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17 mars 2011 4 17 /03 /mars /2011 20:40

Le texte qu’on va lire a été publié par votre serviteur dans le bulletin Notre-Dame de la Sainte-Espérance de février 2011. Sa principale raison d’être est de (re)mettre sous les yeux des catholiques l’instruction de Pie XII sur la nature, la valeur et l’importance du saint Sacrifice de la Messe. Une des causes directes de la crise de l’Église est le désamour de la Messe, et c’est peut-être aussi la cause déméritoire qui a fait que le Bon Dieu nous en a privés. Si donc nous ne retrouvons pas l’amour de la sainte Messe, nous ne sortirons pas de la présente tourmente.

La lettre qui fait suite essaie d’examiner à la lumière des principes de la sainte Église le problème de l’assistance à la sainte Messe : c’est là chose fort délicate, où l’on est sans cesse à craindre de se laisser aller à quelque laxisme, pharisaïsme ou indifférentisme. Fasse Dieu que de ce texte on puisse dire : Misericordia et veritas obviaverunt sibi ; justitia et pax osculatæ sunt (Psaume LXXXIV, 11).


En pleine guerre !

En 1941, alors que la guerre devenait mondiale et répandait partout la mort, la souffrance, la haine et la désolation, le Pape Pie XII fit envoyer à tous les évêques du monde une instruction leur rappelant un de leurs devoirs les plus sacrés : exhorter les fidèles à assister fréquemment et avec dévotion au saint Sacrifice de la Messe.


Sacrée Congrégation du Concile

Instruction du 14 juillet 1941

Plusieurs fois, au milieu des si nombreuses calamités qui nous accablent de toutes parts, notre très saint Père le Pape Pie XII, mû par une vive charité, a exhorté les chrétiens du monde entier à offrir à Dieu des prières publiques et privées pour les nécessités actuelles de l’humanité et spécialement pour obtenir la paix entre les peuples, en rappelant les promesses du divin Maître : « Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira » (Matth. vii, 7 ; Luc. xi, 9).

Dans ce même but, notre très Saint-Père, par le Motu proprio Norunt profecto, du 27 octobre 1940, a prescrit que fussent offertes dans toutes les parties du monde des messes puisque rien n’est plus capable « d’apaiser et de rendre propice la divine Majesté que le sacrifice eucharistique par lequel le Rédempteur du genre humain est en tout lieu sacrifié et offert en oblation pure ». De fait, le divin sacrifice qui est réalisé dans la messe et dans lequel, suivant l’enseignement du concile de Trente, « est présent et immolé d’une manière non sanglante le même Christ qui s’offrit une fois lui-même d’une manière sanglante sur l’autel de la croix » (session xxii, can. 2), n’est pas seulement un sacrifice de louange et d’action de grâces, mais aussi de propitiation, tant pour les vivants que pour les défunts.

C’est pourquoi les peuples chrétiens n’ont jamais cessé, au cours des siècles, de faire en sorte que du lever du soleil à son couchant, cette oblation pure soit offerte tant pour leurs propres nécessités que pour les fidèles défunts non encore pleinement purifiés, et ils étaient accoutumés à y assister fréquemment et avec dévotion.

Mais la foi et la ferveur de la piété s’affaiblissant, cette excellente habitude, on le sait, fut interrompue, et beaucoup de fidèles n’ayant plus l’estime et l’amour des choses divines ne témoignent plus au sacrifice de la messe le culte qui lui est dû, ne s’emploient plus avec soin et zèle, comme auparavant, à le faire célébrer pour leurs nécessités et en faveur des défunts, alors que, souvent, ils n’hésitent pas à recourir à d’autres pratiques moins salutaires.

C’est pourquoi la Sacrée Congrégation du Concile, par mandat spécial de notre très Saint-Père le pape Pie XII, exhorte vivement les Ordinaires du monde entier à instruire soit par eux-mêmes, soit par les prêtres ayant charge d’âmes, soit par d’autres prêtres de l’un et l’autre clergés, les fidèles sur les points suivants :

1°/  Sur la nature et l’excellence du sacrifice de la messe, de ses fins et de ses fruits salutaires pour la vie du monde, ainsi que sur les rites et cérémonies qui l’accompagnent, afin que les fidèles n’y assistent pas seulement d’une façon passive, mais qu’ils s’unissent d’esprit et de cœur dans la foi et la charité, aux prêtres qui célèbrent le saint sacrifice.

2°/  Sur l’obligation grave qui incombe aux fidèles qui ont l’usage de raison, d’entendre la messe les dimanches et les autres fêtes de précepte (can. 1248), étant donné qu’il s’agit du principal acte du culte extérieur et public dû à Dieu, par lequel nous reconnaissons le souverain domaine sur nous de Dieu créateur, rédempteur et conservateur.

3°/  Sur la valeur impétratoire et propitiatoire du sacrifice de la messe. Bien comprise et connue, elle porte les fidèles à assister fréquemment et même chaque jour, si possible, à ce sacrifice, afin de remercier Dieu, d’obtenir ses bienfaits, de réparer, tant pour leurs propres péchés que pour ceux des fidèles défunts ; qu’ils se souviennent de l’avertissement de saint Augustin : « J’ose dire que Dieu, tout en étant tout-puissant, n’a pu donner davantage ; tout en étant la Sagesse infinie, il n’a pas su donner davantage ; tout en étant le plus riche, il n’a pas eu à donner plus ».

4°/  Sur la très salutaire participation des fidèles au céleste banquet, chaque fois qu’ils assistent à la messe, pour s’unir plus étroitement au Christ, comme cela est indiqué dans le décret De quotidiana SS. Eucharistiæ sumptione (20 décembre 1905) de cette Congrégation et conformément à la pensée du même concile de Trente : « Le très saint concile souhaiterait que les fidèles assistant à chaque messe fissent la communion, non seulement spirituellement, mais aussi sacramentellement, pour retirer un fruit plus abondant de ce très saint sacrifice » (session xxii, c. 6), et cela en vertu des paroles de Jésus-Christ lui-même : « C’est moi qui suis le Pain vivant descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce Pain il vivra éternellement. Celui qui me mange vivra par moi » (Jo. vi).

5°/  Sur le dogme de la Communion des saints, en vertu duquel le sacrifice de la messe est appliqué de façon très fructueuse non seulement pour les fidèles défunts expiant dans les flammes du Purgatoire les fautes humaines, mais aussi pour les vivants qui, accablés de tous côtés par tant et de telles difficultés et calamités, surtout dans le temps présent, ont besoin de trouver miséricorde auprès de Dieu et d’obtenir son secours.

Afin que les Ordinaires des lieux et tous ceux qui ont charge d’âmes mettent plus facilement en pratique ces prescriptions, qu’ils exhortent plus souvent les fidèles à mener une vie conforme aux préceptes du Christ et à éviter dans leur conduite tout ce qui ne s’accorde pas avec la foi et les mœurs chrétiennes. C’est pourquoi qu’ils ne se lassent pas de réprouver les dépenses excessives que font parfois, dans diverses circonstances de leur vie, les fidèles attirés par la vanité, tandis qu’ils oublient parfois le sacrifice de la messe qui est le secours le plus puissant en suffrages et en grâces, en même temps que le trésor infini des richesses divines.

Enfin, pour réaliser toutes ces choses, que ceux qui ont charge d’âmes demandent l’aide active des confréries ou associations du Très Saint Sacrement qui, aux termes du canon 711, § 2, du Code de Droit canonique, sont établies dans chaque paroisse, principalement pour servir d’exemple et d’aide à tous les fidèles dans la pratique et le développement du culte eucharistique.

Si, avec l’aide de Dieu, le peuple chrétien répond avec élan et générosité aux exhortations des Ordinaires et des prêtres qui ont charge d’âmes, le sacrifice eucharistique qui, plus que toute autre chose, honore Dieu et lui est agréable, deviendra réellement une source de vie et de sainteté pour le salut du monde entier.


La guerre s’est prolongée et appesantie

La seconde guerre mondiale a été un immense fléau, tant en elle-même que par ses suites, puisque le monde est entré dans une ère de haine, de mensonge, d’injustice à l’échelle planétaire. C’est un grand châtiment qui nous manifeste la gravité de l’apostasie d’un monde qui nie son Créateur et qui renie son Sauveur.

Et pourtant, la cruauté de ce fléau demeure en-deçà de la gravité de la crise qui de nos jours affecte la sainte Église de Jésus-Christ : une fausse religion colonise les structures de l’Église catholique, elle singe l’autorité, elle trompe les âmes et les entraîne dans une perdition faite d’hérésies, de sacrilèges, d’alignement sur le monde apostat, de vide sacramentel et de colossale indifférence.

C’est dire que l’exhortation de Pie XII est encore plus vraie, plus urgente, plus indispensable qu’au moment où le Pape l’a fait envoyer aux évêques — et cela d’autant plus encore que la sainte Messe, son existence, son intégrité et sa sainteté sont la cible principale (mais non unique) de cette guerre gigantesque que la sainte Église affronte.

Certes, l’assistance fréquente voire quotidienne à la sainte Messe et la réception fréquente de la sainte Eucharistie, auxquelles Pie XII exhorte, sont rendues plus difficiles parce que les Messes vraiment catholiques sont devenues bien rares, parce que les confesseurs sont en petit nombre, parce que les fidèles sont dispersés, parce que la folie trépidante de la vie moderne dévore le temps et l’énergie.

C’est pourquoi il est à pleurer de constater que beaucoup de gens qui pourraient faire un effort ne le font pas, préférant leur lit ou leur train-train, se laissant arrêter par la seule idée de la fatigue, méconnaissant la grandeur et la nécessité de la sainte Messe et négligeant la grâce de Dieu. Cela fait penser à des enfants gâtés gâchant et gaspillant la nourriture quand tant d’autres seraient prêts à des efforts beaucoup plus grands et pourtant meurent de faim.


En juillet 2004 (n. 172), j’avais cité un passage de la vie de Madame Martin, mère de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, montrant comment son amour pour la sainte Messe lui inspira un courage héroïque.

Le cou rongé par un cancer, ne dormant plus, souffrant sans cesse, torturée par le moindre mouvement, « il lui a fallu un courage et des efforts inouïs pour arriver jusqu’à l’église, écrit sa fille Marie. Chaque pas qu’elle faisait lui retentissait dans le cou ; quelquefois elle était obligée de s’arrêter pour reprendre quelque force. Lorsque je l’ai vue si affaiblie, je l’ai suppliée de rentrer à la maison, mais elle a voulu aller jusqu’au bout […] ne se trouvant pas assez mal pour manquer la Messe un dimanche. »

Le trois août, il faut à tout prix qu’elle se rende pour la dernière fois à Notre-Dame. C’est presque une folie. La descente du trottoir, le heurt d’une pierre en saillie ébranlent, à la faire crier, tout son organisme. Elle doit feindre à plusieurs reprises de s’intéresser à un étalage, pour achever sans chute cette montée au calvaire. Marie écrit à sa tante : « Vendredi, elle est allée à la messe de sept heures, parce que c’était le premier vendredi du mois. Papa l’a conduite, car, sans lui, elle n’aurait pu y aller. Elle nous a dit qu’en arrivant à la messe, si elle n’avait pas eu quelqu’un pour lui pousser les portes de l’église, elle n’aurait jamais pu y entrer. » [R.P. Piat, Histoire d’une famille, Lisieux 1965, pp. 223-224].

Étonnez-vous ensuite que les enfants soient des saints ! [Et nous ?]


—  Oui, mais…

—  Oui mais quoi ?

—  Même si nous sommes « en pleine guerre » et que la nécessité d’assister à la sainte Messe se fait plus pressante, il ne faut pas oublier que pour la plupart d’entre nous, la sainte Messe vraiment catholique est inaccessible.

—  Oh ! je ne l’oublie pas, et le problème reste crucifiant pour de nombreuses personnes ou familles qui n’ont guère de choix ; parmi elles, on en trouve qui sont prêtes à tous les sacrifices (honneur à elles !), on en trouve qui ne savent à quel saint se vouer, on en trouve qui croient de leur devoir de se résigner à supporter quelque blessure à la catholicité de la sainte Messe.

Voici l’extrait d’une lettre adressée à l’une de ces personnes prises entre deux feux, qui, ne comprennent pas que certains accordent tant d’importance à cette catholicité intégrale de la Messe, pendant que d’autres, qu’elles estiment tout autant, acceptent ou supportent lesdites blessures.


… J’en viens au problème pratique, car vous allez m’objecter (et avec quelque raison) que les deux graves problèmes de l’una cum Benedicto et de l’ordination sacerdotale reçue d’un évêque sacré sans mandat apostolique sont l’affaire du prêtre ; quant à vous, vous ne voyez qu’une chose : ils sont prêtres valides, ils ne sont pas séparés de l’Église catholique, ils utilisent le rite traditionnel.

Il est vrai que le problème fondamental est celui du prêtre : c’est lui qui a reçu les ordres, c’est lui qui prononce l’una cum. En ce qui le concerne, c’est clair : il n’a aucun droit d’exercer un sacerdoce reçu en contradiction avec la constitution divine de l’Église (et parfois douteux, il ne faut pas se voiler la face) ; il n’a aucun droit de faire allégeance à une pseudo-autorité, et de le faire dans la prière la plus solennelle de toute l’Église, le Canon de la Messe. C’est grave, c’est illicite et, avec la grâce de Dieu, il vaudrait mieux subir la mort que de profaner ainsi les choses les plus saintes.

Le problème du fidèle assistant est un peu différent de celui du prêtre célébrant ; il est un problème de coopération : en étant présent à la Messe dans ces circonstances, le fidèle n’agit pas lui-même selon la double illicéité que je viens d’évoquer, mais il y coopère.

Si l’on veut savoir si cela est permis au regard de la loi du Bon Dieu, il faut considérer les lois générales de la coopération :

–  la coopération formelle n’est jamais permise. On appelle coopération formelle celle qui approuve le mal, celle qui a comme objet le mal lui-même dont on se rend délibérément complice ;

–  la coopération matérielle immédiaten’est pas permise non plus : elle est le fait de celui qui, tout en désapprouvant le mal, prend une part décisive à l’acte délictueux lui-même ;

–  la coopération matérielle prochaine– qui a lieu quand, sans prendre part à l’acte délictueux, on le rend possible en agissant sur les conditions nécessaires à son existence, ou quand on assiste activement dans le cas de la Messe – demanderait des raisons très graves et rares, exceptionnelles même ;

–  la coopération matérielle éloignée (plus ou moins éloignée — il s’agit de la coopération aux conditions facilitant l’accomplissement de l’acte délictueux ; ou, dans le cas de la Messe, de l’assistance passive) ne peut être licite qu’avec une raison proportionnée (proportionnée à la gravité du mal, à la proximité de la coopération, au scandale que cela peut induire).

Appliquons cela à la Messe una cum ou célébrée par un néo-prêtre.

Toute coopération formelle est à rejeter sans hésitation. Celui qui choisit d’assister à la Messe una cum ou à celle d’un néo-prêtre coopère formellement à la grave distorsion (éventuellement double) qui a lieu par rapport à la sainteté de la Messe, à l’unité de la foi, à la constitution divine de l’Église. C’est une grave déficience dans la foi. Et l’on choisit chaque fois qu’on pourrait faire autrement, dût-on faire un effort important (distance, horaire…) ou surmonter une grande répugnance, une antipathie etc.

Il est impossible d’apporter une coopération matérielle immédiate, comme celle que serait d’accomplir l’office de diacre.

La coopération matérielle prochaine ou éloignée est elle aussi interdite, sauf si on a une raison grave de passer outre, sauf si donc on ne peut pas faire autrement. Et cette raison grave doit être proportionnée, et il faut prévenir le scandale, et il faut combattre les effets mauvais en soi-même (car il ne faut pas se faire d’illusion : l’allégeance même indirecte et détestée à Benoît XVI, l’accoutumance à l’attentat à l’unité hiérarchique de l’Église que constituent les sacres sans mandat, tout cela laisse des traces profondes dans l’âme et dans l’intégrité de la foi catholique, malgré qu’on en ait). De plus, si jamais l’on assiste à une Messe « distordue », il faut détester intérieurement la distorsion pour éviter la coopération formelle.

Plus la coopération sera prochaine et habituelle, plus il faudra que la raison soit grave. Vous comprenez qu’il peut y avoir là des divergences d’appréciation [1], et que chacun doit décider devant Dieu pour soi-même et pour ceux dont il porte la responsabilité avec beaucoup de pureté d’intention et de foi éclairée.

Plus la coopération risque d’être prochaine et habituelle, plus il faudra chercher à y échapper, au prix de sa tranquillité, de son confort ou de son porte-monnaie.

Plus la coopération sera prochaine et habituelle, plus il faudra détester intérieurement, et rendre à l’occasion le témoignage extérieur de ce désaccord.

Plus la coopération sera prochaine et habituelle, plus il faudra tout mettre en œuvre pour ne pas s’habituer (car l’habitude modifie le jugement), plus il faudra s’instruire pour ne pas se laisser entraîner dans les fausses doctrines sous-jacentes à l’una cum et aux sacres sans mandat.

Il y a un dernier point sur lequel j’attire votre attention : il ne concerne pas directement l’assistance à la Messe, mais la fréquentation des milieux una cum ou sans mandat. Ce sont souvent des gens vertueux, méritants et sympathiques : mais précisément il y a le danger d’être attiré par sympathie à leurs fausses doctrines sur le magistère, sur la juridiction et sur la nécessité de l’obéissance dans l’Église, ou tout au moins de ne plus accorder l’importance requise à ces points doctrinaux très graves. La désinvolture à l’égard de ce que l’Église considère comme des points cruciaux de l’orthodoxie catholique a souvent des effets délétères sur ceux qui ne se tiennent pas dans une garde absolue en la matière. Une certaine mentalité de « libre examen » déteint facilement sur ceux qui les fréquentent.


—  Pourquoi donc, dans la lettre qui précède, mettez-vous sur le même plan la prolation de l’ una cum Benedicto au Canon de la Messe, et le fait d’avoir été ordonné par un évêque dépourvu de mandat apostolique ?

—  Dans les deux cas, il s’agit d’une profonde atteinte à la catholicité du saint Sacrifice : soit du côté de l’unité de la hiérarchie, soit du côté de l’intégrité de la foi, et il y a de nombreuses passerelles entre.

Ma théologie est un peu courte pour discerner avec certitude et précision quelle est la plus grave des deux carences, mais j’estime tout de même qu’elles sont du même ordre (du même désordre).

En passant de l’ordre de l’être à celui de la connaissance, on voit que l’Église s’est beaucoup plus souvent et plus gravement prononcé contre les sacres sans mandat qu’elle n’a légiféré sur l’una cum.

Pour l’una cum, je ne sais, outre les rubriques, que le Pape Pélage Ier (556-561) qui en énonce l’extrême gravité quand il affirme que l’omettre c’est se séparer de l’Église universelle (cité par Innocent III, de Mysteriis Missæ, P.L. CCXVIII, col. 844 ; et par Lebrun, Explication… de la Messe, tome I, Paris 1726, pp. 327-328). De plus il faut une inférence pour l’appliquer à Benoît XVI et consorts (cela n’empêche pas que ce soit grave et nécessaire).

Tandis qu’en matière de sacres, le droit et la pratique de l’Église sont explicites, tout comme l’est son enseignement permanent : de Pie VI, de Léon XIII et Pie XII pour parler des plus récents.

   [1]   Cette appréciation doit bannir toute raison mondaine, cela va de soi : mieux vaut la société de Dieu par l’intégrité de la foi, que la société des hommes, aussi aimables qu’on les suppose. Il faut noter que si l’on est la victime d’une sorte de chantage (chantage à l’école par exemple), le devoir de témoigner de la foi devient encore plus impérieux. Ainsi, pour prendre un exemple dans un tout autre domaine, j’ai le droit (et même le devoir) de manger de la viande un jour d’abstinence si cela me sauve la vie ; mais j’ai le devoir de n’en pas manger si l’on menace ma vie pour me faire manquer au précepte de l’abstinence.

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21 janvier 2011 5 21 /01 /janvier /2011 14:24

« Je suis celui qui suis », dit Dieu, du sein du buisson ardent, à Moïse.

Dieu est ; il est unique, il est de toute éternité, il est le bien infiniment parfait subsistant.

Dieu, par volonté infiniment libre et souverainement sage, Dieu est Créateur ; et l’œuvre telle qu’elle est sortie de ses mains participe de sa perfection : « Et Dieu vit que cela était bon ».

 

Rien de ce qui est hors de Dieu n’échappe à la causalité divine, tout ce qui est subsiste dans l’acte créateur de Dieu.

Et pourtant le mal existe, sans que Dieu ait quelque communication avec lui, quelque causalité ou responsabilité dans sa production. Et le mal qui existe n’est pas seulement le mal physique, mais le mal moral, le mal qui s’oppose à Dieu, le mal qui semble détruire l’œuvre de Dieu.

 

Dieu sait tout, et d’une science qui ne dépend pas des choses : sa connaissance est créatrice, c’est parce que Dieu connaît les choses que les choses sont.

Et pourtant Dieu sait le mal sans n’y avoir aucune part.

 

Face à un acte créateur sans la moindre imperfection, et à une science totalement indépendante de tout préexistant, le mal est inexplicable ; et cependant il existe. Comment est-ce possible ? Quelle est la cause réelle du mal et quelle est sa « raison » vraie ?

 

Voilà une des questions de théologie des plus difficiles, sinon la plus difficile, parce qu’elle fonde le mystère de la prédestination et  de la liberté… Et voici pour la traiter un des théologiens les plus ardus, sinon le plus ardu… Une telle rencontre peut faire craindre un texte inaccessible, incompréhensible, éreintant.

Il n’en est rien. Ou si peu…

 

Certes, le Père Guérard des Lauriers, en écrivant Le péché et la causalité ne fait pas œuvre de vulgarisation, et ce qu’il écrit est très technique : cela tient aussi au cadre dans lequel il se place. C’est en effet une chronique de recensions croisées qu’il donne au Bulletin thomiste (tome XI, 1960-2), dans laquelle il est amené à critiquer sévèrement un confrère dominicain, le Père Jean-Hervé Nicolas, et, plus bénignement, M. Jacques Maritain.

 

Recueillant la lumière de la Révélation divine et scrutant un mystère si profond, le Père Guérard des Lauriers conserve la posture adorante qui, seule, convient. Face à un problème qui concerne les relations les plus fondamentales entre Dieu et sa créature, entre l’Être et l’être, il s’appuie sur les faits observables et les principes les plus certains de la métaphysique.

 

Et ainsi, il fustige au passage une théologie qui prétend s’affranchir de la métaphysique, un facilisme qui évacue le mystère, une raison qui veut rendre compte de la réalité par ses propres constructions mentales ; et ainsi il s’oppose à un conceptualisme abstrait qui égare l’esprit.

 

Ce travail du Père Guérard des Lauriers est doublement profitable.

 

Tout d’abord délivre les âmes de l’angoisse d’une fausse alternative où les place un simplisme qui les ballotte entre un Dieu dépendant et un Dieu prédéterminant, vrai dilemme où la transcendance de Dieu et la liberté humaine semblent de vains mots.

 

Et puis il dispose à la contemplation – parce que la vérité, en la matière, c’est l’humilité de l’esprit devant le mystère – et il donne au cœur le désir d’être purifié pour chanter dignement la miséricorde de Dieu.

 

J’ai connu un vieux maurrassien auquel son maître avait communiqué son incompréhension quasi blasphématoire du « mal qui fait échec à Dieu ». Je lui rappelai un jour que notre devoir n’est pas de résoudre le problème intellectuel du mal en lui-même, mais de résoudre le problème moral du mal en nous-mêmes. Puissent ces pages y contribuer.

 

Le péché et la causalité

 


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18 janvier 2011 2 18 /01 /janvier /2011 14:28


La citation de Charles Maurras que j’ai mise en exergue dans mon articulet sur l’infaillibilité de Vatican II m’a valu une (amicale) question pour savoir si je suis maurrassien.

Avant de répondre, je précise que j’ai placé cette citation [« Une erreur et un mensonge qu’on ne prend point la peine de démasquer acquièrent peu à peu l’autorité du vrai. »] non parce qu’elle est de Maurras (encore qu'il y ait un certain malin plaisir...), mais parce que ce qu’elle observe finement est indubitable. De plus, il est d’une grande importance de tenir compte de ce qu’elle énonce pour ne pas tomber dans une sorte de niaiserie qui consiste à imaginer que, dans une humanité déchue et matérialiste, la vérité triomphe par elle-même. Non ! si on laisse les choses aller, dans tout ce qui n’est pas d’une évidence directe et pour ainsi dire palpable, c’est le mensonge confortable qui triomphe. Voilà pourquoi il faut une société qui favorise la vérité, et pourquoi aussi il faut répéter avec persévérance ce que la facilité fait nier ou oublier.

Pour répondre directement à la question qui me fut posée, je dis tout simplement que je ne suis pas maurrassien. En effet, pour se dire disciple de quelqu’un, il faut avoir une bonne connaissance de son œuvre et de sa vie, et cela de façon représentative [1] ; et ce n’est pas mon cas, car je n’en ai qu’une connaissance parcellaire.

Une partie de l’œuvre de Maurras a été et demeure condamnée [2] ; une autre partie est fortement liée à des circonstances historiques qui se sont estompées dans la grisaille des temps révolus ; tout un pan de son œuvre est constitué par des observations politiques et sociales, domaine dans lequel il avait beaucoup de sagacité ; enfin la partie philosophique ou doctrinale est ténue parce que Maurras le voulait ainsi, ne cherchant pas à produire une œuvre doctrinale propre. Ainsi, à Jean Ousset qui lui soumet le projet d’une école doctrinale pour l’Action française, Maurras répond : « Je n’ai pas fait de doctrine, je n’ai pas voulu ni pu en faire. Je n’ai voulu qu’une action… Toutefois, si vous cherchez une doctrine, soyez certain qu’il n’y a de doctrine vraie que catholique. Si donc vous êtes catholique, ne le soyez pas à moitié ! » [3].

Catholique, Maurras ne l’était guère quant à lui. Aussi le naturalisme imprègne son œuvre et apparaît comme la première cause de son échec. Voici le diagnostic qu’en donne Jean Madiran au milieu des pages lumineuses que, dans son essai sur Brasillach, il consacre à Charles Maurras [4] :

« L’Action française avait pris dans son comportement les allures d’une église. La quitter ou la contrecarrer était devenir comme l’équivalent d’un pécheur public. Il ne suffit pas de le vouloir pour posséder le pouvoir de créer un tel état d’esprit. Il faut en avoir reçu l’un de ces dons sans repentance accordés en vue d’une vocation, et que l’infidélité à la vocation ne détruit pas. Maurras avait ce don, mais pour servir l’Église et non point une cause seulement politique. Maurras avait ce don pour servir l’Église non point en allié de l’Église mais en fils de l’Église. Maurras avait cette vocation française de rendre la France à l’Église, mais cela ne sera jamais possible que par des hommes qui l’entreprendront dans le plan de Dieu, pour les motifs de Dieu et par les moyens de Dieu : autant que cela est possible, et cela est possible par grâce, et nous tournons le dos aux grâces de cette catégorie. Cet ardent amour de la France qui possédait Maurras en eût été comblé, car la France aurait été sauvée par surcroît. Saint Pie X a bien été en un sens “le sauveur de la France” que dit Maurras, il l’a été par surcroît. Maurras n’a sauvé la France d’aucune des catastrophes qu’il voyait venir, qu’il dénonçait, auxquelles il barrait la route, et qui sont venues quand même, et plus profondes encore qu’il ne les avait prévues. Ni la France ni rien ne sera jamais sauvé sans Jésus-Christ. »

L’époque est heureusement passée où l’on était comme sommé de se définir par rapport à Charles Maurras, en étant « pour » ou « contre », usurpant ainsi « tout ou rien » qui ne peut légitimement s’appliquer qu’à Jésus-Christ. Tout cela s’éloigne dans le temps, qui fait son œuvre d’érosion et ne reviendra pas.

Il est donc permis d’observer que Charles Maurras a eu des intuitions politiques justes (et il faut lui en laisser tout le mérite) auxquelles il a donné des réponses qui se sont avérées insuffisantes, voire profondément fausses et détournant de la philosophie chrétienne de la société.

Pour expliciter à gros-grain cette observation, on peut donner les lignes de force de la pensée de Maurras en quatre principes, qui absolument parlant sont faux, mais qui répondent à des intuitions justes [5] :

–  Politique d’abord. L’instauration d’un ordre politique juste est nécessaire, parce que l’homme trouve sa perfection naturelle dans le bien commun de la société ; ce bien commun est le plus grand des biens d’ici-bas, et de plus il concourt efficacement au salut éternel de chacun : « De la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes [6]. »

Mais ce politique nécessaire n’est pas d’abord dans l’ordre de la fin et de la dignité, parce que le bien commun naturel n’est pas – en raison de notre élévation à l’ordre surnaturel – le plus grand des biens de l’homme. Ce plus grand bien est la charité, laquelle est aussi un bien commun, celui de la Communion des saints. Le combat politique n’est jamais d’abord, même dans l’ordre d’exécution, parce qu’il nécessite, chez celui qui a comme devoir d’état « professionnel » d’œuvrer pour le bien commun, la connaissance de la doctrine politique, l’observation des faits, la rectification morale et l’énergie d’application (en un mot, la prudence politique).

Par la force des choses, l’Église a bâti la chrétienté comme un prolongement de sa Mission divine, et comme application de la Royauté de Jésus-Christ ; mais elle n’a pas commencé par cela : elle a commencé en prêchant Jésus-Christ pour que les intelligences adhèrent à la vérité révélée et que les cœurs se soumettent à son joug suave et léger.

 

–  Nationalisme intégral. L’homme naît héritier et débiteur, au sein d’une nation (ensemble de familles unies autour d’un héritage) dont il reçoit une langue, une culture, une tradition etc. Méconnaître cela, c’est déshumaniser l’homme et en faire un être fondamentalement et socialement ingrat.

Mais « dans son essence, par conséquent, la vie nationale est quelque chose de non-politique » dit Pie XII dans son Message de Noël 1954, et il précise : « Le fond de l’erreur consiste à confondre la vie nationale au sens propre avec la politique nationaliste » et encore : « La vie nationale ne devient un principe dissolvant pour la communauté des peuples que lorsqu’elle commence à être exploitée comme moyen pour des fins politiques » (Ibid.). La nation comme telle, ou encore ce qu’il est convenu d’appeler la grandeur nationale, ne peuvent donc finaliser la politique et se substituer à la poursuite du bien commun : c’est tomber dans un nationalisme dissolvant, fût-il intégral.

 

–  Physique sociale. Les grandes lois de l’ordre politique sont fondées sur la nature humaine, sur sa structure et sa finalité ; ce sont des lois reçues, des objets d’observation.

Mais si la société est une exigence de la nature, sa réalisation est œuvre de raison et de volonté ; le bien commun est un bien à réaliser en commun, c’est un bien qui perfectionne l’homme, c’est donc un bien moral. La politique n’est donc pas seulement objet d’observation, mais objet d’une action ordonnée et volontaire. Les sciences sociales sont des sciences morales, et non pas physiques ; les lois sociologiques naturelles sont des lois morales.

 

–  Empirisme organisateur. La politique est mise en œuvre par la vertu de prudence, et spécifiquement de la prudence politique, laquelle prend en compte les circonstances concrètes, les leçons de l’expérience, l’estimation de ce qui est possible. Il y a donc place pour un certain empirisme.

Mais ce qui organise, ce qui met de l’ordre, c’est la connaissance et l’intention de la fin dernière, sans laquelle rien n’est droit ni juste. Le bien commun temporel qui n’est pas naturellement ordonné à Dieu, auteur de la loi (morale) naturelle, et surnaturellement ordonné au Christ-Roi, est un bien commun condamné à dégénérer en absolutisme. Au fond, l’empirisme organisateur organise l’oubli du rôle indispensable de la fin dernière dans l’organisation hiérarchique des fins intermédiaires.

 

Maurras peut apporter une contribution à l’observation des lois et des constantes de la politique – et ce sont là questions si graves qu’il ne faut pas mépriser un apport, si modeste soit-il. Mais ce qui demeure intégralement vrai, souverainement salutaire, et au demeurant obligatoire, c’est la doctrine de l’Église sur les questions politiques (nature et nécessité de la société, du bien commun et de l’autorité etc.) et sociales (la famille, l’organisation professionnelle, la propriété etc.). Voici ce qu’en dit Pie XII :

« La première recommandation concerne la doctrine sociale de l’Église. Vous savez parfaitement combien de rapports essentiels et multiples rattachent et subordonnent l’ordre social aux questions religieuses et morales. Il s’ensuit que, surtout en période de bouleversements économiques et d’agitations sociales, l’Église a le droit et le devoir d’exposer clairement la doctrine catholique en matière si importante. Elle l’a fait, et même de nos jours. Mais si cette doctrine est fixée définitivement et sans équivoque dans ses points fondamentaux, elle est toutefois suffisamment large pour pouvoir être adaptée et appliquée aux vicissitudes variables des temps, pourvu que ce ne soit pas au détriment de ses principes immuables et permanents. Elle est claire dans tous ses aspects ; elle est obligatoire ; nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi ou l’ordre moral ; il n’est donc permis à aucun catholique (encore moins à ceux qui appartiennent à vos organisations) d’adhérer aux théories et aux systèmes sociaux que l’Église a répudiés et contre lesquels elle a mis ses fidèles en garde » (à l’Action catholique italienne, 29 avril 1945).

Le premier effet de la doctrine politique et sociale de l’Église n’est pas la prospérité temporelle, la paix publique, l’organisation des métiers ni le règne des bonnes mœurs dans la rue : c’est infiniment plus que cela. Ce premier effet est de conserver la foi catholique dans l’âme des chrétiens.

La première raison en est que la vie dans une société stable – ordonnée par la fin dernière surnaturelle et selon les règles de la justice naturelle – est un soutien puissant à la foi : c’est l’Évangile de Jésus-Christ irriguant l’achèvement de la vie humaine.

La seconde raison est que les ennemis de la foi catholique et du salut éternel des hommes, mille fois démasqués et condamnés dans l’ordre doctrinal, se sont repliés dans un domaine souterrain ; et là ils œuvrent sans cesse à la destruction de la société chrétienne ; ils veulent détruire la chrétienté que l’Église a édifiée pour le règne social de Notre-Seigneur, sachant bien que faire vivre les fidèles de Jésus-Christ dans une société apostate, ou promouvant la liberté religieuse, c’est ronger leur foi d’une façon subtile et continue.

À cette œuvre satanique, l’Église oppose une doctrine lumineuse pour qui fait l’effort de la connaître et de la méditer.

 

Notes.

[1]  Il faudrait dire la même chose de toute personne qui voudrait « réfuter » ou « condamner » Maurras. Sous la plume de Jean Madiran, ou encore dans la revue Didasco, j’ai lu l’expression de désaccords motivés, argumentés, courtois, témoignant d’une vraie connaissance de l’œuvre de Maurras, non moins que d’une belle connaissance tant de la doctrine catholique que de la philosophie politique naturellement vraie. Mais par les temps qui courent, il est à craindre que cela devienne rare car depuis belle lurette les censeurs se dispensent de ce travail et de cette honnêteté, et pérorent avec un aplomb qui laisse pantois.

 

[2]  Pour mémoire, sept ouvrages de Charles Maurras ont été placés dans l’Index des livres prohibés (et ils y sont toujours) : Le Chemin du paradis ; Anthinea ; Les Amants de Venise ; L’Avenir de l’intelligence ; Trois idées politiques ; La Politique religieuse ; Si le coup de force est possible [29 janvier 1914 et 29 décembre 1926]. Les Pièces d’un procès ; l’A.F. et le Vatican (préface) [19 septembre 1927]. La Politique du Vatican, sous la terreur… (épilogue) [13 janvier 1928]. De plus est indirectement condamné ce qui a été publié dans l’Action Française jusqu’au 10 juillet 1939.

La citation qui est au pont de départ de ces maigres notes n’est pas issue d’une des œuvres condamnées, mais de L’Action française et la religion catholique, in La Démocratie religieuse, NEL 1978, p. 413. À noter que la partie centrale de cette réédition est constituée par La Politique religieuse, qui est à l’Index.

 

[3]  Raphaëlle de Neuville, Jean Ousset et la Cité catholique, Dominique Martin Morin, Bouère, 1998, p. 42.

 

[4]  Je ne vous mentionne pas la page précise pour vous inciter à aller lire des pages 79 à 102…

 

[5]  Pourquoi ne pas l’avouer ? Je m’inspire pour une bonne part d’une lettre de Jean Madiran publiée dans la revue Itinéraires (n°73, juin 1963).

 

[6]  Pie XII, radiomessage du 1er juin 1941, cinquantième anniversaire de Rerum novarum.

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12 janvier 2011 3 12 /01 /janvier /2011 12:27

« Une erreur et un mensonge
qu’on ne prend point la peine de démasquer
acquièrent peu à peu l’autorité du vrai. »

Charles Maurras

 


Il faut toujours prier et ne jamais se lasser, nous a enseigné Notre-Seigneur Jésus-Christ (Luc. XVIII,  1).

Je t’adjure, devant Dieu et Jésus-Christ, qui doit juger les vivants et les morts, par son avènement et par son règne, prêche la parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, supplie, menace, en toute patience et toujours en instruisant. Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine ; mais ils amasseront autour d’eux des docteurs selon leurs désirs ; et éprouvant aux oreilles une vive démangeaison, ils détourneront l’ouïe de la vérité, et ils la tourneront vers des fables. Mais toi, sois vigilant, travaille constamment, fais l’œuvre d’un évangéliste, acquitte-toi pleinement de ton ministère ; sois sobre. Exhortation de saint Paul à Timothée (II  Tim. IV,  1-5)

Il y a des questions qui reviennent régulièrement sur le devant de la scène, suivant un cycle mystérieux. Cela n’a rien d’étonnant, non seulement parce que les générations se renouvellent petit à petit, non seulement parce que les hommes s’ingénient à oublier ce qui les tourmente, mais aussi pour la bonne raison que l’esprit ne cesse jamais de s’interroger lorsque les conséquences sont graves.

Parmi ces questions récurrentes, figure en bonne place depuis presque un demi-siècle celle qui s’énonce ainsi : Le concile Vatican II est-il infaillible ?

Il ne faut pas se lasser de répondre, d’éclairer, de justifier : saint Paul a rappelé à Timothée que la charité, en l’occurrence, consiste dans la patience et la doctrine – in omni patientia et doctrina. L’union de ces deux éléments engendre la douceur [1] et un saint désir de voir le triomphe de l’Église dans la vérité qu’elle a mission d’enseigner.

Si l’on se soustrait à ce devoir (exigence diversifiée suivant le devoir d’état, la compétence et les circonstances), on laisse le devant de la scène aux ignorants qui, eux, ne s’absentent jamais : ils répètent inlassablement les mêmes erreurs et finissent par les prendre pour des vérités prouvées, intangibles, évidentes ; voire pour des critères de catholicité. Elle est bien juste l’observation de Charles Maurras placée en exergue.

La réponse qu’on peut et doit apporter à notre question – car cette question est véritable et légitime – s’énonce en deux temps et deux conséquences.

I.  Vatican II est infaillible en droit

Voici une assemblée qui se présente ainsi : le Pape a convoqué officiellement l’ensemble des évêques de l’Église à siéger avec lui pour enseigner l’Église catholique tout entière ; cette convocation est solennelle, l’assemblée est plénière, les décisions sont promulguées selon les règles, paraphées, publiées, reçues. Il n’y a aucun doute, c’est un concile œcuménique, c’est l’Église enseignante dans sa totalité, c’est l’organe du magistère universel de l’Église. Les actes en sont par nature infaillibles. Ou, pour parler plus précisément, chaque fois que dans ses actes, le concile affirme qu’une doctrine est révélée, ou connexe à la Révélation ou contraire à la Révélation, il le fait infailliblement, sans qu’il soit possible qu’une quelconque erreur ou équivoque grève cette affirmation : et tout catholique, s’il veut demeurer tel, doit adhérer à cette affirmation et la tenir fermement.

Le Révérend Père Héris résume en quelques mots la doctrine tranquillement tenue et mise en œuvre par l’Église : « Pour reconnaître les cas où l’infaillibilité de l’Église est engagée, il suffit de se rappeler que toute doctrine enseignée universellement par les pasteurs chargés de conduire le troupeau du Christ, et donnée manifestement comme appartenant directement ou indirectement à la Révélation, est infaillible » (Ch.-V. Héris, o. p. L’Église du Christ, Le Cerf 1930, pp. 44-45).

On n’en peut douter, Vatican II est infaillible de droit.

II.  Vatican II n’est pas infaillible en fait

Mais il se trouve que les actes de Vatican  II contiennent en abondance de graves erreurs, des doctrines antérieurement condamnées par l’Église : cela oblige à affirmer que de fait, et d’un fait certain et obligatoire à reconnaître, Vatican  II n’est pas infaillible.

En enseignant la liberté religieuse, c’est-à-dire en prétendant que la doctrine qui prétend que tout homme a droit à la liberté civile en matière religieuse est fondée sur la Révélation divine, Vatican  II soutient une doctrine antérieurement condamnée dans un acte infaillible de Pie  IX, contraire à la pratique immémoriale et universelle de l’Église et sapant tous les fondements de la société chrétienne.

C’est la doctrine catholique elle-même qui nous oblige à tenir que le prétendu droit à la liberté religieuse est une infamie, une manière d’apostasie. Outre la condamnation par Pie IX, il a été réprouvé par les Papes Pie VII, Grégoire XVI et Léon XIII ; il s’oppose à la Royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; il est contraire à une juste notion de la société politique. Cette même doctrine nous dit que Vatican  II enseigne une fausse conception de l’Incarnation de Notre-Seigneur : conception selon laquelle par la seule incarnation Jésus-Christ serait uni à tout homme. Voilà qui évacue la nécessité de la Rédemption, voilà qui est à l’origine d’une fausse conception de l’Église et de la folie de l’œcuménisme galopant qui dissout les restes de la foi catholique.

Un autre témoin de la faillibilité de Vatican  II est le fameux subsistit in. Venant après l’affirmation solennelle de Pie  XII (et de saint Paul) qu’il y a identité parfaite – est – entre l’Église catholique et le Corps mystique de Jésus-Christ, Vatican  II affirme que l’Église de Jésus-Christ subsiste dans l’Église catholique comme dans une société organisée – ce qui n’exclut pas qu’elle puisse subsister ailleurs sous une forme moins organisée, ou même sans organisation particulière. On est donc passé de l’affirmation d’une identité à celle d’une inclusion, ce qui est une notable régression dans la signification, ce qui a une réelle valeur de négation.

On raconte, à titre de demi-boutade, que si l’on passe un coureur cycliste à la centrifugeuse, il en sort un laboratoire pharmaceutique. Je ne sais si c’est vrai. Mais ce qui est certain est que si l’on passe Vatican  II à la centrifugeuse, il en sort un jus bien sombre imprégné de naturalisme, de panthéisme et de gnosticisme.

C’est ce que montre de façon abondante et fort bien documentée un ouvrage récent, écrit avec ordre et intelligence : Le Crucifiement de saint Pierre, de Pascal Bernardin (éditions Notre-Dame de Grâces, 2009). L’auteur est malheureusement prisonnier – c’est le mot qui convient – de la pseudo-théologie qui a cours dans la fraternité Saint-Pie-X, mais sa démonstration n’en souffre pas : d’elle-même elle ressort de la documentation qu’il apporte et met en œuvre.

Il est un point qu’il faut fortement souligner, même s’il n’entre qu’indirectement dans notre propos : Vatican II n’est pas seulement une collection de textes ; il est un événement qui a provoqué dans la sainte Église de Dieu un immense champ de ruine : de fait, ce concile a été une effrayante machine à détruire, qui en quelques années a envoyé à la casse des dizaines de milliers de prêtres, des centaines de milliers de foyers, des millions d’âmes.

La vie religieuse a été foudroyée, la vie chrétienne empoisonnée ; les catéchismes ont été minés par l’hérésie, les églises désertifiées, la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ niée et évacuée.

C’est aussi le point de départ d’une réforme liturgique protestante : définition hérétique de la Messe au principe de son bouleversement, accord avec les protestants en la matière (et ce n’est pas parce qu’ils se seraient convertis !), désacralisation universelle, acceptation (par Paul VI, il ne s’agit pas d’abus) de la communion sacramentelle pour des hérétiques etc. 

Cette destruction universelle a été voulue. L’abbé Victor-Alain Berto, on ne peut plus romain, on ne peut plus soumis, écrivait quelque part : quand on réforme les séminaires et que cela les vide [numériquement, intellectuellement et spirituellement], et que malgré cela on maintient et même on aggrave cette réforme, c’est qu’on avait bien dessein de les vider. C’est le bon sens. Et ce qui est vrai des séminaires est vrai du reste. Tout a été vidé, ruiné. Le 24 mai 1976, Paul VI en a revendiqué la responsabilité : il n’a parlé que de la réforme liturgique, mais comme celle-ci est vraiment au cœur de la chute vertigineuse engendrée par Vatican II. 

On peut prendre l’exemple de la morale conjugale. Pie XI et Pie XII avaient sans la moindre hésitation solennellement et définitivement condamné toute profanation du saint mariage. Voici que durant Vatican  II on annonce une commission d’étude sur la question : effet d’annonce qui sème le doute et qui le laisse planer pendant quatre ans. Une bonne part des catholiques s’engouffre dans la brèche et sombre dans le péché. Au bout de quatre ans, Paul VI (Humanæ Vitæ) affirme timidement la doctrine catholique, et laisse des conférences épiscopales (celle de France, par exemple) dire ouvertement le contraire. Tout cela n’est que duplicité, et de toutes les façons, pour beaucoup, pour l’immense majorité, il est trop tard, ils ne reviendront plus. Effet voulu, qui pourrait le nier ?

Les âmes se perdent, les âmes se perdent, les âmes se perdent : voilà Vatican II ! Je sais bien qu’aucune âme ne se perd si ce n’est de sa propre faute ; mais cette propre faute arrive mille fois plus facilement quand l’hérésie circule librement et s’enseigne dans les catéchismes, quand les sacrements sont sabotés, quand les pays ne reconnaissent plus en Jésus-Christ leur roi, quand le climat ecclésiastique est un climat de non-résistance à l’erreur et au péché, quand les sacrements ont disparu, quand, en un mot, on a oublié la sainte religion catholique.

Non, on n’en peut douter, Vatican II n’est pas infaillible en fait.

III.  Là gît le drame

Tout le drame de l’Église, la nuit mystérieuse qui s’étend sur elle, s’origine ou se manifeste dans cette distorsion gravissime, dans cette aporie : Vatican II est infaillible en droit, il ne l’est pas en fait.

Et la foi – l’exercice et le témoignage de la foi catholique – ne peut rester coite devant ce véritable dilemme, devant cette double menace : ou nier l’infaillibilité de Vatican  II et contredire l’enseignement pérenne que l’Église donne sur elle-même, ou affirmer cette infaillibilité et adhérer à des erreurs qu’elle condamne et réprouve parce que ces erreurs damnent et réprouvent les âmes.

La doctrine catholique a profondément disparu des intelligences et des cœurs : ceux qui la veulent maintenir ou restaurer sont eux aussi contaminés par l’erreur. Ici, on avancera des théories qui sont négation du magistère et de l’unité de l’Église ; là, on acceptera d’hériter de Vatican  II des doctrines suspectes et une succession sacramentelle douteuse ; ailleurs paraderont des esprits ignorants qui prennent leur courte vue pour la sagesse, leur science infirme pour de la théologie. C’est dire la profondeur des ravages. Il nous faudra en prendre la mesure et nous en garder.

*

*     *

Voilà donc la res horribilis qu’a été Vatican II, tant du point de vue de l’enseignement que de celui de la recherche de la gloire de Dieu et du salut éternel des âmes ; cela se traduit par le fait que ce concile présente une contradiction avec lui-même, en ce qu’il est infaillible en droit et qu’il ne l’est pas en fait.

Évidemment les choses de Dieu, placées sous sa Puissance, garanties par son Assistance quotidienne, ne peuvent être ainsi divisées contre elles-mêmes. Il est donc nécessaire d’apporter une modification à la distinction de départ (ce qu’on ne pouvait faire a priori, ç’aurait été considérer le problème comme résolu avant même de l’avoir examiné).

Il vaudrait donc mieux dire que c’est un concile œcuménique qui est infaillible en droit – c’est-à-dire, je l’ai rappelé, chaque fois que dans ses actes, un concile affirme qu’une doctrine est révélée, ou connexe à la Révélation ou contraire à la Révélation, il le fait infailliblement, sans qu’il soit possible qu’une quelconque erreur ou équivoque grève cette affirmation : et tout catholique, s’il veut demeurer tel, doit adhérer à cette affirmation et la tenir fermement.

Or Vatican II, n’étant pas infaillible en fait, ne saurait être un vrai concile œcuménique de la sainte Église catholique.

Parler de droit et de fait ne signifie pas qu’on se place au point de vue juridique, mais de celui de la nature des choses. L’ordre juridique dépend de la nature des choses ; il le manifeste et le prolonge mais il en est distinct.

C’est dans sa nature même que Vatican II n’est pas un véritable concile de l’Église ; ce qui lui manque n’est pas une condition ou une détermination juridique (voilà aussi pourquoi on parle de droit) ; ce qui lui manque n’est pas une légitime convocation ; ce qui lui manque n’est pas la présence physique des évêques de l’Église universelle… Ce qui lui manque, c’est ce qui lui est le plus nécessaire, le plus formel : l’autorité pontificale. À Vatican II, dans la promulgation des actes (et aussi dans la conduite de l’assemblée) il manque un Pape, un vrai Pape.

Car s’il y avait un vrai Pape promulguant les actes, Vatican II serait un vrai Concile et ses actes seraient infaillibles ; il n’aurait donc pu ni affirmer comme fondées sur la Révélation des doctrines condamnées par l’Église, ni mettre en place dans les structures de l’Église une nouvelle religion qui diffère de la religion catholique par sa doctrine, sa liturgie, sa pratique etc.

Cette conclusion ne fait aucun doute : elle n’est pas de l’ordre de l’opinion, ni du jugement sur les personnes, ni d’un esprit de révolte : elle est une nécessité de foi, de la sainte foi catholique telle que l’Église l’enseigne et la pratique.

Malgré cela, on lui a opposé deux objections – l’une générale et l’autre particulière – et il convient de les examiner.

*

*     *

—  Vous n’y êtes pas du tout ! Vatican II s’est voulu pastoral, pas-to-ral ! il n’est donc pas infaillible, et a pu enseigner autant d’erreurs sans cesser d’être un vrai concile œcuménique de l’Église catholique.

—  Comment pouvez-vous admettre que ce qui « enseigne autant d’erreurs » puisse être de l’Église catholique ? C’est absurde. Quant au pas-to-ral, cet argument éculé et rebattu, véritable tarte-à-la-crème, est le fruit d’une confusion.

La réponse avait déjà été donnée dans le supplément au n.2 des Cahiers de Cassiciacum (novembre 1979, p. 7) :

« Répondons par avance à l’ “objection” que certains croiront sans doute pouvoir nous faire : “Ce concile était pastoral, et donc il n’était pas infaillible.”

« Cette apparente objection vient de la confusion entre deux ordres de causalité, entre la “forme” et la “fin”.

« Que l’intention du concile, considéré comme personne morale, ait été une intention “pastorale”, on l’a dit et redit, sans d’ailleurs préciser le sens de cette affirmation.

« Mais cette intention ne change évidemment pas, de soi, la nature du concile, bien qu’elle influe sur le choix des sujets et la manière de les traiter. Il reste qu’il faut étudier la nature de chaque acte promulgué pour en discerner la note théologique… »

L’objection est donc sans valeur : c’est la nature des actes qui en fait l’infaillibilité, non l’intention des acteurs. Et heureusement : l’Église est une société qui vit d’actes publics, non d’intentions interprétables voire impénétrables.

D’ailleurs tout concile est pastoral, puisqu’il est la réunion des pasteurs de l’Église universelle en vue de paître le troupeau. Et la première nourriture que les pasteurs de l’Église donnent aux fidèles est celle de la vérité divine, celle de la transmission de la vérité révélée qu’ils garantissent par la simple affirmation que telle assertion est formellement révélée ou immédiatement connexe à la Révélation. Et en cela ils sont doctrinalement infaillibles. Tout concile est pastoral et infaillible. Prenons l’exemple du concile de Trente, dont personne ne niera l’infaillibilité doctrinale. Eh bien, il est plus pastoral que doctrinal, si l’on en croit mon édition (Propaganda fidei, Rome, 1872) dans laquelle les décrets doctrinaux (qui de toute façon sont aussi pastoraux) occupent 91 pages et les décrets pastoraux (de Reformatione) 125 pages.

Si donc Vatican II n’est pas de fait infaillible, ce n’est pas en raison des déclarations de vouloir faire un concile pastoral.

*

*     *

—  J’ai une autre flèche dans mon carquois, et celle-là, vous ne pourrez pas la récuser. Un Concile œcuménique n’est pas infaillible, et j’en tiens pour preuve que le Concile de Florence (1438-1445) a enseigné, en matière dogmatique, le contraire de ce que définira Pie  XII par la suite.

En effet, ce Concile décrète que la matière du sacrement de l’Ordre est la porrection des instruments (décret pro Arménis, Denzinger   701), tandis que Pie XII décide que cette matière est l’imposition des mains (constitution apostolique Sacramentum Ordinis, Denzinger 2301). Vous voyez bien !

Là aussi, l’argument n’est pas nouveau : déjà lorsque j’étais au séminaire, le professeur de théologie (le Chanoine René Berthod) prétendait détenir en cela la preuve de la faillibilité des conciles, tout universels qu’ils soient. Et je me souviens que le Père André d’Angers, dans un échange de correspondance que j’eus avec lui aux alentours de 1980, n’avait pas apprécié (mais pas du tout !) qu’à l’allégation de cet argument je lui fasse remarquer qu’il était plus prompt à avancer que l’Église s’est trompée qu’à envisager que ce soit lui-même.

Car il existe à ce dubium une explication très simple et parfaitement catholique.

Jésus-Christ a institué directement les sept sacrements et les a confiés à la sainte Église pour que celle-ci les garde, les garantisse et les distribue. L’Église a donc grand pouvoir sur les sacrements. Mais elle n’a pas de pouvoir sur leur substance, comme dit le concile de Trente : elle ne peut modifier ni leur nombre, ni leur nature, ni leurs effets, ni leur signification.

Un sacrement est un signe sensible et efficace de la grâce : un signe qui produit la grâce en la signifiant, qui produit la grâce parce qu’il la signifie. C’est par sa signification et non pas par la pure matérialité du signe que le sacrement est producteur de la grâce, en vertu de l’institution divine. C’est ainsi qu’une altération accidentelle qui ne modifie pas la signification du rite ne rend pas le sacrement invalide ; c’est ainsi encore que la langue utilisée dans la forme n’a de soi aucune incidence sur la validité du rite.

Ce qui est donc l’objet premier de l’institution divine, c’est la signification du signe sacramentel ; c’est elle qui est la substance intangible, qui est l’instrument de la puissance divine.

Pour deux sacrements (le Baptême et la sainte Eucharistie), l’institution divine inclut la détermination précise de la matière et de la forme : c’est révélé dans l’Évangile. Pour les cinq autres, l’institution divine n’est pas aussi détaillée, et porte donc sur la substance, la signification élevée à l’efficience d’un instrument.

Le sacrement de l’ordre a été institué le Jeudi-Saint lorsque Notre-Seigneur a dit à ses Apôtres, juste après l’institution de la sainte Eucharistie : Faites ceci en mémoire de moi. En donnant cet ordre, Notre-Seigneur en crée le pouvoir dans l’âme des Apôtres, pouvoir que les Apôtres ont mission de transmettre. Le sacrement de l’Ordre va donc se conférer par mode de transmission du pouvoir existant dans le ministre. Le signe sacramentel devra signifier avec précision et univocité cette transmission.

Le concile de Florence (Eugène IV) nous enseigne infailliblement que la matière du rite est la porrection des instruments ; Pie XII nous enseigne infailliblement que la matière du rite est l’imposition des mains. C’est donc qu’il y a eu entre les deux changement objectif : changement non pas de la substance, car d’une part l’Église n’a pas pouvoir sur elle, et d’autre part la signification (transmission du pouvoir sacerdotal) est identique, mais changement dans la matérialité du rite – ce qui est au pouvoir de l’Église puisque l’institution divine n’a pas été faite in specie.

Voilà pour l’essentiel. Se posent de nombreuses questions : est-ce l’acte de Pie XII qui produit le changement de la matérialité du rite ? était-ce antérieur ? Quoi qu’il en soit, le magistère ne s’est nulle part trompé, la substance du sacrement est demeurée inchangée, la continuité du pouvoir sacerdotal est divinement garantie. Votre argument ne porte donc pas.

*

*     *

—  Mais… si la doctrine est si claire que vous l’affirmez, pourquoi donc tout le monde n’acquiesce-t-il pas ? Est-ce si difficile à comprendre ?

—  Cette absence d’acquiescement ne provient pas de la difficulté de la question. Au contraire, c’est parce qu’il est facile d’en comprendre les conséquences qu’on se refuse à assentir : et c’est cela qui rend ce refus illégitime.

Il est possible, et même normal, qu’en théologie on tienne compte de la conclusion pour valider un raisonnement, car il faut que cette conclusion soit en harmonie avec l’ensemble du donné révélé et de la pratique de l’Église [2].

Mais nous sommes ici dans le domaine de la lumière de la foi et de son témoignage, et non pas du simple raisonnement théologique : il faut braver les conséquences si cela est nécessaire.

D’ailleurs ces conséquences (l’absence d’autorité pontificale au moment de la promulgation des actes de Vatican  II et tant que ceux-ci sont maintenus) n’ont rien qui puisse heurter la doctrine catholique. L’histoire du schisme d’Occident (1378-1417), la liberté que laisse l’Église aux théologiens pour débattre de la question du pape hérétique, et l’annonce faite par Notre-Seigneur de la grande apostasie qui marquera la fin des temps, sont autant d’éléments qui nous montrent que la situation actuelle, si elle n’est pas normale, n’est pas impossible.

Cette crainte des conséquences n’est donc pas théologique mais mondaine : que vont dire les gens si… ? Vont-ils encore nous suivre ? Que deviendrons-nous si tout le monde nous quitte ? Ce ne sont pas les conséquences qu’il faut craindre, mais l’esprit propre, l’aveuglement, l’infidélité ou la routine.

Cela est d’autant plus grave que pour éviter ces conséquences, on gauchit la doctrine. C’est pour cela qu’en me référant à l’ouvrage de Pascal Bernardin Le crucifiement de saint Pierre, j’ai dit que l’auteur est « prisonnier de la pseudo-théologie qui a cours dans la fraternité Saint-Pie-X ». Cette pseudo-théologie, qui récuse les conséquences en déformant les principes, consiste à interpréter la théologie traditionnelle à la lumière des nécessités de la praxis, et cela est passé à l’état d’habitude : on nie la nécessité que la juridiction soit conférée par injonction de l’autorité légitime ; on nie l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel ; on « fait les poubelles » de l’Église pour prétendre y trouver des monceaux de papes hérétiques, d’évêques sans mandat apostolique, de conciles prévaricateurs etc.

Pour illustrer cette pseudo-théologie, voici un souvenir qui remonte à 1980. Ayant eu l’occasion de rencontrer l’Abbé Louis Coache, haute figure du refus de la religion conciliaire en France, nous en vînmes à parler de la situation de l’Église, de ses causes et de ses conséquences.

Comme je lui citai la fameuse condamnation que le Pape Pie VI a portée contre le concile de Pistoie (Bulle Auctorem fidei, 1794), condamnation qui est une affirmation claire et solennelle de l’infaillibilité de l’Église dans les lois disciplinaires générales, le bon Abbé me dit ignorer l’existence de ce texte. Par parenthèse, il est tout de même étonnant qu’un docteur en droit canon ignore un des textes majeurs par lesquelles l’Église affirme l’infaillibilité pratique de son droit ! Mais bon, la discussion continue, au cours de laquelle mon interlocuteur affirme fortement : il faut interpréter Pie  VI à la lumière de la tradition ! La voilà bien, cette pseudo-théologie : car il s’agissait bien sûr, par une inversion effrayante, de réinterpréter la Tradition catholique (en l’occurrence le Pape Pie VI) à la lumière des nécessités du combat telles que les percevait l’Abbé Coache. À la fin de la discussion, le même Abbé m’affirma : d’ailleurs, aucun des théologiens classiques ne parle comme Pie VI ! Ce fut dit avec un tel aplomb que moi, chétif, jeune et naïf, demeurai coi devant cette affirmation péremptoire qui pourtant ne tenait pas debout : l’Abbé ignorait ce texte un quart d’heure avant ; il est invraisemblable que des théologiens (des vrais) disent le contraire d’un Pape ; et le cas échéant, c’est bien sûr le Pape qui fait autorité.

Sitôt arrivé chez moi, je me saisis des quatre premiers traités de théologie qui me tombèrent sous la main, tous plus classiques les uns que les autres : sans exception ils citaient le texte de Pie VI et abondaient en son sens. On m’avait dit n’importe quoi ! et cela m’a rendu méfiant jusqu’à la fin de mes jours. Le nombre de ceux qui parlent sans savoir, sans avoir étudié, vérifié, soupesé et confronté, est terriblement grand.

Au demeurant, il est bien grave de fonder la défense de la foi sur de telles ignorances, de tels mépris de la doctrine, de telles inversions des références, de telles attitudes.

Le devoir de tout catholique est donc clair :

–  recevoir la doctrine catholique paisiblement possédée et professée par la sainte Église romaine avant la tourmente conciliaire, et cela en intégralité, sans gauchissement, sans diminution, sans considération d’habitude, sans prise en compte d’intérêts particuliers, sans crainte des conséquences ;

–  rectifier sans cesse sa mentalité et sa pratique quotidienne à l’aune de cette doctrine ;

–  porter le témoignage de la foi en se fondant sur cette doctrine devenue vivante et vitale en son âme, en ne faisant état que de faits avérés qui ont une portée dans la foi ;

–  accomplir ce témoignage en enfants de lumière : « car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité — fructus enim lucis est in omni bonitate, et justitia, et veritate » [Eph. v,  9].

Ce devoir comporte nécessairement, pour peu qu’on mette en œuvre la doctrine catholique, l’affirmation que puisque Vatican II aurait dû être infaillible, et que de fait il est farci d’erreurs, il ne peut être qu’un pseudo-concile « vitalisé » par une pseudo-autorité.

*

*     *

—  Un point encore, même s’il est tout à fait étranger à Vatican II : vous avez commencé votre étude par la mise en exergue d’une citation de Charles Maurras : seriez-vous maurrassien par hasard ?

—  J’aurais préféré mettre une citation de saint Bernard, mais je n’ai trouvé (dans mes souvenirs) que celle de Maurras qui exprimât parfaitement la raison de mon propos : « Une erreur et un mensonge qu’on ne prend point la peine de démasquer acquièrent peu à peu l’autorité du vrai. » Dire que Vatican  II n’est pas infaillible pour une autre raison que celle de l’absence de l’autorité qui aurait dû fonder sa nature de vrai concile, est un mensonge qui a assez duré, ne serait-ce que parce qu’il malmène voire contredit plus d’un point de la foi catholique. Il est temps d’y mettre fin.

Quant à répondre directement à votre question, je remets cela à une autre entrée, que je posterai prochainement.

    


Notes

 

 

[1] Discite a me quia mitis sum et humilis corde, dit Notre-Seigneur. Le mot quia indiquant à la fois l’objet et la cause, cette phrase de l’Évangile [Matth. XI,  29] a deux sens simultanés : Je vous enseigne que je suis doux et humble de cœur ; mon enseignement vous instruit parce que je suis doux et humble de cœur.

   [2]  Selon les règles de la logique, cette nécessaire remontée de la conclusion vers les prémisses est illégitime car l’inférence est issue de deux prémisses placées à parité. Mais en théologie, le syllogisme exposant le raisonnement est de nature principalement inductive : les deux prémisses (l’une de foi, l’autre de raison) ne peuvent être considérées à parité. Pour que celle qui est de raison soit placée dans la lumière dominante de celle qui est de foi, il faut que le choix du medium démonstratif soit validé (quant à la vérité et quant à l’adéquation) par la mise en place de la conclusion, par l’harmonie de cette conclusion avec l’ensemble du donné révélé, par l’analogie de la foi. Ces quelques considérations ne sont qu’un maladroit résumé d’un aspect d’une étude lumineuse du R. P. Guérard des Lauriers à laquelle je renvoie le lecteur : Statut inductif de la théologie (RSPT 1941-1942, vol. 1, pp. 28-51).

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16 décembre 2010 4 16 /12 /décembre /2010 17:59

Comme promis, voici le deuxième (et dernier) article que le Père Guérard des Lauriers fit paraître en 1956 dans la Revue Thomiste.

 

L'ensemble des deux articles a été présenté à cet endroit.

 

L'Immaculée Conception, clé des privilèges de Marie (I)

L'Immaculée Conception, clé des privilèges de Marie (II)

 

La lecture de ces œuvres de théologie contemplative est un délice pour l'intelligence et pour le cœur ; et même si l'on peine à suivre une pensée ardue, même s'il est difficile de prendre une vue d'ensemble de la pensée de l'auteur, son texte recèle tant de pépites, de vue profondes, de formules lumineuses, que l'effort fourni est mille fois récompensé.

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7 décembre 2010 2 07 /12 /décembre /2010 23:56

En deux livraisons de la Revue thomiste (1955, III, pages 477-518 ; 1956, janvier-mars, pages 43-87), le R.P. Guérard des Lauriers a publié une étude intitulée L’Immaculée Conception, clé des privilèges de Marie qui dénote non seulement une science théologique hors du commun, mais aussi un profond esprit contemplatif et un rare souci d’attribuer à chaque argument et à chaque aspect de la question son caractère et sa certitude propres.

La revue L’Ami du Clergé donna en 1957 (n. 19, 9 mai 1957, pages 289-291) une longue recension de cette étude. Après avoir évoqué quelques aspects (et seulement quelques aspects) du travail du R. P. Guérard des Lauriers, le rédacteur souligne la profondeur et l’intérêt d’une étude « qui tranche singulièrement sur tant de banalités auxquelles certains mariologues nous astreignent parfois ».

Pour l’honneur et l’amour de la sainte Vierge Marie Immaculée dont nous célébrons aujourd’hui la fête, pour l’honneur et l’amour de la doctrine catholique, pour la mémoire du R. P. Guérard des Lauriers et pour la consolation des lecteurs de Quicumque, nous donnons ci-dessous la recension de l’Ami du Clergé, et nous plaçons sous ce lien le premier article du R. P.

Le second article est maintenant disponible.

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L’étude du R. P. Guérard des Lauriers, O. P., L’Immaculée Conception, clé des privilèges de Marie, annoncée dans l’Ami (1956, page 691) dois retenir tout d’abord notre attention. Les deux articles qui la renferment constituent un chapitre de théologie mariale, envisagée sous un aspect très personnel et plus approfondi. Leur lecture ne peut s’adresser qu’aux spécialistes, habitués à saisir les nuances délicates d’une pensée, dont l’intelligence exige une application soutenue.

Un siècle après la définition de l’Immaculée Conception, l’A. [note 1] estime que « la notion de ce privilège marial n’est pas encore assez précise pour constituer un argument concernant d’autres points de la mariologie ». La manière de concevoir la grâce originelle de Marie, d’une part, commande d’autre part la question de sa Dormition et celle de sa co-Rédemption.

I. Selon la définition dogmatique de la Bulle ineffabilis, Marie a été et est ab omni originalis culpæ labe prœservata immunis. Les deux termes culpa, labes sont inclus dans la définition « mais le mot labe implique une irréductible épaisseur sémantique. Tache s’oppose à pureté, et c’est le péché, offense faite à Dieu, qui rend impur, en faussant la conformité à la Loi éternelle. Tache de la faute originelle signifie alors, dans cet état global que désigne la faute originelle, ce qui formellement a raison de péché. Mais il peut y avoir, dans cet état, des aspects n’ayant aucunement raison de péché et qui affectent Marie et c’est l’Immaculée-Conception au sens faible ; labes a un sens précisif à l’intérieur de culpa il diminue donc l’exemption de la faute. En second lieu, le mot tache lui-même est une image On songera à la tache d’huile qui, peu à peu mais irrésistiblement, s’infiltre partout. Eh bien, Marie est pure de tout cela, de tout ce qui a avec le péché, quelque rapport que ce soit. C’est l’Immaculée-Conception au sens fort : labes aun sens extensif par rapport à culpa il accroît donc l’exemption de la faute. »

La définition de l’Immaculée Conception impose-t-elle le sens fort ? L’A. est hésitant. Sans doute, le sens faible y subit, en maints passages, l’attraction du sens fort ; mais, même ainsi réduit, il demeure possible. Il se peut « qu’appartenant à une race traversée par le grand courant du péché, Marie ait pâti en son corps une sorte d’hystérésis [note 2], n’ayant aucunement le caractère de faute, rémanence certes dominée par l’âme, mais dominée non sans labeur, et pas assez pour que la force d’immortalité ait pu jouer librement… » (pages 488-489). « Il se peut… » C’est le doute impliqué dans cette possibilité qui empêche le théologien de donner une réponse positive relativement à la mort de Marie. En effet, dans la nature intègre « l’immortalité originelle consiste en une force qui atteint le corps, qui est participée actuellement par l’âme et dont Dieu est la source principale. Elle suppose la sujétion de l’âme à Dieu et dans le corps l’absence de vice, l’absence de forma vitiositatis. Voilà pour la nature intègre. Mais, dans la nature rachetée, et spécialement en Marie, qu’en est-il ?

« La force d’immortalité ne s’exerce plus, voilà le fait, sauf peut-être en Marie… Le fait lui-même peut tenir à deux causes : que la force d’immortalité ne soit pas rendue en même temps que la grâce ou bien que l’exercice de cette force soit lié et son effet suspendu par la forme de viciosité.

« La première hypothèse paraît peu conforme à la Sagesse de Dieu. Dieu est magnanime en sa miséricorde… En ce qui concerne Marie… sa grâce l’emporte en excellence sur celle de nos premiers parents. Et si… on insiste sur le fait que le régime de grâce de Marie doit être référé au Christ et non à la mesure originelle, on ne fait que confirmer l’argument. Jésus est mort parce qu’il l’a voulu : cela n’ôte pas qu’il possède la force d’immortalité. Nouvelle Ève ou Mère et Épouse du Christ, Marie également possède cette force. Mirabilius reformasti : voila la part commune… Sublimiori modo redempta, voilà la part propre de Marie. C’est-à-dire qu’elle participe mieux, en vertu d’une union plus intime avec le Rédempteur, un état meilleur que l’état originel par cela seul que le Christ devient pour elle immédiatement, la mesure de ce nouvel état. Marie n’a pu mourir par le fait que la force d’immortalité eût été absente de sa plénitude de grâce.

« Reste… la deuxième cause ; la mort, certaine pour nous, possible pour Marie, vient de ce que la forma vitiositatis lie la vis immortalitatis. C’est d’ailleurs ce suggère saint Thomas : “Bien que l’âme humaine ait recouvré la grâce (efficace) pour remettre la faute et pour mériter la gloire, elle ne l’a cependant pas recouvrée quant à l’effet de la grâce concernant l’immortalité perdue « quamvis gratiam (anima humana) recuperaverit ad remissionem culpæ et meritum gloriæ, non tamen ad amissaæ immortalitatis effectum (Ia, q. 97, a. 1 ad 3). Notons bien ad effectum. Saint Thomas ne dit pas que la grâce recouvrée soit impuissante à rendre l’immortalité. C’est l’effet de cette grâce qui pas recouvré en fait, bien que, ajoutons-nous, elle la contienne virtuellement, dans sa virtus. »

La position de l’A. est très nette. En Marie, l’absence de la forma vitiositatis et l’immortalité s’impliquent mutuellement. Donc, la grâce originelle ayant été rendue à Marie d’une manière parfaite, la force d’immortalité, concédée à nos premiers parents, existait en son âme. Et c’est là l’opinion personnelle du théologien dominicain. Mais peut-on affirmer, d’une façon absolument certaine, et en interrogeant la définition de Pie IX, que l’Immaculée Conception doive être entendue au sens fort, comme il a été dit plus haut ? Il reste un doute. Bien plus, ne convenait-il pas que même en l’absence de toute forma vitiositatis, Marie mourût, par conformité au Christ ? Dans les conditions répond l’A.,

« La mort de Marie suppose que le jeu de la force d’immortalité qu’elle possédait et qui n’était pas lié, a été, en elle, suspendu ; soit que Marie ait pu produire elle-même cet effet en elle, soit qu’elle l’ait demandé à Dieu, acquiesçant en tout cas à une inspiration divine tendant à la rendre plus conforme au Christ. Cela est certainement possible, bien qu’il ne soit possible ni de le prouver ni de l’infirmer. Nous sommes ici dans l’ordre de la gratuité absolue : aucune raison ne peut donc être déterminante. Autrement dit, la connexion entre la Dormition et l’Immaculée Conception au sens fort serait bien une connexion nécessaire si on pouvait ne considérer la Sainte Vierge qu’en elle-même. Mais la non-mort de l’homme non-pécheur, et plus encore, quoique pour des raisons propres à Marie, la Dormition, font expressément intervenir la volonté libre de Dieu ou du Christ. Non-mort et Dormition incluant, quant à leur exercice il est vrai, mais par essence, un élément transcendant, il est impossible de raisonner à partir d’elles rigoureusement comme on peut le faire à partir d’essences créées qu’il est possible de considérer circonscrites en elles-mêmes » (pages 433-434).

Conclusions prudentes d’un partisan de l’immortalité de droit conférée à Marie ; puissent-elles prémunir d’autres mariologues contre les déductions et affirmations précipitées.

2. — La seconde partie de l’étude du Père Guérard des Lauriers concerne les rapports de l’Immaculée Conception avec la co-Rédemption. Très justement l’A. affirme que « le mystère de la co-Rédemption se situe premièrement entre le Rédempteur et la co-Rédemptrice, non entre la co-Rédemptrice et les rachetés » (page 497). Rappeler cette vérité essentielle, c’est supprimer dès l’abord quantité de difficultés soulevées hors de propos. C’est en raison d’une action de Marie sur la volonté salvatrice du Christ que Marie peut et doit être dite co-Rédemptrice. Mais comment l’action d’une créature sur le Rédempteur est-elle possible ? C’est, nous dit-on, « en raison de l’existence dans le Christ de trois modes de vouloir respectivement associés à ses trois sciences. Le Christ peut accueillir, selon le mode inférieur de son vouloir, la motion qu’il exerce sur une créature par son vouloir supérieur. Ainsi le vouloir du Christ peut-il être mû par cette créature, sans toutefois être changé : la co-Rédemptrice a pu agir sur le vouloir du Rédempteur » (second article, page 43).

L’A. trouve, dans le miracle de Cana, une illustration de cette doctrine : à Cana, « Marie a effectivement mû le vouloir du Christ et, d’une façon très précise, le vouloir du Christ en tant que celui-ci est Rédempteur » (page 44).

« Le fait de l’influence de Marie sur Jésus à Cana est clairement exprimé par saint Jean : “Mon heure n’est pas encore venue” ; “Remplissez d’eau ces urnes” À la demande de Marie… Jésus agit alors qu’un instant auparavant il estimait que le moment n’était pas venu… L’heure, c’est l’heure de la Passion et de la Glorification… Le sens immédiat, c’est-à-dire répondant à la situation concrète, est inintelligible sans référence au sens principal… L’heure” dont parle Jésus à Marie, c’est donc cet instant qu’ils vivent ensemble dans le lieu où ils sont, mais cet instant comme origine d’un enchaînement inéluctable de causes secondes ; enchaînement dont Jésus sait respecter la nécessité puisque d’ailleurs il la veut comme aboutissant à la Passion… il suit de là que le changement de décision enregistré par le récit de Cana concerne bien formellement en Jésus l’orientation vers la Passion et vers la Gloire, concerne donc formellement le vouloir rédempteur. »

Il faut maintenant examiner le comment de la motion exercée par Marie sur le vouloir rédempteur. Marie est, avant tout, la première rachetée ; elle l’est dès sa conception, elle l’est singulièrement au moment où s’inaugure pour elle une participation active à la Rédemption. Mais là, de passive, elle devient active. Or le vouloir rédempteur du Christ intégra les trois modes associés à sa triple science :

« Il ne saurait être question d’une motion du vouloir du Christ selon les deux premiers de ces modes, qui sont d’ailleurs immuablement fixés par conformation au vouloir divin ; le Christ, connaissant le dessein providentiel par la science de Vision et par la science infuse, n’a pas cessé un seul instant de vouloir la Rédemption telle qu’elle s’est réalisée en fait ; du moins par le vouloir associé à ces sciences. En regard du vouloir rédempteur ainsi envisagé, Marie est toute passive elle en sait et en adore la réalité, elle en ignore la teneur exacte bien qu’elle en pressente les grandes lignes ; elle s’y conforme par la foi, achevant ainsi de le rendre efficace pour elle-même et pour toute l’Église. C’est cela qui est le principal : et du côté de Marie qui ne peut être co-Rédemptrice qu’en étant la première rachetée, et du côté du Christ en qui science acquise et vouloir de soumission ont évidemment pour fondement et pour centre les sciences supérieures et le vouloir qui leur correspond » (page 47).

Voici maintenant comment la co-Rédemptrice devient active et influe réellement sur le vouloir rédempteur. Le vouloir de Jésus, déterminé selon ses deux premiers modes par conformation à la Sagesse, a reçu selon son troisième mode cette même détermination, par la médiation de Marie. Approfondissons la psychologie humaine du Christ à la lumière de son Agonie :

« Le Non pas comme je veux, mais comme tu veux (Marc. XIV, 36) s’adresse au Père : et cette attitude de Jésus à l’égard du Père qui est plus grand que lui” (Jo. XIV, 28) paraît tout à fait normale. Elle n’en révèle pas moins, dans le jeu concret de la psychologie de Jésus, une fluctuation et une sorte de délibération. Cette délibération ne peut évidemment concerner que le vouloir de désir et de soumission ; mais le fait qu’elle existe montre que ce vouloir peut, en certaines circonstances, avoir à se chercher. La science acquise, qui le commande, peut demeurer provisoirement en suspens entre des données contraires ; et d’autre part les données supérieures, intelligibles ou volontaires, sont en fait inopérantes : le Christ a voulu qu’il en fût ainsi, puisque c’était là une condition sine qua non de la souffrance. Que ce moment de l’Agonie – qui est l’“heure” – fasse ressortir singulièrement le mystère du Christ, viator et comprehensor, c’est clair ; mais il montre que, selon le troisième de ses modes, le vouloir rédempteur peut être modifié, et pour autant peut être mû » (page 48).

Il n’y a donc aucune contradiction à ce que le vouloir rédempteur, dans la mesure et dans le moment où il est délibérant, trouve sa détermination propre en vertu de l’intervention de Marie. Par détermination propre, l’A. entend celle qui « appartient globalement au vouloir rédempteur réellement exercé, mais qui lui advient en propre par le vouloir de soumission » (page 49).

« Cela indique suffisamment que Marie a joué vis-à-vis de son enfant un rôle semblable à celui de toutes les mères. Or l’expérience montre que, dans l’épreuve, l’homme cherche spontanément et trouve habituellement auprès de ceux qui l’ont engendré le même appui qu’il en a reçu originellement : notamment pour redécouvrir et pour mettre en œuvre une rectitude qui déconcerte la spontanéité naturelle. Jésus délibérant a ”découvert” le dessein qu’il portait en lui, à la faveur de l’imperturbable désir de Marie » (id.).

Nous regrettons de ne pouvoir suivre l’A. dans tous les méandres de son exposé. Ce qu’on a dit suffit à montrer l’originalité de sa thèse. Dans sa perspective, la co-Rédemption subjective ne souffre aucune difficulté. On pourrait dire que, tout en la supposant, notre auteur ne la considère pas directement. Il s’agit de la part prise par Marie à la Rédemption objective, et le P. G. propose une solution qui devra satisfaire les théologiens avertis : « Si on admet la co-Rédemption par assimilation, il est clair que Marie fait tout ce que fait le Christ, mais d’une manière subordonnée.

« Dans la perspective que nous avons développée, l’opération de Marie ne peut être que concomitante à celle du Rédempteur. On tient ainsi simultanément deux vérités qui semblaient s’exclure : Marie participe à la rédemption objective” ; Marie n’exerce aucune médiation “physique” à l’égard des non-rachetés : cela ne convient qu’au Christ. Il est bien vrai que Marie agit sur l’Église à racheter ; mais c’est parce que son opération se trouve intégrée à celle du Christ, en prenant précisément pour le principal de ses objets le vouloir de désir et de soumission… »(page 57).

Et l’A. de conclure modestement : « On voit que la théorie que nous nous permettons de proposer à la réflexion théologique ne prétend pas éliminer les autres manières de voir : elle en assume le contenu positif et cela paraît être un argument en sa faveur » (page 57).

Thèse originale, dont certains aspects pourraient être discutés, dont le développement est parfois difficile à saisir, mais qui tranche singulièrement sur tant de banalités auxquelles certains mariologues nous astreignent parfois.

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Notes

[1] Dans les recensions et controverses théologiques, il est un usage répandu de désigner l’auteur d’un écrit recensé ou contredit, une fois qu’il a été bien identifié, par l’abréviation « A. » mise pour « Auteur ». Note de Quicumque.

[2] Cette expression qui signifie proprement la permanence indéfinie de l’aimantation après le courant qui l’a provoquée peut être appliquée au fomes peccati qui demeure dans l’homme même après le péché réparé et pardonné. « La cause cesse, l’effet demeure atténué mais indélébile : voilà en propre l’hystérésis. Le péché n’existe ni n’a jamais existé en Marie mais Marie appartient à une race pécheresse affectée du fomes peccati, même après la Rédemption ; le fomes, en Marie, est atténué, mais il en demeurerait quelque chose n’ayant aucunement raison de péché ; l’effet perdure, atténué et s’atténuant, sans la Cause : c’est très précisément l’hystérésis » (p. 489, note 1).

 

L’Immaculée Conception, clé des privilèges de Marie I.

L'Immaculée Conception, clé des privilèges de Marie II.

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30 novembre 2010 2 30 /11 /novembre /2010 22:27

[Valentin-Esprit Fléchier (1632-1710) commença à prêcher en 1670, et fut célèbre comme auteur d’Oraisons funèbres. Il a également laissé des mémoires, d’un style vif et pittoresque, sur les Grands jours d’Auvergne. Il fut nommé évêque de Lavaur et mourut évêque de Nîmes.]


Tune videbunt filium hominis venientem in nube
cum potestate magna, et majestate. Luc. xii.

Alors ils verront le Fils de l’homme venir sur une nuée,
avec une grande puissance, et une grande majesté.

 

Lorsque Jésus-Christ instruit ses disciples des funestes circonstances de son dernier jugement, il leur représente les passions des hommes, et le trouble universel de la nature ; ces guerres sanglantes, où les peuples armés les uns contre les autres pour satisfaire leurs propres haines, exécuteront les jugements de Dieu par avance ; ces divisions cruelles où citoyens contre citoyens, ruineront leur patrie par des meurtres et des parricides ; ces stérilités de la terre, qui consumeront de langueur ceux qui auront échappé à la fureur et à la violence des armes ; ces révolutions du ciel, où les astres obscurcis laisseront le monde dans l’horreur, dans la confusion et dans les ténèbres. Déjà les tombeaux seront ouverts, et les cendres des morts ranimées. Déjà s’avancera dans les airs cette fatale nuée qui doit servir de tribunal au souverain juge. Déjà ces vives lumières, qui, selon le prophète, sortent des yeux et de la face de Dieu quand il juge, perceront cette obscurité, et tout l’univers en suspens attendra l’arrêt décisif et public de son bonheur, ou de son malheur éternel. Je tire, avec saint Bernard, cette conséquence : quelle doit être l’exécution de ce jugement, si l’appareil en est si terrible ? et que sera-ce de Dieu, quand il punira, s’il est si redoutable quand il ne fait encore que menacer ?

Mais, lorsque le fils de Dieu paraîtra lui-même, alors on verra le néant des grandeurs humaines : un rayon de sa majesté effacera tout ce qu’il y a de gloire mondaine ; à lui seul appartiendront tout honneur et toute louange. Il n’y aura plus aucune différence de condition, que celle qu’y mettra la miséricorde, qui couronnera les uns, ou la justice qui punira les autres : grands et petits seront confondus ensemble, également humiliés, et s’accomplira cet oracle du prophète : Humiliabitur altitudo virorum, et exaltabitur Dominus solus in die illa.Dieu seul, en ce jour-là, sera grand. Grand pour les saints, qui verront en lui l’objet de leur éternelle félicité ; grand pour les réprouvés, qui tomberont devant cette majesté qu’ils ont si souvent offensée. Ils ne verront plus ce monde qu’ils ont tant aimé, il aura passé comme un songe. Ils ne verront plus ces richesses, dont ils faisaient tant de cas, le feu de la vengeance de Dieu aura consumé tous ces objets de leur convoitise. Ils ne verront plus leurs plaisirs que comme la matière de leur supplice. Tout leur spectacle sera réduit à se voir eux-mêmes, et à voir leur juge. Ils verront la difformité de leurs péchés d’un côté, et la justice de Dieu de l’autre. Ils n’ont pas voulu se connaître pour se corriger ; Dieu les fera connaître à eux-mêmes pour les confondre : ce sera le premier point de ce discours. Ils n’ont pas voulu user de la miséricorde de Dieu durant cette vie ; ils verront jusqu’où va sa justice en l’autre : c’est la seconde partie. Que ne puis-je vous dire, Messieurs, ce que Jésus-Christ disait à ses disciples : pour vous, quand ces choses arriveront, regardez en sûreté et levez vos têtes : Respicite, et levate capita vestra. Mais je crains que vous n’ayez pas sujet d’avoir en vos cœurs cette confiance, et je me contente de vous exhorter à lever avec moi les yeux au ciel, pour demander à Dieu les grâces qui nous sont nécessaires, par l’intercession de la Vierge, à qui nous dirons avec l’Ange : Ave, Maria.

 

 

Premier point

 

Une des principales circonstances du jugement universel sera la honte des pécheurs, lorsque Dieu, qui connaît le secret des cœurs, découvrira leurs consciences criminelles, à la vue et au jugement de toutes les nations assemblées : circonstance d’autant plus rude que nous sommes naturellement portés à cacher nos péchés, et que nous aurons un juge, dont les yeux pénétrants perceront jusqu’aux moindres impuretés dans nos âmes. L’Écriture est pleine de témoignages de cette vérité ; tantôt elle nous avertit qu’il n’y aura pas un péché secret qui ne devienne public, eût-il été caché sous les voiles les plus épais de la dissimulation, eût-il été enveloppé dans les replis les plus sombres d’un cœur hypocrite, eût-il échappé à la vue de tous les hommes, et de celui-là même qui l’a commis : Nihil occultum, quod non revelabitur.Tantôt elle nous exhorte à ne point juger des actions d’autrui, jusqu’à ce que le Seigneur vienne, qui éclairera les ténèbres les plus épaisses, et rendra visibles les plus secrètes intentions des cœurs, afin que chacun reçoive de lui, ou l’approbation que sa vertu aura méritée, ou le blâme qu’il doit attendre de son vice : Qui revelabit abscondita tenebrarum, et manifestabit consilia cordium.Elle nous assure que nos péchés sont comptés, et que ce tas d’iniquités est réservé et scellé devant Dieu, pour le jour de sa vengeance : Nonne hæc condita sunt et signata ;en sorte que, de tant de discours frivoles, de regards impurs, de pensées extravagantes, de négligences affectées, de médisances mordantes, d’avarices sordides, d’impiétés secrètes ou manifestes, selon la dureté et l’impénitence du cœur des hommes, il se fait devant Dieu comme un trésor et un amas de colère, pour être découvert au jour de la vengeance, et de la révélation du juste jugement de Dieu : Secundum duritiam tuam, et impœnitens cor, thesaurisas tibi iram in die iræ, et revelationis justi judicii Dei,dit l’Apôtre.

Cette vérité est fondée sur ce que Dieu, qui voit tout, révélera tout, et qu’il sera par conséquent juge et témoin tout ensemble. Il y a cette différence entre les jugements des hommes et ceux de Dieu, que les premiers sont bornés dans leur connaissance, et longs dans leur discussion. La connaissance des hommes ne s’étend qu’aux actions extérieures, et aux péchés consommés, et ne va tout au plus qu’aux crimes qui troublent l’ordre visible de la société ; au lieu que Dieu pénètre dans le fond de nos actions, qu’il discerne non seulement le péché, mais encore l’intention du pécheur ; et que, découvrant le crime dans sa source et dans son principe, avant même qu’il soit accompli, il voit tous les dérèglements du cœur dans le cœur, et les malices de l’âme dans l’âme même, et juge les volontés criminelles comme les crimes effectifs. La justice humaine a des règles qui la contraignent dans ses fonctions, parce qu’elle a ses préventions, ses intérêts et ses faiblesses ; elle a des usages, et certain ordre qu’on lui a imposés pour la redresser. De là viennent les plaintes, les accusations, les tourments et ces autres formalités qui sont la voie ordinaire des connaissances humaines. Mais Dieu est lui-même sa loi et sa règle ; et comme il ne peut ni se tromper dans ses pensées, ni excéder dans ses jugements, ni ignorer la vérité, ni la dissimuler, il sera lui seul l’accusateur et le témoin, le juge et le vengeur de tous les crimes.

C’est pour cela que Jésus-Christ aura tous les droits et tout le pouvoir de juger, parce qu’il est par une attribution particulière la sagesse, la lumière et la vérité ; sagesse qui découvrira tous les détours de la dissimulation et de la fraude. Alors on verra ces calomnies conduites avec tant d’art pour opprimer un innocent ; ces moyens de parvenir par des injustices secrètes ; toutes les finesses de la prudence de la chair, ingénieuse à les inventer, ingénieuse à les couvrir : lumière qui se répandra sur le pécheur et sur le péché, pour confondre l’un et découvrir l’autre. À cet éclat, on verra les actions les plus humiliantes ; ces bassesses qu’on aurait voulu se pouvoir cacher à soi-même ; ces coups sourdement donnés pour ruiner la réputation ou la fortune d’un honnête homme : vérité qui séparera les réalités des apparences, et qui montrera le fond de nos actions, sans s’arrêter à la surface. Alors il n’y aura rien que de vrai ; ces vices, dont les flatteurs faisaient des vertus, dépouillés d’une enveloppe de réputation et de louange, reprendront leur forme, redeviendront vices. Ces richesses acquises si finement, l’industrie à part, ne seront plus qu’un amas de larcins et d’injustices. Ces amitiés qu’on croit si pures, quand on leur ôtera cette apparence d’honnêteté qui les couvre, paraîtront telles qu’elles sont, un vil commerce d’intérêt ou d’impureté. Ces aumônes, quand on effacera cette couleur de la charité qu’on leur donne, ne seront plus que de vaines ostentations, ou des compassions naturelles. Ces humilités qu’on admire, quand on aura levé le masque qui les couvre, ne seront peut-être que des vanités déguisées. Ces confessions et ces communions, dénuées des formes extérieures de la pénitence et de la piété, ne seront plus que ce qu’elles ont été, des coutumes sans réflexion et des bienséances sacrilèges. Soit que le péché ait laissé en nous une impression, ou, comme parle Tertullien, une flétrissure, comme une marque d’infamie gravée dans le fond de nos consciences, et qu’une lumière divine rendra toutes ces marques visibles et reconnaissables ; soit que Dieu, serrant le cœur des pécheurs, les obligera par la force de la Vérité à manifester devant lui, toutes leurs pensées, et tirera de leurs bouches criminelles des confessions forcées de leur vie et de leur conduite ; soit enfin que Dieu déclarera à chacun sa conscience et celle des autres, et imprimera dans leur imagination leurs fautes publiques ou secrètes : quoi qu’il en soit, quelque obscurité que vous ayez répandue sur vos actions, Dieu deviendra lumière pour les éclairer : Quascumque factis tuis umbras substruxeris, Deus lumen est.

La raison de cette conduite de Dieu dans cette dernière action de jugement, c’est qu’il est de l’accomplissement et de la perfection de sa justice de faire connaître à chacun le sujet de son salut ou de sa perte, et de justifier devant tout le monde la sentence qu’il sera prêt à prononcer. Je sais, Messieurs, que les jugements de Dieu sont toujours véritables, et qu’ils portent leur justification avec eux : Judicia Domini vera, justificata in semetipsa : parce qu’il ne cherche pas, dans la punition des hommes, une vaine ostentation de sa grandeur, mais des preuves de son équité suprême. Je sais que la volonté de Dieu et sa justice, c’est la même chose ; qu’il a une puissance de force, par laquelle rien ne peut lui résister, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni dans les enfers ; et une puissance de droit et d’autorité, par laquelle tout ce qu’il fait est rendu juste ; et qu’ainsi, soit qu’il punisse, soit qu’il récompense, quoique les causes de sa bonté ou de sa rigueur soient obscures, elles ne laissent pas d’être équitables. Il n’a qu’à s’en rendre compte à lui-même. Quis dicet tibi, quod fecisti ? aut quis stabit contra judicium tuum ? quis imputabit tibi si perierint omnes nationes ? Qui est-ce, mon Dieu, qui vous dira pourquoi jugez-vous ainsi ? Qui est-ce qui prendra la défense de ceux que vous condamnerez ? Qui est-ce qui vous imputera la perte des nations que vous avez faites ? Qui est-ce qui entreprendra de vous contredire, et de réformer vos jugements ? Toutefois, il veut par une conviction publique fermer la bouche aux impies, faisant voir à chacun les péchés de tous, et à tous les péchés de chacun en particulier ; il veut que sa justice soit reconnue, et que ceux qui la ressentiront ne puissent en disconvenir eux-mêmes, quand ils se verront tels qu’ils sont.

Car la plupart des hommes ou diminuent leurs péchés, ou les ignorent, ou les cachent. Quelles excuses, quelles justifications ne trouvent-ils pas ? S’ils sont puissants, ils croient qu’ils sont au-dessus des lois, et qu’on doit respecter leur autorité aux dépens même de la religion. S’ils sont obscurs, ils croient qu’il importe peu quelle vie ils mènent. S’ils commencent à pécher, ils prétendent que les premières fautes sont pardonnables ; s’ils continuent depuis longtemps, ils accusent la force de leurs mauvaises habitudes, dont ils n’ont pas voulu se rendre les maîtres. S’ils sont délicats, ils veulent qu’on les épargne et qu’on les ménage ; ainsi, affaiblissant dans leurs esprits leurs péchés, ils les regardent au dehors, ils les commettent sans crainte, et s’en accusent sans repentir ; ils vont tête levée aux pieds d’un prêtre. La moindre sévérité les offense. Il faut qu’un confesseur choisisse ses termes, de peur de blesser leur délicatesse ; et, dans un tribunal aussi sévère et aussi absolu qu’est celui de la pénitence, on dirait que le juge tremble devant le criminel, et qu’il lui demande comme une grâce de vouloir prendre quelque soin de son salut. Telle est l’indulgence des pécheurs pour eux-mêmes : on se flatte, on se déguise ; qui est-ce qui n’a pas une apologie toujours prête pour son péché dominant ? et qui est-ce qui ne se fait pas une espèce d’innocence par la comparaison de ceux qu’il veut croire plus méchants que lui ? qui est-ce qui ne tâche pas de s’aveugler soi-même et de corrompre sa propre conscience ? Il est donc juste qu’il y ait un jour de reconnaissance et de révélation, comme parle l’Écriture : In die agnitionis, in die revelationis,où chacun soit représenté à lui-même dans son état naturel ; où la vérité, qui est la forme et la règle des jugements irréprochables, soit la seule qui préside ; où toutes les fausses règles que nous avons appliquées à nos actions soient produites et redressées sur la règle infaillible et immuable de la loi divine, et où cette lumière que nous avons tant de fois étouffée, en nous justifiant à nos propres yeux, nous découvre tout entiers à nous-mêmes, afin que Dieu soit justifié, et que ses jugements soient hors d’atteinte : Ut justificeris in sermonibus, et vincas cum judicaris ; et que l’homme reconnaisse, et la grandeur de ses péchés, et la vanité des excuses qu’il recherche pour les affaiblir.

Ce serait peu s’il ne faisait qu’excuser ses fautes ; mais malheureusement il les ignore. Il y a deux sortes d’ignorance ; l’une est presque nécessaire et inévitable, l’autre est volontaire et affectée : la première est la suite et la peine du premier péché. Ce sont ces nuages qui s’élèvent dans nous, qui nous cachent ordinairement certains endroits de nous-mêmes, quelque soin que nous prenions de nous connaître ; certains désirs cachés dans le fond de l’âme, qui sont aussi invisibles et aussi imperceptibles que l’âme même, qui les cache et les retient sans qu’elle s’en aperçoive. Ce sont ces mystères d’iniquité qui se passent en nous, que nous ne découvrirons jamais, si l’esprit de Dieu n’y entre et n’y porte sa lumière. C’est pour cela que l’Écriture, après avoir dit que les voies de Dieu sont impénétrables, nous avertit que celles de l’homme le sont aussi, parce que comme il y a en Dieu une profondeur de lumière et de sagesse qui est impénétrable aux hommes et aux anges, il y a aussi dans l’homme, depuis qu’il s’est déréglé, une profondeur de ténèbres et d’égarement qui le fait agir d’une manière incompréhensible aux autres et à lui-même. C’est ce qui faisait dire au roi prophète : Seigneur, ne vous souvenez pas de mes ignorances : Ignorantias meas ne memineris ; comme s’il eût dit : Je travaille, Seigneur, à détruire en moi ces grandes passions qui m’agitent ; comme elles se font sentir, elles se font pleurer ; aussi je m’en défends, et je les combats : mais pour ces passions inconnues que j’entretiens en moi sans le savoir, c’est à votre miséricorde à les pardonner ; c’est à votre grâce et puissance à détruire ces ennemis cachés qui me peuvent nuire, et dont je ne puis me défendre.

L’Écriture sainte nous enseigne qu’il faut gémir dans la vue de ces ignorances, et le Saint-Esprit, dans les livres de l’ancienne loi, a prescrit les règles et la forme des sacrifices pour expier ces fautes inconnues avant que Dieu les montre et les punisse dans son jugement. Mais il y a une ignorance affectée et volontaire, qui ne vient pas d’un défaut de lumière, mais d’un défaut de soin et de réflexion. C’est cet aveuglement que nous faisons nous-mêmes, quand nous négligeons de connaître nos devoirs, de peur que l’obligation que nous aurons de les accomplir, ne nous presse trop quand ils seront une fois connus, et que nous ne soyons contraints de renoncer à nos passions ;ou que nous ne tombions dans un remords incommode qui trouble notre repos et notre plaisir, comme s’il n’y avait point de jugement, et s’il était permis de vivre au hasard.

En effet, qui sont ceux qui font réflexion sur leur conduite ? Qui sont ceux qui ont l’intelligence de leurs péchés : Delicta quis intelligit ?Les uns nous échappent, dit saint Augustin, ou par le peu de précautions que nous avons à les éviter, ou par la facilité que nous avons à les commettre : nous échappons aux autres, en résistant, pour contenter nos passions, à nos lumières, ou en nous faisant de faux principes, ou pour en diminuer l’injustice, ou pour en effacer le souvenir. Quelqu’un songe-t-il aux péchés d’usage et d’emploi ; profite-t-on du temps qu’on a pour gagner une éternité ; quelle partie en donne-t-on à son salut ? Le jeu, la conversation, les affaires ne font-ils pas l’occupation de la plupart, je dis des honnêtes gens selon le monde ? Toute leur vie se réduit à des spectacles qu’on a vus, à des compliments qu’on a faits, à des visites qu’on a rendues, à des nouvelles qu’on a, ou apprises, ou débitées ; ils passent sans scrupule ces années d’amusement qu’interrompent à peine quelques bienséances de religion, que le monde même demande, quelques remords qu’une réflexion importune aura tirés d’un cœur lassé peut-être de ses plaisirs, et quelques soupirs que le danger d’une mort prochaine arrachera de leur esprit affaibli, et de leur conscience effrayée. Cependant on rendra compte à Dieu de tant de vains et inutiles moments : et si Jésus-Christ dans son Évangile nous assure qu’une parole oiseuse sera rigoureusement condamnée et punie, que sera-ce d’une vie qui n’aura été qu’une longue et stérile oisiveté ? Quel usage fait-on des biens du monde ? on s’en sert pour entretenir la vanité, par des dépenses excessives, ou pour satisfaire son avarice par des épargnes accumulées. On ne s’informe ni des malheurs du temps, ni de la misère des pauvres. On croit n’être grand et n’être riche que pour soi. Pourvu qu’on ne prenne pas le bien d’autrui, on croit pouvoir innocemment abuser du sien. Tantôt il faut soutenir sa qualité, tantôt il faut amasser pour ses enfants ; ainsi on se fait de son avarice une vertu de sa condition, et l’on veut être prudent, quand il faut être charitable. Cependant tout jugement semble se réduire à cela : Esurivi, et non dedistis mihi manducare. Personne n’y fait réflexion : Delicta quis intelligit ? Y a-t-il quelqu’un qui s’examine sur ses péchés de conversation ? À quoi aboutissent tous les entretiens d’aujourd’hui, sinon à s’amuser aux dépens d’autrui, et à se jouer de la réputation les uns des autres ? C’est l’agrément de ceux qui parlent, c’est le plaisir de ceux qui écoutent ; sans cela les conversations tarissent, le monde n’a plus d’esprit ; avec cela chacun plaît, chacun s’insinue, chacun s’exprime heureusement ; ce vice est devenu si commun, qu’on est parvenu à ne s’en apercevoir presque plus : on s’est fait un point de sincérité et de bonne foi, de ne se rien dissimuler de ce qui est désavantageux à ceux dont on parle. Les oreilles se sont accoutumées à cette espèce de langage, si peu charitable et si peu chrétien ; tout consiste aux manières ; car encore veut-on dans les péchés, même les plus cruels, garder quelque apparence de politesse. Une médisance grossière et insupportable, c’est déchirer sans pitié la réputation du prochain, c’est assassiner son frère inhumainement. Un honnête homme sait mieux vivre, il empoisonne avec art tous les traits de sa médisance, il commence un discours sanglant par une préface flatteuse, et disant d’abord du bien, pour faire mieux valoir le mal qu’il va dire, il pare la victime qu’il veut égorger, et croit qu’il est plus innocent, quand il jette quelques poignées de fleurs sur l’autel qu’il veut ensanglanter de son sacrifice.

Ceux mêmes qui se piquent de piété ne sont pas exempts de ce vice. Et cependant l’injure qu’on fait au prochain, la difficulté de la réparer, l’impression et le progrès que fait d’ordinaire une médisance, qui sert d’instrument à la passion des uns ou de nourriture à la malice des autres, et toutes les conséquences dont on est responsable, devraient faire trembler : Delicta quis intelligit ?Qui est-ce, dit saint Chrysostôme, qui connaît ou qui veut connaître les péchés de son état et de sa profession ? soit parce qu’étant plus conformes à nos inclinations, ils nous deviennent plus familiers, soit parce qu’étant plus souvent réitérés, ils ne se font presque plus sentir ; soit parce qu’ils ont plus de proportion avec nous, nous les prenons souvent pour des droits, et pour des dépendances de notre emploi. Les magistrats qui ont la justice entre les mains, lorsqu’ils la font pencher du côté du sang, de l’amitié, de la faveur, ou de la brigue ; lorsqu’ils donnent un tour favorable, ou pernicieux aux affaires, en les montrant du bon ou du mauvais côté ; lorsque par des longueurs infinies, ils lassent la patience des malheureux, ils croient que c’est un droit de leur état, et qu’ils sont maîtres de la justice ; ils paraîtront devant le tribunal de Jésus-Christ, et leurs injustes jugements retomberont un jour sur eux-mêmes. Combien les personnes qui sont consacrées à Dieu font-elles de fautes sans qu’elles s’en aperçoivent ! Combien d’infidélités à Dieu, combien de dérèglements dans leurs paroles ! combien de fois blessent-ils la conscience des faibles, par les mauvais exemples qu’ils leur donnent ! À quels usages destinent-ils les biens dont ils ne sont que les dispensateurs et les économes ? Quel soin ont-ils d’instruire les ignorants, et de ramener à Dieu ceux qui s’égarent ? Ils voient le crédit que leur donne leur dignité, et ne connaissent pas les devoirs ni les dangers de leur ministère : Delicta quis intelligit ?

Pour confondre tant de sortes de pécheurs, et pour leur faire voir ce qu’ils ont ignoré, Dieu descendra lui-même, dit le prophète : Ecce vigil, et sanctus de cœlo descendit,attribuant au souverain Juge deux qualités, la vigilance et la sainteté, pour marquer que ni l’éloignement, ni les ténèbres, ni le silence, ni le secret, n’auront rien pu dérober à sa connaissance, et que rien de profane, rien de mondain, rien d’injuste, n’aura pu être supportable à sa sainteté ; et qu’ainsi il couvrira les impies de confusion, en devenant leur juge, et les obligeant eux-mêmes à devenir leurs accusateurs ; ce qui fera une des plus rigoureuses peines du jugement.

Il n’y a rien de si triste que la vue de nos péchés, quand ce n’est pas la miséricorde de Dieu qui nous les montre, pour nous exciter à l’humilité et à la pénitence. Jésus-Christ nous apprend que tous ceux qui font le mal ne peuvent souffrir la lumière, parce qu’elle les humilie, et qu’elle leur découvre ce que leur amour-propre leur veut cacher : Omnis qui male agit odit lucem, et non venit ad lucem, ut non manifestentur opera ejus.Le roi-prophète proteste qu’il ne peut avoir ni paix ni repos dans son âme, tant que ses péchés, comme des spectres importuns, lui apparaîtront au milieu même de ses plaisirs : Non est pax ossibus meis a facie peccatorum meorum ;et la plus grande menace que Dieu fasse au pécheur, c’est de le représenter à lui-même : Arguam te, et statuam contra faciem tuam.Aussi qui est-ce qui ne cherche pas à se répandre au dehors, et à perdre le souvenir de soi-même par une vaine application aux choses extérieures ? D’où vient que les hommes vivent dans une agitation perpétuelle, qu’ils s’occupent d’affaires, de sciences, de jeux, de désirs, d’espérances ? d’où viennent ces soins qu’on a, ou qu’on se fait quand on n’en a pas ; ces vues qu’on porte toujours hors de soi, de peur de tomber dans la connaissance de ses défauts ; cette avidité de divertissements qui dissipent l’imagination, et qui la détournent sur des objets étrangers ? D’où viennent cette horreur qu’on a de la solitude, parce que, n’étant plus frappés de cette grande diversité d’objets, on se trouve réduit à vivre avec soi et à penser à soi ; ces amusements qu’on cherche, non pas tant pour le plaisir qu’on y trouve, que parce qu’on y perd le chagrin de réfléchir sur ses actions ? Enfin, soit que l’âme qui n’est pas attachée à Dieu ne trouve rien en elle qui la contente, soit qu’elle craigne de perdre ses plaisirs, si elle se donne le temps d’en apercevoir le vide, soit qu’ennuyée de sa condition depuis le péché, elle évite le dégoût et l’amertume que lui donnerait l’attention qu’elle ferait sur elle-même ; il arrive qu’on se fait un art de s’oublier, au lieu de se faire une étude de se connaître. On croit avoir gagné les jours et les moments qu’on se dérobe à soi-même, et par une contradiction difficile à comprendre, l’homme qui s’aime tant ne se peut souffrir, lui qui rapporte tout à soi, ne fait aucun retour sur lui-même ; il se cherche et se fuit ; il veut tout savoir, et ne craint rien tant que de se connaître.

Que si on a tant de peine à s’examiner quand on peut se corriger, et quand on jouit toujours du plaisir du péché, quel supplice sera-ce donc pour les pécheurs, quand ils se verront tels qu’ils sont, lorsqu’une lumière importune leur représentera une idée effrayante d’eux-mêmes, idée qui formera, non pas une humilité de pénitence, mais une humiliation de désespoir. Ils verront leurs péchés, non pas comme la matière de leurs plaisirs, mais comme le sujet de leur damnation. La flatterie ne les colorera plus, l’amour-propre ne les dissimulera plus, l’impunité ne les assurera plus, l’autorité ne les soutiendra plus, les ténèbres ne les couvriront plus, la pénitence ne les réparera plus, le sang de Jésus-Christ ne les effacera plus ; il n’y aura plus que la vérité qui les découvrira, la loi de Dieu qui les condamnera, la justice qui les vengera, et l’endurcissement qui les entretiendra jusqu’à la fin.

Que nous reste-t-il à conclure ? sinon qu’il faut vous épargner cette honte. Dieu vous connaîtra tel que vous êtes pour vous punir ; connaissez-vous tel que vous êtes pour vous corriger. Faites vous-même aujourd’hui, par sa miséricorde, ce qu’il vous menace de faire un jour par sa justice. Travaillez à vous guérir, et non pas à vous cacher ; et, si vous ne pouvez voir sans chagrin le misérable état où vous êtes, ne cherchez pas de vaines consolations à vos maux ; cherchez plutôt de véritables remèdes. Mais ce n’est pas assez d’appréhender cette honte ; il faut craindre la justice de Dieu dans son jugement, si nous abusons en ce monde de sa miséricorde : c’est ma seconde proposition.

 

 

Deuxième point

 

L’Écriture sainte ne recommande rien tant que de craindre Dieu, et d’appréhender ses jugements. Elle nous apprend que c’est là le commencement de la sagesse, parce que le pécheur, qui s’est éloigné de Dieu, pour avoir été trop sensible au plaisir du péché, n’y retourne d’ordinaire que par un vif ressentiment de la peine qu’il a méritée, et que, comme le mépris de sa bonté, ou la fausse confiance en sa miséricorde est souvent le principe du dérèglement, l’appréhension de sa justice est aussi la première partie du repentir. Tantôt elle nous assure que nous ne pouvons être justifiés sans la crainte : Nam qui sine timore est, non poterit justificari ;car la crainte introduit la charité, qui est la véritable justice, et, après avoir dompté l’orgueil de l’homme par les menaces, le soumet volontairement à la loi de Dieu par l’espérance et par l’amour des promesses. Tantôt elle nous déclare qu’il n’y a que les âmes craintives qui aient sujet d’espérer dans les derniers jours : Timenti Dominum bene erit in extremis,parce qu’ayant été vivement frappées du malheur qu’elles devaient craindre, elles auront pris soin de le prévenir, et de l’éviter.

Ne nous flattons pas, Messieurs ; c’est là la voie du salut qui nous est marquée. Les pécheurs n’aiment pas à songer à ce qui les inquiète ; ils éloignent de leur esprit tout ce qui peut troubler leur repos et leur confiance : la considération de la mort, de l’enfer, et celle du jugement dernier, sont pour eux des méditations trop mélancoliques ; et, jugeant bien qu’ils ne pourraient attendre de la justice de Dieu que des châtiments et des supplices, ils ne le regardent que du côté de sa miséricorde, dont ils se promettent toujours les grâces qu’ils ne se mettent pas en état de recevoir. Ainsi ils secouent le joug de la crainte ; c’est même le défaut de certains dévots, qui, se croyant plus spirituels qu’ils ne sont, s’imaginent qu’il ne convient qu’aux grands pécheurs, ou aux âmes basses et grossières, de s’appliquer à ces objets de frayeur. Ils ne veulent nourrir leur dévotion que d’amour et de confiance, ils s’entretiennent dans une fausse paix, dans la poursuite d’une perfection imaginaire. Ils sont d’autant plus faibles, qu’ils veulent faire les magnanimes ; et, sous prétexte de charité satisfaisant leur amour-propre, ils ne parviennent pas à aimer Dieu, et se dispensent de le craindre.

Cependant toute l’Écriture travaille à nous remettre ces pensées terribles devant les yeux, et les Saints ne les ont pas trouvées trop grossières ni trop rebutantes pour eux, mais très salutaires et très efficaces. Je sais bien que le premier dessein de Dieu est d’aimer ses créatures, et d’en être aimé, et que ce n’est que par accident qu’il les punit, et qu’il s’en fait craindre. Depuis que nous sommes pécheurs, il nous menace comme criminels. Il a pour nous, dit Tertullien, la bonté de père et l’autorité de maître, il veut être aimé par religion, et craint par nécessité ; en quoi nous devons adorer sa Providence, qui, dans les occasions, et dans le penchant du péché où nous sommes, veut bien opposer ses jugements comme une digue à nos passions ; il nous fait une vertu de l’appréhension de nos peines, et exerce sur nous une espèce de miséricorde par la crainte même de sa justice.

Or, cette justice ne paraîtra jamais plus terrible qu’en son dernier jugement ; toutes les qualités divines de Jésus-Christ se manifesteront ; toute sa grandeur accompagnera, pour ainsi dire, sa justice ; tous ses attributs éclateront : sa puissance, il ressuscitera tous les hommes : son immensité, il se rendra présent en tous lieux : son éternité, il rappellera tous les temps : sa sainteté, il séparera les bons d’avec les méchants : sa colère, il se vengera des impies : sa sagesse et sa vérité, il ouvrira tous les cœurs, et pénétrera toutes les consciences : et, comme son intelligence infinie ne laissera rien de caché, sa sévérité inflexible ne laissera rien d’impuni. Alors on verra un juge incorruptible, impitoyable, qui jugera sans exception, qui condamnera sans miséricorde, et qui jugera sans ressource. Expliquons ces vérités en peu de mots.

Une des principales règles que le sage donne pour l’intégrité des jugements, c’est de considérer l’action, non pas la personne qu’on doit juger : Cognoscere personam in judicio, non est bonum.Parce que si le juge ne met sous ses yeux ce voile mystérieux qu’on donne à la justice, il peut se laisser affaiblir, ou par la crainte de ceux dont l’autorité lui peut nuire, ou par la considération de ceux dont l’amitié lui peut être utile ; et ainsi préférer ces personnes à la vérité, abandonner la vertu quand elle n’est soutenue que par elle-même, et absoudre l’injustice pour flatter l’injuste qui la commet ou qui la protège. Or, qui ne sait que Dieu est exempt de ces faiblesses ? On ne peut ni le préoccuper, ni le surprendre. Il ne peut être ni gagné par les persuasions, ni fléchi par des prières étudiées, ni étonné par la puissance, ni touché par l’amitié ; tous les hommes également et sans distinction sont soumis à son pouvoir et à sa justice : Non enim subtrahet personam cujusquam Deus, nec verebitur magnitudinem cujusquam, quia pusillum et magnum fecit ; où l’on peut remarquer trois causes de sévérité générale. La première est, l’équité de Dieu, qui fait que l’injustice lui déplaît en quelque sujet qu’elle se rencontre, et que son indignation tombe toujours sur le péché, de quelque qualité que soit le pécheur. Pour nous, qui ne connaissons ni le péché ni l’injustice, il nous arrive souvent, dit saint Augustin, de haïr les hommes à cause des vices, ou d’aimer les vices à cause des hommes. Il prend souvent des zèles indiscrets et des aversions capricieuses ; on se choque, on se scandalise ; un rapport, un intérêt, une incivilité, une défiance nous font passer de la haine des mœurs à celle de la personne ; ce n’est pas tant l’intérêt de Dieu que nous regardons que le nôtre. Souvent, si nous examinons bien, ce que nous croyons zèle est une vengeance, et sous une apparence de justice, nous découvrons un défaut de patience ou de charité. Au contraire, souvent nous aimons les vices à cause des hommes ; il prend des inclinations aveugles : on se prévient, on s’attache, on a des yeux indulgents pour ceux qu’on aime ; quelque critique qu’on soit d’ailleurs, quand on ne peut leur donner la perfection qu’on voudrait, on leur ôte du moins les défauts autant qu’on peut, on veut justifier l’attachement qu’on a pour eux, en justifiant toute leur conduite, On se fait un point d’honneur de ne pas montrer et de ne pas connaître soi-même qu’on soit trompé ; et, de peur qu’on ne fasse tort à la personne, on aime mieux faire grâce à son péché. De là viennent ces condescendances qu’on a pour les volontés injustes des pécheurs, ces timidités qui empêchent les bons avis, les sages conseils et les autres offices de la charité chrétienne ; ces flatteries qui entretiennent la vanité ou qui la produisent ; ces partis qu’on prend sans raison, et souvent même contre la raison. C’est que nous n’avons pas l’idée qu’il faut du péché, et que nous sommes attachés par nos passions aux personnes qui le commettent : mais il n’y a point auprès de Dieu d’acception de personnes ; il n’agit que par sa justice, il ne haïra que le péché.

La seconde raison, qui fait que Dieu ne fera aucune distinction, c’est sa souveraineté et son indépendance, qui, le mettant au-dessus de toute crainte et de toute espérance, le rendent inflexible et inexorable à toute injustice : Nec verebitur magnitudinem cujusquam.La troisième, c’est cette égalité de droit et de puissance qu’il a sur les créatures, par laquelle il jugera les faibles et les puissants, parce qu’il a créé les uns et les autres, et qu’il brisera d’une même main ces vases qu’il a faits d’or ou d’argile, quand ils auront été profanés. Tous les pécheurs donc paraîtront devant son tribunal : ces riches qui méprisèrent les pauvres ; ces pauvres qui attentèrent contre les riches ; ces pasteurs qui ne veillèrent pas sur leurs troupeaux ; ces troupeaux qui n’écoutèrent pas la voix de leurs pasteurs ;ces âmes vaines et curieuses qui inventèrent les erreurs ; ces âmes simples et crédules qui les suivirent. Tous ces criminels seront jugés sur la même règle, et se trouveront enveloppés dans la même sentence de condamnation, chacun selon la proportion de ses crimes.

Comme il n’y a qu’une loi, une foi, un baptême, il n’y aura qu’un même jugement, une même récompense, un même supplice. Malheur à ceux qui se seront fait en ce monde des titres vains et imaginaires de distinction dans la poursuite de leur salut ! Malheur à ceux qui auront vécu comme s’il y eût eu pour eux un Évangile plus doux et plus relâché ! Malheur à ceux qui, parce qu’ils commandaient aux autres hommes, auront fait, comme s’ils étaient moins obligés d’obéir à Dieu ! S’il y a quelque distinction, ce sera qu’ils seront jugés plus sévèrement. L’Écriture sainte ne s’est jamais exprimée avec plus de force que sur cette partie du jugement qui regarde les grands du monde : tantôt que les anathèmes et les malédictions du ciel seront lancés sur les montagnes, que le jour du Seigneur tombera sur les tours de Samarie, que sa voix brisera les cèdres du Liban : tantôt elle s’explique sans figure, que ce jugement sera terrible pour ceux qui ont quelque intendance sur les autres : Judicium durissimum his qui prœsunt, fiet ; qu’il aura de la miséricorde pour les pauvres, mais qu’il punira les puissants de toute sa justice, et de toute sa puissance : Exiguo conceditur misericordia, potentes autem potenter tormenta patientur.

Il vous jugera, Messieurs, selon vos qualités et selon vos charges. Vous lui répondrez de sa grandeur, dont vous avez été la représentation et l’image ; de sa puissance, dont vous étiez les dépositaires ; de sa justice, dont il vous avait fait les ministres ; de sa religion, dont vous deviez être les protecteurs, Vous rendrez compte des passions qu’on vous inspirera, de celles que vous fîtes naître ; des péchés que vous avez faits, et des grâces qu’il vous a faites ; des soins que vous avez eus pour vous, de l’indifférence et du mépris que vous avez pour les autres ; de ce que vous fîtes aimer, de ce que vous fîtes souffrir ; de ce que vous accordâtes à la faveur, de ce que vous refusâtes au mérite ; de la dissipation de vos biens et des charités qui s’en pouvaient faire ; des vices que vous pouviez arrêter par votre autorité, des vertus que vous pouviez produire par vos exemples. Votre chute sera plus grande, parce que vous avez été plus élevés : vous aurez moins d’excuses, parce que vous aviez plus de connaissance : vous avez eu plus de devoirs à accomplir, et vous aurez plus de sujets et plus de peine à vous justifier : vous avez eu plus d’occasions de faire du mal, et vous serez plus tourmentés : vous avez eu plus de moyens de faire du bien, et vous serez moins excusables : vous étiez plus accoutumés à vos aises et à vos plaisirs, les peines du châtiment seront plus sensibles : vous avez reçu plus de bienfaits, et votre ingratitude sera plus grande. L’excellence de votre condition ne fera que vous rendre plus punissable. Les flatteries qu’on vous dit et que vous cherchez ne feront qu’augmenter votre confusion, et l’impunité dont vous jouissez ne fera que renforcer vos supplices. Ne prétendez donc pas de distinction, ni de faveur du souverain juge.

Non seulement ce jugement se fera sans distinction, mais encore sans miséricorde. Il n’y a point de religion qui ne reconnaisse que l’homme est pécheur, et qu’il est sujet à la colère du ciel ; l’un naît du sentiment perpétuel de la conscience, l’autre vient de l’expérience de tous les siècles. Il est difficile de n’être pas convaincu de ces deux vérités. Mais plusieurs ont abusé de cette connaissance, en séparant ces deux choses qui doivent être inséparables : car les uns ont regardé les châtiments de la justice de Dieu détachés des crimes des hommes, et se sont formé l’idée d’une divinité cruelle et impitoyable, qui se plaît à faire des malheureux, et à montrer sa puissance en détruisant ses propres ouvrages. Les autres, au contraire, ont regardé les péchés des hommes, seuls, et détachés des châtiments de la justice divine, et se sont formé l’idée d’une divinité molle et négligente, qui, n’ayant pas la force ou le soin de punir les méchants, abandonne tout au hasard, et demeure dans une faible indifférence pour le bien et pour le mal. La religion chrétienne, qui seule donne une parfaite connaissance de Dieu, nous apprend à joindre ces deux objets, à ne regarder le châtiment que par rapport au péché qui l’a précédé, et à ne considérer le péché que par rapport au châtiment qui le suit infailliblement, et nous fait concevoir un Dieu bon et miséricordieux, qui aime ses créatures ; mais pourtant juste, ennemi du péché et de l’injustice. Ce sont les idées qu’il faut avoir de Dieu, souverainement bon et souverainement juste ; et, parce qu’une justice sans bonté causerait notre désespoir, qu’une bonté sans justice attirerait notre mépris, il est convenable qu’il tempère sa justice par les effets de sa bonté, et qu’il fasse respecter sa bonté par les effets de sa justice.

Cependant il me semble, Messieurs, que Dieu sépare l’exercice de ces deux attributs dans sa conduite à l’égard des pécheurs. En cette vie il les souffre, il les appelle, il les attend, quoiqu’ils ne le méritent pas, quoiqu’ils soient ses ennemis, quoi qu’ils continuent de l’offenser ; il déploie sur eux, dit l’apôtre, les richesses de sa bonté, et de sa longue patience, divitias bonitatis, patientiæ et longanimitatis. Sa miséricorde agit toujours et sans relâche, et sa justice tout au plus par reprise et par intervalle ; l’une est comme le soleil, qui nous fait tous les jours ressentir ses influences ; l’autre est comme la foudre, qui ne tombe que rarement : la justice punit quelques méchants en ce monde, afin qu’il paraisse que sa providence gouverne tout. Elle laisse plusieurs crimes impunis, afin qu’on sache qu’il y a un jugement à venir, auquel il réserve la punition. On peut dire même, avec saint Augustin, que la miséricorde agit toute seule ; que s’il nous châtie, s’il nous envoie des afflictions et des souffrances, c’est une espèce de miséricorde qu’il exerce sur nous, pour nous détacher du monde, pour nous ramener à lui, et pour faire de ces peines, une partie de notre pénitence. Mais, quand la mort surprend les pécheurs dans leur endurcissement, Dieu n’exerce plus que sa justice sur eux, en les privant par une dernière condamnation de toute espérance des grâces dont ils auront si longtemps et si indignement abusé.

Ne vous flattez donc pas, vous qui dites toujours que Dieu pardonne facilement, et qu’il est plus miséricordieux qu’on ne pense : vous croirez-vous alors bien justifiés, en disant : Nous avions cru que Dieu était bon. Vous ne vous trompiez pas, il fallait bien qu’il fût bon, quand, sous une feinte réconciliation, vous entreteniez ces inimitiés, et que vous alliez présenter jusqu’au pied des autels, où ce Dieu de la paix réside, un cœur plein d’aigreur et de sentiments de vengeance. Il fallait bien qu’il fût bon, quand, par des maximes impies et des railleries profanes, portant partout la froideur et le dégoût de la piété, vous étouffiez dans le fond des âmes crédules les semences de religion, qu’une bonne éducation y avait mises. Il fallait bien qu’il fût bon, quand vous passiez votre vie à recueillir ou à semer des bruits scandaleux, sans épargner ceux que leur piété devait vous faire respecter, et que leur caractère au moins devait vous rendre vénérables. Mais deviez-vous être méchant, parce que Dieu était bon ? parce qu’il était patient, fallait-il vous opiniâtrer à lasser sa patience ? Non, non, s’il était bon, il fallait l’aimer et le servir, il fallait craindre de lui déplaire, il fallait l’imiter et devenir bon comme lui, il fallait se garder de l’obliger à devenir sévère et impitoyable. Sa bonté n’était pas une permission pour faire le mal, mais un secours pour faire le bien ; ce n’était pas un sujet de libertinage, mais un motif de conversion. Ignoriez-vous que la patience de Dieu, selon saint Paul, vous invitait à la pénitence ; et qu’au lieu de dire, si Dieu n’était pas si miséricordieux, il faudrait le servir plus fidèlement ; il fallait dire, on ne peut le servir trop fidèlement parce qu’il est miséricordieux.

La justice alors prendra le soin de venger la miséricorde offensée. Dieu ne verra plus le pécheur comme un malheureux, que sa misère aura rendu l’objet de ses compassions ; mais comme un criminel que son crime aura rendu l’objet éternel de sa haine. Il invoquera Dieu, et Dieu ne l’exaucera plus ; il souffrira, et Dieu ne le soulagera plus ; il cherchera Dieu, et il ne le trouvera plus. Ce qui pourrait, ce semble, diminuer la terreur de cette justice, c’est que l’Évangile nous apprend qu’elle sera exercée par Jésus-Christ : et Jésus-Christ n’est-il pas le Sauveur des hommes ? Mais j’ose dire que c’est là l’endroit le plus terrible du jugement : quelle sera la crainte des impies, quand ils verront en Jésus-Christ tous les moyens de se sauver, toutes les causes de leur condamnation ; son salut qu’ils ont refusé, ses lois qu’ils ont violées, ses bienfaits qu’ils ont méprisés, ses exemples qu’ils ont rejetés, son alliance qu’ils ont déshonorée ? Rien ne leur sera si sensible que d’avoir pour juge celui qu’ils ont tant offensé, et qui leur a fait tant de bien. Rien ne leur fera tant connaître la grandeur de leurs péchés, que de voir celui qui les a tant aimés, que de vouloir mourir pour eux, qui les jugera lui-même indignes de tout pardon.

Ils seront donc condamnés sans miséricorde ; mais encore ils seront punis sans ressource. Dieu exerce sur nous deux sortes de jugements ; l’un est un jugement d’épreuve, l’autre est un jugement de décision. Le premier se fait lorsque Dieu descend dans nos consciences, et qu’il y dresse son tribunal, et nous cite devant lui pour y rendre compte de nos actions. Alors une âme s’ouvre à lui tout entière ; ses lois lui servent de règle, nos propres pensées sont nos accusateurs, et nos œuvres sont nos témoins, qui déposent contre nous-mêmes ; il nous montre nos fautes, et il nous condamne. Mais l’arrêt qu’il prononce contre nous, est un arrêt conditionnel et révocable ; l’exécution en est suspendue. Toute la vie de l’homme à l’égard de Dieu est un temps de vocation et de patience : il lui tend les bras de sa miséricorde, et il est prêt à le recevoir dès qu’il retournera à lui… Ce n’est pas qu’il y ait en Dieu du changement, ou de l’inconstance ; car il demeure toujours dans sa première volonté de pardonner à l’homme, s’il se convertit : ainsi il est toujours égal à lui-même ; le droit de sa justice est toujours qu’il punira le pécheur s’il ne se repent ; mais il reste toujours un droit de sa miséricorde, qui est qu’il lui pardonnera s’il rentre en lui-même, et s’il se convertit. Mais il y a un jugement de décision que Dieu exerce en secret au jour de notre mort, et qui se manifestera au jour de la vengeance universelle : la sentence est irrévocable, et l’exécution en est prompte et infaillible. Les voies de la pénitence sont fermées ; car le péché étant de sa nature une privation de vie spirituelle, l’homme qui y demeure, demeure en la mort, selon les termes de l’Écriture : et, quand il manque à réparer ses fautes dans le temps de la rémission et de la grâce, elles deviennent irréparables dans le temps de la vengeance ; en sorte qu’étant jointes à la justice de Dieu, et enveloppées dans la sentence de leur condamnation, elles peuvent être toujours punies ; mais elles ne peuvent jamais être expiées.

Ce jugement étant donc si redoutable, d’où vient qu’il fait si peu d’impression dans nos esprits ? Est-ce qu’il n’est pas certain ? Toutes les Écritures l’annoncent, Jésus-Christ lui-même en a marqué toutes les circonstances, et s’il vous reste un peu de foi, vous savez bien que c’est un mystère où il y va de votre éternité, sur la recherche de votre vie. Pouvez-vous désavouer vos péchés ? pouvez-vous douter de la puissance et de la justice de Dieu ? Et quelle conséquence tirez-vous de ces choses jointes ensemble ? Est-ce que vous croyez ce jugement éloigné ? Le Père céleste nous a caché les moments pour nous tenir dans une sollicitude continuelle ; mais après tout le monde finit pour nous quand nous finissons pour le monde ; il n’y a qu’un moment entre la mort et nous, et il n’y a rien entre la mort du pécheur et une éternité malheureuse. Y a-t-il donc de la sagesse à vivre sans précaution ? Jésus-Christ nous apprend qu’il viendra de nuit et subitement pour nous surprendre ; en quel état voulez-vous qu’il vous trouve ? Voudriez-vous que ce fût dans le moment que vous méditez cette vengeance ? Voudriez-vous que ce fût en ce temps où, occupés du désir de voir et d’être vus, vous nuisez partout au salut d’autrui, et vous hasardez du moins le vôtre ? Voudriez-vous que ce fût au milieu de ces divertissements qui vous détournent de la crainte de Dieu, et qui, vous remplissant des idées de la vanité et des folies mondaines, ne vous laissent pas même la liberté de penser à lui ? Songeons à prévenir la colère de Dieu par une pénitence sincère : ce n’est pas son jugement qui est à craindre, c’est le péché : ôtez les vapeurs et les exhalaisons qui s’élèvent de la terre, le ciel sera toujours serein, il ne s’y formera point d’orage, la foudre n’en tombera pas ; faites cesser vos péchés, et la colère de Dieu s’apaisera : toutes les portes de la miséricorde vous sont encore ouvertes, les larmes, la prière, le repentir, la conversion. N’attendons pas que la mort et le désespoir nous les ferment. Punissons-nous nous-mêmes, afin qu’il ne nous punisse pas, et qu’ayant redouté ses jugements, nous n’ayons qu’à jouir un jour de ses récompenses.

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25 novembre 2010 4 25 /11 /novembre /2010 21:48

Malgré la turpitude du sujet, qu’on me permette de revenir sur ce qui a été évoqué ici-même voici deux jours : l’entretien que le locataire du Vatican a accordé à Peter Seewald, entretien dans lequel il présente comme moindre mal en certaines circonstances l’utilisation du « préservatif », immonde accessoire de la corruption humaine et de l’abjection des pécheurs dont les crimes « crient vengeance devant Dieu » (catéchisme de saint Pie X, n. 25).

La profonde malice de cette affaire est propagée par les « braves gens » (j’y inclus en bonne place les catholiques qui se proclament traditionnels, éclairés, modérés, lucides etc.) qui essaient de se persuader que cette « ouverture » est conforme à la doctrine catholique – blasphème ! – et au bon sens (tant qu’on y est, pourquoi pas ?).

Cela, au fond, ne doit pas étonner : quand on parvient à « justifier » des négations (directes ou indirectes) de la foi, on n’est pas en peine pour agir de même à l’égard de l’ordre moral – qui est en dépendance de la nature reçue de Dieu et de l’ordre surnaturel par Lui gratuitement adjoint.

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*     *

Les « braves gens » ont donc commencé par se retrancher derrière l’affirmation qu’on ne peut aggraver l’intrinsèquement pervers et le contre-nature ; de là on déduit qu’en empêcher les effets mortels – même si c’est par un moyen tout aussi abominable – est une « responsabilisation », un commencement de lueur d’aurore du bien. Tout juste si on ne chante pas Alléluia !

La « responsabilisation » d’un crime qu’on facilite… l’éviction (bien illusoire) de la mort des corps par l’amplification de la mort des âmes… la destruction de la dernière barrière capable d’arrêter les pauvres pécheurs dans la voie de l’abjection… Ah ! les bons apôtres !

Et voilà que le « porte-parole du Vatican » a pris soin de démolir leur beau principe, puisque la brèche ouverte par le livre en question s’applique aussi bien à ce qui n’est pas contre-nature qu’à ce qui est contre-nature, et à ce qui est davantage contre-nature que le contre-nature lui-même.

« Le porte-parole du Vatican, le père Frederico Lombardi, a déclaré lors d’une conférence de presse, mardi, qu’il avait demandé à Benoît XVI si ses propos s’appliquaient seulement aux hommes.

« Le pape a répondu que cela n’avait pas d’importance, et que la seule chose importante était l’intention d’être responsable et de prendre en considération la vie de l’autre personne. Cela s’applique “si vous êtes une femme, un homme, ou un transsexuel”… C’est une première étape de prise de responsabilité pour éviter de transmettre un risque grave à un autre, a dit le père Lombardi. » (Sympatico.ca ; Lefigaro.fr)

Que le Bon Dieu me pardonne de transcrire ces paroles à vomir. Mais comment ne pas voir que la « petite brèche » n’a pas mis vingt-quatre heures pour s’élargir considérablement ? Il n’est pas besoin d’être prophète pour annoncer que cela n’ira qu’en s’aggravant.

Que vont donc inventer « les braves gens » pour nous justifier cet élargissement qui montre bien qu’il s’agit d’un principe, d’une acceptation de principe dont on exclut (encore, pour un temps) l’application au mariage légitime.

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Mais qu’ils ne nous prennent pas pour des ânes ! Car on nous a déjà fait le coup avec l’avortement !… « Vous comprenez, bonnes gens, l’avortement est une abomination, c’est entendu, mais lorsqu’il est pratiqué clandestinement, cela met la vie de la mère en danger et c’est dans conditions d’hygiène et de contagion déplorables. Donc, tout en refusant le principe qu’on accepte, tout en affirmant que “c’est un échec”, il faut autoriser (dans de justes limites, évidemment, et selon sa conscience, cela va de soi) et légaliser l’avortement. Cela sauvera des vies [les vies des criminelles…], évitera des maladies etc. »

La seule différence, c’est que c’est la république athée, anti-chrétienne et maçonnique qui susurrait cette parodie de raisonnement. Maintenant, c’est le Vatican qui nous ressort ces sophismes : « La seule chose importante [est] cette intention d'être responsable et de prendre en considération la vie de l'autre. » (Lefigaro.fr, ibidem)

Dix ou douze ans auparavant, il y avait eu la loi sur la contraception, « qui est un moindre mal, pour éviter l’avortement »…

Le tout est d’organiser une progressive familiarisation avec le mal : ainsi, on anesthésie les consciences, on apprête tous les reniements, on prépare toutes les audaces des ennemis de Dieu.

C’est ce que vient d’accomplir le patron du Vatican : les pratiques qu’il évoque, les pervers qu’il met en scène, les sophismes qu’il énonce… tout cela est bien vilain, n’est-ce pas ! très vilain. Mais cela fait tout de même partie de la famille (et demain ou après-demain vous les accepterez, mais il ne faut pas vous le dire pour ne pas effaroucher les « braves gens » : ça marche à tous les coups).

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L’écœurant aplatissement des « braves gens » devant la perversion morale encouragée (oui : encouragée !) par le Vatican n’a pas comme unique cause la sape dogmatique dont ils sont les victimes (et parfois les acteurs). Certes le relativisme moral s’origine dans le relativisme dogmatique, mais il y a autre chose.

Cette autre chose, je l’identifie comme étant une idolâtrie de la vie humaine. Les braves gens, à bon droit, n’admettent pas le raisonnement placé ci-dessus et qui justifie l’avortement. Pour rien au monde, ils ne voudraient attenter à « la vie ». Ils sont « pro-vie », « anti-choice » et récusent tous les sophismes qui viendraient diminuer leur combat et leur conviction. C’est fort bien et ce n’est pas moi qui vais le leur reprocher, car l’avortement est un crime abominable.

Le malheur est que, quand il s’agit de la loi de Dieu en d’autres domaines, ils n’apportent plus la même détermination ; ils admettent beaucoup plus facilement qu’on la bafoue, qu’on choisisse autrement. « Chacun sa façon de voir, n’est-ce-pas. Quant à moi, jamais je ne me livrerai à de telles choses. Mais il faut comprendre… ».

De fait donc la vie humaine est placée au dessus de la loi de Dieu, de la vérité de la foi, de l’honneur de celui qui nous a créées, élevés, sauvés.

Il y a là un fond d’idolâtrie qui ne dit pas son nom. On accorde moins d’importance à l’intégrité de la foi qu’au « combat de la vie ». À la limite, on finira par estimer (sans se le dire) que les martyrs qui ont sacrifié leur vie (et poussé les autres à la sacrifier) pour la foi ou la vertu n’ont pas respecté l’ordre des valeurs.

Jean-Paul II a pu meurtrir la foi et l’honneur de Dieu par sa prédication de la « dignité de l’homme », il a pu outrager la pudeur par sa « théologie du corps », ce n’est pas grave, il était « pour la vie » ; Benoît XVI, son digne successeur, inaugure une « théologie du latex », ce n’est pas grave, c’est « pour prendre en considération la vie de l’autre ».

Des Vicaires de Jésus-Christ ? Mais pour qui prenez-vous Jésus-Christ ?

*

*     *

Je regrette deux choses.

La première est d’avoir intitulé ma chronique précédente « Maledictus XVI ». Je le regrette uniquement parce que je me suis aperçu (trop tard) que les ennemis de l’Église ont souvent employé cette expression. On se demande pourquoi d’ailleurs : ils devraient bien s’apercevoir qu’« il » travaille pour eux !

La seconde est que plusieurs de ceux qui, à juste titre, se sont élevés contre l’ignominie de Benoît XVI aient parlé de son « apostasie » dans cette affaire. Non, il faut garder aux mots leur sens juste et précis, surtout quand il est canoniquement défini. Canon 1325 § 2 : « Toute personne qui après avoir reçu le baptême et tout en conservant le nom de chrétien, nie opiniâtrement quelqu’une des vérités de la foi divine et catholique qui doivent être crues, ou en doute, est hérétique ; si elle s’éloigne totalement de la foi chrétienne, elle est apostate ; si enfin elle refuse de se soumettre au Souverain Pontife et de rester en communion avec les membres de l’Église qui lui sont soumis, elle est schismatique. »

L’inflation verbale entrave le fonctionnement normal de l’intelligence et empêche l’expression de la vérité, sans parler de la justice dans les paroles.

Et puis, si Benoît XVI apostasiait publiquement et formellement, reniant le nom de chrétien et désertant le Saint-Siège, ce serait « une première étape de prise de responsabilité pour éviter de transmettre un risque grave à un autre » ! Le mal serait moindre que la situation présente car il ne pourrait plus infecter personne : ce serait « être responsable et prendre en considération la vie de l’autre personne ».

Ne vous scandalisez pas de mon propos, braves gens, je ne fais qu’appliquer les principes qu’un charlatan vous vante comme catholiques.

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23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 23:48

Personne n’ignore que le prénom Benoît – Benedictus – signifie béni : celui dont on parle bien, celui qui est loué et digne de louanges, celui auquel on souhaite du bien, celui qui est glorifié, celui auquel on attribue le bien, celui qu’on remercie du bien. Le béni par excellence est Dieu. 

Le contraire est maledictus, le maudit, nom qui convient au démon et à tous ceux qui concourent à son œuvre de perversion des esprits, des âmes et des cœurs. 

En ces jours de tristesse, celui que le monde entier nomme Benoît XVI n’est plus qu’un maudit. Ce n’est pas moi qui le maudis, c’est lui qui se fait maudire du Dieu trois fois saint parce qu’à la face de ce monde – qui n’attendait que cela – il vient de creuser une brèche dans le dernier rempart qui tenait encore (en gros) contre le flot de l’impiété et de la luxure partout triomphantes. 

Le dogme est depuis longtemps emporté : l’indifférentisme qui est la suite inéluctable de la prédication de la liberté religieuse a ôté des intelligences toute connaissance de la vérité révélée ; et là où elle est encore connue, on y adhère qu’à titre d’opinion (vénérable, respectable, consolante, roboratrice, préférable, belle, édifiante, émouvante – mais opinion !) 

La sainte liturgie est depuis longtemps emportée par la désacralisation, la protestantisation, la créativité, la religion de l’homme. Cet écrin dissous, les sacrements qui constituent le trésor de l’Église se sont quasiment évaporés. 

La révolution conciliaire n’avait pas encore directement touché à la morale sexuelle (qu’on me pardonne ce mot putride, et ceux qui suivront !) et conjugale. Certes, la confusion des fins du mariage organisée par Vatican II a fait des ravages ; certes le doute que Paul VI a laissé planer pendant quatre ans sur l’illicéité fondamentale de la contraception a eu raison des mœurs conjugales ; mais enfin Humanæ vitæ avait marqué une limite qui coïncidait avec la morale naturelle. Certes, ce rappel de la loi morale naturelle avait été rendu inopérant par la licence laissée aux évêques de le contredire, par vingt-cinq ans de puritanisme de Jean-Paul II qui, tout en rappelant la lettre de la loi, la sapait par en dessous par un naturalisme omniprésent.

 Mais enfin, cela tenait encore et le monde qui voit en Benoît XVI le chef de l’Eglise de Jésus-Christ pouvait encore se dire qu’il y avait là un rempart – qu’il s’en réjouisse ou qu’il le déplore. 

Eh bien, c’est fini. Il n’y a plus rien. 

— Comme vous y allez ! Benoît XVI n’a rien renié, n’a rien permis, n’a rien changé. 

— Le monde ne s’y est pas trompé (même s’il aimerait en rajouter !). C’est la première brèche qui est la catastrophe : tout le reste sera emporté tôt ou tard. Et c’est déjà fait dans le monde entier par le tam-tam médiatique. Et cela, ledit Benoît XVI ne pouvait pas l’ignorer. 

— Mais enfin, il s’agit d’un entretien avec un journaliste, et non d’un acte magistériel. 

— Et alors ? le résultat est le même, ou pire encore parce qu’un livre est beaucoup plus accessible qu’un acte plus ou moins sibyllin. 

— Et puis il ne s’agit pas d’une promotion ou d’une autorisation du préservatif, mais simplement de l’affirmation qu’en certains cas il représente un moindre mal. 

— C’est là que se cache le cœur du scandale. 

D’abord, parce que le justifier en un cas (même si c’est le justifier en disant qu’on ne le justifie pas), c’est le justifier en principe ; et là personne ne s’y trompe. Il ne reste plus qu’à étendre peu à peu ce domaine de justification, et il ne restera pas pierre sur pierre du saint Mariage. 

Ensuite, justifier ainsi cet accessoire immonde, c’est ôter la crainte du châtiment, c’est favoriser et étendre le mal. La religion conciliaire avait déjà laissé tomber dans l’oubli le Jugement de Dieu et les peines infernales qui sont le châtiment du péché. Le préservatif est une invention pour pécher sans en porter les conséquences, sans craindre cette justice immanente de la maladie du sida (et consorts). Admettre son usage, c’est ouvrir le dernier rempart qui retenait encore les hommes (tout au moins quelques-uns) au bord de l’abîme. 

Pis encore, c’est nier que le péché en lui-même soit le plus grand de tous les maux et, d’une certaine façon, le seul mal. C’est aggraver le mal de Dieu (de l’offense faite à Dieu) pour diminuer (pour prétendre diminuer) le mal de l’homme. C’est une inversion démoniaque. 

— Mais enfin, Benoît XVI n’évoque qu’un cas où le préservatif, qui est contre-nature je vous l’accorde, ne peut pas aggraver des actes qui sont déjà contre nature. 

— Je vous l’ai dit, cela favorise ces actes ; et accumuler les conditions contradictoires à la loi divine, c’est s’enfoncer dans l’abjection, c’est multiplier les péchés, c’est blasphémer Dieu. Faut-il qu’on ait perdu le sens chrétien pour ne pas s’en apercevoir. 

Nous allons maintenant entendre le concert des bons apôtres qui vont nous rebattre les oreilles en arguant que ce n’est pas un acte ex cathedra, qu’une exégèse en six volumes démontera qu’il y a un moyen de concilier cela avec la morale chrétienne, et qu’il ne faut pas avoir un esprit chagrin qui voit le mal partout. Nous les avons déjà entendus lors des visites aux synagogues et autres mosquées, au baiser du Coran et aux autres actes qui bafouent la foi et scandalisent les chrétiens – s’il en reste après tout cela. 

Ces arguties ne convainquent personne, ne retirent aucun mal : elles ne font que diluer la vérité et déshonorer Dieu. 

Quant à ceux qui choisissent de participer à la Messe, le sacrifice de la miséricordieuse Rédemption, où l’on déclare solennellement que l’Église catholique est una cum Benoît XVI, et qui lui font ainsi une efficace allégeance, qu’ils examinent donc dans quelle spirale de vilenie ils mettent leur âme et celles de ceux que le Bon Dieu leur a confiés. 

Très douce Vierge Marie, donnez-nous la grâce de pleurer avec vous ! 

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Voici un  des nombreux communiqués de presse qui révèle l’infamie. 

Dans un livre-entretien , le pape Benoît XVI admet, pour la première fois, l'utilisation du préservatif « dans certains cas », « pour réduire les risques de contamination » par le virus du sida. Un virage pour certains, une évolution pour d'autres. Mais que dit - vraiment - le souverain pontife dans ces écrits ?  

À la question « l'Église catholique n'est-elle pas fondamentalement contre l'utilisation de préservatifs ? » le souverain pontife répond, selon la version originale allemande : « Dans certains cas, quand l'intention est de réduire le risque de contamination, cela peut quand même être un premier pas pour ouvrir la voie à une sexualité plus humaine, vécue autrement. » 

Pour illustrer son propos, le pape donne un seul exemple, celui d'un « homme prostitué », selon le texte original allemand et ses versions anglaise et française, tandis qu'un extrait en italien cité par le quotidien du Vatican évoque une prostituée. Il considère, dans ce cas précis, que cela peut être « un premier pas vers une moralisation, un début de responsabilité permettant de prendre à nouveau conscience que tout n'est pas permis et que l'on ne peut pas faire tout ce que l'on veut ». Précisant : « Ce n'est pas la façon à proprement parler de venir à bout du mal de l'infection du VIH. La bonne réponse réside forcément dans l'humanisation de la sexualité. » 

Lumière du Monde, publié mardi [23 novembre 2010] en versions allemande et italienne et, le 3 décembre, en version française aux éditions Bayard Presse.

 

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22 septembre 2010 3 22 /09 /septembre /2010 20:39

 

Une récente conversation animée m’a remis en mémoire un problème pratique, non pas d’importance centrale pour la foi catholique, mais qui tout de même concerne la traduction française du Je crois en Dieu, et ne peut donc laisser indifférent.

En effet, si l’on se réfère à un livre de piété un peu ancien (mettons… avant le 13 février 1951), on s’aperçoit que cette traduction diffère de celle qu’on entend le plus souvent de nos jours. Cela avait fait l’objet, dans le numéro 3 des Deux Étendards, d’un article de Pierre-Michel Bourguignon intitulé Façon de parler, dont on trouvera la transcription ci-dessous. On verra que ce n’est pas sans importance.

Le Catéchisme du concile de Trente accorde une grande portée à la suppression de la préposition dans le texte – et donc dans la traduction – de la seconde partie du symbole des Apôtres.

Après l’affirmation de notre foi en les trois personnes divines, le Credo nous fait professer l’existence de la sainte Église catholique, de la communion des saints, de la rémission des péchés, de la résurrection de la chair et de la vie éternelle.

Or, voici comment le catéchisme annonce et justifie le passage d’un mode de foi à un autre :

« Mais si, en croyant aux trois personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous mettons en elles notre foi et notre confiance, ici au contraire, nous parlons autrement, et nous faisons profession de croire une Église sainte, et non pas en une Église sainte. Et par cette manière différente de nous exprimer, nous conservons la distinction nécessaire entre le Créateur et les choses qu’il a créées, et nous attribuons à sa divine bonté tous les dons que l’Église possède. »

En français il faut donc supprimer la proposition en ou à, de même qu’en latin on supprime la préposition in.

Concrètement, le catéchisme nous apprend à distinguer deux objets de notre foi : le premier est Dieu-Trinité lui-même qui se révèle à nous ; le second est l’existence de réalités créées distinctes de Dieu, et révélées par lui – la sainte Église, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle.

Il faut donc porter son attention sur cette distinction, et, en bannissant le à ou le en devant lesdites réalités créées.

Un manuel de grammaire nous dira que c’est un tour vieilli que de placer l’objet de la croyance en objet direct sans préposition… mais est-il étonnant que ce qui exprime avec précision la nature et le contenu de la foi ait terriblement vieilli dans un monde apostat ? Il faut donc maintenir (ou restituer) la jeunesse du tour grammatical dont le catéchisme tridentin nous dit qu’il est le plus exact pour exprimer la foi catholique, en utilisant une traduction correcte du Symbole des Apôtres comme celle-ci :

 

1° Je crois en Dieu le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre ;

2° et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur ;

3° qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie ;

4° a souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli ;

5° est descendu aux enfers ; le troisième jour est ressuscité des morts ;

6° est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ;

7° d’où il viendra juger les vivants et les morts.

8° Je crois au Saint-Esprit ;

9° la sainte Église catholique ; la communion des saints ;

10° la rémission des péchés ;

11° la résurrection de la chair ;

12° la vie éternelle. Ainsi soit-il.

Façon de parler

Le langage est le véhicule de la pensée, et comme tel, il est aussi l’outil indispensable de l’enseignement. Nous avons toujours le devoir de veiller à l’intégrité de la langue dont nous usons, par le choix des mots et par l’agencement des mots entre eux, que l’on appelle la syntaxe.

Il n’est donc pas étonnant de voir l’Église nous donner l’exemple en cette matière. Ses formules sont toujours rigoureuses et strictes. À nous d’y prendre garde et de les respecter, surtout lorsqu’elle y appelle notre attention. C’est le cas pour un texte fondamental, souvent récité : le symbole des Apôtres.

Or, dans le Catéchisme du concile de Trente on trouve une remarque incidente sur une modification de formule apparemment peu perceptible, mais que les rédacteurs de l’ouvrage considèrent à juste titre comme chargée d’une grande signification. Après l’affirmation de notre foi en les trois personnes divines, le credo nous fait proclamer que nous admettons l’existence de l’Église, de la communion des saints, de la rémission des péchés, de la résurrection de la chair et de la vie éternelle. Or, voici comment le catéchisme annonce et justifie le passage d’un mode de foi à un autre :

« Mais si, en croyant aux trois personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous mettons en elles notre foi et notre confiance, ici au contraire [nunc autem], nous parlons autrement, et nous faisons profession de croire une Église sainte, et non pas en une Église sainte. Et par cette manière différente de nous exprimer, nous conservons la distinction nécessaire entre le Créateur et les choses qu’il a créées, et nous attribuons à sa divine bonté tous les dons que l’Église possède. » [1]

En français on supprimera la proposition en, de même qu’en latin on supprime la préposition in. Le malheur veut que, pour des raisons techniques, à savoir par l’absence de déclinaisons, dans bien des langues modernes – notamment en français –, la différence d’énoncé apparaît moins bien qu’en latin. [2]

Concrètement, le catéchisme nous apprend à distinguer deux objets de notre foi. Le premier objet est la Sainte Trinité révélante, tandis que le second est l’existence de réalités créées, dans leur être présent ou à venir, révélées par Dieu, mais distinctes de lui : la Sainte Église, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle. On croit, d’une part, en Dieu créateur de toutes choses, et, d’autre part, on croit que les choses créées par Dieu que l’on énonce existent telles qu’elles sont révélées par Dieu lui-même.

Ceci peut être l’occasion de deux remarques. La première sur l’importance du latin comme langue d’une référence univoque, même en dehors des nécessités de la polémique. C’est le cas ici, où il ne s’agit pas de réfuter, mais simplement de mieux comprendre ce que l’Église nous enseigne et nous demande d’admettre et d’affirmer comme vrai. Il n’est pas rare de rencontrer des traductions françaises du Credo malencontreusement erronées sur le point soulevé. Fort probablement sans aucune mauvaise volonté. Il reste qu’une erreur est une erreur, et qu’il vaut mieux s’en apercevoir et appeler l’autorité du latin à la rescousse pour en venir plus sûrement et plus aisément à la vérité en se rapprochant de l’énoncé authentique.

L’autre remarque est plus générale et devrait nous inciter à soigner notre langage. Non qu’il faille parler en toute circonstance de la même manière, mais il ne faut pas non plus nous laisser dire que la menace viendrait plutôt de tomber dans une rigueur qui « nous condamnerait à une expression guindée ». C’est mal connaître l’homme, qui, loin de se contraindre volontiers par fantaisie, déjà se fatigue d’une discipline nécessaire. Ici est plutôt le danger, et non pas dans la propension théorique à un pédantisme fatigant.

Régulièrement, mais sans doute trop rarement – et plus rarement encore sont-ils écoutés – les auteurs nous avertissent contre un délabrement du langage qui ne peut que meurtrir profondément tout homme de bon sens. L’un d’eux, qui ne cessa de le combattre jusqu’à la fin de son grand âge, pour des raisons qui n’étaient pas avant tout ni seulement sentimentales, écrivait jadis :

« Usant du vocabulaire et de la syntaxe que mes parents ont reçus des leurs, et ainsi de suite jusqu’à Ronsard, je ne me suis jamais trouvé embarrassé pour exprimer par ces moyens les réalités contemporaines, même les plus neuves ou les plus singulières. Et je n’ai jamais fait de distinction à cet égard entre l’écriture et la parole, posant en fait qu’on peut avec les mêmes mots, se pliant aux mêmes règles, analyser les sources littéraires de Marcel Proust et réclamer ses pantoufles à la femme de ménage. Dispositions que je constate identiquement, sans m’en étonner, chez un bon nombre de mes interlocuteurs. Y compris les femmes de ménage. » [3]

Il faut apprendre, autrement dit, à manier les mots de tout le monde reçus d’une tradition commune, plutôt que de régurgiter sempiternellement les inventions récentes, passagères et faciles, quand elles ne sont pas malhonnêtes, des montreurs du cirque médiatique. Autrefois, la langue s’apprenait à la maison dans un entourage sauvegardé de l’intrusion indiscrète de parfaits étrangers. La chaleur et la saveur des tournures familières se gravaient inoubliables dans les esprits et les cœurs pour modeler ensuite le discours. Même sans la malveillance dont il sera question plus loin, l’invasion par la mode de vocables nouveaux, l’un chassant l’autre, avant qu’il n’ait été bien compris, constitue en elle-même un péril de désorientation pour des têtes qui n’ont déjà pas besoin de tant pour chanceler.

« Ne jetons plus à la foule des termes dont on ne lui explique point le sens théologique et vrai » [4], exhortait Blanc de Saint-Bonnet. Car les mots doivent se rapporter à l’être des choses, ils ont donc vraiment un sens théologique et vrai.

D’autant plus que la détérioration du langage, si elle peut être le résultat fatal de l’usure et de l’imperfection humaine, on doit savoir aussi qu’elle peut être délibérément voulue, induite, manœuvrée.

Déjà Joseph de Maistre avait noté dans les assemblées un travers qui n’est pas aussi innocent qu’il pourrait paraître :

« … il se fait entre tous les orgueils délibérants un accord tacite qui consiste, sans même qu’ils s’en aperçoivent, à n’employer que des expressions qui n’en choquent aucun, c’est-à-dire qui n’aient qu’un sens vague ou qui n’en aient point du tout. » [5]

« Sans même qu’ils s’en aperçoivent », sans doute, une fois qu’ils se sont laissé encadrer par l’appareil révolutionnaire que constitue chaque assemblée démocratique. Mais la responsabilité d’entrer dans cet appareil attendait à la porte chacun des membres. Elle incombe donc à chacune des personnes qui ont accepté de la franchir. L’Église les avait prévenus contre cette démocratie, dont une bonne définition pourrait être en effet retenue de cette « réunion d’orgueils délibérants », épinglée par Joseph de Maistre.

Sans compter que la corruption du langage n’est pas abandonnée au hasard, mais elle résulte d’un travail ordonné à une intention. Blanc de Saint-Bonnet avisait son lecteur en ces termes :

« Ce qu’il y a de plus funeste et de plus menaçant pour les peuples, après la Révolution, c’est la langue qu’elle a créée. Ce qu’il y a de plus redoutable après les révolutionnaires, ce sont les hommes qui emploient cette langue dont les mots sont autant de semences pour la Révolution. » [6]

S’il est vrai que nous sommes menacés, restons en garde, c’est bien le moins, surtout si on nous prévient à l’occasion du côté d’où l’ennemi se présentera.

« Je m'étonne qu'on n'ait pas assez remarqué que la plupart des œuvres récentes de destruction du langage sont le fait d'écrivains étrangers, installés malgré eux en France et contraints par l'histoire d'utiliser une autre langue que leur langue maternelle. On n'a pas noté non plus, à ma connaissance, le nombre important de Juifs parmi ces bizarres artistes. Ce n'est probablement pas un hasard si, Tzara, le père de Dada, fut un Juif roumain. » [7]

Nous devons au moins à ce père juif d’un mouvement subversif résolu et affiché de savoir d’où vient le vent, et si la grammaire et le vocabulaire sont le terrain où il nous attend pour nous vaincre, nous pouvons nous retrancher dans le bon usage où il ne peut nous atteindre.

Quand à l’objet restreint de notre propos, c’est-à-dire l’énoncé du symbole des Apôtres en langue française, on le trouve, entre autres, certainement au début du catéchisme de saint Pie X, sous la forme reproduite ci-après. La vérification est aisée à faire et une fois en présence du libellé correct, il suffit de se créer, au besoin, une nouvelle habitude de récitation. Dans tous les cas il restera utile et méritoire d’accorder une attention particulière à ce passage, comme le magistère le demande aux chrétiens.

Symbole des Apôtres

1°   Je crois en Dieu le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre ;

2°   Et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur ;

3°   Qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie ;

4°   A souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli ;

5°   Est descendu aux enfers ; le troisième jour est ressuscité d’entre les morts ;

6°   Est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ;

7°   D’où il viendra juger les vivants et les morts ;

8°   Je crois au Saint-Esprit ;

9°   La sainte Église catholique ; la communion des saints ;

10°   La rémission des péchés ;

11°   La résurrection de la chair ;

12°   La vie éternelle. Ainsi soit-il.

Pierre-Michel Bourguignon

 

[1]     Tres enim Trinitatis personas, Patrem, et Filium, et Spiritum Sanctum ita credimus, ut in eis fidem nostram collocemus. Nunc autem mutata dicendi forma sanctam, et non in sanctam Ecclesiam, credere profitemur : ut, hac etiam diversa loquendi ratione, Deus omnium effector a creatis rebus distinguatur, præclaraque illa omnia, quæ in Ecclesiam collata sunt beneficia, divinæ bonitati accepta referamus.

La traduction française ici employée est celle de l’édition par la revue Itinéraires n° 136, de septembre-octobre 1969, à la page 107 [Neuvième article du symbole, Je crois la sainte Église catholique].

[2]     Dans Credo in Deum, l’accusatif est régi par in ; dans Credo Ecclesiam, l’accusatif est sujet d’un infinitif sous-entendu, existere, par exemple : je crois [que] la sainte Église [existe].

[3]     Robert Poulet, dans Rivarol du 17 juin 1975.

[4]     Antoine Blanc de Saint-Bonnet : La Légitimité [Casterman, Tournai 1873], page 282.

[5]     Joseph de Maistre : De l’Église Gallicane dans son rapport avec le souverain pontife [Casterman, Tournay 1821], page 110.

[6]     Antoine Blanc de Saint-Bonnet : Ibidem, pages 281-282.

[7]     Albert Memmi : La libération du Juif [Payot, Paris 1972], pages 162-163. Pour information, le dadaïsme est un mouvement anarchiste contre l’art, constitué en 1916, donc en pleine première guerre mondiale, par un groupe de fervents destructeurs immigrés, au cabaret Voltaire, à Zurich. En tant que mouvement « artistique », le dadaïsme n’a pas atteint le milieu des années vingt, mais les traînées de ruine sur son passage n’ont jamais plus été relevées.

 

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