Une récente conversation animée m’a remis en mémoire un problème pratique, non pas d’importance centrale pour la foi catholique, mais qui tout de même concerne la traduction française du Je crois en Dieu, et ne peut donc laisser indifférent.
En effet, si l’on se réfère à un livre de piété un peu ancien (mettons… avant le 13 février 1951), on s’aperçoit que cette traduction diffère de celle qu’on entend le plus souvent de nos jours. Cela avait fait l’objet, dans le numéro 3 des Deux Étendards, d’un article de Pierre-Michel Bourguignon intitulé Façon de parler, dont on trouvera la transcription ci-dessous. On verra que ce n’est pas sans importance.
Le Catéchisme du concile de Trente accorde une grande portée à la suppression de la préposition dans le texte – et donc dans la traduction – de la seconde partie du symbole des Apôtres.
Après l’affirmation de notre foi en les trois personnes divines, le Credo nous fait professer l’existence de la sainte Église catholique, de la communion des saints, de la rémission des péchés, de la résurrection de la chair et de la vie éternelle.
Or, voici comment le catéchisme annonce et justifie le passage d’un mode de foi à un autre :
« Mais si, en croyant aux trois personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous mettons en elles notre foi et notre confiance, ici au contraire, nous parlons autrement, et nous faisons profession de croire une Église sainte, et non pas en une Église sainte. Et par cette manière différente de nous exprimer, nous conservons la distinction nécessaire entre le Créateur et les choses qu’il a créées, et nous attribuons à sa divine bonté tous les dons que l’Église possède. »
En français il faut donc supprimer la proposition en ou à, de même qu’en latin on supprime la préposition in.
Concrètement, le catéchisme nous apprend à distinguer deux objets de notre foi : le premier est Dieu-Trinité lui-même qui se révèle à nous ; le second est l’existence de réalités créées distinctes de Dieu, et révélées par lui – la sainte Église, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle.
Il faut donc porter son attention sur cette distinction, et, en bannissant le à ou le en devant lesdites réalités créées.
Un manuel de grammaire nous dira que c’est un tour vieilli que de placer l’objet de la croyance en objet direct sans préposition… mais est-il étonnant que ce qui exprime avec précision la nature et le contenu de la foi ait terriblement vieilli dans un monde apostat ? Il faut donc maintenir (ou restituer) la jeunesse du tour grammatical dont le catéchisme tridentin nous dit qu’il est le plus exact pour exprimer la foi catholique, en utilisant une traduction correcte du Symbole des Apôtres comme celle-ci :
1° Je crois en Dieu le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre ;
2° et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur ;
3° qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie ;
4° a souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli ;
5° est descendu aux enfers ; le troisième jour est ressuscité des morts ;
6° est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ;
7° d’où il viendra juger les vivants et les morts.
8° Je crois au Saint-Esprit ;
9° la sainte Église catholique ; la communion des saints ;
10° la rémission des péchés ;
11° la résurrection de la chair ;
12° la vie éternelle. Ainsi soit-il.
Le langage est le véhicule de la pensée, et comme tel, il est aussi l’outil indispensable de l’enseignement. Nous avons toujours le devoir de veiller à l’intégrité de la langue dont nous usons, par le choix des mots et par l’agencement des mots entre eux, que l’on appelle la syntaxe.
Il n’est donc pas étonnant de voir l’Église nous donner l’exemple en cette matière. Ses formules sont toujours rigoureuses et strictes. À nous d’y prendre garde et de les respecter, surtout lorsqu’elle y appelle notre attention. C’est le cas pour un texte fondamental, souvent récité : le symbole des Apôtres.
Or, dans le Catéchisme du concile de Trente on trouve une remarque incidente sur une modification de formule apparemment peu perceptible, mais que les rédacteurs de l’ouvrage considèrent à juste titre comme chargée d’une grande signification. Après l’affirmation de notre foi en les trois personnes divines, le credo nous fait proclamer que nous admettons l’existence de l’Église, de la communion des saints, de la rémission des péchés, de la résurrection de la chair et de la vie éternelle. Or, voici comment le catéchisme annonce et justifie le passage d’un mode de foi à un autre :
« Mais si, en croyant aux trois personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous mettons en elles notre foi et notre confiance, ici au contraire [nunc autem], nous parlons autrement, et nous faisons profession de croire une Église sainte, et non pas en une Église sainte. Et par cette manière différente de nous exprimer, nous conservons la distinction nécessaire entre le Créateur et les choses qu’il a créées, et nous attribuons à sa divine bonté tous les dons que l’Église possède. » [1]
En français on supprimera la proposition en, de même qu’en latin on supprime la préposition in. Le malheur veut que, pour des raisons techniques, à savoir par l’absence de déclinaisons, dans bien des langues modernes – notamment en français –, la différence d’énoncé apparaît moins bien qu’en latin. [2]
Concrètement, le catéchisme nous apprend à distinguer deux objets de notre foi. Le premier objet est la Sainte Trinité révélante, tandis que le second est l’existence de réalités créées, dans leur être présent ou à venir, révélées par Dieu, mais distinctes de lui : la Sainte Église, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle. On croit, d’une part, en Dieu créateur de toutes choses, et, d’autre part, on croit que les choses créées par Dieu que l’on énonce existent telles qu’elles sont révélées par Dieu lui-même.
Ceci peut être l’occasion de deux remarques. La première sur l’importance du latin comme langue d’une référence univoque, même en dehors des nécessités de la polémique. C’est le cas ici, où il ne s’agit pas de réfuter, mais simplement de mieux comprendre ce que l’Église nous enseigne et nous demande d’admettre et d’affirmer comme vrai. Il n’est pas rare de rencontrer des traductions françaises du Credo malencontreusement erronées sur le point soulevé. Fort probablement sans aucune mauvaise volonté. Il reste qu’une erreur est une erreur, et qu’il vaut mieux s’en apercevoir et appeler l’autorité du latin à la rescousse pour en venir plus sûrement et plus aisément à la vérité en se rapprochant de l’énoncé authentique.
L’autre remarque est plus générale et devrait nous inciter à soigner notre langage. Non qu’il faille parler en toute circonstance de la même manière, mais il ne faut pas non plus nous laisser dire que la menace viendrait plutôt de tomber dans une rigueur qui « nous condamnerait à une expression guindée ». C’est mal connaître l’homme, qui, loin de se contraindre volontiers par fantaisie, déjà se fatigue d’une discipline nécessaire. Ici est plutôt le danger, et non pas dans la propension théorique à un pédantisme fatigant.
Régulièrement, mais sans doute trop rarement – et plus rarement encore sont-ils écoutés – les auteurs nous avertissent contre un délabrement du langage qui ne peut que meurtrir profondément tout homme de bon sens. L’un d’eux, qui ne cessa de le combattre jusqu’à la fin de son grand âge, pour des raisons qui n’étaient pas avant tout ni seulement sentimentales, écrivait jadis :
« Usant du vocabulaire et de la syntaxe que mes parents ont reçus des leurs, et ainsi de suite jusqu’à Ronsard, je ne me suis jamais trouvé embarrassé pour exprimer par ces moyens les réalités contemporaines, même les plus neuves ou les plus singulières. Et je n’ai jamais fait de distinction à cet égard entre l’écriture et la parole, posant en fait qu’on peut avec les mêmes mots, se pliant aux mêmes règles, analyser les sources littéraires de Marcel Proust et réclamer ses pantoufles à la femme de ménage. Dispositions que je constate identiquement, sans m’en étonner, chez un bon nombre de mes interlocuteurs. Y compris les femmes de ménage. » [3]
Il faut apprendre, autrement dit, à manier les mots de tout le monde reçus d’une tradition commune, plutôt que de régurgiter sempiternellement les inventions récentes, passagères et faciles, quand elles ne sont pas malhonnêtes, des montreurs du cirque médiatique. Autrefois, la langue s’apprenait à la maison dans un entourage sauvegardé de l’intrusion indiscrète de parfaits étrangers. La chaleur et la saveur des tournures familières se gravaient inoubliables dans les esprits et les cœurs pour modeler ensuite le discours. Même sans la malveillance dont il sera question plus loin, l’invasion par la mode de vocables nouveaux, l’un chassant l’autre, avant qu’il n’ait été bien compris, constitue en elle-même un péril de désorientation pour des têtes qui n’ont déjà pas besoin de tant pour chanceler.
« Ne jetons plus à la foule des termes dont on ne lui explique point le sens théologique et vrai » [4], exhortait Blanc de Saint-Bonnet. Car les mots doivent se rapporter à l’être des choses, ils ont donc vraiment un sens théologique et vrai.
D’autant plus que la détérioration du langage, si elle peut être le résultat fatal de l’usure et de l’imperfection humaine, on doit savoir aussi qu’elle peut être délibérément voulue, induite, manœuvrée.
Déjà Joseph de Maistre avait noté dans les assemblées un travers qui n’est pas aussi innocent qu’il pourrait paraître :
« … il se fait entre tous les orgueils délibérants un accord tacite qui consiste, sans même qu’ils s’en aperçoivent, à n’employer que des expressions qui n’en choquent aucun, c’est-à-dire qui n’aient qu’un sens vague ou qui n’en aient point du tout. » [5]
« Sans même qu’ils s’en aperçoivent », sans doute, une fois qu’ils se sont laissé encadrer par l’appareil révolutionnaire que constitue chaque assemblée démocratique. Mais la responsabilité d’entrer dans cet appareil attendait à la porte chacun des membres. Elle incombe donc à chacune des personnes qui ont accepté de la franchir. L’Église les avait prévenus contre cette démocratie, dont une bonne définition pourrait être en effet retenue de cette « réunion d’orgueils délibérants », épinglée par Joseph de Maistre.
Sans compter que la corruption du langage n’est pas abandonnée au hasard, mais elle résulte d’un travail ordonné à une intention. Blanc de Saint-Bonnet avisait son lecteur en ces termes :
« Ce qu’il y a de plus funeste et de plus menaçant pour les peuples, après la Révolution, c’est la langue qu’elle a créée. Ce qu’il y a de plus redoutable après les révolutionnaires, ce sont les hommes qui emploient cette langue dont les mots sont autant de semences pour la Révolution. » [6]
S’il est vrai que nous sommes menacés, restons en garde, c’est bien le moins, surtout si on nous prévient à l’occasion du côté d’où l’ennemi se présentera.
« Je m'étonne qu'on n'ait pas assez remarqué que la plupart des œuvres récentes de destruction du langage sont le fait d'écrivains étrangers, installés malgré eux en France et contraints par l'histoire d'utiliser une autre langue que leur langue maternelle. On n'a pas noté non plus, à ma connaissance, le nombre important de Juifs parmi ces bizarres artistes. Ce n'est probablement pas un hasard si, Tzara, le père de Dada, fut un Juif roumain. » [7]
Nous devons au moins à ce père juif d’un mouvement subversif résolu et affiché de savoir d’où vient le vent, et si la grammaire et le vocabulaire sont le terrain où il nous attend pour nous vaincre, nous pouvons nous retrancher dans le bon usage où il ne peut nous atteindre.
Quand à l’objet restreint de notre propos, c’est-à-dire l’énoncé du symbole des Apôtres en langue française, on le trouve, entre autres, certainement au début du catéchisme de saint Pie X, sous la forme reproduite ci-après. La vérification est aisée à faire et une fois en présence du libellé correct, il suffit de se créer, au besoin, une nouvelle habitude de récitation. Dans tous les cas il restera utile et méritoire d’accorder une attention particulière à ce passage, comme le magistère le demande aux chrétiens.
1° Je crois en Dieu le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre ;
2° Et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur ;
3° Qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie ;
4° A souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli ;
5° Est descendu aux enfers ; le troisième jour est ressuscité d’entre les morts ;
6° Est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ;
7° D’où il viendra juger les vivants et les morts ;
8° Je crois au Saint-Esprit ;
9° La sainte Église catholique ; la communion des saints ;
10° La rémission des péchés ;
11° La résurrection de la chair ;
12° La vie éternelle. Ainsi soit-il.
Pierre-Michel Bourguignon
[1] Tres enim Trinitatis personas, Patrem, et Filium, et Spiritum Sanctum ita credimus, ut in eis fidem nostram collocemus. Nunc autem mutata dicendi forma sanctam, et non in sanctam Ecclesiam, credere profitemur : ut, hac etiam diversa loquendi ratione, Deus omnium effector a creatis rebus distinguatur, præclaraque illa omnia, quæ in Ecclesiam collata sunt beneficia, divinæ bonitati accepta referamus.
La traduction française ici employée est celle de l’édition par la revue Itinéraires n° 136, de septembre-octobre 1969, à la page 107 [Neuvième article du symbole, Je crois la sainte Église catholique].
[2] Dans Credo in Deum, l’accusatif est régi par in ; dans Credo Ecclesiam, l’accusatif est sujet d’un infinitif sous-entendu, existere, par exemple : je crois [que] la sainte Église [existe].
[3] Robert Poulet, dans Rivarol du 17 juin 1975.
[4] Antoine Blanc de Saint-Bonnet : La Légitimité [Casterman, Tournai 1873], page 282.
[5] Joseph de Maistre : De l’Église Gallicane dans son rapport avec le souverain pontife [Casterman, Tournay 1821], page 110.
[6] Antoine Blanc de Saint-Bonnet : Ibidem, pages 281-282.
[7] Albert Memmi : La libération du Juif [Payot, Paris 1972], pages 162-163. Pour information, le dadaïsme est un mouvement anarchiste contre l’art, constitué en 1916, donc en pleine première guerre mondiale, par un groupe de fervents destructeurs immigrés, au cabaret Voltaire, à Zurich. En tant que mouvement « artistique », le dadaïsme n’a pas atteint le milieu des années vingt, mais les traînées de ruine sur son passage n’ont jamais plus été relevées.