement le sacrement de Confirmation est un témoignage de foi, autrement réel que de s’efforcer de paraître un dur de chez dur !

Ce recours ne résout pas le problème dans son ensemble : la solution n’appartient qu’à Dieu, c’est lui qui promet l’indéfectibilité de son Église, c’est-à-dire son identité et son apostolicité jusqu’au retour de Jésus-Christ. Mais il fait persévérer dans l’Église, dans sa doctrine, dans son esprit et dans sa charité : c’est tout ce qui importe.


La grande absente

Dans les soubresauts qui ont secoué le petit monde tradi (accord ? ou pas accord ?), dans les controverses qui ont suivi l’exposé des motifs qui m’ont fait encourager d’aller recevoir le sacrement de Confirmation auprès d’un évêque anté-conciliaire, je suis surpris et peiné de constater chaque fois l’absence de toute référence à la doctrine catholique telle qu’elle est enseignée par le Magistère de l’Église (le sentiment, l’imagination ou de vagues réminiscences la remplaçant), ce qui fait qu’on est généralement plus sensible à la sonorité des mots qu’à la nature des choses. Et si quelqu’un apporte quelque référence au Magistère, quelque exemple de la pratique de l’Église et des saints, cela paraît presque incongru et n’a guère d’efficacité : ce n’est qu’une voix qui crie dans le désert, tant l’attache au sentiment propre est forte et irrationnelle.

Mes deux derniers numéros de Notre-Dame de la Sainte-Espérance qui ont déclenché des réactions plus ou moins vives se peuvent très simplement résumer. Un évêque qui a reçu mission de l’Église pour (entre autres) confirmer et qui ne l’a pas perdue (on ne peut établir cette perte ni théologiquement ni canoniquement) possède encore cette mission. Dès lors, il est licite d’y recourir du moment qu’il l’exerce de manière catholique (saintes Huiles, rite traditionnel, absence de prédication qui vienne contredire la confession de la foi catholique que constitue un acte sacramentel – et spécialement la Confirmation). En tout état de cause, c’est infiniment préférable au recours à un évêque consacré sans mandat apostolique, qui n’a donc jamais reçu mission de l’Église pour confirmer, et infiniment plus sûr : car il y a la garantie de l’Église catholique sur la réalité du pouvoir sacramentel de l’évêque sacré avec un mandat apostolique.

Si l’on m’objecte que ledit évêque a perdu sa mission parce qu’il adhère à une secte acatholique, je réponds quatre choses :

–  il faudrait d’abord établir que l’« église conciliaire » est une secte acatholique au sens strict, au sens où l’entend le droit de l’Église catholique ;

–  il faudrait établir que l’adhésion à une secte acatholique au sens strict fait perdre la mission reçue de l’Église catholique, et ne pas se contenter d’en préjuger ;

–  il faudrait qu’on m’explique comment ceux qui ont appartenu à la supposée secte par un acte public d’adhésion (notamment en nommant son chef au canon de la Messe) ont pu être relevés de leurs censures personnelles (c’est une chose) et réintégrés dans l’exercice de leur sacerdoce (c’est tout autre chose : car si l’Église accepte de compter parmi son clergé ceux qui sont nés dans le schisme ou l’hérésie et puis se sont convertis, elle n’accepte jamais de réintégrer dans leur office les clercs qui l’ont quittée, ou qui ont attenté mariage, ou qui ont gravement et publiquement bravé sa puissance) ;

–  il faudrait enfin qu’on m’explique comment célébrer la sainte Messe dans une église occupée par les conciliaires (à l’occasion d’un mariage, d’un pèlerinage etc.) n’est pas la célébration dans un lieu de culte acatholique, gravement prohibée (canon 823 § 1 : Non licet Missam celebrare in templo hæreticorum vel schismaticorum, etsi olim rite consecrato aut benedicto — Il n’est pas permis de célébrer la Messe dans un édifice du culte appartenant à des hérétiques ou à des schismatiques, même s’il a été autrefois consacré ou bénit).

Je peux comprendre le sentiment de réserve voire de répugnance qu’on éprouve dans ce recours ; mais en attendant qu’on réponde à ces objections, je tiens qu’il ne s’agit là que de sentiment : ce qui ne peut tenir lieu de raison, et encore moins d’un jugement de l’Église qui seul pourrait permettre d’envisager de tenir son prochain pour un traître, un pécheur public, un rallié et autres gentillesses.

Malheureusement, l’anarchie dans laquelle nous vivons depuis cinquante ans nous a tous plus ou moins marqués, et nous avons la fâcheuse tendance à substituer notre jugement à celui de l’Église (qu’il est fatigant d’aller chercher, d’étudier, de pénétrer pour comprendre la nature des choses, n’est-ce pas). Or, s’il n’est pas explicitement énoncé et appliqué par l’Église, mon jugement, si droit et parfait que je le suppose, n’est règle morale que pour moi-même ; mon prochain n’est pas lié par lui, et je ne peux m’en prévaloir pour le considérer comme hors de l’Église catholique.

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10 mai 2012 4 10 /05 /mai /2012 18:33

Les grands oubliés des élections : justice générale, bien commun, prudence

 

Pendant les périodes électorales, la fièvre s’empare d’un peu tout le monde ; c’est bien humain, et il n’y aurait pas grand’chose à redire à cela, si des productions fébriles [1] n’étaient pas hâtivement qualifiées de « doctrine catholique » voire de « la seule doctrine catholique ».

La fièvre étant provisoirement retombée, il convient d’examiner tout cela avec un peu de recul. Ce travail de discernement est même nécessaire : car pour qu’un enseignement puisse être qualifié de catholique, le minimum est qu’il se réfère sérieusement à la doctrine catholique, laquelle est contenue dans l’Évangile et dans le Magistère de l’Église. Ces deux références ne peuvent être suppléées par de vagues souvenirs voire par l’imagination de ceux qui parlent avec aplomb, lancent des défis et des anathèmes pour masquer (intentionnellement ou non, ce n’est pas la question) une carence de docilité et d’étude [2].

Car, nous l’allons voir, dans ces débats et controverses, dans ces jugements péremptoires, il y a toujours trois absents (liés l’un à l’autre) : la justice légale, le bien commun, la vertu de prudence. Avant d’examiner cela, commençons par éliminer un faux problème.

 

1. Est-il bon que les gouvernants soient élus par les gouvernés ?

Puisque vous et moi ne sommes pas chargés d’organiser la vie publique de notre pays, puisque nous ne sommes pas en situation de le faire efficacement, cette question est pour nous théorique – ce qui ne veut pas dire sans intérêt ni sans grande importance pratique ! Voilà pourquoi je l’ai traitée de faux problème : ce n’est pas un faux problème en soi, c’est un faux problème d’en faire pour nous la question principale.

Il n’y a donc pas à traiter longuement la question, ce qui nécessiterait d’ailleurs de distinguer les suffrages directs et indirects, le suffrage censitaire et le vote familial. Ce qui nécessiterait encore de prendre en compte la taille et les traditions des peuples, et le poids de l’histoire.

Deux points sont à souligner.

Tout d’abord, le suffrage universel n’est pas nécessairement l’application d’une fausse conception de la souveraineté. Cette fausse conception consiste à affirmer que la souveraineté réside dans le peuple qui par les élections la délègue à l’un de ses représentants. C’est une erreur fondamentale : tout pouvoir vient de Dieu, y compris le pouvoir politique.

Le suffrage universel n’est pas de soi lié à cette fausse conception, mais il en est bien souvent issu – la plupart du temps peut-être, lorsqu’il est la suite d’une rupture révolutionnaire.

Le second point à souligner est que le suffrage universel est un jeu doublement dangereux. Il donne l’illusion qu’on a « accompli son devoir » en jetant dans l’urne un bulletin pour le bon candidat et qu’on a ainsi suffisamment contribué au bien commun. Il est ensuite l’occasion de maux sociaux presque inévitable : guerre civile larvée, démagogie effrénée, esprit de revanche, manipulation de l’opinion publique etc.

C’est ce qui lui vaut le sévère jugement que Pie  IX a exprimé dans un discours à des pèlerins français le 5 mai 1874 :

« Je bénis tous ceux qui coopèrent à la résurrection de la France. Je les bénis dans le but (laissez-moi vous le dire) de les voir s’occuper d’une œuvre bien difficile mais bien nécessaire, celle qui consiste à faire disparaître ou à diminuer une plaie horrible qui afflige la société contemporaine, et qu’on appelle le suffrage universel. Remettre la décision des questions les plus graves aux foules, nécessairement inintelligentes et passionnées, n’est-ce pas se livrer au hasard et courir volontairement à l’abîme ? Oui, le suffrage universel mériterait plutôt le nom de folie universelle ; et quand les sociétés secrètes s’en emparent, comme il arrive trop souvent, celui de mensonge universel. »

Quel que soit le jugement de valeur qu’on porte sur la pratique du suffrage universel, il y a deux choses indéniables :

–  premièrement, que son usage n’est pas intrinsèquement pervers. Les textes de Pie  XII cités dans l’annexe i ne laissent aucun doute là dessus (ils en disent même bien davantage) ;

–  deuxièmement, que le fait qu’il existe et qu’il nous soit ouvert est un élément objectif, une circonstance que la vertu de prudence ne peut pas ignorer [3].

 

2. La véritable obligation

Ce n’est pas en termes de droit ou de devoir de voter que le problème politique et moral se pose à la conscience du catholique, et même de l’honnête homme ; ce serait passer totalement à côté de la question. Épiloguer à longueur d’année pour savoir si l’on a l’obligation morale de voter, ou si l’on a l’obligation morale de s’abstenir, ou les deux à la fois (!), c’est tourner en rond sans fin, c’est dogmatiser sur du néant.

Car la véritable obligation est d’un autre ordre, et autrement grave ; elle consiste en ceci : travailler à procurer le bien commun de la Cité, de la société politique dans laquelle nous vivons, parce que ce bien commun est notre perfection. Cette obligation n’est pas surajoutée par une quelconque autorité humaine ou une exigence personnelle : elle est inscrite dans la nature humaine, qui est une nature sociale ; elle est l’expression de ce fait que le bien commun est un bien humain, moral ; et qu’il est le plus grand bien que nous ayons à poursuivre ici-bas. Sa poursuite est donc une exigence de notre nature – et donc de Dieu (et c’est même pour cela que tout pouvoir vient de Dieu) [4].

Ce bien commun, objet de la vertu de justice générale (ou légale), doit être procuré par chacun des membres de la société à la place où il se trouve : normalement par la soumission aux lois, par l’obéissance aux injonctions de l’autorité, par l’accomplissement de son devoir d’état, par l’exploitation des moyens qui se trouvent à sa disposition – en raison de nos compétences et des circonstances – pour la contribution au bien général.

C’est la vertu de prudence qui dirige l’homme dans cette poursuite : il doit le faire par des actes humains, autrement dit par des actes vertueux, par des actes prudents. Et la prudence qui nous dirige en vue du bien commun est la prudence politique (que saint Thomas d’Aquin appelle prudence royale quand il s’agit du chef qui doit déterminer les moyens et unir les volontés en vue de ce bien commun auquel il est lui aussi subordonné).

Curieusement, quand il s’agit d’élections, même chez ceux qui désirent en donner la doctrine, on n’entend parler ni de justice générale, ni de bien commun, ni de prudence. Comme si ce domaine était étranger à la vertu… ce pourrait être la définition de l’idéologie.

La réponse à la question : faut-il voter ? faut-il s’abstenir ? pour qui faut-il voter ? ne relève pas directement de la connaissance de la doctrine, mais de la vertu de prudence. La doctrine est toujours présente, elle est toujours lumière, mais elle n’est pas immédiatement opérative : l’opération humaine concrète est affaire de vertu [5].

 

3. Le moindre mal

Avant de nous demander comment exercer la prudence, il importe de comprendre les principes qui entrent en jeu lorsqu’on considère le mal qui peut sortir d’une élection.

Il y a deux sortes d’élections : celles pour élire une personne, celles pour choisir une loi (ou quelque chose d’analogue).

Une loi est bonne ou mauvaise. Elle peut être mauvaise soit en elle-même (selon sa conformité à la loi divine) soit relativement (selon son manque d’ordination concrète, hic et nunc, au bien commun). Le vote d’une loi est spécifié par son objet : en raison de celui-ci, il sera bon ou mauvais, mauvais absolument ou relativement.

Une personne n’est jamais mauvaise en elle-même. Si donc il peut être mauvais (et gravement coupable) de voter pour elle, c’est en raison de sa compétence, de sa moralité, de son programme, des conceptions politiques qu’elle professe et déclare vouloir mettre en œuvre : en raison donc des conséquences prévisibles de son élection.

Il s’ensuit qu’il est impossible d’appliquer univoquement à ces deux sortes d’élections (loi et personne) une doctrine du moindre mal (ou la négation qu’il existe une telle doctrine).

Mais nous ne traiterons ici que de l’élection d’une personne.

Consultons à ce sujet un théologien de renom.

Le moindre mal

Cette question [le moindre bien est-il un mal ?] s’éclaire aussi en la comparant à celle du moindre mal. Est-il licite de choisir un moindre mal pour en éviter un plus grand ?

Il n’y a pas de doute qu’on peut choisir un moindre mal physique, comme l’amputation d’un membre pour sauver la vie d’un malade. Mais peut-on choisir un moindre mal moral ?

Des théologiens répondent affirmativement parce que, disent-ils, le moindre mal, en comparaison du plus grand à éviter, revêt la raison de bien, induit rationem boni. La considération relative de ce moindre mal, comparé à l’autre plus grand à éviter, prévaudrait ainsi sur la considération absolue de ce moindre mal pris en soi. Cette prévalence de la considération relative conduisait tout à l’heure à un certain rigorisme par la confusion du moindre bien avec le mal, de l’imperfection avec le péché véniel ; maintenant elle conduit à une sorte de laxisme par la confusion du moindre mal avec le bien. N’est-ce pas là un signe de relativisme, dont l’inconsistance se manifeste par la fluctuation entre les extrêmes ?

La vraie réponse nous paraît être énoncée par saint Thomas à propos du mensonge : est-il toujours un péché ? IIa IIæ, q. 110, a. 3. Il s’objecte : Il faut choisir un moindre mal pour en éviter un plus grand, comme le médecin coupe un membre pour sauver le corps ; or le mensonge en causant l’erreur dans l’esprit d’autrui produit un dommage moins grave que l’homicide ; donc on peut mentir pour empêcher quelqu’un de commettre ce crime et empêcher la mort de celui qui est menacé. Saint Thomas répond, ibid. ad 4um : « Le mensonge n’est pas seulement un péché par le dommage qu’il cause au prochain, mais par le désordre essentiel qu’il comporte (car notre parole de sa nature est faite pour exprimer notre pensée, comme notre intelligence pour connaître la vérité). Or il n’est pas permis de recourir à une chose illicite, intrinsèquement désordonnée, pour empêcher un dommage… Aussi n’est-il pas permis de mentir pour délivrer quelqu’un de n’importe quel péril. Il est seulement permis de cacher la vérité », car la cacher n’est pas parler contre elle. Et de fait, lorsque les saints se trouvent dans ces cas difficiles, comme ils sont habituellement unis à Dieu, ils reçoivent du Saint-Esprit par le don de conseil une inspiration qui vient suppléer à l’imperfection de leur prudence et leur fait éviter le mensonge, tout en gardant un secret, s’il faut absolument le garder. Notre-Seigneur dit à ses disciples : « Lorsqu’on vous livrera, ne pensez ni à la manière dont vous parlerez, ni à ce que vous devez dire ; ce que vous aurez à dire vous sera donné à l’heure même » (Matth. x, 19).

Il suit de cette réponse de saint Thomas qu’on ne peut vouloir une chose intrinsèquement mauvaise, pour éviter un plus grand mal. Les actes humains sont spécifiés en effet par leur objet, et si celui-ci est essentiellement mauvais au point de vue moral, l’acte spécifié par lui est moralement mauvais. Mais si dans une chose ou une personne (par exemple dans un candidat aux élections) il y a encore assez de bien pour qu’on puisse, non pas choisir positivement, mais tolérer le mal qui est en elle, on peut y avoir recours pour éviter un plus grand mal, tant qu’il est impossible de l’éviter par d’autres moyens. Encore doit-on s’évertuer à chercher ces autres moyens, ou à les faire naître, pour que ne se prolonge pas cette situation critique, où nous pouvons coopérer au désordre. Par exemple on doit faire le possible pour que se présentent de bons candidats aux élections.

Pour revenir à la question de l’imperfection, remarquons que si le moindre mal ne devient pas un bien, du seul fait qu’en le choisissant on évite un mal plus grand, de même le moindre bien pour nous ne devient pas un mal, du seul fait qu’en le choisissant on le préfère à un bien meilleur en soi et pour nous.

Les actes sont spécifiés par leur objet : si l’objet est intrinsèquement mauvais, quoique moins mauvais qu’un autre, le choix spécifié par lui est mauvais. Si l’objet est bon, quoique moins bon qu’un autre, le choix spécifié par lui est encore bon.

L’amour de Dieu et la Croix de Jésus, par le P. Réginald Garrigou-Lagrange, tome I pp. 369-371.

 

4. La prudence politique

Dès lors, nous savons ce qui est requis pour agir prudemment.

La première chose à assurer est l’intention droite. En toute chose, il faut avoir une intention droite (expresse ou implicite ou au moins habituelle). En l’absence de cette intention, une déficience est au cœur de l’acte humain et le rend mauvais, au moins sous un rapport.

Dans l’acte de la vertu de prudence, cette intention droite n’est pas simplement un préalable ou une condition, elle est constitutive de la vertu ; elle en rend l’acte vrai. C’est l’enseignement de saint Thomas d’Aquin : « le vrai de l’intellect pratique se prend par conformité avec l’appétit droit ; verum autem intellectus practici accipitur per conformitatem ad appetitum rectum » (Somme théologique Ia IIæ q. 57 a. 5 ad 3um).

Il est vrai que l’expression « rectitude de l’appétit » dit plus que l’expression « intention droite » ; elle consiste en une inclination à juger droitement du bien à accomplir. Il nous suffit de noter pour l’instant que la prudence va « transporter » cette intention droite jusque dans le choix des moyens à prendre, dans leur mise en œuvre et dans leur achèvement. Elle va assurer la vérité de l’action humaine eu égard à l’acquisition du bien et à la loi divine : eu égard à la fin dernière. C’est l’œuvre de la prudence que de réaliser cet ordre vers la fin ultime.

Dans la prudence politique, celle qui concerne directement les actes ayant principalement un impact sur la société, cette intention droite est la volonté de procurer le bien commun, le bien réalisable et, à terme, réalisé. Elle n’est ni la volonté d’apaiser sa conscience, ni la volonté de s’en tirer à bon compte en contentant sa lâcheté ou sa paresse, ni la volonté de paraître dur ou sage ou libéral (selon les tempéraments), ni la volonté d’adapter les faits à son idée prédéterminée.

L’intention droite implique une véritable volonté de réaliser le bien commun. Sans cela, elle sombre dans le néant. Je prends un exemple : si je proclame haut et fort que c’est un péché mortel de voter tel candidat parce qu’il est mauvais, mais qu’au fond de mon cœur je souhaite tout de même sa victoire parce que son élection évitera le pire, ai-je une intention droite, ou bien prends-je une posture qui me valorise aux yeux de ma conscience ou de mon prochain, ou des deux ?

La deuxième chose est de porter un jugement qui va diriger l’action : le choix d’un candidat dont l’élection aura comme conséquence un mal (un mal moindre certes, mais un mal) a-t-il, dans les circonstances présentes, raison de bien ?

Si j’ai à choisir entre deux personnes dont l’une est très nuisible et l’autre très très nuisible, je peux m’efforcer de juger droitement en me disant :

—  le bien apporté par le très consiste en ceci seulement qu’il nous évite le très très ; mais ce bien là est loin d’être suffisant pour que j’apporte un soutien positif au très. Et donc je m’abstiens. d’ailleurs, les catholiques attendent les « bonnes élections » depuis 1885, et tout va de mal en pis ;

ou bien :

—  le mal apporté par le très très est si grand qu’il faut que je vote pour le très parce que celui-ci n’apporte pas de mal nouveau, et qu’il évite le pire ;

ou bien :

—  la meilleure façon que je vois de servir le bien commun est de refuser cette mascarade insensée où d’élection en élection tout se dégrade. Dans ces conditions, voter c’est accepter la règle d’un jeu qui n’est destiné qu’à nous enfoncer davantage à chaque fois, et c’est donc implicitement accepter le résultat. Et donc je m’abstiens ;

ou bien :

—  s’abstenir ressemble à la politique du pire, qui est toujours la pire des politiques. L’adage le dit justement : au premier tour d’une élection on choisit, au second tour on élimine. Donc en votant pour le très, je n’entends qu’éliminer le très très.

Etc.

L’important est de porter un jugement prudent, un jugement éclairé par la doctrine, un jugement ordonné par la fin, un jugement tenant compte des circonstances dans lesquelles on se trouve (impossibilité matérielle, scandale à éviter etc.), un jugement spécifié par le bien commun tel que je peux et que je dois y contribuer.

Et si mon jugement est vraiment prudent, il ne me cachera pas la difficulté qu’il y a (parfois ou souvent) à s’arrêter à une décision, et il m’ôtera toute envie de m’ériger en justicier « plus blanc que blanc » de ceux qui n’auront pas porté un jugement identique.

 

5. Seule la prudence procure le bien commun

Dire que la chose la plus importante est d’accomplir un acte prudent, ce n’est pas du tout afficher une indifférence au résultat, qui aura des conséquences indépendantes de mon intention et de ma prudence, ou de ma lâcheté ou de mon idéologie.

C’est simplement replacer la chose dans sa véritable perspective.

Le bien commun consiste en la vie selon la vertu, dit Aristote. Ce bien commun est un bien moral (avec beaucoup de contraintes « techniques » qu’il est moralement nécessaire de prendre en compte) ; il est un bien qui n’est donc réellement procuré que par des actes qui lui sont adaptés : des actes moralement droits, c’est-à-dire des actes prudents.

Quand je dépose (ou ne dépose pas) mon bulletin de vote dans l’urne, ce bulletin de papier a une influence sur le bien de la Cité parce qu’il va contribuer à amener aux affaires tel homme digne ou bien tel autre indigne.

Mais l’acte que je fais, considéré du point de vue de sa perfection morale – de sa prudence à exercer la justice légale – a un effet beaucoup plus profond sur la réalisation effective du bien commun.

Accomplir un acte vertueux, et particulièrement un acte vertueux dans un domaine à portée sociale, c’est cela procurer le bien commun. Bien plus, les actes vertueux sont la seule façon de procurer vraiment le bien commun, parce que celui-ci est un bien humain, un bien moral.

Pour travailler au bien de la Cité, il ne faut pas « idéologiser » à coup de jugements sommaires qui impressionnent les ignorants (même avec les meilleures intentions), mais il faut « prudentiser » (étudier, instruire, mettre de l’ordre).

 

7. Le Règne de Jésus-Christ

—  Comment cela s’harmonise-t-il avec la doctrine de la Royauté sociale de Jésus-Christ ?

Le règne de Jésus-Christ est une vérité de foi catholique. Jésus-Christ est roi : roi des peuples et des cités, roi des familles, roi de chacun des hommes. Jésus-Christ doit régner, c’est un droit absolu.

C’est le bien absolu auquel tout homme, a fortiori tout catholique, a le devoir de travailler tant dans sa vie personnelle que dans sa vie familiale et sociale.

Pour soi-même, il faut avoir toujours cela présent à l’esprit, parce que perdre la fin de vue conduit inéluctablement à dévier, à rompre l’ordre qu’il faut garder en vue de cette fin.

Quant à l’influence sociale qu’on peut avoir, il faut toujours la faire servir dans cette perspective.

Mais il faut avoir aussi présent à l’esprit que la grâce ne détruit pas l’ordre de la nature. L’élévation à l’ordre surnaturel n’a pas changé la nature du bien commun temporel : elle lui a donné une fin meilleure et des moyens plus puissants. Elle lui a donné aussi une exigence plus grande. Les catholiques ont davantage l’obligation de travailler au bien commun, parce que celui-ci est ordonné au Règne de Jésus-Christ, parce qu’il est aussi d’une grande influence sur le Salut éternel de nos prochains : « De la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes. » Pie  XII, radiomessage du 1er juin 1941, cinquantième anniversaire de Rerum novarum.

Ce n’est pas dans le mépris de l’ordre politique que le règne social de Jésus-Christ sera ici-bas établi ; c’est au contraire en travaillant au dans le bien commun de la Cité qu’on y contribue. Vouloir faire autrement, c’est analogue à l’illusion de vouloir exercer la charité sans satisfaire aux exigences de la justice.

Quelqu’un qui n’aurait que le mot charité à la bouche tout en se dispensant d’accomplir la justice (ou pis : pour s’en dispenser), ne ferait rien d’autre qu’une sorte d’incantation stérile et injurieuse à Dieu.

De même, invoquer le règne social de Jésus-Christ sans prendre les moyens de procurer le bien de la Cité, sans donc accomplir la justice générale (ou légale, ou sociale, c’est la même) n’est aussi qu’incantation stérile.

Jésus-Christ veut régner, Jésus-Christ régnera : non pas parce qu’on en aura parlé (encore qu’il en faut porter témoignage) mais parce qu’on y aura travaillé dans l’ordre.

Le bien véritable est que nous fassions tout pour l’amour de Dieu, tout pour le règne de Jésus-Christ, mais non pas au rebours de l’ordre naturel, mais non pas en traitant la prudence par prétérition. Car cette vertu est aussi une vertu surnaturelle, qui ordonne tous nos actes à notre fin dernière, à la gloire de Dieu. Le règne de Jésus-Christ donnera au bien commun temporel sa véritable finalité et sa stabilité. Mais il n’en dispensera jamais.


[1]   Petite précision au passage. La Sacrée Congrégation Consistoriale, au nom du Pape Benoît XV, a porté une défense très stricte le 28 juin 1917 (AAS 1917 p. 328) :

Normæ pro sacra prædicatione… 20. Concionatoribus tamen omnibus de re politica in ecclesiis agere omnino et absolute sit vetitum.

Normes pour la prédication : … 20. Qu’il soit totalement et absolument interdit aux prédicateurs de traiter de matière politique dans les églises (ou : dans les assemblées).

[2]   Voir dans l’annexe I quelques textes de Pie XII qu’il est bon de méditer avant de se lancer dans l’arène.

[3]  « Il est à peine nécessaire de vous rappeler que, lorsqu’il s’agit des fondements moraux de la famille et de l’État, des droits de Dieu et de l’Église, tous, hommes et femmes, quelle que soit leur classe ou leur condition sociale, sont strictement tenus de faire usage de leurs droits politiques, les mettant au service de la bonne cause. » Pie XII, Allocution à des ouvrières catholiques, 15 août 1945.

[4]   On trouvera en annexe II quelques notions sur le bien commun.

[5]   Vouloir passer directement de la doctrine à l’acte concret, en ignorant la prudence qui fait le lien, est une absurdité. Cela nous place dans un monde où l’idéologie tyrannique et l’indifférentisme moral font bon ménage, au détriment de l’agir vertueux. On lira avec profit Doctrine, prudence et options libres placé en annexe III, qui, sur un sujet voisin, rappelle toute la place de la prudence dans la vie politique et morale.



Annexe I

Le magistère de l’Église n’a pas laissé les catholiques sans lumière, sans moyen de former leur jugement de prudence.

« Un bon nombre d’entre vous jouit déjà des droits politiques, du droit de vote. À ces droits correspondent autant de devoirs ; au droit de vote, le devoir de voter, le devoir de n’accorder votre suffrage qu’aux candidats ou aux listes de candidats qui présentent non pas des promesses vagues et ambiguës, mais des garanties sûres qu’ils respecteront les droits de Dieu et de la religion. Pensez-y bien : ce devoir est pour vous sacré ; il vous oblige en conscience ; il vous oblige devant Dieu, car avec votre bulletin de vote, vous avez entre les mains les intérêts supérieurs de votre patrie : il s’agit de garantir et de conserver à votre peuple la civilisation chrétienne, à ses jeunes filles et à ses femmes leur dignité, à ses familles leurs mères chrétiennes. L’heure est grave. Soyez conscientes de votre responsabilité. » Pie  XII, Allocution à la jeunesse féminine de Rome, 12 mai 1946

« Il ne faut pas craindre de reconnaître que beaucoup d’entre eux [les citoyens], parmi ceux même qui se disent chrétiens, ont leur part de responsabilité dans le désarroi actuel de la société. Les faits sont là, qui exigent un redressement certain. C’est, pour ne citer que les plus notoires, le désintéressement des affaires publiques, se traduisant entre autres par l’abstention électorale aux conséquences si graves ; (…) » Pie  XII, Lettre aux Semaines sociales de France, 14 juillet 1954

« L’exercice du droit de vote est un acte de grave responsabilité morale, au moins quand il s’agit d’élire ceux qui sont appelés à donner au pays sa Constitution et ses lois, celles, en particulier, qui touchent à la sanctification des fêtes, au mariage, à la famille, à l’école, au règlement selon la justice et l’équité des multiples conditions sociales. Il appartient donc à l’Église d’expliquer aux fidèles les devoirs moraux qui découlent de ce droit électoral. » Pie  XII, Allocution aux curés des Rome et aux prédicateurs, 16 mars 1946

« Dans les circonstances présentes, c’est un strict devoir pour tous ceux qui en ont le droit, hommes et femmes, de prendre part aux élections. Quiconque s’en abstient, spécialement par indolence ou par lâcheté, commet en soi un péché grave, une faute mortelle.

« Chacun doit voter selon l’injonction de sa propre conscience. Or il est évident que la conscience impose à tout catholique de donner sa voix aux candidats qui offrent des garanties vraiment suffisantes pour la protection des droits de Dieu et des âmes, pour le véritable bien des particuliers, des familles et de la société, selon la loi de Dieu et la doctrine chrétienne. » Pie  XII, Allocution aux curés des Rome et aux prédicateurs, 10 mars 1948



Annexe II

La collection de fiches catholiques Magnificat a consacré l’une d’entre elles au bien commun, avec l’ambition d’en résumer la nature et la doctrine. Cela peut aider à comprendre les présentes notes, en voici donc le texte.

Nature du bien commun

Dieu a créé l’homme avec une nature sociale. Non seulement un homme ne peut pas venir au monde ni subvenir aux nécessités matérielles sans une société au moins élémentaire, mais il ne peut pas vivre d’une vie humaine ni atteindre sa perfection sans organiser la vie en société, ou tout au moins sans bénéficier d’une société organisée.

À partir de la famille, société fondamentale et naturelle, et par un emboîtement de corps intermédiaires (comme la commune ou le métier), les hommes forment la Cité, société à l’état parfait (autonome et stable). Cette société politique est gouvernée par un chef, régie par des lois, spécifiée par le bien commun temporel. Ce bien est le bien commun, présentant un certain caractère absolu, objet de la vertu de justice générale – vertu majeure et architectonique dans l’ordre naturel.

L’homme atteint donc sa perfection naturelle dans le bien commun, qui est un bien à réaliser et à posséder en commun.

Génériquement et fonctionnellement, le bien commun est l’état de justice dans lequel les hommes doivent se placer pour vivre selon l’exigence et la plénitude de la nature humaine : c’est la vie en société organisée, hiérarchisée et finalisée selon la raison, incluant un habitus social de communauté et d’échanges de biens de l’esprit et de services matériels : échanges entre générations, échanges entre voisins, échanges entre toutes les parties complémentaires de la société.

 

Contenu du bien commun

Ce bien commun se déploie, selon la gradation de l’être, en conditions, fonctions et perfection.

Il établit des conditions : « Le bien commun, c’est-à-dire l’établissement de conditions publiques normales et stables, telles qu’aux individus aussi bien qu’aux familles il ne soit pas difficile de mener une vie digne, régulière, heureuse selon la loi de Dieu : ce bien commun est la fin et la règle de l’État et de ses organes » (Pie XII, Allocution du 8 janvier 1947).

Il réalise des fonctions que l’homme ne peut légitimement et efficacement accomplir qu’en société : promulguer des lois, rendre la justice, exercer un haut domaine sur les biens.

L’homme étant tenu au culte du vrai Dieu en tout son être – en son corps et en son âme, et dans sa « dimension sociale » – un des éléments constitutifs du bien commun est la possession commune et pacifique de la vraie religion, et l’exercice public du culte que Dieu attend ou que, s’il vient à manifester quelque chose de positif à cet égard, Dieu demande et ordonne.

Enfin, le bien commun est la plénitude d’être de la société : en cela il est perfection des membres et objet de vertu générale. Il consiste dans l’ordre même de la société ; il est pour chacun la vie sociale elle-même, la subordination à un tout plus grand que chacun des membres, l’intégration à un ordre où le bien produit par chacun est communicable à tous, où les qualités et compétences de chacun trouvent leur utilité et leur achèvement.

Ces trois aspects complémentaires ne font pas trois biens distincts, car le bien commun est l’objet d’une vertu une : la justice générale.

Voilà pourquoi Aristote dit que le bien commun, c’est de vivre selon la vertu : avec les notes de bonté diffusée, de force active, de stabilité et de constance que cela comporte.

Cela n’est jamais parfaitement réalisé ni achevé ici-bas ; mais cette perpétuelle défectuosité ne dispense pas d’y travailler à sa place et efficacement, en se comportant en membre de la société et en se soumettant aux lois communes. Cependant cela ne suffit pas : puisque pour la volonté la fin a raison d’objet, il faut tendre à procurer la totalité du bien commun, même si l’on n’en doit voir qu’une ébauche effectivement réalisée (et humainement il en sera toujours plus ou moins ainsi).

Ainsi le bien commun, qui finalise et spécifie la cité politique, n’est pas seulement ni premièrement un bien utile (la prospérité générale, la paix publique…) ; il est un bien honnête, bon en lui-même et digne d’être poursuivi pour lui-même parce qu’il est conforme à la nature humaine, parce qu’il est la vérité de la nature humaine dans sa perfection, dans sa complétude.

 

Bien commun intrinsèque et extrinsèque

À strictement parler, le bien commun de la Cité est son bien intrinsèque : il est produit par la société (par les hommes vivant en société) et demeure en elle ; les hommes y participent et en jouissent dans la mesure où ils sont vrais membres de la société.

Il est aussi un bien commun temporel. Vivre en société pour mener une vie vraiment humaine est une nécessité naturelle. Mais c’est une nécessité limitée au temps de la vie terrestre : ce n’est pas qu’il n’y aurait plus de nature sociale après la mort, mais la société telle que nous la connaissons et telle que nous la devons bâtir n’accompagne pas l’homme au-delà de la mort.

La fin de la Cité est une fin à réaliser ici-bas. Or chacun des membres de la société a une fin qui n’est pas limitée au temps ; et cette fin, c’est Dieu. Dieu est donc la fin commune de tous les membres de la Cité, mais il n’est pas une fin commune à réaliser. Dieu est un bien commun aux membres, communicable à tous, un bien à honorer et servir en commun, mais Dieu n’est pas un bien intrinsèque à la société, produit par elle ou en elle.

Dieu est le bien commun extrinsèque : un bien qui finalise la société sans être produit par elle, un bien qui lui demeure externe tout en étant immanent à ses membres.

 

Bien commun et ordre surnaturel

« L’ordre surnaturel assume en structure et transpose en excellence l’ordre naturel » R. P. M.-L. Guérard des Lauriers.

L’élévation de l’homme à l’ordre surnaturel ne modifie pas essentiellement le bien commun temporel ni la primauté dont il jouit dans la hiérarchie des biens naturels.

Il y a cependant une triple incidence :

–  Dieu est bien commun extrinsèque à un titre infiniment supérieur, puisqu’il communique bien plus que l’ordre dont il est principe : sa vie intime, par la grâce ici-bas, dans la gloire au Ciel ;

–  le plus grand bien que l’homme puisse atteindre directement pendant cette vie terrestre n’est plus le bien commun temporel, puisqu’il existe la vertu de charité dont Dieu même est l’objet. Cette vertu devient donc architectonique, sans ôter à la justice générale son caractère unificateur ;

–  le culte du vrai Dieu devient un culte surnaturel dont la forme est directement déterminée par Dieu et confiée à son Église, qu’il institue comme société parfaite. Le bien commun, sans perdre sa spécificité, inclut la reconnaissance de la Royauté sociale de Jésus-Christ ainsi qu’un statut souverain pour l’Église.

« Le bien commun de la société l’emporte sur tout autre intérêt ; car il est le principe créateur, il est l’élément conservateur de la société humaine ; d’où il suit que tout vrai citoyen doit vouloir le procurer à tout prix » Léon XIII, Notre consolation, 3 mai 1892.

« C’est pour procurer effectivement aux individus et aux familles ce bien commun qui implique mais qui dépasse singulièrement la simple prospérité économique, que les pouvoirs publics, quel que soit le régime politique, reçoivent du Créateur leur autorité » Cal Pacelli, 12 juillet 1933.

« La fin de la multitude rassemblée en société est de vivre selon la vertu. En effet, les hommes se réunissent pour mener en commun une vie bonne, but que ne peut atteindre l’homme isolé. Or la vie bonne, c’est la vie selon la vertu. Vivre selon la vertu, telle est donc la fin de la société humaine. […]

« Puisque l’homme, en vivant selon la vertu, est ordonné à une fin ultérieure qui consiste en la jouissance de Dieu, il faut que la société humaine ait une fin identique à la fin personnelle de l’homme : la fin dernière de la société n’est donc pas la vie vertueuse mais, par cette vie vertueuse, de parvenir à la jouissance de Dieu. » Saint Thomas d’Aquin, De Regimine principum, i, 14.



Annexe III

Doctrine, prudence et options libres

Jean Madiran

L’édition originale a reçu le Nihil obstat à Versailles le 22 février 1960, de Pierre Dubuisson, p. s. s., Censor Deputatus ; et l’Imprimatur à Versailles le 23 février 1960, de Pierre Dornier, p. s. s., Vicaire Général.

 

La distinction courante est celle-ci : d’une part, la doctrine religieuse et morale, qui est universellement obligatoire ; d’autre part, les « options », d’ordre technique, qui sont libres.

Plus ou moins explicitement on conjugue cette distinction avec l’adage : « In necessariis, unitas ; in dubiis, libertas ; in omnibus, caritas » (Unité dans le domaine obligatoire, liberté dans ce qui est douteux, charité en tout) 6.

Le domaine de l’unité obligatoire est alors celui de la doctrine universelle, et uniquement celui-là. Toutes les options qui ne sont pas contraires à la doctrine sont également libres : nous devons être tolérants quant aux options diverses, unis sur la doctrine, et bien situer la frontière entre doctrine et options : ainsi pourra-t-on surmonter les divisions entre catholiques.

Il est vrai que, d’aventure, on prend trop de liberté à l’égard d’une doctrine qui est obligatoire. Il arrive aussi que la passion présente comme obligatoires des options qui sont facultatives. C’est une cause de division, il faut y être attentif. Ce n’est certainement pas la seule, ce n’est peut-être pas la principale. La distinction entre la « doctrine » et les « options », pour indispensable qu’elle soit, demeure insuffisante dans son état actuel, parce qu’elle est insuffisamment explicitée. Il faut pousser plus loin la réflexion.

Car, premièrement, il n’est pas vrai que le domaine du nécessaire, ou de l’obligatoire, coïncide avec le seul domaine de la doctrine universelle. Secondement, il n’est pas vrai que toutes les options libres soient des options facultatives. Et troisièmement, il n’est pas vrai que toutes les options qui ne sont pas interdites en doctrine soient également facultatives ou également libres.

Très claire au premier coup d’œil, la distinction entre la doctrine et les options se révèle pratiquement inapplicable dans une multitude de cas. On en a ordinairement conclu jusqu’ici que la distinction n’était pas comprise, ou qu’elle était mal respectée : ce qui peut effectivement se produire. Mais, le plus souvent, c’est la distinction elle-même qui est ina­déquate, et donc inapplicable, faute d’avoir été suffisamment élaborée.

Il y a « option libre » tout le temps

Aucune action, aucun groupement, aucun enseignement ne peut prétendre se situer sur le plan ou à l’intérieur de la seule doctrine proprement dite, sans aucune part d’« options libres ».

À partir du moment où il s’agit d’un homme qui parle, écrit, ou agit ici et maintenant, aucun de ses actes, aucune de ses paroles ne saurait relever seulement du domaine doctrinal : il y a « option libre » tout le temps, même dans le simple exposé de la doctrine. Ce qui ne signifie pas que l’on ait la liberté d’enseigner n’importe quelle doctrine, mais que l’exposé de la vraie doctrine est lui-même, sous un rapport, inévitablement, une option libre.

Je puis recopier, par exemple, la définition du dogme de l’Assomption telle qu’elle figure dans la Constitution apostolique Munificentissimus Deus du 1er novembre 1950 : cette définition dogmatique appartient à la doctrine obligatoire. Mais rien ne m’impose ni ne m’interdit, quel que soit le sujet traité, fût-il même l’Assomption, de la recopier ici. Le faire, ou ne pas le faire, c’est une option libre.

En dehors des définitions dogmatiques du Pape et des Conciles, il n’existe aucun exposé de la doctrine la plus sûre et la plus certaine, fait ici et maintenant par un homme de chair et de sang, qui ne soit sous ce rapport une option libre. Ce qui est vrai de la parole, et de l’exposé de la doctrine, est encore plus vrai de son application concrète. Aucun organisme d’enseignement, et à plus forte raison aucun organisme d’action, fût-ce d’action apostolique, ne peut prétendre relever de la doctrine seule et s’y limiter sans aucune espèce ni aucune part d’option libre. Sans option libre il n’y a pas d’existence concrète. La doctrine universelle et obligatoire ne peut s’appliquer et même s’exprimer effectivement dans la vie courante qu’à travers des options libres.

Au demeurant, une distinction, selon la tradition même de la philosophie chrétienne, n’est pas une séparation. La philosophie chrétienne distingue non pas pour séparer mais pour unir. Quand on parle de frontière entre options et doctrine, il ne faut pas croire qu’il s’agit d’un rideau de fer, qui ne serait franchi qu’en fraude : il s’agit d’un lieu de passage. S’il importe d’éviter la confusion entre doctrine et options, ce n’est point pour établir leur séparation, mais pour assainir leur union.

Le troisième terme

Cette frontière elle-même entre les options et la doctrine, il est de fait que l’on ne s’accorde pas facilement sur son tracé exact. Accord impossible aussi longtemps que cette frontière sera considérée comme une frontière commune. Car entre ces deux domaines, ce n’est pas une frontière qui existe, mais tout un territoire : un troisième domaine, une troisième zone à l’intérieur de laquelle et par laquelle options et doctrine peuvent se rencontrer et s’unir [7].

Quand on veut tracer une frontière linéaire pour tenir la place de ce qui est toute l’étendue d’un vaste territoire, il ne faut pas s’étonner que le tracé soit flottant. Pour poursuivre la comparaison spatiale, autant demander de tracer, sur une carte muette ne comportant que le relief, « la » frontière commune entre la France et… le Portugal ! Chaque élève interrogé tracera la sienne. Il y aura les erreurs grossières, bien sûr, il y aura celui qui trace la frontière à l’intérieur du territoire portugais et celui qui la trace à l’intérieur du territoire français. Mais toute l’étendue espagnole, escamotée par hypothèse, peut comporter une infinité de lignes différentes, qui seront toutes aussi bonnes, ou aussi mauvaises, pour figurer « la » frontière réclamée. Il en va ainsi de « la » frontière entre la doctrine et les options.

Le domaine de la vertu de prudence

Ce territoire escamoté, méconnu, oublié, que l’on ne nomme même plus, est celui de la prudence, de la vertu cardinale de prudence.

Presque tout le monde, même le monde érudit et savant, omet le rôle cardinal de la prudence, ou n’en parle que comme si la prudence consistait à prendre un parapluie quand le temps se couvre, à baisser le ton devant les agents de la force publique, voire à s’enfuir précipitamment si l’on entend crier « au secours » dans un quartier incertain après la tombée de la nuit. Le premier de ces trois exemples représente la forme la plus anodine de la vertu de prudence ; le second risque d’en être déjà une extrapolation ; le troisième en est une honteuse perversion. Mais c’est surtout sous ces trois formes que l’on connaît ordinairement la « prudence » aujourd’hui.

Le catéchisme dit autre chose. Après les trois « vertus théologales » de foi, d’espérance et de charité, il énumère les « vertus morales », dont quatre sont cardinales : la justice, la force, la tempérance et la prudence. Il est vrai que les catéchismes pour enfants, du moins ceux que nous avons sous les yeux, énumèrent ces vertus sans plus ; et sans seulement les définir ; et réservent leur insistance à la description des vices qui leur sont contraires. Il existe sans doute à cela une raison pédagogique. Prenons du moins un catéchisme pour adultes : s’inspirant d’une formule de saint Augustin, il enseigne que la prudence est la vertu qui « fait qu’en toutes choses nous jugeons correctement de ce qui il faut rechercher et de ce qu’il faut éviter ». Ce n’est ni la doctrine obligatoire à elle seule, ni aucune option libre d’ordre « technique » qui peuvent suffire à diriger ainsi notre conduite.

Usant d’une comparaison automobile, Marcel Clément enseigne plaisamment [8], mais non pas inexactement, que si la justice est la vertu code (le code de la route), la force est la vertu moteur et la tempérance la vertu frein. Mais la prudence, qui n’est pas la tempérance, et qui n’est pas du tout un frein, comme on le croit sur la sonorité actuelle du mot parmi les ignorants, la prudence est la vertu volant.

Si l’on veut de la prudence une définition plus élaborée et moins imagée, nous dirons avec saint Thomas que le rôle propre de cette vertu intellectuelle et morale est de « faire dériver les conclusions particulières, c’est-à-dire les actions pratiques, des règles morales universelles ». Saint Thomas précise : « La prudence ne désigne pas leur fin aux vertus, elle ne raisonne pas des règles de la moralité qu’elle suppose connues et voulues, mais elle discerne et dicte seulement les actions qui leur conviennent [9]. »

La prudence ne choisit donc pas le but à atteindre : il est théoriquement proposé par la doctrine, pratiquement recherché par les vertus. Elle n’invente pas non plus les moyens pratiques : leur élaboration est de l’ordre qu’aujourd’hui nous appelons « technique ». La prudence – le jugement prudentiel – est ce qui décide dans chaque cas concret que pour travailler en direction du but proposé par la doctrine, il faut choisir celui-ci et non celui-là parmi les moyens honnêtes offerts par la technique. (C’est même elle, dans chaque cas concret, qui décide ce qu’il convient de faire pour que la doctrine soit mieux connue.) C’est elle aussi qui décide que, dans telle circonstance, c’est cette règle morale de la doctrine, et non celle-là, qu’il convient d’appliquer : « La prudence applique les principes universels aux conclusions particulières en matière d’action [10]. »

La prudence n’est pas un jugement isolé, elle est une vertu, c’est-à-dire une disposition permanente. On peut dire en résumé : « La prudence est la disposition permanente à appliquer de façon expérimentée les principes de la morale aux circonstances particulières [11]. »

Ce qui n’est ni doctrinal ni technique

Nous pouvons maintenant apercevoir pourquoi la distinction courante entre « doctrine » et « options » ne suffit pas à éclairer et apaiser les divisions entre catholiques [12].

Il est bien évident que tous les catholiques doivent ou devraient être d’accord sur la doctrine obligatoire : et il arrive sans doute que l’on diverge sur la doctrine, imparfaitement ou inégalement connue. Il est tout aussi évident qu’il serait immoral et absurde de se diviser mortellement par d’inexpiables querelles sur le choix technique de la meilleure manière de construire des sous-marins ou de favoriser le stationnement dans Paris : encore qu’il arrive qu’une passion excessive, et l’amour-propre, donnent à ces désaccords techniques une importance exagérée. Mais, le plus souvent, ce n’est point là-dessus que naissent de terribles oppositions.

Le principal champ d’affrontement des « tendances » contraires n’est ni doctrinal ni technique : il est au point où il faut décider la manière de mettre en œuvre, dans des circonstances données, les choix techniques conformément aux règles doctrinales, il est d’ordre prudentiel, il se situe à ce troisième plan dont on ne parle pas et sur lequel on ferme les yeux. Là même où il existe, comme il en existe présentement, de graves déficits doctrinaux, c’est rarement en tant que tels qu’ils se manifestent : ils apparaissent surtout par leurs conséquences au niveau de la vertu de prudence.

Ne disposant que d’une distinction à deux termes, doctrine et technique (ou doctrine et options libres), on est conduit à considérer l’ensemble du domaine prudentiel :

1. –   soit comme relevant purement et simplement de la doctrine, ce qui est abusif, et fabrique un autoritarisme, un rigorisme caricatural ;

2. –   soit comme appartenant aux options d’ordre technique, ce qui est un laxisme générateur de scepticisme et d’anarchie.

On met entre parenthèses, on supprime le champ d’action, la zone propre de la vertu qui est « à parler absolument, la principale des vertus morale [13] ».

Supprimé en théorie, pratiquement livré à l’anarchie

Nous disions plus haut qu’« il y a option libre tout le temps », même dans l’exposé de la doctrine. Disons plus précisément qu’en chaque action concrète, fût-elle le simple exposé de la pure doctrine, il y a tout le temps choix prudentiel. Le dogme de l’Assomption appartient à la doctrine obligatoire : mais en énoncer ici et maintenant fût-ce la pure formulation officielle, ce n’est pas un jugement doctrinal, c’est un jugement prudentiel qui en décide.

L’élaboration d’un système d’« intégration » ou d’un système d’« association » pour l’Algérie est une tâche qui relève de ce que nous appelons la « technique politique » : mais choisir l’une ou l’autre n’est pas un simple choix technique, c’est davantage, c’est un choix prudentiel.

Il serait absurde de s’entr’égorger, même métaphoriquement, pour des divergences d’« options libres » quand celles-ci manifestent un désaccord purement et simplement technique. Aussi bien, il est aberrant de croire que ce soient des divergences de cette sorte qui divisent entre eux les catholiques français, – jusqu’à mettre parfois en péril, ou en pièces, l’unité religieuse de la communauté catholique. Les catholiques français ne sont pas d’accord sur des choix prudentiels, ce qui est autre chose, et autrement grave : car il est normal qu’un homme soit prêt à risquer ou à donner sa vie pour un choix prudentiel. Non pas pour n’importe quels choix prudentiels, mais spécialement pour les plus décisifs de ceux qui concernent le bien commun temporel de la nation.

Ce n’est d’ailleurs jamais par la doctrine toute pure ou par la technique toute simple qu’un homme donne sa vie : donner sa vie pour le bien commun temporel, et même donner sa vie en témoignage que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, c’est-à-dire en témoignage de la vérité de la doctrine universelle, c’est toujours, uniquement, forcément, un acte prudentiel. Un acte prudentiel qui tient compte autant qu’il le faut, et selon les circonstances concrètes, des inspirations et des règles de la doctrine, voire des possibilités de la technique : mais donner sa vie n’est ni une décision technique ni une décision doctrinale, c’est une décision prudentielle. C’est pour la patrie que les héros, c’est pour la divine doctrine que les martyrs donnent leur vie. Savoir dans quel cas il convient de jeter sa vie, ou celle de ses subordonnés, dans les balances de l’histoire, appartient à la vertu de prudence.

Il est tout à fait chimérique de prétendre « se tenir au plan de la seule doctrine » sans assumer « aucune option ». Au plan de la seule doctrine, il n’y a jamais eu de martyrs. Accepter le martyre, c’est précisément sortir du plan de la seule doctrine. Mais si les martyrs en sont sortis, ce n’est évidemment pas pour assumer une option facultative ou technique, n’ayant pas plus de vérité ni de valeur morale qu’une option différente. Accepter le martyre n’est pas une décision doctrinale, et n’est pas non plus une décision technique. C’est une décision prudentielle [14].

Le domaine prudentiel est celui où les hommes, s’ils ne vivent pas dans l’unité et dans la paix, s’opposent, se divisent, se battent, se tuent. On a voulu assurer la paix et l’unité en mettant ce domaine radicalement entre parenthèses. On l’a supprimé : en théorie. C’est-à-dire qu’en pratique, il se trouve abandonné à la confusion et à l’anarchie.

L’Église a juridiction aussi sur le domaine prudentiel

On caricature le droit et le fait quand on expose que l’Église a juridiction sur la seule doctrine, et nullement sur les options « techniques », sous la seule réserve que ces options ne contredisent pas les règles universelles de la doctrine (comme le ferait par exemple une technique d’avilissement ou de péché). Ici la sommaire distinction à deux termes fausse tout et conduit à ne plus rien comprendre.

Il ne devrait alors jamais y avoir aucune sorte de difficulté entre l’Église et l’État à partir du moment où l’État n’emploierait aucune technique intrinsèquement immorale et ne prétendrait pas régenter la doctrine, tandis que l’Église, de son côté, n’interviendrait en rien qui ne soit purement doctrinal. En séparant rigoureusement la « doctrine religieuse » et la « technique politique », on aboutirait à la séparation de l’Église et de l’État assurant automatiquement la paix entre eux. En quoi nous serions fort loin de compte. Le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel doivent être distincts, et ils doivent être unis. Car l’État et l’Église se rencontrent normalement, se disputent ou s’accordent sur un terrain qui n’est ni proprement technique, ni proprement doctrinal : sur le terrain qui est proprement prudentiel.

En effet, l’Église a juridiction aussi sur le domaine prudentiel. Mais elle n’est plus ici toujours seule à avoir juridiction sur une partie de ce même domaine prudentiel, encore que sous un rapport différent, s’exerce la juridiction de l’État.

L’Église s’abstient souvent, en de larges zones du domaine prudentiel, d’exercer en fait le droit qu’elle y a. Sans laisser ce droit se périmer, il arrive qu’elle n’en use pas, ou qu’elle n’en use pas de manière catégorique et nettement explicite, pour des raisons elles-mêmes d’ordre prudentiel, dont elle est juge. Mais elle peut le faire à tout instant. Les Encycliques pontificales contiennent des indications, même impératives, qui sont d’ordre prudentiel : quand on s’en tient à la distinction à deux termes, on ne sait jamais s’il faut classer de telles indications (par exemple celles de Pie XII en faveur d’un progrès de l’unité européenne) dans la catégorie « doctrine obligatoire » ou dans la catégorie « options libres ». Ces indications s’inspirent de la doctrine et n’ignorent pas l’état technique de la question, mais elles ne relèvent ni de l’une ni de l’autre catégorie. Elles relèvent du choix intellectuel et moral que, par la vertu de prudence, l’homme doit faire à chaque instant pour diriger sa conduite sous l’inspiration de la doctrine et compte tenu des circonstances particulières.

Si bien que, lorsqu’on définit le domaine des « options libres » comme celui de toutes les options théoriquement possibles et permises au regard de la doctrine universelle et obligatoire, on donne pour également libres des options qui ne le sont pas également, voire qui ne le sont pas toutes. Parmi les options théoriquement permises à un point de vue purement doctrinal, il en existe qui sont interdites en prudence et d’autres qui, en prudence, sont recommandées par priorité ou même obligatoires. L’Église peut le prononcer explicitement ; c’est même sous ce rapport que ses décisions, aujourd’hui, sont ordinairement le plus incomprises, le plus contestées. Car celui qui s’en tient au schéma à deux termes, « doctrine » et « options », ne voit pas ce que fait l’Église quand elle juge, parle, prononce, décide, conseille ou ordonne en prudence : elle sort du domaine de la seule doctrine universelle, et l’on proteste alors que l’Église « sort de son domaine ».

La juridiction « pastorale »

Que l’Église prenne des décisions ne relevant pas uniquemen

t de la doctrine, cela est tellement évident que l’on s’est efforcé de l’expliquer et d’en rendre compte dans la classification elle-même, par l’emploi de plus en plus fréquent, et même officiel, d’un troisième terme, le terme pastoral. On remarquait récemment qu’outre l’autorité doctrinale de l’Église, il faut reconnaître aussi « un genre d’autorité que peut-être on tend aujourd’hui à méconnaître, qui est pourtant nécessaire à la vie de l’Église, pour appliquer, dans la vie quotidienne, les décisions nécessairement plus générales du Magistère l’autorité pastorale [15]. » On sait au demeurant qu’il existe un Rapport doctrinal publié par l’Assemblée plénière de l’Épiscopat français, mais qu’il existe aussi, par exemple, plus d’un Directoire pastoral en diverses matières.

On évolue ainsi, du moins en fait, vers une distinction à trois termes, comportant le doctrinal, le pastoral et le technique. Le « pastoral » se distingue évidemment du « doctrinal », mais il est non moins évident qu’il ne se confond pas avec les « options libres », puisque, précisément, l’Église y donne des directives.

Pour prendre un exemple, quand un Évêque n’autorise pas dans son diocèse le fonctionnement de la Légion de Marie, ce n’est point au titre de son autorité doctrinale qu’il déconseille ou interdit cette organisation. Ce serait une interprétation pour le moins invraisemblable qui verrait dans un tel refus des réserves, voire une condamnation, d’ordre doctrinal à l’encontre d’une œuvre qui est, d’autre part, encouragée par le Souverain Pontife et approuvée par l’autorité épiscopale dans des centaines de diocèses à travers le monde entier. Il s’agit d’une décision pastorale qui, compte tenu de la situation particulière d’un diocèse, est prononcée en prudence.

L’« autorité pastorale » est celle qui s’exerce dans le domaine prudentiel à l’égard de toutes les questions concernant le gouvernement de l’Église et l’organisation de l’apostolat. Il y a donc lieu, croyons-nous et salvo meliore judicio, de remplacer déjà en ces matières, plus explicitement et plus couramment, la distinction à deux termes par une distinction à trois termes. Car si l’on continuait à s’en tenir au seul schéma « doctrine-options », on ne saurait où classer le « pastoral », ni le comprendre. Si l’« on tend aujourd’hui à méconnaître » ce qui constitue l’« autorité pastorale » et ce qui relève de sa juridiction, c’est (notamment) parce que l’instrument intellectuel qui serait nécessaire fait défaut. Le concept « doctrine » et le concept « options libres » n’y suffisent pas, il faut manifestement un troisième concept.

Les directives du Saint-Siège, même parfois en matière religieuse, risqueraient de devenir inintelligibles, ou de paraître arbitraires, si l’on négligeait ou supprimait l’existence du « prudentiel » à côté du « doctrinal ». On peut supposer que si l’attitude et les décisions de l’Église en ce qui concerne les apparitions de la très Sainte Vierge font tellement difficulté pour certains esprits, c’est parce qu’ils pensent que la seule alternative est soit de les ranger sous la rubrique « doctrinale » (et elles ne s’y rangent pas), soit de ne leur reconnaître aucune valeur (mais c’est a priori invraisemblable, et contredit en fait par le comportement de l’Église).

Parlant à propos de sainte Bernadette, à l’occasion de la clôture de l’Année mariale, mais donnant à son affirmation une portée générale, Jean XIII a déclaré [16] :

« Si les Pontifes romains sont constitués gardiens et interprètes de la Révélation divine contenue dans la Sainte Écriture et dans la Tradition, ils se font aussi un devoir de recommander à l’attention des fidèles – quand après mûr examen ils le jugent opportun pour le bien général – les lumières surnaturelles qu’il plaît à Dieu de dispenser librement à certaines âmes privilégiées, non pour proposer des doctrines nouvelles mais pour guider notre conduite : Non ad novam doctrinam fidei depromendam, sed ad humanorum actuum directiones [17]. »

Ce devoir des Souverains Pontifes s’exerce assurément dans la ligne même de la doctrine il ne semble pas que ce soit dans la rubrique « doctrine » qu’il faille le classer ; ni dans la rubrique « libres options techniques ».

Le « pastoral » ne recouvre pas la totalité du « prudentiel »

On se tromperait pourtant en croyant résoudre toute difficulté par la seule introduction du domaine « pastoral » dans la classification. Le pastoral n’est qu’une partie du domaine prudentiel.

Et d’ailleurs, il est extrêmement fréquent que l’Église n’intervienne pas en fait dans des questions où, en droit, elle le pourrait. Quand l’Église intervient, décide et tranche une question d’ordre prudentiel, elle accomplit un acte que l’on peut nommer pastoral. Mais les questions où l’Église n’est pas intervenue ne sauraient être classées dans le domaine pastoral, puisque précisément, elles n’auront fait l’objet d’aucune intervention de l’autorité pastorale. Or certaines de ces questions n’en appartiennent pas moins à un domaine qu’il serait déplorable de considérer comme relevant seulement de libres options techniques dans tous les cas prudentiels où l’autorité pastorale ne s’est pas prononcée, on se retrouverait emprisonné dans les deux seuls termes du schéma « doctrine-options ».

La vertu de prudence ne doit pas être diluée dans un libéralisme technique

Il existe nombre de points pratiquement importants, concernant par exemple l’Algérie, l’école libre, le régime politique actuel, la réforme intellectuelle et morale, la résistance au communisme, sur lesquels l’Église n’a rien dit et ne dira probablement rien. L’Église a rappelé la doctrine universelle ; elle a quelquefois précisé explicitement certaines de ses applications pratiques à ces diverses questions ; elle ne les a pas précisées toutes ; elle n’a pas tranché certains points, à vrai dire assez nombreux. On aurait tort d’en conclure que l’importance de ces points, dont l’Église n’a pas parlé, est spécifiquement et uniquement technique. On aurait tort de croire que, sur ces points, les options qui ne sont interdites ni par la doctrine, ni par une décision pastorale explicite de la Hiérarchie apostolique, sont toutes égales en valeur morale.

Certes, on voit bien tout ce qu’il y eut, tout ce qu’il y a de bon et de nécessaire dans l’effort persévérant pour « dépassionner » les discussions (ou les querelles) autour des « options libres ». Il a fallu, et souvent il faut encore dépolitiser des esprits, des milieux, des organisations victimes d’une politisation abusive. Pour réussir à faire passer, comme le demandent les Souverains Pontifes, la religion qui unit avant la politique qui divise, on a dû et on doit montrer aux catholiques qu’un désaccord sur le régime politique ou même sur le statut de l’école libre est en soi moins grave qu’un désaccord sur le dogme de l’Incarnation. Le comportement ordinaire de beaucoup de catholiques s’est établi comme si c’était le contraire, et des habitus intellectuels et moraux se sont créés. Aller contre ces habitus demande un grand, un long effort.

Il était urgent et nécessaire, et il l’est toujours, de restaurer la hiérarchie des valeurs. Il est beaucoup plus important d’être unis dans le sacrifice de la messe que d’être désunis sur le choix du journal vendu à la sortie de la messe des catholiques ayant entre eux cette union et cette désunion devraient être, tout compte fait, unis. Or tout compte fait, ils sont (parfois) surtout divisés : dans la mesure où ils donnent pratiquement, sinon en théorie, plus d’importance au journal exposé à la porte de l’église, et qui les divise, qu’au sacrifice accompli sur l’autel, qui fonde leur unité.

Dans une telle situation, il était sans doute pédagogiquement indispensable de dévaloriser des « options libres » qui occupaient dans le comportement – et peut-être dans la vie intérieure – de chacun une place surévaluée. Il était nécessaire de rappeler que l’option libre ne découle pas de la doctrine universelle par une déduction logique obligatoire ; il était indispensable de faire en sorte que le résultat de cette déduction indue ne vienne pas prendre la place de la doctrine elle-même : quand une option particulière était : 1.]  présentée comme obligatoire en doctrine ; 2.]  défendue avec plus d’ardeur que la doctrine elle-même, – il y avait manifestement un effroyable abus. Il n’est pas sûr d’ailleurs qu’il ait partout disparu, ni qu’il ne renaisse pas sous des formes inédites. Remettre la politique à sa place, qui est, tout importante qu’elle soit, secondaire et subordonnée, voilà une tâche qui est encore d’actualité.

Descartes assure, à propos des choses de l’esprit, qu’il faut procéder comme avec un bâton flexible et tordu : pour le redresser, tordons-le en sens inverse. Même en acceptant cette méthode, il importe encore de n’aller point jusqu’à la déformation contraire ; il importe aussi de savoir que l’on risque parfois de provoquer la torsion inverse dès le premier effort de redressement.

La dévalorisation systématique des « options libres » comporte d’ailleurs quelque chose d’absolument chimérique, quand elle va jusqu’à supposer implicitement – et même, cela s’est vu, explicitement – qu’il pourrait exister des journaux, des entreprises, des œuvres, des mouvements installés au seul plan de la doctrine obligatoire et de ce fait exempts de toute libre option. Cela est impossible, même pour des mouvements strictement apostoliques. Le choix lui-même du plan et du développement d’un sermon en matière purement doctrinale est une option libre engageant la responsabilité personnelle de celui qui fait le sermon.

Mais, d’autre part, et surtout, il est gravement erroné de laisser croire que toutes les options permises en doctrine sont égales en vérité et en valeur morale.

S’il en était ainsi toujours ainsi, en dehors de la doctrine universelle et des décisions pastorales de la Hiérarchie apostolique, et à la seule condition de ne pas les contredire, toutes les options étaient également valables, – on aboutirait à un extraordinaire scepticisme pratique, et à une indifférence radicale devant les responsabilités réelles, personnelles, concrètes de chaque état de vie.

Car enfin, si les diverses options libres théoriquement possibles et permises en doctrine ont toutes la même valeur morale, autant les jouer à pile ou face. Et si leur différence de valeur est purement technique, autant s’en remettre du choix aux spécialistes et aux experts.

Chaque fois que l’Église – comme il arrive souvent – ne prononce pas en fait le jugement prudentiel explicite qu’elle a le droit de prononcer pour départager diverses options en présence, il ne s’ensuit nullement que le choix est moralement indifférent, ni que n’importe lequel des choix possibles aura la même valeur morale que tous les autres, ni qu’il appartient à des considérations purement techniques de désigner le meilleur parti à prendre ; ni que tous les « engagements » se valent, pourvu que l’on soit « engagé » quelque part. Il s’ensuit au contraire qu’alors, chacun selon son état de vie (et non pas selon l’état de vie de son voisin…) porte la responsabilité, non pas technique, non pas indifférente moralement, mais la grave responsabilité morale de choisir lui-même, c’est un choix prudentiel et non pas une « préférence » d’ordre technique ou sentimental.

*

*     *

La frontière entre l’obligatoire qui réclame l’unité (in necessariis unitas) et le douteux qui appelle la liberté (in dubiis libertas) n’est donc nullement assimilable à la frontière, supposée commune, entre « doctrine » et « options ». Il n’est pas vrai que les « options libres » soient, par nature, douteuses. Il n’est pas vrai que le sort de l’homme soit de donner sa peine, son amour et sa vie dans un doute radical, comme sur un coup de dés. Partout où existe une responsabilité personnelle et une action concrète, il y a « option libre », – sous l’inspiration de la doctrine et en conformité avec elle. La part du doute peut être plus ou moins grande dans chaque cas, en raison de l’infirmité humaine. Mais la certitude raisonnable, l’obligation, la nécessité et l’unité ne sont pas exclues par principe du domaine des « options libres ». Ce n’est ni une erreur ni un péché de les y chercher : c’est la fonction intellectuelle et morale de la vertu de prudence.

In omnibus caritas : on manquerait à la charité, autant qu’à la vérité, si l’on tournait en dérision l’effort vertueux de l’homme prudent, si nécessaire que saint Louis pouvait dire : Prud’homme vaut mieux que bigot. Et quelle pire dérision pour « la principale des vertus morales » que de la réduire et de l’emprisonner « au plan technique » ?

Comme toutes les vertus morales, la principale d’entre elles, pour être pratiquée, a besoin d’être enseignée, montrée en exemple et honorée.


[6]   On attribue souvent cet adage à saint Augustin, mais c’est à grand tort. Il est introuvable dans les œuvres du saint docteur. En fait, il est dû au protestant Peter Meiderlin (Rupertus Meldenius, 22 mars 1582 – 1er juin 1651) à propos des controverses entre protestants.

Référence : Joseph Leclerc s. j. dans Recherches de sciences religieuses, tome XLIX, décembre 1961, pp. 549-560. Note complémentaire dans le tome LII-3 page 432 (1964). Cf. Esprit et Vie (ex Ami-du-Clergé ) du 20 mars 1973, page 98 (couverture).

Hypothèse : c’est le titre de l’œuvre [Paraenesis votiva pro pace ecclesiæ ad theologos augustanæ confessionis] d’où est tirée cette phrase qui l’a fait attribuer à saint Augustin, car « Augustanæ Confessionis » ne désigne pas les « Confessions de saint Augustin » mais la « Confession d’Augsbourg », manifeste doctrinal du protestantisme luthérien.

Il est d’ailleurs difficile d’attribuer ce texte à saint Augustin, pour peu qu’on y réfléchisse un peu. Il n’aurait bien sûr fait aucune difficulté pour « in omnibus caritas », bien au contraire.

Mais la distinction entre « dubiis » et « necessariis » relève du grand écart : non seulement ce sont deux notions qui ne sont pas du même genre (l’une ressortit à la connaissance, l’autre à l’être) mais aussi entre les deux, il y a tout le probable, et le certain contingent. Et puis il y a des choses douteuses qu’on peut (voire qu’on doit) laisser en l’état, tandis qu’il y a des doutes qu’on a le devoir de lever : quand il y va de l’honneur de Dieu, de la validité des sacrements, de la conduite à suivre en justice, de ce qui est nécessaire à la compréhension de la foi et de la parole du Magistère.

En fait, cette distinction n’a de sens que dans l’optique du libre examen protestant : là où la Bible ne soufre aucune divergence d’interprétation, nécessitée et unité. Le reste est rejeté dans le domaine du douteux et du libre, chacun étant juge de ce qui est nécessaire et ce qui est douteux. [note de Quicumque]

[7]   D’autre part, il peut exister des « options libres » en matière « doctrinale » en ce sens que l’Église laisse – provisoirement ou non – les théologiens libres de soutenir sur certains points des opinions diverses : par exemple au sujet du motif de l’Incarnation, au sujet de ce qui fut l’occasion du péché des Anges, au sujet de certains aspects du problème des rapports de la grâce et de la liberté, etc. Nous laissons cela entièrement en dehors de notre propos.

[8]   Marcel Clément et Jean de Livonnière : Scènes de la vie sociale, Éditions du Centre Français de Sociologie, 1955, page 25.

 [9]   Somme théologique, II-II, 47, 6.

[10]   Ibid.

[11]   Marcel Clément : Catéchisme de sciences sociales, fascicule I, Nouvelles Éditions Latines 1959, page 27.

[12]   Nous voulons dire : ne suffit pas intellectuellement. Nous ne parlons pas ici des requêtes, incomparablement plus nécessaires encore, de la conversion du cœur, de la rectification des appétits et des passions.

[13]   Tandis que la justice est « principale du point de vue de l’obligation » (Somme théologique, II-II, 56, 1, ad 1).

[14]   Et cette décision prudentielle, bien évidemment, ne comporte pas diverses « options » également permises, quand le choix est entre le martyre et l’apostasie.

[15]   R. P. Le Blond, Études, juin 1959, page 376.

[16]   Radiomessage du 18 février 1959.

[17]   Somme théologique, II-II, 174, 6, ad 3.

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2 mai 2012 3 02 /05 /mai /2012 21:53

 

Dans ma dernière chronique Et Maintenant… ?, c’est un élément bien accidentel et périphérique qui a retenu l’attention de quelques-uns. C’est dommage qu’on ait négligé l’aspect premier et seul important, le témoignage doctrinal.

Id fecit cui prodest ! 

Dans une note en fin de texte, j’ai affirmé que, en raison de son hospitalisation, il est impossible que M. l’Abbé Schoonbroodt soit l’auteur d’une mise en garde qu’un journaliste de La Vie lui attribue, et qu’on est donc en présence d’un faux. 

Je maintiens. 

Je veux juste préciser de quel genre de faux il s’agit. En effet, un écrit peut être qualifié de faux dans trois cas :

– s’il est controuvé, c’est-à-dire forgé de toutes pièces ;

– s’il est notablement déformé (par extraction du contexte, par modification du texte, par déformation ou déplacement d’accent dus à des changements typographiques non signalés) ;

– s’il est faussement attribué à un auteur qui ne l’a pas écrit. 

C’est dans ce dernier cas que nous nous trouvons : le texte a été publié sur un blog qui n’a aucun lien direct avec M. l’Abbé Schoonbroodt, et qui d’ailleurs n’a aucunement prétendu que ce texte émanait de l’Abbé Schoonbroodt ou avait son aval. 

Madame le journaliste de La Vie a donc fait une erreur d’attribution.

*

Puisqu’on m’a fait l’honneur de s’intéresser à un de mes écrits, ne fût-ce que sous un aspect mineur, je tiens à remettre sous les yeux des lecteurs les lignes suivantes : 

… situation paradoxale qui existe depuis des décennies :

—  d’un côté, le Vatican, invoquant des principes certainement catholiques (l’autorité du Magistère, l’unicité de la hiérarchie, la dévolution de la juridiction) exige l’adhésion à des doctrines qui ne sont pas catholiques (la liberté religieuse, l’union de tout homme à Jésus-Christ par la vertu de la seule Incarnation, la non-identité entre l’Église catholique et le Corps mystique de Jésus-Christ, les cercles d’appartenance à l’Église, la non-réprobation des Juifs, et bien sûr la réforme liturgique) ;

—  de l’autre côté, la fraternité Saint-Pie-X, pour ne pas se sentir obligée de recevoir ces doctrines non-catholiques et pour justifier son combat, nie les principes catholiques qu’invoque le Vatican ; ainsi elle forge des doctrines qui ne sont pas catholiques à propos de l’autorité du Magistère, de l’unicité de la hiérarchie et de la dévolution de la juridiction. 

Il faut absolument sortir de ce paradoxe : il est mortel pour la foi. Je dis bien : pour la vertu théologale de foi, ce paradoxe est mortel.

Il y a urgence.

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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 21:43

 


Dans la nuit du 17 au 18 avril 2012, la dépêche suivante a été publiée par l’agence i.media (agence de presse sise à Rome, en langue française, spécialisée sur le Vatican) :

« Le supérieur de la fraternité Saint-Pie-X a accepté le préambule doctrinal proposé par le Saint-Siège, avec quelques légères modifications », a indiqué dans la soirée du 17 avril 2012 le site d’informations religieuses Vatican Insider. Selon les mêmes sources, la réponse des lefebvristes au document que lui avait soumis Rome en septembre dernier doit encore être évaluée par Benoît  XVI qui a multiplié les gestes, depuis le début de son pontificat, en faveur de la réconciliation. Si cette information était confirmée, elle marquerait la fin d’une séparation de près de vingt-quatre ans.

La réponse de la fraternité Saint-Pie-X « est arrivée au Vatican et elle positive », écrit encore le vaticaniste Andrea Tornielli. Ce dernier assure qu’une « confirmation officielle de l’arrivée de cette réponse devrait avoir lieu dans les prochaines heures ».

Le 16 mars dernier, au terme de plusieurs mois de discussions et d’échanges, la Congrégation pour la doctrine de la foi avait donné un mois aux héritiers de Mgr Lefebvre pour fournir des « éclaircissements » concernant sa position sur le « préambule doctrinal » soumis le 14 septembre 2011, et cela afin d’éviter « une rupture ecclésiale aux conséquences douloureuses et incalculables ». La souscription à ce préambule devait permettre à la fraternité Saint-Pie-X séparée de Rome depuis juin 1988 de parvenir à la pleine communion et d’obtenir une structure juridique sous la forme d’une prélature personnelle.

Selon Vatican Insider, Mgr Bernard Fellay aurait proposé « quelques modifications non substantielles » du texte soumis par Rome en septembre dernier. Ce préambule – resté confidentiel pour l’heure – contiendrait en particulier la « profession de foi » prononcée par quiconque souhaite assumer une charge exercée au nom de l’Église, selon les critères de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Celui qui souscrit à cette professio fidei « adhère aux doctrines qui sont énoncées, soit par le pontife romain, soit par le collège des évêques, lorsqu’ils exercent le magistère authentique, même s’ils n’ont pas l’intention de les proclamer par un acte définitif ».

Il n’est pas impossible, explique encore Andrea Tornielli, que les membres de la Congrégation pour la doctrine de la foi examinent la réponse de la fraternité Saint-Pie-X début mai. Toujours selon lui, il faudra « quelques semaines supplémentaires » afin que soit mise en place la prélature personnelle accordée aux lefebvristes.

De façons plus ou moins complète, avec çà et là quelques nuances mineures, cette information a été reprise un peu partout. Ce n’est pas un critère de vérité catégorique, bien sûr, mais tout de même l’indice d’un événement qui couvait depuis quelque temps.

On en peut trouver confirmation dans deux réactions émanées de la fraternité Saint-Pie-X, réactions qui ressemblent furieusement aux « démentis mous » dont nous abreuve le monde politique, et qui ne sont en vérité qu’un aveu plus ou moins déguisé. Voici donc ce qu’on a pu lire.

Tout d’abord en style ecclésiastique indirect :

18 avril, 11 h. Le porte-parole de la FSSPX, l’abbé Lorans, confirme à l’APIC que la Fraternité a bien donné sa réponse au Vatican, mais souligne que « Andrea Tornielli va peut-être trop vite en besogne, car le pape Benoît  XVI et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi doivent encore examiner les éclaircissements apportés par Mgr Fellay concernant le préambule doctrinal soumis en septembre 2011 ».

Peu après, le site officiel de la fraternité publie ceci :

La presse annonce que Mgr Bernard Fellay a adressé une « réponse positive » à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et qu’en conséquence la question doctrinale est désormais résolue entre le Saint-Siège et la Fraternité Saint-Pie X.

La réalité est autre.

Dans un courrier du 17 avril 2012, le Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X a répondu à la demande d’éclaircissement que lui avait faite, le 16 mars, le cardinal William Levada, au sujet du Préambule doctrinal remis le 14 septembre 2011. Comme l’indique le communiqué de presse de la Commission pontificale Ecclesia Dei, daté de ce jour, le texte de cette réponse « sera examiné par le Dicastère (Congrégation pour la Doctrine de la Foi) et soumis ensuite au jugement du Saint-Père ».

Il s’agit donc d’une étape et non d’une conclusion.

Menzingen, le 18 avril 2012

*

*     *

On peut donc tenir le fait pour avéré : un « préambule doctrinal » – exigé par Benoît  XVI comme préalable à la réintégration de la fraternité Saint-Pie-X dans son obédience – a été substantiellement accepté ; seules quelques réserves mineures doivent encore être examinées pour que l’accord doctrinal soit finalisé, et pour que le processus canonique puisse aboutir.

Mais si le fait est certain, le contenu de ce quasi-accord doctrinal n’a pas été rendu public ; il est donc impossible de parler sur le fond.

Ce fait, d’ailleurs, si l’on en peut comprendre les raisons pratiques, ne laisse pas de diffuser un malaise : la fraternité Saint-Pie-X craindrait-elle que ses membres au nom desquels on négocie prennent connaissance d’un texte qui les engage en matière si importante ? Le Vatican voudrait-il mettre toute une partie de ses fidèles devant le fait accompli ?

Le n. 113 de la CRC (Contre-Réforme Catholique de feu l’Abbé de Nantes, janvier 2012, p. 1 col. 1) contenait des remarques intéressantes à ce sujet [les crochets et commentaires sont de la CRC, je n’ajoute rien, ni ne corrige de leur point de vue théologiquement insoutenable mais sociologiquement finement observé] :

Le Préambule doctrinal que le Vatican soumet à la ratification de la Fraternité Saint-Pie-X est toujours secret. Preuve qu’il s’agit d’une transaction entre deux partis, se méfiant de leurs opinions publiques respectives, et non pas de la définition de la foi catholique par la condamnation de l’hérésie, ni de la restauration du lien de la charité, par la condamnation du schisme.

Un forum de La Croix du mardi 3 janvier 2012 le fait bien voir, observant d’abord que personne ne s’occupe de vérité divine.

« Il s’agit pour les chefs des deux groupes [sic le Vatican est considéré comme un “groupe”, en face d’un autre “groupe”, la Fraternité Saint-Pie-X, à égalité…], de conclure le processus de rapprochement et, ensuite seulement, de révéler aux leurs quelles concessions ils ont accepté de faire. Assurément, alors, certains fidèles de l’un et l’autre groupes regimberont. »

Les conférences épiscopales refuseront de réintégrer les intégristes ainsi “réconciliés” à gros grains. Et les intégristes se diviseront entre réfractaires et ralliés.

« Mais les dirigeants [de l’un et l’autre “groupe” : le Pape d’un côté, Mgr Fellay de l’autre…] assument ce risque, semble-t-il, donnant la priorité à la signature du gentlemen’s agreement.

« Cependant, ce qui apparaît ainsi, c’est l’indifférence des négociateurs et notamment, hélas, des négociateurs romains [donc du Pape dont ils sont les mandataires…] – à l’égard du sensus fidei, de la capacité qu’ont les fidèles à percevoir la vérité de la foi. Manifestement, pour eux, le conflit peut se régler par un accord au sommet par un geste de bonne volonté de quelques personnes, à savoir Benoît  XVI, Mgr Fellay et leurs entourages respectifs », les uns et les autres se souciant de la vérité de Dieu comme d’une guigne.

« Quant au bon peuple, pense-t-on apparemment, il finira toujours par se ranger aux décisions venues d’en haut. »

*

*     *

Le point doctrinal qui apparaît tout de même, c’est que ce préambule est appelé à revêtir une grande « autorité » puisqu’on nous dit qu’il inclut la profession de foi que doivent émettre tous ceux qui exercent une charge.

Pour extirper l’hérésie protestante s’efforcer d’empêcher les « taupes » de coloniser l’Église, le Pape Pie  IV avait rédigé une profession de foi catholique dont l’émission sous serment était nécessaire avant la réception des ordres sacrés, de professions religieuses et des prises de charge au sein de l’Église. À cette profession de foi, complété après le concile du Vatican, saint Pie  X avait annexé le serment anti-moderniste avec la même nécessité et pour des raisons analogues.

En 1967, dans l’élan de « rénovation » de Vatican  II, Paul  VI a considérablement réduit ladite profession de foi, qui ne comporte plus que le symbole de Nicée-Constantinople (le Credo de la Messe) et le paragraphe suivant :

Firmiter

On remarquera (avec un sourire) que ce dernier alinéa – au demeurant parfaitement catholique – contient précisément une affirmation de l’autorité du Magistère qui est diamétralement opposée aux erreurs que la fraternité Saint-Pie-X professe en ces matières : et cela d’autant plus que la formule mentionne le Magistère ordinaire sans ajouter et universel.

Le code de droit Canon de 1983 qui a mis Vatican  II en articles juridiques maintient en son n° 833 cette obligation de la profession de foi ; mais le texte d’icelle a été modifié en 1989. Après le symbole de Nicée-Constantinople, le texte sur lequel il faut prêter serment continue :

Firma fide quoque credo ea omnia quae in verbo Dei scripto vel tradito continentur et ab ecclesia sive sollemni iudicio sive ordinario et universali magisterio tamquam divinitus revelata credenda proponuntur.

Firmiter etiam amplector ac retineo omnia et singula quae circa doctrinam de fide vel moribus ab eadem definitive proponuntur.

Insuper religioso voluntatis et intellectus obsequio doctrinis adhaereo quas sive romanus pontifex sive collegium episcoporum enuntiant cum magisterium authenticum exercent etsi non definitivo actu easdem proclamare intendant.

Si je comprends bien le latin, cette profession de foi affirme (et exige qu’on accomplisse) qu’il y a trois niveaux d’adhésions aux actes du Magistère : une adhésion de foi stricte à ce qui est proposé comme révélé par les jugements solennels et le Magistère ordinaire et universel ; une adhésion ferme à ce qui est définitivement tranché en matière de foi et de mœurs ; une docilité de l’intelligence et du cœur à ce qui tout est enseigné par le Pape ou le collège des évêques, dans leur magistère authentique même s’il ne s’agit pas d’un jugement définitif.

Sans entrer dans les détails des difficultés que présente la notion de magistère authentique, ou des modifications postérieures concernant la façon d’entendre la qualification universel appliquée au magistère, il n’a aucune objection de principe à faire en ce qui concerne la profession de foi ainsi accomplie .

Or je gage que c’est précisément sur ce point que la fraternité Saint-Pie-X marquera son désaccord, tant elle a une conception minimaliste (et même infra-minimaliste) de l’autorité du Magistère. Autrement dit, il y a un risque (et à mon avis davantage qu’un risque) que dans ce préambule doctrinal, la Fraternité conteste ce qui est catholique – et « avale » discrètement et « élastiquement » ce qui ne l’est pas : l’acceptation de principe de Vatican  II et des réformes qui en sont issues.

Certes nous devrions être bientôt fixés. Mais il faut se préparer à voir apparaître au grand jour la situation paradoxale qui existe depuis des décennies :

—  d’un côté, le Vatican, invoquant des principes certainement catholiques (l’autorité du Magistère, l’unicité de la hiérarchie, la dévolution de la juridiction) exige l’adhésion à des doctrines qui ne sont pas catholiques (la liberté religieuse, l’union de tout homme à Jésus-Christ par la vertu de la seule Incarnation, la non-identité entre l’Église catholique et le Corps mystique de Jésus-Christ, les cercles d’appartenance à l’Église, la non-réprobation des Juifs, et bien sûr la réforme liturgique) ;

—  de l’autre côté, la fraternité Saint-Pie-X, pour ne pas se sentir obligée de recevoir ces doctrines non-catholiques et pour justifier son combat, nie les principes catholiques qu’invoque le Vatican ; ainsi elle forge des doctrines qui ne sont pas catholiques à propos de l’autorité du Magistère, de l’unicité de la hiérarchie et de la dévolution de la juridiction.

Autrement dit, de part et d’autre, soit parce qu’on reconnaît Benoît  XVI, soit parce qu’on veut le reconnaître, on professe des erreurs graves, des erreurs incompatibles avec la foi catholique : comment mieux démontrer que Benoît  XVI est une fausse règle prochaine et vivante de la foi, et donc qu’il ne possède en rien l’autorité pontificale ?

*

*     *

Il est inévitable de se poser la question : Que va-t-il se passer maintenant ?

La première réponse qui vient à l’esprit est : Rien. Pourquoi est-ce la première ? Parce que nous sommes habitués aux reculades qui enfoncent un peu plus à chaque fois la vérité catholique : tout n’est que politique, rapport de force, etc. au détriment de la doctrine catholique et de sa primauté. Parce qu’aussi le Vatican est habile : le préambule doctrinal sera en gros acceptable, et ne mettra pas trop au pied du mur quant à la profession des erreurs de Vatican  II. Avec un petit surcroît d’élasticité dans l’intelligence, un petit surcroît d’aveuglement dans le cœur, un petit surcroît de cynisme, on arrivera bien à accepter d’abaisser encore un peu la garde doctrinale. Du coup, chacun attendra pour envisager de réagir les réalisations concrètes de l’intégration, dont le préambule doctrinal n’est qu’une condition préalable.

Les mêmes équivoques délétères, les mêmes fausses doctrines continueront, le même grand écart entre la reconnaissance de Benoît  XVI et le refus de se soumettre à son autorité.

Mais il y a d’autres hypothèses. On peut imaginer que ledit préambule doctrinal soit clairement inacceptable pour une partie notable des membres de la Fraternité, au-delà de l’élasticité doctrinale tolérable. Il y a alors un fort risque de casse, de refus, de rébellion (sans rien mettre de péjoratif sous ce mot, pour l’heure).

Si donc une partie des prêtres de la Fraternité refuse ou le préambule doctrinal ou la situation canonique qui s’ensuivra, et fait sécession, il reste plusieurs possibilités :

1.  Se constitue une Fraternité-bis, par exemple une fraternité Saint-Marcel, sous l’obédience d’un, de deux voire de trois évêques , qui se proclame l’unique et l’authentique fondation de Mgr Lefebvre (car enfin, c’est la référence intangible).

Deux choses sont alors à craindre : la reconduction des mêmes erreurs doctrinales ; la grosse guerre pour la possession des prieurés, des avoirs bancaires et autres biens matériels : les avocats vont s’enrichir et les ennemis de l’Église se réjouir.

2.  Les « dissidents » demeurent dispersés, continuant çà et là un apostolat personnel. Que sera-t-il possible de faire alors pour les aider ? Quiconque en effet s’est trouvé dans une situation analogue sait combien le soutien de la charité sacerdotale est précieux.

Voici donc ce qu’il me semble.

–  je ne vois rien que je puisse faire (hormis la prière) pour ceux que je nomme les néo-prêtres (ordonnés par un évêque sacré sans mandat apostolique) ; seule l’autorité suprême de l’Église (quand elle sera rétablie et si elle le veut) pourra réparer ce qui manque à leur ordination sacerdotale : l’intégration dans le clergé catholique ;

–  les autres prêtres ont été imprégnés, pendant une trentaine d’années au moins, de fausses doctrines, et de l’habitude d’un libre examen qui choisit entre les actes qu’il affirme provenir de l’autorité légitime ceux qui lui conviennent.

C’est là qu’il convient de venir à leur aide, pour qu’ils puissent se rendre compte des erreurs qu’on leur a enseignées, martelées au point qu’ils n’en discernent plus la malice ni l’opposition à la tradition catholique.

Quand, par la grâce de Dieu, ils auront pénétré la gravité de l’una cum du Canon de la sainte Messe, compris l’exigence de l’unité de l’Église en sa hiérarchie, professé l’intégrité de la foi catholique, nous nous réjouirons de pouvoir profiter de leur zèle et de leurs vertus.

    J’ai brièvement traités des deux points que j’évoque ici à la fin des Notions sur le Magistère publiées dans le dossier La foi est infrangible accessible : http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/18/98/43/La-foi-est-infrangible/A-3-Notions-Magistere.pdf.

     C’est ici l’occasion de signaler un fait étonnant. Une dame Natalia Trouiller dans La Vie relate ce qu’elle nomme Le feuilleton FSSPX/Vatican en direct.

Un des épisodes du feuilleton est celui-ci :

18 avril, 14 h. Le mouvement sédévacantiste de l’abbé Schoonbroodt – l’un des derniers compagnons de Mgr Lefebvre encore en vie – publie un communiqué sur son blog : « La FSSPX rejoint intégralement et officiellement l’Église moderniste et trahit définitivement la résistance catholique ». Qui se termine par un avertissement aux fidèles, montrant que les sédévacantistes s’attendent à ce que Mgr Williamson refuse la réconciliation avec Rome : « Les choses vont naturellement bouger dans les semaines qui viennent ; le très trouble Mgr Williamson, farouchement opposé à la position “sédévacantiste”, va très probablement se séparer de la Fraternité Saint Pie X et tenter de rassembler autour de lui les quelques lefebvristes qui s’élèveront contre ce ralliement, piège qu’il faut de suite dénoncer. Nous mettons dès à présent en garde les fidèles contre ce risque réel ; il est à craindre que certains prêtres non una cum [sédévacantistes, NDLR] en France rejoignent le camp de Mgr Williamson ». 18 avril 2012.

Il se trouve qu’à cette date, M. l’Abbé Schoonbroodt était sur la route du retour de Tchéquie, puis sur un lit de douleur en Bavière à la suite d’un accident – et donc dans l’incapacité d’écrire un article ou de communiquer avec qui que ce soit. Qui donc usurpe ainsi son identité ? Cela est d’autant plus déplorable que ce faux ne se réfère ni à la doctrine catholique ni aux problèmes que pose le sacre de Mgr Williamson eu égard à la Constitution de l’Église, mais qu’il n’est qu’une allusion à de grossières calomnies qu’on se plaît à faire courir sur son compte.

Qui connaît la bienveillance de l’Abbé Schoonbroodt est bien certain qu’il ne peut être qu’étranger à cet étrange communiqué.

 

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19 avril 2012 4 19 /04 /avril /2012 17:14

 

Vient de paraître, publié par l’Association Saint-Jérôme *, en co-édition avec la revue pour les familles La Cigale de Saint-François ** :

Jehan de Fougereuse

de

Louis Morvan


un volume de 280 pages 13x20, couverture imitation cuir rempliée, 11 illustrations en couleur dont 7 en pleine page, avec une notice biographique sur les personnages historiques.

Prix public, 14 €. Frais de port et d’emballage pour 1 exemplaire : 3,5 € ; pour 2 exemplaires : 4,5 € ; pour 3 et 4 exemplaires: 6 € ; franco de port à partir de 5 exemplaires.


Je vous avoue que pour ma part, j’ai rarement lu une œuvre où se manifeste un tel talent : l’intérêt se soutient du début à la fin et va grandissant ; et c’est un intérêt qui n’a pas besoin de meurtres, de compétitions ni d’intrigue sentimentale, parce que l’essentiel se passe dans des âmes flamboyantes, dans la loyauté et la fidélité des cœurs.

Dans notre monde de pusillanimité, de déloyauté et d’avidité des biens passagers, cette belle histoire nous fait admirer un cœur loyal et magnanime avec un souffle, un élan et une montée qui font de cet ouvrage un chef-d’œuvre de littérature.

Tous ceux qui l’ont lu savent que je n’exagère pas ; ceux qui le liront trouveront même que je reste en deçà de la réalité : l’aventure qui y est contée captive petits et grands (la différence, c’est que les petits l’avouent…) et favorise dans les âmes un esprit de chevalerie — la véritable chevalerie pétrie de fidélité et de charité.

~~~

Nous sommes au xve siècle, époque de transition entre le moyen âge et la renaissance. Les nations (au sens moderne du terme) commencent à s’élever sur les débris de la chrétienté brisée par l’ambition des princes et la diminution de l’esprit chrétien.

Dans le royaume d’Anjou, le bon roi René (1409-1480) résiste tant bien que mal à la pression qu’exerce son puissant et avide voisin, Louis XI de France.

Au sein de cette petite cour d’Angers brille Jehan de Fougereuse, personnage énigmatique, voire inquiétant… Est-il ange ou démon – ou autre chose encore ? Mais quelle que soit la couleur de son âme et quoi qu’il en soit de sa droiture, l’histoire qui tourne autour de lui est emplie d’intérêt historique, d’édification chrétienne, de connaissance des mœurs au temps de la chrétienté et de suspense à rebondissements.

Dans le premier chapitre, ce personnage n’apparaît qu’indirectement et l’on ne peut encore savoir s’il tiendra le rôle de héros, ou celui de faire-valoir pour un autre héros. L’atmosphère de mystère, d’intrigue, de rivalité qui s’en dégage marquera fortement toute l’histoire.

Et puis l’aventure s’emballe, pour ne déposer le lecteur – conquis, ravi, édifié (mais par qui donc ?) – qu’à la dernière page. Je n’en puis dire davantage sans trop dévoiler…


* Association Saint-Jérôme

3, allée de la Sérénité

F – 33490 Saint-Maixant

www.saint-jerome.fr

Courriel : info@saint-jerome.fr

Fax : 05 56 76 29 19 (à l’international : +33 556 76 29 19)

 

** La Cigale de Saint-François

21, allée de la Sérénité

F – 33490 Saint-Maixant

Courriel : cigaledesaintfrançois@gmail.com

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5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 22:00

 

Nous sommes les victimes du monde qui combat Jésus-Christ et du modernisme son complice : ils prétendent exercer une charité sans foi, sans vérité, sans justice ni bien commun, et cette charité ne peut qu'être illusoire et destructrice… — et nous, par une réaction insensée, nous en venons à considérer que la charité n’est qu’une annexe de la vie chrétienne, plus ou moins généreuse mais facultative. Et c’est là une erreur destructrice, rendant la vie chrétienne illusoire.

Nous sommes les victimes des doctrines américanistes et des pratiques activistes, qui réduisent la charité à l’amour du prochain, et bien souvent à l’amour du lointain — et nous, par une réaction insensée, nous prétendons nous cantonner dans l’amour de Dieu, faisant semblant d’estimer que l’amour du prochain pourrait être dangereux ou dissipant.

Tout le mystère du Jeudi-Saint, toute la liturgie de l’Église catholique viennent protester contre cette dénaturation de la charité que nous accomplissons, en commençant par professer cette vérité absolue et éternelle : la charité est la vie chrétienne ; la vie chrétienne est la charité.

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Trompés, délibérément trompés par ces erreurs, nous traînons une vie faite de rancunes, d’inimitiés et de froideurs ; nous multiplions les paroles dures, les pensées méprisantes, les attitudes blessantes — refusant de pardonner et de rendre service, ou nous laissant aller sans vergogne au sans-gêne.

Et pour « justifier » cela, nous inventons mille prétextes, tous plus « convaincants » les uns que les autres…

Mais ces prétextes que nous estimons convaincants, ils sont insupportables aux yeux de Dieu et incompatibles avec l’amour du Sacré-Cœur de Jésus : car aujourd’hui Notre-Seigneur Jésus-Christ nous enseigne le contraire et nous donne l’exemple inverse.

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À la lumière de cet enseignement et de cet exemple, examinons quelques-uns des prétextes qui nous aveuglent et nous empêchent d’être disciples de Jésus-Christ.

–  C’est à lui de faire le premier pas… Comme si nous étions quelqu’un de vraiment supérieur voire d’extraordinaire. Et si Notre-Seigneur n’avait pas fait le premier pas pour nous sauver (et le second et le troisième), nous serions irrémédiablement voués à l’Enfer.

–  Si je pardonne, cela va apparaître comme une faiblesse… Se renoncer à soi-même, suivre l’exemple de Jésus-Christ, est-ce vraiment une faiblesse ? Abandonner la vérité, battre la coulpe des autres, renoncer au droit d’autrui, oui cela est faiblesse. Mais ouvrir son cœur pour le rendre semblable au Sacré-Cœur de Jésus, c’est la plus grande force du monde.

–  Si je me réconcilie comme ça, je vais avoir l’air ridicule… Et alors ? Ce ne serait rien d’autre que le ridicule de Jésus-Christ moqué par les Juifs et les soldats. D’ailleurs, il est très probable que ce ne sera pas le cas, mais le démon et l’amour-propre stimulent l’imagination pour faire craindre ce qui n’arrivera pas, et qui n’est pas à craindre.

–  Je pardonne, mais je n’oublie pas… Ce qu’il faut surtout ne pas oublier, c’est que nous serons traités par Dieu comme nous aurons traité notre prochain : empressons-nous d’oublier, non pas pour devenir naïf, mais pour attirer la miséricorde de Dieu sans laquelle nous sommes perdus.

–  Si je suis charitable, on va en abuser, on va me prendre pour une « bonne poire »… Mais oui, c’est cela la mesure de la charité : être poire. C’est la mesure qu’a choisie Jésus-Christ à notre égard, et nous en avons abusé outre mesure. Dès lors comment le reprocher à notre prochain ?

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Car le Jeudi-Saint est le jour du Commandement nouveau, de la quintessence de l’Évangile, du cœur de la vie chrétienne : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Il est donc urgent, indispensable, de nous méditer le comment de l’amour que Notre-Seigneur nous a manifesté et qu’il nous porte, afin que nous puissions nous livrer à l’imitation de Jésus-Christ, puisque c’est cela qui nous est commandé.

L’Évangile nous a enseigné tout à l’heure que Notre-Seigneur nous a aimés jusqu’à la fin : il n’a pas laissé la volonté de son Père en plan, il a achevé notre salut. L’amour du prochain est persévérant.

Jésus-Christ lave les pieds de ses Apôtres, lui qui est Maître et Seigneur (et qui n’abandonne pas ces titres par lâcheté ou par démagogie). Se faisant le dernier, s’agenouillant devant tous, il nous donne l’exemple de l’humble service qu’il rend avec simplicité. Même à Judas dont il connaît la forfaiture. Il souffre de cette prévarication dont l’issue lui est connue, mais cela ne l’empêche pas de proposer à Judas sa Miséricorde et de l’appeler « mon ami » au jardin des Oliviers.

Notre Seigneur institue la sainte Eucharistie et nous laisse son Sacrifice (« faires ceci en mémoire de moi ») ; ainsi, il ne nous quitte pas, mais demeure avec nous et en nous pour que nous soyons sauvés en lui. Aimer le prochain, c’est l’attirer au saint Sacrifice de la Messe, c’est y prier pour lui, c’est le lui faire aimer.

Le pardon total et immédiat donné au Bon Larron, en récompense de son acte extraordinaire de foi et de sa contrition manifeste le dessein de gloire et de miséricorde que Jésus-Christ a pour nous. Aimer, c’est pardonner, sans retour, sans condition, sans « chichi ».

Enfin, Notre-Seigneur se dépouille de tout, de ce qu’il a de plus cher, de plus précieux, de plus aimable : la très sainte Vierge Marie qu’il institue notre mère sur la Croix. C’est l’ultime marque de son amour ; c’est un appel à ce délicat amour du prochain qui passe par Notre-Dame, qui la fait connaître et aimer, qui se place sous sa protection maternelle.

Voilà comment Jésus-Christ nous a aimés, voilà comment il nous appelle à vivre. Il y tient tellement qu’il précise à ses Apôtres : c’est à ce signe qu’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, que vous vous aimez les uns les autres.

En ce Jeudi-Saint, demandons la grâce d’être (enfin ?) de vrais disciples de Jésus-Christ, pour que cette charité à laquelle il nous appelle produise une éternité de Gloire.

 

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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 21:58

Oratoire Notre-Dame de la Sainte-Espérance

3, allée de la Sérénité

F – 33490 Saint-Maixant


Voici un mois, a été inaugurée une collection de fiches, nommée Magnificat, appelée à rendre service à tous ceux que la foi catholique et son environnement intéressent (et même aux autres). Vous en trouverez les caractéristiques, les motivations et les conditions dans les deux documents suivants :

Présentation générale

Bulletin de souscription

Ut in omnius glorificentur Deus Trinitas, sancta Virgo Maria et Ecclesia catholica.


Semaine-Sainte et fête de Pâques

Avril 2012

1

Dimanche

dimanche des Rameaux. Messe basse à 8 h 15. Bénédiction des Rameaux, procession et Messe chantée à 10 h 00. Chant des Vêpres et chapelet à 18 h 00.

2

lundi

Lundi-Saint.

3

mardi

Mardi-Saint. Messe basse à 7 h 30.

4

mercredi

Mercredi-Saint. Messe basse à 7 h 30.

5

jeudi

Jeudi-Saint. Office des Ténèbres à 7 h 30. Confessions de 10 h 00 à midi et de 15 h 00 à 18 h 00. Messe à 18 h 30, suivie de la procession au Reposoir. Adoration jusqu’à minuit.

6

vendredi

Vendredi-Saint. Jeûne et abstinence. Office des Ténèbres à 7 h 30. Chemin de la Croix à 15 h 00. Confessions de 16 h 00 à 18 h 00. Cérémonie de l’Adoration solennelle de la Croix à 18 h 30.

7

samedi

Samedi-Saint. Office des Ténèbres à 7 h 30. Confessions de 10 h 00 à 12 h 00 et de 16 h 00 à 19 h 00.Veillée pascale à 22 h 30.

8

Dimanche

dimanche de Pâques. Messe de la Résurrection à 0 h 00. Messe chantée à 10 h 00. Vêpres à 17 h 15 et salut du T. S. Sacrement à 18 h 00. — Attention ! il n’y a pas de Messe à 8 h 15.

9

lundi

Lundi de Pâques. Messe chantée à 9 h 00.

10

mardi

Mardi de Pâques. Messe à 7 h 30.

11

mercredi

Mercredi de Pâques. Messe basse à 7 h 30.

 

Après le péché originel, Dieu a promis à Adam et Ève – et par eux à toute l’humanité – un Sauveur ; c’est en s’adressant au serpent qu’il émet cette promesse, en associant la sainte Vierge Marie au salut annoncé : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Elle te brisera la tête, et tu t’efforceras de la mordre au talon » (Gen. iii,  15).

Notez au passage que les traductions modernes font tout pour minimiser la sainteté et le rôle de la sainte Vierge : elles s’arrangent pour qu’on comprenne que c’est la descendance de Notre-Dame (c’est-à-dire Jésus-Christ) qui écrase la tête ; elles n’hésitent pas à affirmer que le serpent mordra la femme au talon. Et pourtant la Vulgate, version authentique et garantie par l’Église catholique de la sainte Écriture, est sans équivoque. C’est sans aucun doute la femme (la sainte Vierge Marie) qui écrase la tête – ipsa conteret – et le démon ne peut faire davantage que lui tendre des embûches – insidiaberis – sans parvenir à l’atteindre.

Lorsque les temps annoncés sont accomplis, Dieu tient parole bien au-delà de ce qu’il a promis : il envoie un Rédempteur, qui ne se contente pas de briser comme de l’extérieur le règne du péché, mais celui-ci « se fait péché pour nous » et rachète les hommes au prix de son sang. Et ce Rédempteur n’est pas un simple envoyé de Dieu, il est le propre Fils de Dieu, consubstantiel au Père (et au Saint-Esprit) de toute éternité.

Celui qui répare l’offense par l’effusion de son propre sang est celui-là même qui a été offensé, méprisé et rejeté par les péchés des hommes !

Pour accomplir cette Rédemption, pour offrir un vrai sacrifice (dont le péché originel a été le refus) le Fils de Dieu a pris une nature humaine dans le sein très pur de la sainte Vierge Marie, par l’opération du Saint-Esprit ; depuis l’instant de l’Incarnation – et à jamais – il est vrai Dieu et vrai homme : un seul Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, et homme semblable à nous.

À la fin de sa vie publique pendant laquelle il a révélé les grands mystères de la foi et enseigné la divine morale évangélique, Jésus-Christ est crucifié ; il offre ainsi le Sacrifice rédempteur. En raison de sa nature humaine, il peut être simultanément prêtre et victime de ce Sacrifice – et de fait il l’est.

Ainsi Jésus-Christ s’immole en mourant sur la Croix. Si ce sont les Juifs qui mettent Notre-Seigneur à mort (« Crucifiez-le ! crucifiez-le ! ») par l’entremise des Romains, si par nos péchés nous sommes la triste cause méritoire de la mort du Fils de Dieu, cependant Notre-Seigneur se livre et meurt volontairement (« Ma vie, personne ne me la prend mais c’est moi qui la donne »). Il le fait pour obéir à son Père, pour rétablir sa Gloire occultée par nos péchés, pour satisfaire à la Justice divine, pour mériter notre Salut et pour détruire l’injuste règne de Satan.

À ce sacrifice rédempteur d’une valeur infinie, surabondante pour le salut de tous les hommes (mais dont ne profiteront que ceux qui seront personnellement et surnaturellement unis à Jésus-Christ) est associée la sainte Vierge Marie qui est véritablement corédemptrice.

Elle n’est pas corédemptrice parce qu’elle aurait à proprement parler mérité le salut des hommes : elle-même en effet a dû être rachetée par Jésus-Christ, même si elle a été rachetée d’une manière plus admirable que nous, à savoir de façon préventive et avec une abondance inégalée. Notre-Dame est corédemptrice parce qu’elle est spécialement unie à Notre-Seigneur dans l’offrande du sacrifice de la Croix.

Cette union singulière découle de la maternité virginale (Notre-Seigneur en tant que prêtre et victime tient tout d’elle) et de sa présence au pied de la Croix au moment de la mort de Jésus-Christ : c’est elle qui offre au Père l’instant même de cette mort. En effet, on n’a pas humaine­ment conscience de cet ultime instant, puisqu’il n’y a pas ici-bas d’instant suivant qui permette de s’en rendre maître.

Lorsque Notre-Seigneur meurt, il meurt d’une vraie mort humaine par séparation de l’âme et du corps – chacun des deux restant uni pour sa part à la divinité. L’âme de Jésus-Christ, déjà glorieuse de droit en raison de l’union hypostatique (union de la nature divine et de la nature humaine dans la seconde personne de la sainte Trinité) est glorifiée en raison du Sacrifice parfait qui vient d’être consommé. Elle descend dans les Limbes où les justes de l’Ancien Testament attendent la réouverture de la porte du Ciel, pour conduire ces âmes fidèles dans la vision béatifique qu’elles ne quitteront plus de l’éternité.

Pendant ce temps, à Jérusalem, le corps de Jésus-Christ est enseveli en attente de la Résurrection. Avant que celle-ci ne se réalise, toute la charité (et donc toute la foi et toute l’espérance) de l’Église de la terre est comme concentrée en la sainte Vierge Marie. Elle seule croit en la résurrection que Notre-Seigneur a annoncée, et elle seule l’attend.

Au petit matin de Pâques, l’âme glorieuse de Jésus-Christ reprend possession de son corps au tombeau, et le ressuscite tout en le glorifiant : c’est ainsi que Notre-Seigneur, tout en restant vrai homme et tandis que son corps demeure un vrai corps matériel, consistant, est maintenant et pour toujours affranchi de la mort, de la souffrance et de la douleur, de la pesanteur et des nécessités animales ; il est revêtu d’une clarté divine qui manifeste la gloire de la nature béatifiée. Il est le premier des ressuscités, et les justes ressusciteront au dernier jour de manière sur son modèle. Les pécheurs non repentis, eux, ressusciteront, mais ce sera pour le feu éternel et la séparation sans fin d’avec Dieu.

Il faudrait mentionner à sa place l’institution de la Sainte Eucharistie, où Jésus-Christ nous laisse sacramentellement (en signe et en réalité) son Sacrifice pour qu’il nous soit appliqué et appliqué encore, et pour que nous puissions y prendre part. Dans le même sacrement, il nous laisse son Corps et son Sang parce qu’il veut commencer en nous et avec nous la vie céleste ; il nous laisse sa présence réelle pour nous accompagner dans notre exil terrestre. Dieu est l’amour infini, mais il ne pouvait nous aimer davantage, dit saint Augustin.

Les mystères de ces jours saints sont la plus parfaite manifestation de la puissance et de la miséricorde de Dieu, et de la place unique qu’occupe la très sainte Vierge Marie. La liturgie de l’Église, avec sa puissance sacramentelle et contemplative, en fait des mystères de grâce, de conversion et de louange qui sont le commencement de la vie éternelle.

Il serait grand dommage de négliger la moindre parcelle de cette divine liturgie.

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