Voici la transcription d’une partie du dernier bulletin Notre-Dame de la Sainte-Espérance — qui est lui-même la transcription d’une lettre envoyée à un ami. Mais je crois que ce qui y est exposé mérite d’avoir une plus large audience : non pas par la qualité de l’exposé, mais parce que certaines vérités somme toute banales ne sont même plus soupçonnées dans la débâcle générale des intelligences et des cœurs.
Catholiques du Denzinger (1)
Il ne faut pas ironiser sur les « catholiques du Denzinger ». Certes, avoir en main et à la bouche le Denzinger ne donne pas ipso facto l’intelligence de la foi ni la science théologique, loin s’en faut. Il y a quelques caricatures pour rappeler qu’un livre ne donne pas le discernement. Mais c’est déjà aller chercher la lumière à la bonne source : dans l’enseignement de l’Église, dans les textes du Magistère.
Il ne faut pas ironiser ni décourager, mais aider ; il ne faut pas retirer le Denzinger de leurs mains, mais leur apprendre à s’en servir, à en comprendre les termes, à remettre chaque vérité à sa place dans l’ensemble de la doctrine catholique (c’est ce qu’on appelle l’analogie de la foi), à voir dans quel sens l’Église l’a mise en œuvre, à méditer la vérité pour qu’elle devienne un élément vital en nous et non un gourdin pour assommer le prochain etc.
Il y a dans la collection d’Itinéraires une magnifique défense de La Cité catholique (vers 1960) où Jean Madiran prend la défense de cette institution qui a fait tant de bien en diffusant et en faisant étudier les encycliques et les catéchismes, contre les docteurs moqueurs qui reprochaient (à tort) aux membres de La Cité catholique de ne pas savoir lire les encycliques — mais qui, eux, ne faisaient rien pour diffuser la doctrine de l’Église. C’est un écrit flamboyant comme Madiran savait les faire, et d’une haute sagesse savoureuse et instructive.
À tout prendre, les « catholiques du Denzinger » sont bien préférables aux « catholiques du moi je pense que », race ignoble qui se croit dispensée d’étudier et qui ne se fie qu’à ses propres ténèbres faites de mémoire évanescente et d’esprit propre omniprésent. Leur ignorance leur sert de caution morale pour copieusement dénigrer leur prochain, sans vergogne.
Adrien Loubier, dans son ouvrage si utile et clairvoyant Groupes réducteurs et noyaux dirigeants expose que le signe et la conséquence du fonctionnement d’une société de pensée est la doctrine imaginée. C’est bien de cela qu’il s’agit chez les « catholiques du moi je pense que », surtout s’ils sont en groupe où les rapports sont de flatteurs à flattés, ou de gourou à gros-bêta. On imagine, et pour essayer de donner une apparence savante à l’imagination, on se livre à des découpages et des lectures gauchies de textes, qui n’impressionnent que ceux qui ne prennent pas la peine d’aller étudier aux sources.
Je préfère aussi les « catholiques du Denzinger » à une race qui a une nette tendance à s’accroître avec le temps qui nous éloigne de 1991 : les « catholiques Lefebvre ».
Je ne veux pas parler de ceux qui ont de la vénération et de la gratitude pour la personne de Mgr Marcel Lefebvre : c’est là une chose parfaitement juste, et je me place parmi ceux-là. Je ne veux pas parler non plus de ceux qui citent Mgr Lefebvre comme on le peut faire de tout auteur parce qu’il apporte un témoignage ou expose la vérité avec l’autorité de la science.
J’appelle catholiques Lefebvre ceux qui recourent à Mgr Marcel Lefebvre comme à une autorité magistérielle : il a parlé donc c’est vrai, vous n’avez rien à ajouter, la cause est entendue. Mgr Lefebvre a dit que la « nouvelle messe » est valide… elle est donc valide à n’en pas douter. Mgr Lefebvre a sacré des évêques… c’est donc que cela est légitime. Et ainsi de suite.
C’est une attitude étonnante.
D’abord parce que Mgr Lefebvre dans son combat n’était pas du tout un organe du Magistère de l’Église. Mais, au fait, il a bien été en situation d’exercer le magistère suprême de l’Église, lorsqu’il était père conciliaire à Vatican II… bizarrement ce ne sont jamais les textes du concile qu’il a signés qui sont cités par ceux qui en font une autorité magistérielle.
Et puis, il y a une grande variété dans les prises de position de Mgr Lefebvre, et chacun abonde en son sens, estimant que le « vrai » Mgr Lefebvre est celui qui est d’accord avec lui. Alors, c’est la tour de Babel — tout le contraire du Magistère de l’Église catholique.
Militance et véritance
Je pense que cette déformation profonde tient à ceci : la primauté de la militance sur la véritance (j’invente le mot pour les besoins de la symétrie). On s’imagine que la vérité se trouve automatiquement à la pointe de l’épée, et qu’il suffit de combattre « du bon côté » pour avoir raison sans être obligé de remonter droitement aux principes, sans être tenu de vérifier les faits, sans nécessité de faire un sérieux effort de compréhension de ceux qu’on combat etc.
L’Église catholique est militante, mais cette qualité découle de la possession de la vérité. Inverser l’ordre entraîne des désordres moraux permanents, et constitue un contre-témoignage qui éloigne les esprits honnêtes qui pourraient être intéressés par des études ou des textes utiles.
Cela est d’autant plus vrai que possession de la vérité ne signifie pas connaissance verbale, superficielle ou utilitariste. Cette possession consiste à être possédé.
Il ne s’agit pas du tout de réduire la vérité aux dimensions de nos intelligences bien limitées ; il ne s’agit pas de faire de la vérité un parti ni une arme pour supplanter, éliminer ou humilier le prochain.
Il s’agit de se souvenir que la vérité est une personne – Notre-Seigneur Jésus Christ ; que cette personne est la vérité éternelle, le Verbe de Dieu ; qu’elle a déposé la vérité qui illumine et qui sauve dans l’Église catholique qu’elle a dotée d’un Magistère pour cela (et d’un gouvernement pour que la vérité passe dans les actes, et d’un pouvoir de sanctification pour qu’on aille chercher la vérité dans sa source : la grâce et la miséricorde de Dieu).
Placer notre intelligence sous la lumière de la foi, dans la docilité à l’Église, dans l’esprit de l’Évangile, dans la rigueur de l’intelligence que Dieu nous donne, dans l’humilité et la simplicité des petits enfants : nous n’avons rien à inventer et tout à recevoir ; nous n’avons rien à gauchir par l’amour propre, mais tout à faire tourner en action de grâces et en louanges : alors la militance sera bénie de Dieu.
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(1) Denzinger est le nom couramment donné à l’Enchiridion symbolorum, definitionum et declarationum qui fut publié à partir de 1854 par Henri Denzinger. Cet ouvrage, qui tient dans la main (c’est le sens selon l’étymologie grecque d’Enchiridion), est un recueil d’extraits de textes du Magistère de l’Église sur les sujets de dogme et de morale. Il est devenu un ouvrage de référence par son sérieux et son aspect pratique (les tables sont très complètes, et les textes sont rangés par ordre chronologique.
Il y a deux séries de Denzinger. Les trente et une premières éditions vont de 1854 à 1960 (Denziger, Denzinger-Bannwart, Denzinger-Umberg, Denzinger-Rahner). Elles se sont étoffées au fur et à mesure que le Magistère de l’Église s’exerçait, en conservant la même numérotation. La référence à cette série est la plus commune et la plus sûre.
Les éditions 32-38 vont de 1963 à 1995 sous le nom de Denzinger-Schönmetzer ; elles bouleversent la numérotation, introduisent des textes anciens controversés, intègrent les actes de Vatican II et consorts, et éliminent des passages entiers de Quanta Cura ou de Pascendi (par exemple)… Certain virus est passé par là, sans compter que la nouvelle numérotation s’est peu répandue.