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24 février 2006 5 24 /02 /février /2006 11:03

La vie sur la terre est un combat, dit le saint homme Job (VII, 1). De ce combat l'éternité est l'enjeu. Mener ce combat n'est rien d'autre qu'exercer la vertu théologale de la charité (ou prendre le chemin de la recouvrer) puisque l'amour de Dieu, s'il est un repos bienheureux dans le Ciel, est ici-bas une lutte permanente pour accomplir la sainte volonté de Dieu, pour se renoncer, pour repousser les assauts de l'égoïsme et de l'amour-propre, les attaques de la concupiscence et l'appétit des biens terrestres. Pour vaincre ces dangers omniprésents, pour lutter sans relâche, il faut une arme permanente : « Il faut toujours prier et ne jamais se lasser » [Luc. XVIII, 1].

Chaque époque, chaque milieu, chaque caractère apporte aux
grands classiques du combat de la vie chrétienne des accents particuliers. Les grandes luttes contre l'erreur, contre les trois concupiscences, contre l'esprit de révolte vont prendre une coloration spéciale, une intensité particulière, une inflexion spécifique : cela est nécessaire pour vaincre les défauts environnants, pour s'opposer à des tentations de circonstances, pour échapper aux vices les plus répandus à l'époque de notre vie.

Appliquons cela en observant les inclinations ambiantes, les vices supplémentaires contre lesquels les jeunes gens catholiques doivent se défendre dans les circonstances présentes. Quels sont les dangers auxquels ils ne prennent pas garde, quels sont les défauts qui vont exercer une tyrannie qui passe plus ou moins inaperçue ? Où le respect humain fait-il mouche ? Quelles sont les contagions du monde qui les affaiblissent, vers quels maux les porte le laisser-aller ?

En voici trois, véritables dictatures dès que les jeunes gens se retrouvent entre eux : la vulgarité, la scurrilité, le règne de l'image et de l'imagination.

On est péniblement impressionné de constater combien souvent les jeunes gens ayant reçu une éducation catholique dans de bonnes familles, et une instruction catholique à l'école, se retrouvent désarmés, vulnérables, peu conscient de la nécessité de ne pas se conformer à ce monde qui passe et qui est ennemi de Jésus-Christ.

Ceux qui sont tout de même décidés à vivre catholiques imaginent, plus ou moins, qu'il suffit pour cela d'exclure le péché mortel : si l'on y veille, on peut en toute sécurité adopter les manières du monde ! Ils imaginent encore qu'on peut suivre la mode – les multiples modes intellectuelles, vestimentaires ou autres, qui laminent les âmes – à condition de le faire avec dix ans ou trente ans de retard. Quel Évangile au rabais !

Je reproduis ci-dessous deux brefs articles : le premier qui traite de la scurrilité, le second de l'indiscipline de l'imagination.

Reste la vulgarité. Il faut l'entendre ici dans un sens large. Il s'agit non seulement de la vulgarité de l'allure, du langage et du vêtement de ceux qui se moulent dans le prêt-à-porter intellectuel ou dans l'uniforme du laisser-aller : il s'agit davantage encore de la vulgarité d'âme.

Que de catholiques ont un grand désir de se fondre dans la masse. Leur emblème est le caméléon. Leur idéal est d'être en résonance avec le monde.

Pour cette raison ou sous d'autres prétextes, ils se refusent à la magnanimité et à la grandeur, ils n'ont aucun souci de tenue, et ne se préparent pas au sacrifice. Il leur répugne d'appartenir à une élite (à moins qu'on puisse y atteindre sans effort, sans vertus, sans persévérance – et encore !). Ils fuient ce qui demande retranchement du monde, renoncement, sérieuse étude. Ils n'accordent pas aux choses graves la gravité qu'elles méritent, ni aux choses saintes la sainteté qu'elles réclament. Ils préfèrent tout traiter avec légèreté, plaisanter de tout, « faire la fête », « se faire plaisir », glisser sur ce qui pourrait être exigeant, tout amoindrir au niveau de leur médiocrité.

Il y a une parabole de l'Évangile pour ceux-là : celle des invités déclinant l'invitation au festin, qui pour aller voir une maison de campagne récemment achetée, qui pour essayer une paire de bœufs, qui parce qu'il vient de se marier (Luc. XIV, 16,-24).

Un jour d'humeur plaisante au milieu d'une grande détresse, le recteur de l'Institut-Saint-Pie X ne dit-il pas que les écoles traditionnelles produisent de nombreux enfants dont l’'déal se résume en trois mots :
le fric – la frime – les fringues.

Il y a autre chose à faire.


La bêtise contagieuse

Dans l'éducation de leurs enfants, un des premiers devoirs des parents est de leur inculquer profondément le commandement du
nolite conformari donné par les Apôtres sous l'inspiration du Saint-Esprit :
« Conservez-vous purs du siècle présent, mais réformez-vous par le renouvellement de votre esprit, pour discerner la volonté de Dieu, qui consiste en ce qui est bon, et agréable à ses yeux, et parfait. » [Rom. XII, 2]
« Je vous écris, jeunes gens, parce que vous êtes courageux, et que la parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu le mauvais. N'aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, et concupiscence des yeux, et orgueil de la vie – ce qui ne vient pas du Père, mais du monde. Or le monde passe, et sa concupiscence ; mais qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement.» [I Jo. II, 14-17]

L'accomplissement
efficace (efficace parce que vertueux) de ce devoir est impossible aux parents si eux-mêmes ne sont pas profondément convaincus de cette nécessité, s'ils n'en donnent pas l'exemple quotidien, s'ils se laissent entraîner par le laisser-aller ambiant dans le langage, dans l'immodestie ou le débraillé du vêtement, dans la stupide fascination pour le monde, ce monde qui veut asservir les âmes par sa pseudo-science (qui n'est autre qu'un panthéisme matérialiste) et ses techniques omniprésentes.
Et dans la scurrilité.

La scurrilité est l'habitude de dire des bêtises et des bouffonneries, de rire de tout et de rien, de laisser l'excitation s'emparer de son esprit, de ses paroles ou de ses gestes. Elle est un vice, qu'il ne faut toutefois pas confondre avec l'eutrapélie, vertu auxiliaire de la charité qui incline à « arrondir les angles », à savoir opportunément dire le bon mot qui détend, la plaisanterie qui « exorcise » une tension qui monte, la gentille et peu fréquente taquinerie qui est preuve d'affection et d'intérêt.

La scurrilité est un vice, enseigne saint Thomas d'Aquin [IIa IIæ, q. 148 a. 6]. Ce vice est une conséquence de la sensualité – gourmandise ou désir impur – qui provoque l'hébétude de l'esprit. Comme notre pauvre monde se laisse tout entier aller à cette scurrilité [1], sa présence peut également être l'effet de la contagion – contagion fort aggravée par la mentalité rousseauiste, partout diffuse, qui dissuade de réprimer la « spontanéité » des enfants, et particulièrement celle des adolescents, immergés dans « l'âge bête » parce qu'il n'est personne les en guérir. Aussi, cette scurrilité se développe tranquillement et passe souvent inaperçue jusqu'au moment où elle devient insupportable : mais c'est alors bien tard…

C'est ainsi que beaucoup de familles, même parmi les meilleures, subissent la tyrannie permanente des propos ineptes des enfants et des jeunes gens, propos qui empêchent les conversations graves, les causeries instructives, les entretiens édifiants. Au lieu d'une douce familiarité issue de la fermeté aimée et aimante des parents, s'établit un climat peu sain dans lequel on n'apprend rien, on ne transmet rien, on oublie la présence de Dieu et le respect de ceux qui le représentent.

Il y a là un vrai danger auquel on prend peu garde parce que dans ces bonnes familles la scurrilité se tient à l'intérieur des limites d'une certaine honnêteté. Mais la vie morale et l'éducation ne se réduisent pas à éviter la « franche immoralité » ; elles consistent aussi à développer l'intelligence, à dilater le cœur, à fortifier le caractère, à nourrir l'esprit pour le service de Dieu et de son Église, pour diriger les âmes dans la vérité et vers l'éternité bienheureuse.

[1] Il suffit d'ouvrir une bande dessinée ou d'écouter les
médias pour s'en convaincre : le seul humour qu'on y rencontre est celui de la bêtise, bien souvent impure ou blasphématoire d'ailleurs.


Regard chrétien sur l'imagination

Nous sommes en février 1972. Un jeune homme en quête de sa vocation, un gamin encore, un peu dégingandé, se rend au séminaire d'Écône pour y passer quelques jours : Mgr Marcel Lefebvre le lui a conseillé lors d'un entretien l'été précédent.

Ce premier contact avec le séminaire aurait facilement pu être le dernier. En effet, une des premières conversations auxquelles assiste ledit jeune homme porte sur le numéro 160 de la revue
Itinéraires, qui vient de paraître. Dans cette livraison est en bonne place un article de Mademoiselle Luce Quenette intitulé Balayez Astérix. Au cours de la conversation, cet écrit est l'objet de moqueries et de quolibets ; la pieuse et fine éducatrice est méprisée par quelques séminaristes iconoclastes, particulièrement par l'un d'entre eux qui persifle ce qu'il semble incapable de comprendre – non pas de comprendre avec l'intelligence dont il ne manque pas, mais de comprendre avec l'âme. Alors, aveugle, il ridiculise l'expression d'une angoisse dont il ne discerne pas la clairvoyance.

Malgré cette première impression déplorable, notre jeune homme intégrera le séminaire au mois d'octobre suivant.
Plus de trente-quatre ans après, il ne le regrette toujours pas et il se propose de mettre de larges extraits de cet article sous vos yeux, afin d'en tirer quelque leçon.
Balayez Astérix
et faites attention aux images
par
Luce Quenette

Le danger majeur de la Télévision n'est pas l'immoralité des images, comme on me le fait dire quelquefois, en m'opposant des émissions si belles, si instructives ! Je ne doute pas de leur existence, c'est même l'appât majeur de cet empoisonnement, pour les honnêtes parents. Ils ont résolu de trier, de couper, d'arrêter, d'interdire, d'envoyer coucher. Le règlement tient, mollit, s'atténue, élastique, extensible, anéanti… et puis, machine arrière, mais voici «
le film bien ! sauf… », donc la concession pour Lucienne 15 ans, ce qui met hors de lui son frère 13 ans ; les petits, tous au lit : « On entendait les parents rire, et à moitié les paroles, on était furieux ».

Horrible auxiliaire de la démission d'autorité, la Télévision est meurtrière pour une autre raison. [...…]

Le danger principal, inévitable de la Télé, c'est
de mettre dans la tête des enfants des images et non des idées, c'est d'arrêter, par la puissance trompeuse de l'imagination, le travail naturel de l'intelligence : l'abstraction.

Les « illustrés » exécutent la même démolition. […...]

Ce danger de perversion de l'esprit et de l'imagination est bien plus profond et bien plus difficile à comprendre pour les parents qu'une spectaculaire corruption du sens moral, qui d'ailleurs accompagnera tôt ou tard l'abus des images […...]

L'indigestion d'images à elle seule endort l'attention, amollit la volonté, anémie la mémoire boursouflée de représentations, inapte à retenir les articulations des plus simples raisonnements.

***

Ces deux frères, très bien doués, rentrent de vacances énervés, nonchalants et excités à la fois. Encouragements, punitions. Pas de remise en route. Tout le travail est inférieur à celui de l'an dernier. Irritabilité, chamailleries, leçons mal assimilées, devoirs bâclés. Et pourtant, regrets, repentirs apparemment sincères, rien de grave que cette médiocrité continue. Qu'avez-vous fait en vacances ? Excellents parents qui ne quittent pas leurs enfants. Les deux frères me semblent chercher loyalement pourquoi ils sont devenus si bêtes.

Enfin, un dimanche, après la messe, l'aîné, douze ans, confie à son professeur :  — J'ai trouvé : ce sont les journaux illustrés qu'une camarade de mon grand frère (16 ans) nous a fait passer. Elle en apportait des paquets, on se sauvait dans notre chambre pour les lire, surtout pour les regarder (l'expression se fait vaguement bête et rieuse),
oh ce n'était pas impur, mais des vilains dessins qui me reviennent tout le temps. Papa nous défendait, mais on s'arrangeait pour les regarder quand même, et maintenant, en classe, partout, je revois les images, mon frère aussi (les yeux se font inquiets, las), on ne peut pas s'en débarrasser et je ne faisais pas attention que c'est ça qui m'empêche de travailler. »

La volonté de
trouver la cause de la bêtise, donc la volonté de voir clair, de mettre l'intelligence à même de juger les brumes de l'imagination, la prière pour y parvenir, acte éminemment intellectuel ; la Grâce de Dieu, la résolution et l'expression de l'aveu, tous actes, naturels et surnaturels à la fois, opposés à l'abrutissement par les illustrés, ont porté remède à la langueur de l'âme qui s'est relevée et remise courageusement à l'étude. Et aussi la résolution de Papa de brûler tous les imbéciles illustrés, de resserrer la surveillance, de rappeler le péril.

***

Mais il s'agit d'enfants énergiques, déjà formés, sincèrement confus de leur état, assez droits pour être contents de trouver leur mal et de le guérir.

Combien d'autres, sous les yeux de parents insouciants, vont et viennent, en vacances, des images de la Télé aux caricatures inhumaines de Okapi et consorts, aux blagues et aux ironies d'Astérix qui donnent en pâture au rire bête l'autorité, l'histoire, l'armée, flétrissent enthousiasmes et admirations à coup de laideurs, de déformations ignobles, tout être humain étant grimace pour ricanement automatique.

J'entends développer un peu cette nuisance spéciale d'Astérix. Elle vient
des grandes personnes. C'est, soi-disant, une histoire pour enfants, qui fait rire tout le monde. Une invasion du burlesque, du grotesque, dans les domaines qu'on ne veut plus tabous : armée, discipline, ancêtres, romanité, commentarii de bello gallico, c'est l'x de Vercingétorix prostitué en Obélix et jusqu'en Assurancetourix, ventru, poilu, cornu, ridiculu. Que ça amuse l'adulte lui confère d'ignobles lettres de noblesse.

Comparaison éclairante : quand Papa fait attention à mes soldats, à mes arrangements de bataille, mon cœur de gosse tressaille de fierté. Une estime, un jugement de valeur auréole mon jeu. De même, quand Papa daigne discuter mon circuit de locomotive miniature, critiquer mes aiguillages, interrompre sa lecture pour modifier l'orientation de mon tunnel, il y a promotion d'une joie supérieure.

Alors, comprenez, quand Papa trouve « tordant » la
sinistre parodie de tout ce que son éducation classique avait épargné : armée romaine, gloire militaire, civilisation (sans compter l'anecdote équivoque qui truffe le tout), quel vent de scepticisme transporte d'abord, puis trouble le naturel enthousiasme du gamin !

Un papa très spirituel et excellent dessinateur me montrait un jour un album de dessins de sa main pour ses jeunes enfants. L'ironie, la plaisanterie dominaient sous l'allégorie des animaux, admirablement saisis dans une scène où chacun représentait un défaut humain. C'était drôle, assez fabuliste et au demeurant moralisant.

— «
Comment vos enfants, lui dis-je, apprécient-ils cette piquante galerie ?
Il soupira :
— «
Oh, tout cela les amuse bien, mais, quand je leur ai demandé le dessin qu'ils préfèrent, voici celui qu'ils ont désigné immédiatement et avec enthousiasme. J'ai été bien étonné. » Et il me montra une grande scène de Noël : la crèche, la Sainte Vierge, saint Joseph, l'âne, le bœuf, et, venant en cortège, des petits garçons et des petites filles de notre temps qui apportaient sagement, chacun un jouet, un gâteau, un petit minet, un agneau, un oiseau pour l'Enfant Jésus.

Pas une ironie, paix, douceur, grâce, naïveté. L'esprit de Noël et point d'« esprit ». «
J'ai tiré la leçon, dit ce père intelligent : l'enfant est sérieux, religieux, mystique… »

Hélas, c'était avant le temps d'Astérix !

***

Tel garçon de douze ans, familialement porté au goût de l'histoire, à l'admiration du héros militaire, à l'étude de l'armée, se plaît à collectionner des modèles de décorations, à interroger son père sur ses ancêtres, tous soldats, il y acquiert de petites connaissances qui affinent et enchantent son esprit. Une indication précieuse pour l'avenir.

Puis, peu à peu, c'est la désaffection, léger cynisme, moquerie, dégoût, abandon. Il
lit Astérix, rigole avec Papa de tout ce qui était rêve, admiration, peut-être vocation, – devenu caricature. Je ne peux même nommer devant lui son illustré favori sans qu'il réprime un petit rire bête. Joyeusement, le scepticisme a fait son entrée dans son cœur : la grandeur a perdu son pouvoir.

***

Vous constaterez que je ne mets pas l'accent d'abord sur la pornographie latente ou apparente des périodiques pour jeunes, je pense bien que vos enfants n'y touchent pas.

Je parle des moins mauvais, qui sont tous mauvais, pour la raison profonde que j'ai dite.

Encore une expérience :

Nous avons adopté une petite mission de la brousse au Sénégal. On envoie vêtements, remèdes, jouets. L'empressement est grand en cette classe de 7e. On conçoit que les petits noirs seraient contents de recevoir des illustrés français. Quelques écoliers, hélas, en apportent plus qu'il n'en faut. Du bête, pas du sale, ou plutôt du sale par le bête ! La maîtresse les parcourt avec eux. Elle dit : «
Voyons ce qui montrera aux petits Sénégalais que vous les aimez, que les enfants blancs sont pieux, gais, actifs, sympathiques, de bon exemple, jugez vous-mêmes. » Sur cet avertissement, après examen, toute la classe décréta, d'elle-même, qu'on ne peut envoyer aux nègres une seule de ces feuilles où grouillent des blancs hideux, rigolards, bêtes, grimaçants, mal faits… Ce fut une purgation efficace, des repentirs, des désabonnements, un dégoût salutaire…

***

[…...] Alors vous me demandez si j'ose interdire tous les illustrés aux enfants. Je sais bien que si la saturation par l'image est meurtrière, les belles images sont indispensables à la formation, justement, des jeunes imaginations.

Je dis les belles, bonnes, vraies, et je répète que
la caricature humoristique, même intelligente, n'est pas faite pour l'enfant. La représentation du corps humain et des visages doit, pour eux, être au moins normale, sinon gracieuse. Alors il faut choisir les beaux livres illustrés ; ils ne manquent pas. [...…]

Ces réflexions emplies de sagesse introduisent au cœur de notre sujet.

L'imagination est une faculté que le Bon Dieu a placée à la jointure de notre âme et de notre corps : elle est un sens (intérieur) et donc appartient à l'ordre sensible ; mais elle a une très grande affinité avec l'intelligence dont elle est l'instrument privilégié et qu'elle accompagne dans tous ses actes.

Par sa seule situation naturelle, l'imagination doit être subordonnée, et maintenue dans un rôle ancillaire : rôle indispensable et concrètement très important, rôle subalterne cependant (même dans les arts plastiques).

Mais nous ne vivons pas sous la loi de nature. Nous avons reçu une destinée surnaturelle, la nature humaine a été élevée à l'ordre de la vie intime de Dieu, puis a été spoliée et blessée par le péché originel ; notre nature doit maintenant bénéficier de la Rédemption de Notre-Seigneur Jésus-Christ par la réception personnelle de la grâce divine. L'imagination n'échappe pas à cette sorte d'écartèlement qui caractérise la vie présente ; d'autant plus que, appartenant au domaine sensible, elle est doublement marquée par le péché originel : elle a contracté une inclination vers le mal, et elle est révoltée contre sa situation inférieure.

Le combat de la vie chrétienne (qui, faut-il le rappeler ? est ici-bas une vie militante) doit donc nous porter à deux fois maîtriser l'imagination : quant à sa
place et quant à son contenu. Cette double maîtrise est une condition pour que l'imagination concoure à notre salut.

1. Quant à la place. L'imagination en révolte est devenue « la folle du logis », comme l'appelait sainte Thérèse d'Avila : au lieu d'aider l'intelligence dans son exercice, elle l'entrave, elle la gauchit, elle la court-circuite, elle l'entraîne dans sa course instable et inhabile à saisir la réalité suprasensible.

Si on ne la discipline pas, si on ne fait pas un effort particulier et permanent pour s'élever au-dessus d'elle, l'imagination devient envahissante et prépondérante, et cette hypertrophie est une catastrophe : on ne vit qu'au niveau de l'imagination et par elle ; on imagine penser, on imagine comprendre, on imagine savoir. Mais l'intelligence demeure réellement inactive et en friche ; alors la volonté n'est plus éclairée et se met à la remorque des impressions, des sens, des passions.

On peut remarquer que cette prolifération herniée de l'imagination a un effet comparable au modernisme, qui s'attaque directement à l'intelligence de la foi et par là à toute la vie surnaturelle.

2. Quant au contenu. L'imagination laisse une empreinte durable dans la mémoire – surtout l'imagination du mal, du bête et de l'inutile. C'est un fait d'expérience : ce qu'on a avalé dans sa jeunesse est tenace, et reparaît avec véhémence dans la prière pour la troubler, ou dans les moments de fragilité – tentation ou oisiveté – pour l'aggraver.

Il faut donc dès l'enfance une ferme discipline de l'imagination. Comme seule l'expérience fait prévoir ce triste phénomène, il faut aux enfants une grande docilité à des parents qui aient le souci, de leur côté, de préserver, d'orienter, de nourrir et d'émonder l'imagination de leurs enfants. Sans une vigilance active d'une part, sans une docilité profonde d'autre part, on se prépare des jours difficiles, on s'empoisonne d'avance la vie par des images, des chansonnettes, des stupidités qui pour l'instant empêchent l'exercice normal de l'intelligence (et de la foi), et qui dans l'avenir remonteront aux moments les moins opportuns.

Et même sans parler des graves périls auxquels on s'expose ainsi, quelle perte de temps, quel gaspillage d'énergie, quelle stérilité dans le développement des talents que le Bon Dieu nous a confiés et dont il nous demandera compte !

Il faut donc rejeter la « culture » du cinéma, de la bande dessinée et de la télévision (même supposés moralement sains par ailleurs). C'est une culture où l'imagination domine : elle inhibe l'intelligence et prend sa place, elle installe durablement l'âme dans un monde d'apparences et d'illusions.

Comme c'est aussi le monde de la facilité, il faut rompre radicalement avec lui : se contenter de l'amoindrir ou de le mettre au second plan serait se préparer à y retourner à plus ou moins court terme, avec une avidité accrue.

Il faut s'adonner à l'observation et à la réflexion, à la lecture et à l'étude. Mais ne jugeons pas que tout est gagné parce qu'on lit. Que lit-on ? Lit-on de quoi retomber par un autre côté dans le même bourbier ? ou bien lit-on ce qui nourrit la foi, élève l'intelligence, ennoblit le cœur, enrichit l'esprit, enflamme dans l'âme l'amour de la vertu, de la beauté, de la vérité ?

Il faut se fabriquer une imagination disciplinée, une imagination nourrie de la sainte Écriture et de la vie des saints, bref une imagination chrétienne ainsi que le veut saint François de Sales dans l'
Introduction à la vie dévote.
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