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18 décembre 2013 3 18 /12 /décembre /2013 10:56

Le chant grégorien est l’un des plus purs joyaux du patrimoine de l’Église catholique, la splendeur de sa liturgie et une véritable école de sainteté. Il y a donc, pour tout fidèle, un spécial appel à en prendre la défense et à le pratiquer.

La Renaissance – la Rechute selon le mot si juste de Chesterton – avait méprisé le chant grégorien et dénaturé sa ligne mélodique simple et sa rythmique unique, tissues de prière et de contemplation.

La restauration de ce chant plus que millénaire fut entreprise au milieu du XIXe siècle sous l’impulsion de Dom Prosper Guéranger, dans le but fondamental de prier, et de prier comme on priait aux âges de foi. L’artisan principal de cette restauration tant mélodique que rythmique fut Dom André Mocquereau, dont l’atelier de paléographie musicale a atteint une science et une rigueur d’une ampleur qui n’a jamais été égalée, sans détriment aucun pour l’esprit de piété — bien au contraire. C’est le Pape saint Pie X qui a donné le cadre juridique et l’impulsion morale pour que cette réforme soit étendue à toute l’Église latine : « Je veux que le peuple prie sur de la beauté ». Il était réservé à Dom Joseph Gajard, pendant le demi-siècle où il a dirigé le chœur de Solesmes, d’être le « bon ouvrier » de la diffusion du chant ressuscité et de sa rythmique, et le maître incontesté de l’interprétation qu’il a portée à une haute perfection. Il faut aussi mentionner les précieux travaux de Dom Eugène Cardinne, en qui la sémiologie trouve un maître-fondateur.

Le refroidissement de la foi et la destruction de la liturgie catholique, issus de Vatican II, ont considérablement amoindri la position du grégorien qui, pour une part notable, s’est réfugié chez qui demeurent fidèles à la liturgie traditionnelle.

Mais voici que le chant grégorien subit une nouvelle menace. Les théories de Marcel Pérès (né en 1956) et de son ensemble Organum (né en 1982) sur le chant grégorien pénètrent parmi les fidèles, et l’abbaye de Bellaigue – bénédictins issus du Barroux qui se sont rattachés à la fraternité Saint-Pie-X – semble en être le fer de lance et le diffuseur. Pour avoir assisté à une tranche de messe de Requiem dans leur église, je peux dire qu’on peut faire beaucoup de choses avec leur chant : écouter, s’immerger, se plaire, apprécier, pleurer, rire, s’extasier, détester, admirer, mépriser, envier… tout sauf prier. Et ce n’est pas étonnant.

Car le dessein avoué, publié et surtout mis en œuvre par Marcel Pérès et ses disciples est de séparer le chant grégorien de la foi catholique. Il est, littéralement, de profaner le chant grégorien. C’est une affirmation grave, dont on voit les conséquences sur toute la liturgie, qui demande donc à être sérieusement étayée.

Deux livres exposent les principes et les buts de Marcel Pérès et de son ensembleOrganum :

–  Marcel Pérès, Jacques Cheyronnaud, Les voix du plain-chant, 2001, Desclée de Brouwer, Collection Texte et voix (ci-dessous noté I) ;

–  Marcel Pérès, Xavier Lacavalerie, Le Chant de la mémoire : Ensemble Organum, 1982-2002, Desclée de Brouwer, Collection Texte et voix (ci-dessous noté II).

Ces deux livres ne font pas mystère de cette intention de séparer le chant grégorien de la foi, et de s’opposer diamétralement à l’école de Solesmes (avec une ironie méprisante). Citons.

« [Perspectives]. Bien que promus par l’Église, les trois premiers domaines [recherche musicologique, formation pratique à des répertoires religieux, diffusion] devraient pouvoir s’intégrer dans la société civile laïque. Les activités proposées seraient indépendantes de tout investissement de foi » (I, 171).

« C’est dans cette perspective de basculement et de rupture qu’il faut examiner le travail d’Organum (…).

« Rappelons d’abord les grandes lignes de cette révolution opérée à l’initiative de Marcel Pérès et de l’ensemble Organum (…).

« Dernier point, enfin, qui ne va pas sans provoquer quelques grincements de dents, parce qu’étroitement lié aux deux précédents : c’est en renouant avec des traditions vocales encore vivantes (chant polyphonique corse, musique sacrée byzantine, samaa des soufis marocains ou tunisiens) que l’on peut vérifier d’éventuelles correspondances entre les notations anciennes des musiques religieuses et les pratiques actuelles.

Ces confrontations fructueuses posent de manière cruciale toutes les divergences avec Solesmes. Options musicales, d’abord — Solesmes ayant des idées très précises sur ce que doivent être l’homogénéité des voix, la beauté des timbres, la justesse des attaques et des notes, l’égalité du tempérament, l’emploi, ou plutôt le non-emploi, des micro-intervalles comme les tiers ou les quart de tons, la nature des ornementations ; divergences idéologiques, ensuite, qui ont conduit Marcel Pérès à rompre avec la vision spiritualiste d’un chant éthéré et désincarné… (bla-bla)… » (II, 211).

« Faire chanceler les certitudes et repousser les limites de notre paysage sonore aura donc été la grande affaire de l’ensemble Organum et de Marcel Pérès. Au chant grégorien lisse, séraphique, tempéré, qui semblait si bien s’accorder au dépouillement et à la paix des ruines romanes, s’est substituée une variété infinie de plains-chants, puissants, solaires, croulant d’ornements… » (II, 213).

« Dans les monastères chrétiens (…) on chantait avec la foi : un artiste, lui, le fait en tant que professionnel. Souvent, l’ensemble Organum fait d’une cérémonie religieuse un spectacle profane » (II, 215).

« L’ensemble Organum est un outil de questionnement infini.

« Sur la musique, sur la mémoire. Sur la foi. Sur ce socle anthropologique… (bla-bla)… » (II, 215).

Pour être juste, il faut préciser que l’ironie méprisante à l’égard de Solesmes est exprimée surtout par les disciples de Marcel Pérès, et que celui-ci tient des propos plus modérés dans un entretien qu’il a donné à la revue La Nef en 2007 (quon peut lire ici). Marcel Pérès y apparaît sous un jour un peu différent. On y comprend qu'il estime (à tort !) que l’effondrement consécutif à Vatican II dénote l’insuffisance ou l’errance de la restauration de saint Pie X, et il est donc parti ailleurs rechercher la beauté liturgique du chant : c’est en même temps une intention émouvante et une erreur fondamentale de direction et de moyen. L’effondrement issu de Vatican II est l’effet d’une déficience profonde dans la foi catholique, et le remède que Pérès met en œuvre ne fait qu’aggraver le mal, puisqu’il sépare le chant grégorien d’avec la foi et la prière. Ceux qui le suivent participent et participeront à cet effet désastreux.

*

*     *

Mais ce qui devrait inquiéter davantage encore, c’est que Marcel Pérès et ceux qui se sont engagés dans des voies analogues, sont très favorablement salués par Jacques Viret.

Bien sûr, il ne s’agit pas du tout d’attribuer, à Organum et consorts, les errements de Jacques Viret ; cependant il est bon de s’arrêter un peu à ce dernier pour mesurer l’abîme qu’on côtoie lorsqu’on s’éloigne d’une juste conception du chant grégorien.

La vue de Jacques Viret (né en 1943) sur le chant grégorien (et apparemment sur toutes choses) est parfaitement gnostique et la pensée de son livre Le chant grégorien et la tradition grégorienne, (L’Âge d’Homme, Lausanne 2001) se résume ainsi : le chant grégorien n’est pas une prière, il est un parcours initiatique.

Le fond de l’affaire est le panthéisme : L’univers est Dieu, nous sommes divins, nous sommes des émanations de Dieu, des parties de Dieu. Notre tendance, notre dignité est donc de retrouver la connaissance de notre origine divine (la gnose) à travers les religions diverses qui ne sont que des expressions dégénérées de cet être divin que nous sommes. Toutes les religions ont donc une unité transcendante, elles sont au fond la même chose. Cette unité transcendante, cette foncière identité s’appelle la Tradition.

Évidemment, l’hindouisme et l’islam sont des expressions supérieures, plus pures, plus proches de la Tradition primordiale que la religion catholique qui est profondément dégénérée avec ses dogmes, sa structure hiérarchique, sa loi morale.

L’initiation consiste donc à dépasser la forme religieuse particulière héritée de la société dans laquelle nous sommes pour retrouver la Tradition primordiale, cette unité des religions qui nous réintégrera dans l’unité fondamentale (ou nous en fera prendre conscience) : celle entre Dieu et nous. Ainsi nous accéderons à la véritable gnose.

Le grégorien fait partie de la Tradition, et peut donc être l’instrument de la quête de la gnose. Il doit être mis en relation, il doit être éclairé par les autres traditions musicales pour retrouver son authenticité et faire retour à l’unité primitive. Alors le grégorien est un véritable parcours initiatique.

Pour cela, il doit se détacher des conceptions erronées qui voient en lui une prière, une affirmation donc de la distinction infinie entre Dieu et nous, une expression de la foi catholique exclusive de toute autre prétendue vérité incompatible avec elle.

La pensée de Jacques Viret est très clairement gnostique (on en peut citer des pages et des pages bien explicites), et voilà pourquoi il salue le « nouveau grégorien », qui se trouve du coup compromis dans une drôle d’affaire panthéiste ; et cela à plusieurs titres :

–  il tend à une expression du moi qui s’identifie à Dieu ;

–  il a subi la contamination des musiques « traditionnelles » ;

–  il tend à n’être plus une prière.

Je vais citer le commencement de son court chapitre sur le nouveau grégorien (p. 261). Tout y est dit. Une petite précision vient page 263 : Anne-Marie Deschamps propose, au congrès grégorien international de Strasbourg (1975), de revivifier le grégorien par le yoga. On voit dans quelle direction on se dirige.

« La tradition intégrale : le nouveau grégorien (fin du XXe siècle)

« § 135. Une nouvelle ère

« La dernière étape historique de la tradition grégorienne a débuté aux alentours de 1980 et correspond à l’apparition d’un courant interprétatif nouveau. En 1982 déjà Lance W. Brunner prenait conscience d’un changement de conjoncture, et s’en réjouissait. Les discussions sur l’interprétation du chant grégorien – son rythme notamment – n’étaient plus, observait-il (Brunner 1982 : 317), confinées comme auparavant au cercle étroit de la recherche musicologique, mais s’ouvraient enfin à la pratique du concert et du disque. Le même auteur remarquait en outre (ibid. : 317, 326-327) que la situation de fait créée par la récente réforme conciliaire (§ 21), en transférant le chant grégorien de la liturgie au concert (§ 22), encourageait les interprètes à expérimenter librement des approches interprétatives variées. C’était donc une “nouvelle ère” qui s’annonçait, et battait en brèche le quasi monopole détenu jusque là par les moines de Solesmes, champions d’un grégorien “liturgique” et “catholique”.

« L. Brunner énumère trois points susceptibles de donner lieu à un renouvellement interprétatif : le rythme, les neumes ornementaux (§ 182-184) et l’esthétique vocale (§ 13). Il ne mentionne qu’en passant une orientation de recherche dont en 1982 on ne mesurait sans doute pas encore l’importance, et qui contribue à éclairer chacun de ces trois points et d’autres encore : l’approche comparatiste, ethnomusicologique (§ 50), celle d’un grégorien appréhendé non plus comme un univers musical autonome et isolé, mais comme le centre d’un vaste cercle où l’entourent toutes les traditions musicales du monde, plus près ou plus loin de lui selon le degré variable de proximité qu’elles ont avec lui. On s’est donc rendu compte que pour redonner vie musicale aux notations des vieux manuscrits il faut d’abordécouter les chants traditionnels. Quant à savoir lesquels, cela n’importe que secondairement car leurs fondements (§ 45) et la manière de chanter (§ 13) sont communs, comme l’ont constaté Dominique Vellard (DSd Vellard/Sayeeram 1999 a ; § 12), Marcel Pérès et d’autres. Alors on aura forcément une approche nouvelle des signes écrits sur les vieux manuscrits (§ 51). Un tel élargissement représente sans conteste, en soi, un fait artistique d’une portée majeure, et une étape cruciale dans l’histoire millénaire du chant grégorien.

« Les représentants de ce courant ne s’opposent pas ouvertement à Solesmes (hormis Pérès 1987 ; § 130), et ils n’ont pas – jusqu’à présent – donné de leur démarche une justification théorique, ni même écrite (voir cependant Pérès 1991) : raison pour laquelle nous ne pouvons en parler ici que sur la base d’enregistrements discographiques et de leurs notices (Cf. DSc Deschamps, Lesne, Livljanic, Pérès, Poisblaud, Vellard). »

 

*

*     *

Il vaut mieux – il faut absolument – se tenir bien loin de ces courants, si savants qu’ils paraissent, si scientifiques qu’ils se donnent. La sainte liturgie catholique ne saurait s’approcher ni s’accommoder de tels détournements.

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commentaires

E
""" je peux dire qu’on peut faire beaucoup de choses avec leur chant : écouter, s’immerger, se plaire, apprécier, pleurer, rire, s’extasier, détester, admirer, mépriser, envier… tout sauf prier. Et ce n’est pas étonnant. """<br /> <br /> Ah c'est bien vrai ! Le Codex Calixtinus est très beau, très agréable à écouter, en voyage, pour se détendre, et, sinon rêver, du moins faire marcher l'imagination, se " transporter " en d'autres lieux et époques. Cela oui. <br /> <br /> Mais pour prier, niet ! On ne prie pas sur un spectacle.
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