Le lundi 11 juillet au matin, Dieu a cité à comparaître à son Tribunal souverain Monsieur Pierre Moreau, plus connu peut-être sous son principal nom de plume : Pierre-Michel Bourguignon.
Le Jugement de Dieu demeure un mystère que celui-ci ne nous dévoile pas, afin que nous sachions que le salut ne vient que de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que nous recourions sans cesse à sa miséricorde dans une humble et confiante prière.
Cependant ceux qui ont connu et aimé Pierre Moreau ne peuvent douter qu’il a pu se présenter devant son Créateur en disant comme l’Apôtre saint Paul :
Bonum certamen certavi, cursum consummavi, fidem servavi.
J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi.
II Tim., IV, 7.
Le bon combat
Dès son adolescence, Pierre Moreau est parti lutter contre la barbarie communiste, diabolique contrefaçon de la rédemption des humbles, pour préserver le peu qui restait de la civilisation chrétienne. Les conditions n’étaient pas les meilleures, loin s’en faut, mais il l’a fait ; il en a souffert dans sa chair, il a vu son père assassiné à cause de cet engagement, il a connu les prisons d’une libération qui n’a été rien d’autre que l’enterrement de l’Occident chrétien livré aux barbares, qu’ils soient esclavagistes ou corrupteurs.
Ce combat, il l’a continué sous d’autres formes plus favorables. Ayant fondé un foyer, il a donné une véritable éducation chrétienne à ses nombreux enfants : il leur a inculqué la crainte de Dieu, l’amour de la vérité et le culte de la modestie ; il les a armés contre l’esprit du monde et ses instruments que sont le culte de l’argent, la révolution liturgique et la télévision ; il leur a donné l’exemple d’une vie de régularité dans la prière et dans le travail.
Le travail, parlons-en. Son métier de pharmacien a été pour lui l’occasion d’un choix où s’est affirmée sa fidélité : il a préféré renoncer à la prospérité plutôt que de trahir la loi divine (tant naturelle que surnaturelle) en devenant marchand de péché et auxiliaire de la perversion du saint Mariage. Ce choix lui a permis d’éprouver la vérité de la parole de l’Évangile : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Le surcroît n’est pas l’opulence, c’est l’honneur de manger dans la main de Dieu.
L’érudition de Pierre Moreau en matière de doctrine et d’histoire était peu commune : elle était le résultat d’une rigoureuse utilisation de son temps, qui lui a permis de lire abondamment, d’étudier l’enseignement de l’Église catholique, de réfléchir aux fondements de la Cité, de constituer un fichier de références et citations d’une ampleur et d’une variété impressionnantes.
Cela lui a permis de défendre un peuple contre les calomnies que ses bourreaux ont propagées pour justifier l’écrasement qu’ils lui ont fait subir et pour cacher leurs propres crimes. Mais bien plus encore, il a mis à profit cette érudition pour magnifier la conception chrétienne de la société et, s’il est possible, pour contribuer à la restaurer.
C’est ainsi qu’il combattit la triste contamination des intelligences catholiques par le naturalisme – qu’il soit sociabiliste ou nationaliste – en matière politique et sociale. La doctrine catholique de la Royauté de Jésus-Christ apparaît en effet comme un simple « placage » sur la société (placage qu’on s’escrime en vain à faire « tenir » par un pseudo-surnaturalisme) dès qu’on regarde la doctrine catholique au travers d’un prisme déformant. Ce combat-là ne fut guère compris par de nombreux catholiques qui se sont épris des mensonges historiques qui ont fait tant de mal et qui n’en veulent pas démordre, mettant leur foi en péril.
La garde de la foi
Mais c’est dans le combat le plus urgent, le plus nécessaire et le plus salutaire que Pierre Moreau a donné toute sa mesure et qu’il a brillé d’un éclat particulier : dans la défense et l’illustration de la foi catholique.
Après le déferlement d’erreurs, d’équivoques et d’abandons qui a accompagné et suivi Vatican II, de nombreux publicistes ont réagi et combattu pour la fidélité à la sainte Église catholique, tant dans sa doctrine que dans la sainte Messe. Honneur à eux ! Pierre Moreau a largement profité de leurs travaux et de leurs combats, et ne leur a pas ménagé son soutien ni sa gratitude.
Mais par l’effet de la mort des combattants et de la lassitude des survivants, plus encore parce que certaines bases de cette réaction étaient floues voire fausses, par le travail de sape d’erreurs anciennes qui n’avaient pas été reniées, ce combat s’est essoufflé, amorti, amenuisé jusqu’à disparaître parfois. Cela se manifestera par le vaste succès de l’opération « séduction » constituée par l’arrivée de Jean-Paul II.
Quelques mois plus tôt, Pierre Moreau, aidé d’amis aussi savants que dévoués, avait relevé le flambeau et pris le relais par la fondation de la revue Didasco. En redonnant vigueur au combat contre les erreurs conciliaires, et en luttant contre l’esprit de relâchement qui menaçait de tout emporter, il s’est aussi efforcé de rectifier les erreurs et d’assainir les bases de la lutte contre la religion de Vatican II, et de remonter à ses causes pour en discerner la véritable nature : la vacance de l’autorité pontificale.
Son talent de plume, sa vaste information, son érudition et son esprit de foi ont pendant vingt ans instruit, conforté et réjoui les catholiques de langue française qui désiraient demeurer fidèles tant à la foi catholique qu’aux fondements de la chrétienté.
L’achèvement de la course
Lorsqu’avec l’arrivée de Benoît XVI une autre opération de séduction se met en place (alors que la religion conciliaire est toujours aussi fausse et destructrice), Pierre Moreau n’est plus à même de lutter activement. Ce n’est point par désertion : c’est qu’il est entré dans un autre combat, celui d’une maladie qui l’emmure peu à peu, sans qu’elle lui fasse perdre la possibilité de l’accepter et de l’offrir comme une croix unie à la Croix rédemptrice de Jésus-Christ. Cette acceptation, il la renouvelle souvent, l’offrant pour tel de ses fils dont la route navre son âme, ou pour tel compagnon de combat historique à qui il voudrait obtenir, du Dieu qui aime le courage, la lumière de la foi.
Son dernier combat est de rester fidèle, ce qu’il fera jusqu’à la fin malgré des pressions qui essaieront en vain de lui faire accepter ce qu’il a toujours refusé : l’allégeance (quand bien même ne serait-elle que verbale) à ceux qui travaillent à détruire l’Église – et qui échoueront, nous en avons la divine assurance. De ce refus, toute sa vie témoigne : « mon honneur est fidélité », aimait-il à répéter.
La victoire chrétienne n’est pas de voir les ennemis de Jésus-Christ réduits à l’impuissance – cela viendra en son temps et par la vertu de la croix de Jésus-Christ. La victoire du chrétien est de demeurer fidèle, de conserver la foi, de persévérer dans le combat ; elle est d’être vaincu par la vérité et par l’amour de Jésus-Christ.
Hæc est victoria, quæ vincit mundum, fides nostra !
Telle est la victoire qui vainc le monde, notre foi
(I Jo. V, 4)
Monsieur Pierre Moreau est un vainqueur.
Et comme le promet Jésus-Christ : Vincenti dabo manna absconditum — Au vainqueur je donnerai la manne cachée (Apocalypse II, 17).