« Je suis celui qui suis », dit Dieu, du sein du buisson ardent, à Moïse.
Dieu est ; il est unique, il est de toute éternité, il est le bien infiniment parfait subsistant.
Dieu, par volonté infiniment libre et souverainement sage, Dieu est Créateur ; et l’œuvre telle qu’elle est sortie de ses mains participe de sa perfection : « Et Dieu vit que cela était bon ».
Rien de ce qui est hors de Dieu n’échappe à la causalité divine, tout ce qui est subsiste dans l’acte créateur de Dieu.
Et pourtant le mal existe, sans que Dieu ait quelque communication avec lui, quelque causalité ou responsabilité dans sa production. Et le mal qui existe n’est pas seulement le mal physique, mais le mal moral, le mal qui s’oppose à Dieu, le mal qui semble détruire l’œuvre de Dieu.
Dieu sait tout, et d’une science qui ne dépend pas des choses : sa connaissance est créatrice, c’est parce que Dieu connaît les choses que les choses sont.
Et pourtant Dieu sait le mal sans n’y avoir aucune part.
Face à un acte créateur sans la moindre imperfection, et à une science totalement indépendante de tout préexistant, le mal est inexplicable ; et cependant il existe. Comment est-ce possible ? Quelle est la cause réelle du mal et quelle est sa « raison » vraie ?
Voilà une des questions de théologie des plus difficiles, sinon la plus difficile, parce qu’elle fonde le mystère de la prédestination et de la liberté… Et voici pour la traiter un des théologiens les plus ardus, sinon le plus ardu… Une telle rencontre peut faire craindre un texte inaccessible, incompréhensible, éreintant.
Il n’en est rien. Ou si peu…
Certes, le Père Guérard des Lauriers, en écrivant Le péché et la causalité ne fait pas œuvre de vulgarisation, et ce qu’il écrit est très technique : cela tient aussi au cadre dans lequel il se place. C’est en effet une chronique de recensions croisées qu’il donne au Bulletin thomiste (tome XI, 1960-2), dans laquelle il est amené à critiquer sévèrement un confrère dominicain, le Père Jean-Hervé Nicolas, et, plus bénignement, M. Jacques Maritain.
Recueillant la lumière de la Révélation divine et scrutant un mystère si profond, le Père Guérard des Lauriers conserve la posture adorante qui, seule, convient. Face à un problème qui concerne les relations les plus fondamentales entre Dieu et sa créature, entre l’Être et l’être, il s’appuie sur les faits observables et les principes les plus certains de la métaphysique.
Et ainsi, il fustige au passage une théologie qui prétend s’affranchir de la métaphysique, un facilisme qui évacue le mystère, une raison qui veut rendre compte de la réalité par ses propres constructions mentales ; et ainsi il s’oppose à un conceptualisme abstrait qui égare l’esprit.
Ce travail du Père Guérard des Lauriers est doublement profitable.
Tout d’abord délivre les âmes de l’angoisse d’une fausse alternative où les place un simplisme qui les ballotte entre un Dieu dépendant et un Dieu prédéterminant, vrai dilemme où la transcendance de Dieu et la liberté humaine semblent de vains mots.
Et puis il dispose à la contemplation – parce que la vérité, en la matière, c’est l’humilité de l’esprit devant le mystère – et il donne au cœur le désir d’être purifié pour chanter dignement la miséricorde de Dieu.
J’ai connu un vieux maurrassien auquel son maître avait communiqué son incompréhension quasi blasphématoire du « mal qui fait échec à Dieu ». Je lui rappelai un jour que notre devoir n’est pas de résoudre le problème intellectuel du mal en lui-même, mais de résoudre le problème moral du mal en nous-mêmes. Puissent ces pages y contribuer.